Les cahiers de l'Islam
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Vendredi 7 Octobre 2022

Dossier : Minorisations. Revisiter les conditions minoritaires



Minorisations. Ce titre épuré du nouveau numéro de L’Année du Maghreb ne s’est pas présenté comme une évidence. Le dossier devait s’appeler à l’origine « Minorations ». Or, comme lexpliquent ses coordinatrices, Jennifer Vanz et Mari Oiry-Varacca, leur approche s’est transformée au fur et à mesure de l’avancement du numéro. Faisant, au début, la part belle à la notion de « minorités », elles ont préféré échapper au risque d’essentialisation que ce terme comporte. Assimilant au départ « minoration » et « marginalisation », elles ont finalement opté pour « minorisations » en tant que processus complexes, parfois ambigus.

Sous l’impulsion des études de genre et des subaltern studies, le profond renouvellement de la question minoritaire est revisitée ici, dans un contexte maghrébin, où les récents mouvements sociaux et les mobilisations militantes lui ont donné une visibilité accrue dans l’espace public. À travers la notion de « minorisations », ce dossier interroge les logiques de production de rapports de domination. Il rend compte des processus par lequel un groupe dominant définit un groupe dominé comme minoritaire, ainsi que des logiques de production de groupes minoritaires qui mobilisent, négocient et tirent profit de cette assignation identitaire.
Afin de saisir ce qui, à différentes périodes, constitue la situation et l’expérience minoritaires, ce dossier resitue les processus de minorisation dans leur contexte historique singulier et dans leur dimension spatiale. L’approche pluridisciplinaire permet de croiser les regards sur la construction de ces rapports de domination et leur localisation à l’intersection de différents systèmes normatifs et/ou matériels de constitution du pouvoir (classe, genre, colonialisme notamment). De même, depuis le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’Égypte, ces contributions privilégient l’analyse de la variété des répertoires d’action mobilisés pour contester la minorisation, soulignant l’agentivité des acteurs sociaux qui négocient, s’approprient et interprètent, sans cesse, les catégorisations.

Rédactrice en chef du dossier thématique : Florence Renucci, juriste, CNRS, IMAF
 

Édito : Faire un pas de côté, c’est prendre de l’élan

Minorisations. Ce titre épuré du nouveau numéro de L’Année du Maghreb ne s’est pas présenté comme une évidence. Le dossier devait s’appeler à l’origine « Minorations ». Or, comme lexpliquent ses coordinatrices, Jennifer Vanz et Mari Oiry-Varacca, leur approche s’est transformée au fur et à mesure de l’avancement du numéro. Faisant, au début, la part belle à la notion de « minorités », elles ont préféré échapper au risque d’essentialisation que ce terme comporte. Assimilant au départ « minoration » et « marginalisation », elles ont finalement opté pour « minorisations » en tant que processus complexes, parfois ambigus.
 
De fait, les minorisations ne se traduisent pas que par des tentatives de cantonnement et de rabaissement : ce sont aussi des processus d’interactions multiples, des stratégies utilisées par les divers·es acteurs·trices concerné·e·s, tout autant par le haut que par le bas. Cette approche rompt avec une analyse trop simpliste opposant dominés et dominants. Elle permet de sortir des seuls rapports d’opposition entre les États et des groupes minorisés. Elle amène enfin à multiplier les pistes d’analyse en incluant une lecture intersectionnelle – même si les limites de cette dernière restent ici à éprouver.
Proposant une thématique encore peu développée dans les études sur le Maghreb, ce dossier a suscité l’engouement, en particulier de jeunes chercheur·e·s. Ils ont donné à ce numéro son caractère pluridisciplinaire et introduit une diversité de sujets dans le temps et dans l’espace, de la Tunisie sous protectorat à l’actuelle Égypte. Pourtant, participer à ce numéro n’était pas nécessairement une évidence pour elles et eux. Dans certains pays, cette thématique reste politiquement sensible. Étudier les minorisations n’est pas sans difficultés ni sans risques : peur de parler pour les minorisé·e·s, risque pour nos collègues de faire entendre une voie critique qui est celle de la recherche.

Parce que L’Année du Maghreb a pour ADN, notamment, de contribuer à l’analyse des multiples formes de domination d’ici et d’ailleurs, le comité de rédaction, avec cette nouvelle livraison, se réjouit d’offrir un lieu de débats et de s’ouvrir à des approches analytiques renouvelées. Ces réflexions controversées qui essaiment, ici au Maghreb, ont toute leur place dans une revue académique dont l’objectif est de contribuer à témoigner de recherches en train de se faire et de nourrir des discussions, tout aussi contradictoires soient elles, auprès d’un lectorat élargi.

En effet, ce numéro « Minorisations » inaugure également de nouvelles pratiques éditoriales : chaque contribution est désormais accompagnée non plus d’un résumé court mais d’un résumé in extenso, traduit en anglais et en arabe, disponible en libre accès sur le site internet de la revue. L’objectif est de faire connaître nos – jeunes – auteur·e·s et de contribuer à une plus ample diffusion des articles qu’ils·elles proposent. Notre revue demeure un moteur et un espace d’échange scientifique, désormais multilingue. Cette politique de traduction n’aurait pas été possible sans le soutien de partenaires que nous tenons à remercier : l’IREMAM ; le Centre Norbert Elias, l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain et l’Institut SOMUM.
Ces appuis financiers nous permettent également, pour certains, d’organiser annuellement un atelier d’écriture réservé aux doctorant·e·s et jeunes docteur·e·s sous la houlette de Didier Guignard. Pour cette troisième édition, nous accueillons les textes de Camille Cassarini et Chloé Nedjma-Rondeleux. Le premier se penche sur la minorité ivoirienne de Tunisie et présente les enjeux sociaux des migrations transsahariennes. La deuxième étudie l’école de journalisme d’Alger et la formation d’un corps professionnel dans une Algérie post-indépendante, dont l’histoire est encore largement à construire. Deux autres articles complètent cette rubrique Varia : l’un, écrit par Yassine Temlali, porte sur un épisode méconnu du mouvement de l’Union générale des étudiants musulmans en Algérie (UGEMA-UNEA) juste après l’indépendance, et l’autre, signé par Hiba Abid et Anouk Cohen, étudie la lecture du Dalā’il al-Khayrāt dans le Maroc contemporain.

Avant de vous souhaiter bonne lecture, nous partageons avec vous l’agenda des prochaines livraisons. Après « Libye-s en devenir », à paraître en décembre 2022 (cf. Édito n°26) accompagné des Chroniques, le numéro de juin 2023 sera consacré aux « Intimités en tension depuis et dans les mondes arabo-musulmans », sous la direction de Marion Breteau, Michela De Giacometti et Laura Odasso.




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