[...] Aussi propose-t-il d'« initier une autre théologie, celle de la Raison contre l'idéologie assassine, celle de la Lumière contre l'obscurantisme et celle de la Paix contre la monstruosité du crime, de la décapitation et de l'outrage ». (p. 11-12) tout en invitant à connaître l'histoire de la pensée islamo arabe si diversifiée.
Par Christian Lochon
Broché : 168 pages
Éditeur : Cnrs
Date parution : 3 mars 2016
Collection : PHILO/RELIG/HIS
Langue : Français
ISBN-10: 2271087902
Quatrième de couverture
S’interroger sur la place du désir et de la beauté en islam est loin d’être anecdotique tant ces notions y sont taboues et centrales à la fois. Taboues en ce qu’un certain nombre de théologiens fondamentalistes y voient une forme de dévoilement diabolique. Centrales en ce qu’elles sont essentiellement humaines, voire même profondément spirituelles. Par essence, l’islam embrasse de nombreux aspects de la vie et codifie le lien au corps. Et alors que dans une vision dogmatique de l’islam, le désir est une réalité refoulée et donc proscrite, pour Malek Chebel il en est, au contraire, une part essentielle, anticipation du Paradis, et condition du bonheur ici-bas. À travers l’étude de la calligraphie, du tatouage, de l’amour des pierres précieuses, de l’art des jardins, l’auteur nous révèle l’importance du beau en islam, reflet d’une existence de plaisir tout autant que d’une attitude spirituelle. Il est urgent, pour lui, d’initier une nouvelle théologie en terre d’islam, celle de la Raison face à l’idéologie assassine, celle de la Lumière face à l’obscurantisme, celle de la paix face à la monstruosité du crime, celle du désir face à l’interdit. Un véritable traité du bonheur en terre d’islam.
Anthropologue des religions, philosophe et psychanalyste, grand spécialiste de l’islam, Malek Chebel était connu pour ses prises de position en faveur d’une réforme de cette religion incluant certains aspects positifs de la modernité politique. Il a été, entre autres, l’auteur de L’islam expliqué par…, d’un Dictionnaire encyclopédique du Coran, de L’érotisme arabe et, plus récemment, de L’inconscient de l’islam. Il est décédé le 12 novembre 2016 à Paris
Anthropologue des religions, philosophe et psychanalyste, grand spécialiste de l’islam, Malek Chebel était connu pour ses prises de position en faveur d’une réforme de cette religion incluant certains aspects positifs de la modernité politique. Il a été, entre autres, l’auteur de L’islam expliqué par…, d’un Dictionnaire encyclopédique du Coran, de L’érotisme arabe et, plus récemment, de L’inconscient de l’islam. Il est décédé le 12 novembre 2016 à Paris
Recension
Ce nouvel ouvrage du Professeur Malek Chebel, anthropologue et psychanalyste, est de la même veine que son Traité des bonnes manières et du raffinement en Orient (Payot 2008), que nous avions recensé dans ces colonnes en 2009. Pour l'auteur, la quête du beau en islam est la recherche de Dieu puisque Dieu est la Beauté même, comme le Coran le souligne et comme le poète persan Ruzbekhan le définit ainsi : « la rose rouge appartient à la beauté de Dieu » (p. 81).
Dans le Coran, révélé au début à des populations nomadisant dans le désert, on relève 35 références décrivant des jardins où coulent des rivières ainsi que la végétation luxuriante du paradis (II 25, XXXVI 56 et 57, XLVII 15, LV 68). Le « Generalife » (« Jannat al Arif » ou « Jardin du Savant ») de Séville en sera au XIVe siècle l'illustration dans le monde occidental (p. 107). Les beautés féminines qui peuplent cet espace, Aïn el Hour, connues comme « houris », sont citées plus de 25 fois, « des vierges au regard chaste que nul parmi les hommes et les djinns n'a encore touchées... créatures somptueuses de bonne éducation » (LV 46-76). La femme est donc un avant-goût de la volupté que l'élu trouvera au paradis (p. 125).
