En hommage au Pr. Mahmoud Azab, disparu le 29 juin 2014, nous publions cette semaine deux de ses articles et une intervention vidéo de sa part sur la pensée d’Averroès (Ibn Rushd, m.1198).
En juin 2013, nous avons publié une Rencontre avec Mahmoud Azab autour de son travail à al-Azhar et sur la notion du dialogue (ḥiwâr). Nous vous invitons à (re)découvrir les quelques lignes de cette Rencontre réalisée dans les couloirs de l’Université al-Azhar.
En juin 2013, nous avons publié une Rencontre avec Mahmoud Azab autour de son travail à al-Azhar et sur la notion du dialogue (ḥiwâr). Nous vous invitons à (re)découvrir les quelques lignes de cette Rencontre réalisée dans les couloirs de l’Université al-Azhar.
Ce compte rendu, rédigé par Mahmoud Azab, est republié ici avec l'aimable autorisation de la rédaction du Bulletin critique des Annales islamologiques (BCAI). Il fut publié, en effet, dans BCAI, n°23, 2007.
Présentation de l'éditeur : Depuis que l'islam fait régulièrement la « une » de l'actualité internationale, et qu'il est devenu la deuxième religion de France, des centaines de milliers de Français ont, un jour, décidé d'ouvrir et de lire le Coran. Mais ils se sont souvent arrêtés au bout de quelques pages : si le Coran intrigue, il déconcerte aussi le lecteur non averti. Il s'avère vite difficile à pénétrer car il suit une logique qui lui est propre : comme la Bible, il juxtapose plusieurs genres littéraires ; il ne peut être compris en dehors du contexte qui a été celui de sa rédaction ; sa lecture nécessite une connaissance des commentaires différents, voire divergents, qu'en ont fait les musulmans au cours des quatorze siècles de son histoire.
Farid Esack, l'un des « nouveaux penseurs de l'islam » [1] que Rachid Benzine nous a fait découvrir dans un livre de la même collection, dresse ici le panorama des diverses méthodes de lecture du Coran, des plus fondamentalistes aux plus « modernes ». Il montre comment ces dernières s'appuient sur les sciences humaines et utilisent les outils de la critique historique, littéraire, herméneutique, sociologique. Ce faisant, il nous donne les clés de lecture indispensables à une véritable compréhension de l'univers coranique.
Farid Esack, l'un des « nouveaux penseurs de l'islam » [1] que Rachid Benzine nous a fait découvrir dans un livre de la même collection, dresse ici le panorama des diverses méthodes de lecture du Coran, des plus fondamentalistes aux plus « modernes ». Il montre comment ces dernières s'appuient sur les sciences humaines et utilisent les outils de la critique historique, littéraire, herméneutique, sociologique. Ce faisant, il nous donne les clés de lecture indispensables à une véritable compréhension de l'univers coranique.
Ce livre, d’abord paru en anglais en 2002, se veut être un bon guide pour le lecteur non spécialisé dans le Coran et ses sciences.
Farid Esack vient de l’intérieur de l’Islam ; il est né dans un faubourg du Cap et a été formé au Pakistan. Il est considéré par de nombreux écrivains et chercheurs comme l’un des symboles d’une nouvelle vague de penseurs musulmans qu’on appelle « les nouveaux penseurs de l’islam » (1). L’ouvrage s’ouvre par une préface écrite précisément par Rachid Benzine, pour permettre au lecteur de connaître l’auteur et de mieux comprendre son propos : « se saisir de la foi et de la tradition musulmanes en les confrontant aux outils de la critique scientifique contemporaine » (p. 14). On peut néanmoins ne pas approuver certaines affirmations de R. Benzine, par exemple lorsqu’il écrit : « Toute une tradition musulmane véhicule l’idée d’un Muhammad passif dans cette réception du Coran » (p. 11), alors qu’en consultant les « circonstances de la révélation », sur lesquelles F. Esack lui-même s’appuie, on arrive à des conclusions différentes. Dans son introduction (p. 15-30), l’auteur passe en revue plusieurs catégories de lecteurs du texte sacré, décrites par analogie avec le rapport d’un homme à une femme aimée :
– « L’amoureux sans esprit critique », qui trouve dans le texte les réponses à toutes ses questions.
– « L’amoureux érudit », qui parle du texte comme d’une bien-aimée, tels Abū l-‘Alā Mawdūdī (m. 1977), Amīn Aḥsan Islāḥī (m. 1997), Ḥusayn Ṭabāṭabā‘ī (m. 1981), etc.
– « L’amoureux doué de sens critique » : cette catégorie compte des penseurs tels que Naṣr Ḥāmid Abū Zayd et Fazlur Rahman (m. 1988).
– « L’ami de l’amoureux », c’est-à-dire celui qui n’a pas la foi, mais qui ne rejette pas le texte : il l’étudie comme une Écriture reçue, mais aussi comme un phénomène historique. Cette catégorie compte, notamment, Wilfred Cantwell Smith, qui s’intéresse particulièrement au côté spirituel du Coran, et Montgomery Watt, qui insiste sur les dimensions sociologiques du texte.
– « Le voyeur », qui ne cherche dans le texte que « les faits qui concernent le corps de la bien-aimée » : jolie métaphore pour désigner les approches critiques de John Wansbrough, Patricia Crone, Michael Cook, et autres.