Le raffinement du bien-être également terrestre est le propre des sociétés ommeyyade de Damas et abbasside de Bagdad, que décriront les contes des Mille et Une Nuits; dans son Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits (Plon 2010), Malek Chebel y décrit cette société subtilement transgressive et hédoniste qui suscite la réprobation des radicalistes musulmans actuels et rappelle les ouvrages des encyclopédistes de l'époque aux titres évocateurs, Le Livre des gemmes du géologue al Biruni, Les Prairies d'or et des mines de pierres précieuses du géographe al Masoudi, Les Colliers d'or du philosophe al Zamakhshari. L'auteur émet alors le jugement que « le musulman croit intuitivement relever de la même essence que la pierre précieuse étant le point le plus élaboré de la Création » (p. 99).
Art également élaboré, la calligraphie sous ses multiples formes et dans les graphies diversifiées de l'arabe oriental ou maghrébin, du persan ou du turc ottoman, représente « l'art de la splendeur et de la munificence arabes, s'exprimant de manière sublime dans les versions du Coran, l'encadrement des arches d'entrée, sur le mur des sanctuaires » (p. 26). Pour notre auteur, qui dans Les Cent Noms de l'amour (Paris Alternatives 2001), nous le faisait déjà deviner, « le point le plus élevé de la foi est l'esthétique » (p. 28).
Malek Chebel nous interpelle sur les concepts islamiques du corps humain ; alors que le corps de la femme est parfois magnifié dans des versets coraniques comme il le sera dans la littérature classique arabe, la nudité dans l'islam contemporain est devenue « la transgression par excellence » (p. 47) ; l'homme doit cacher la partie de son corps du nombril jusqu'au genou et la femme de la racine des cheveux jusqu'aux chevilles. La nudité, mais aussi la musique sont devenues une « perversion diabolique » (p. 49). Aussi, l'exposition intitulée « Le Corps découvert » que présenta l'Institut du monde Arabe en 2012, et à laquelle 80 artistes participèrent, constitua une réaction légitime et saine (p. 55).
Dans l'islam chiite, le corps, au moment de l'Achoura, commémoration de l'assassinat de Hussein, petit-fils du Prophète, est soumis à des douleurs ritualisées (auto flagellations et auto scarifications) ; la douleur physique prend ainsi des dimensions initiatiques (p. 46) car le croyant veut « transcender sa condition profane ». Comme il l'a déjà fait dans son Manifeste pour un islam des lumières (Hachette 2004) et Changer l'islam (Albin Michel 2013), notre fécond auteur veut réformer les conceptions archaïques des salafistes et des littéralistes. Il s'insurge contre le fait que « l'instance religieuse se garde bien de rappeler que le pèlerinage est une répétition des rites antérieurs à l'islam ou que la Kaaba a abrité des idoles païennes jusqu'en 630 tout le temps de la prédication » (p. 9). Aussi propose-t-il d'« initier une autre théologie, celle de la Raison contre l'idéologie assassine, celle de la Lumière contre l'obscurantisme et celle de la Paix contre la monstruosité du crime, de la décapitation et de l'outrage ». (p. 11-12) tout en invitant à connaître l'histoire de la pensée islamo arabe si diversifiée.
Un lexique bien utile des mots arabes relatifs à la culture et à l'esthétique (p. 143 à 148) et une bibliographie de 160 volumes (p. 149 à 162) complètent ce nouvel ouvrage d'un humaniste du XXIe siècle.
Dans le Coran, révélé au début à des populations nomadisant dans le désert, on relève 35 références décrivant des jardins où coulent des rivières ainsi que la végétation luxuriante du paradis (II 25, XXXVI 56 et 57, XLVII 15, LV 68). Le « Generalife » (« Jannat al Arif » ou « Jardin du Savant ») de Séville en sera au XIVe siècle l'illustration dans le monde occidental (p. 107). Les beautés féminines qui peuplent cet espace, Aïn el Hour, connues comme « houris », sont citées plus de 25 fois, « des vierges au regard chaste que nul parmi les hommes et les djinns n'a encore touchées... créatures somptueuses de bonne éducation » (LV 46-76). La femme est donc un avant-goût de la volupté que l'élu trouvera au paradis (p. 125).
Le raffinement du bien-être également terrestre est le propre des sociétés ommeyyade de Damas et abbasside de Bagdad, que décriront les contes des Mille et Une Nuits; dans son Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits (Plon 2010), Malek Chebel y décrit cette société subtilement transgressive et hédoniste qui suscite la réprobation des radicalistes musulmans actuels et rappelle les ouvrages des encyclopédistes de l'époque aux titres évocateurs, Le Livre des gemmes du géologue al Biruni, Les Prairies d'or et des mines de pierres précieuses du géographe al Masoudi, Les Colliers d'or du philosophe al Zamakhshari. L'auteur émet alors le jugement que « le musulman croit intuitivement relever de la même essence que la pierre précieuse étant le point le plus élaboré de la Création » (p. 99).
Art également élaboré, la calligraphie sous ses multiples formes et dans les graphies diversifiées de l'arabe oriental ou maghrébin, du persan ou du turc ottoman, représente « l'art de la splendeur et de la munificence arabes, s'exprimant de manière sublime dans les versions du Coran, l'encadrement des arches d'entrée, sur le mur des sanctuaires » (p. 26). Pour notre auteur, qui dans Les Cent Noms de l'amour (Paris Alternatives 2001), nous le faisait déjà deviner, « le point le plus élevé de la foi est l'esthétique » (p. 28).
Malek Chebel nous interpelle sur les concepts islamiques du corps humain ; alors que le corps de la femme est parfois magnifié dans des versets coraniques comme il le sera dans la littérature classique arabe, la nudité dans l'islam contemporain est devenue « la transgression par excellence » (p. 47) ; l'homme doit cacher la partie de son corps du nombril jusqu'au genou et la femme de la racine des cheveux jusqu'aux chevilles. La nudité, mais aussi la musique sont devenues une « perversion diabolique » (p. 49). Aussi, l'exposition intitulée « Le Corps découvert » que présenta l'Institut du monde Arabe en 2012, et à laquelle 80 artistes participèrent, constitua une réaction légitime et saine (p. 55).
Dans l'islam chiite, le corps, au moment de l'Achoura, commémoration de l'assassinat de Hussein, petit-fils du Prophète, est soumis à des douleurs ritualisées (auto flagellations et auto scarifications) ; la douleur physique prend ainsi des dimensions initiatiques (p. 46) car le croyant veut « transcender sa condition profane ». Comme il l'a déjà fait dans son Manifeste pour un islam des lumières (Hachette 2004) et Changer l'islam (Albin Michel 2013), notre fécond auteur veut réformer les conceptions archaïques des salafistes et des littéralistes. Il s'insurge contre le fait que « l'instance religieuse se garde bien de rappeler que le pèlerinage est une répétition des rites antérieurs à l'islam ou que la Kaaba a abrité des idoles païennes jusqu'en 630 tout le temps de la prédication » (p. 9). Aussi propose-t-il d'« initier une autre théologie, celle de la Raison contre l'idéologie assassine, celle de la Lumière contre l'obscurantisme et celle de la Paix contre la monstruosité du crime, de la décapitation et de l'outrage ». (p. 11-12) tout en invitant à connaître l'histoire de la pensée islamo arabe si diversifiée.
Un lexique bien utile des mots arabes relatifs à la culture et à l'esthétique (p. 143 à 148) et une bibliographie de 160 volumes (p. 149 à 162) complètent ce nouvel ouvrage d'un humaniste du XXIe siècle.