– « Le polémiste », enfin.
Farid Esack
Il serait légitime de se demander dans laquelle de ces catégories classer l’auteur et son ouvrage. Il répond lui-même directement à cette question : « Je suis un musulman à l’esprit critique et progressiste, qui étudie le Coran et qui respecte tout effort de recherche sérieuse. J’ai ainsi calmement exposé et critiqué les positions diverses, sans attaquer les motivations d’un groupe particulier de chercheurs » (p. 27).
Ce que l’auteur nous dit dans ces quelques lignes, il l’a très sérieusement mis en œuvre. Il nous faut donc reconnaître ici une valeur essentielle de cet ouvrage : l’auteur offre une présentation objective des lectures des musulmans et des non musulmans, et il appelle les musulmans à lire et à entendre les critiques de « l’extérieur », c’est-à-dire des savants, chercheurs et spécialistes non musulmans.
L’ouvrage est organisé, de manière extrêmement claire, en chapitres et sous-chapitres, souvent courts, ou d’une longueur modérée, apportant des réponses significatives à des questions fondamentales dans le domaine des études sur le Coran. Par ailleurs, ces développements se terminent souvent par des exemples, tirés de la vie quotidienne des peuples musulmans, particulièrement de l’Afrique du Sud, dont l’auteur est originaire.
L’ouvrage commence d’ailleurs par un premier chapitre (p. 31-52) précisément intitulé « Le Coran dans la vie des musulmans ».
Les chapitres 2 et 3, « Le Coran entre dans le monde » (p. 53-88) et « Le Coran comme parole écrite » (p. 89-118), traitent des questions relatives à la révélation du texte et à sa réception. Le chapitre 4, « L’assemblage du Coran » (p. 119-147), aborde des questions délicates, souvent mal traitées par les chercheurs, musulmans ou non, en une série de courts sous-chapitres : « L’assemblage du Coran du vivant du Prophète », « Le Coran devient un canon », « La perspective chiite », « L’érudition coranique critique non musulmane », « Le développement progressif de l’écriture arabe », « L’existence de plusieurs manuscrits différents », et « Lectures et modes ». Les questions les plus difficiles demeurent celles des sources du texte, de ses origines, de sa langue et de son style, de son inimitabilité (iʿǧāz) enfin. La lecture de F. Esack est très attentive au monde intérieur de la foi musulmane, aux horizons spirituels islamiques. Elle est flexible et intelligente.
Il ne travaille pas le Coran comme un texte nu, éloigné de toute profondeur. Néanmoins, il comprend l’intérêt d’une approche critique et saisit l’importance d’une vision « extérieure » sur le monde de l’islam.
Aux pages 149 à 175, on trouve un chapitre de grande importance, intitulé « Le Prophète et le Coran engendré, non pas créé ». F. Esack fait appel à Wilfred Cantwell Smith, qui lui-même s’appuie sur al-Suyūṭī, pour traiter de questions telles que « La révélation récitée : développement de la doctrine sur le Coran », « La doctrine du caractère incréé et éternel du Coran », « Les mu‘tazilites et l’émergence du kalâm », « Le Prophète Muhammad et le Coran ».
Les pages 177 à 211 offrent un chapitre intitulé « Comprendre et interpréter le Coran », avec des questions telles que « Révélations mecquoises et révélations médinoises » et surtout « Les circonstances de la révélation », où F. Esack traite du contexte historique de la genèse du texte. Quant à l’abrogation (nasḫ), il l’explique en faisant référence aux témoignages d’al-Rāzī, d’al-Suyūṭī, d’al-Dihlawī, et d’Ibn al-Qayyim al-Ǧawziyya dont il analyse et critique les différentes thèses. C’est là une incitation à s’imprégner de ces textes, très pratiques et très concrets. En un court sous-chapitre, « Le Coran et l’herméneutique » (p. 208-210), il présente les « nouvelles lectures » de Fazlur Rahman, de Naṣr Ḥāmid Abū Zayd et de Mohammed Arkoun.
Dans le chapitre intitulé « Croire en le Coran » (p. 213-242), l’auteur étudie la croyance en la prophétie, avec des exemples tels que ceux d’Abraham et de Moïse. Dans ce chapitre, comme dans le suivant (« La conduite vertueuse selon le Coran », p. 243-280), nous trouvons une présentation assez simple de questions de grande importance, pour lesquelles l’auteur s’appuie sur certains passages coraniques en donnant des exemples précis. Ici il fournit peu d’analyses critiques, il ne donne plus de références, il ne mentionne plus de récentes recherches.
En conclusion, nous dirons que Le Coran, mode d’emploi n’apporte pas une réflexion nouvelle (2), mais est un « guide » utile, présentant les différentes approches pour mieux lire et comprendre le texte fondateur de l’islam.
Ce que l’auteur nous dit dans ces quelques lignes, il l’a très sérieusement mis en œuvre. Il nous faut donc reconnaître ici une valeur essentielle de cet ouvrage : l’auteur offre une présentation objective des lectures des musulmans et des non musulmans, et il appelle les musulmans à lire et à entendre les critiques de « l’extérieur », c’est-à-dire des savants, chercheurs et spécialistes non musulmans.
L’ouvrage est organisé, de manière extrêmement claire, en chapitres et sous-chapitres, souvent courts, ou d’une longueur modérée, apportant des réponses significatives à des questions fondamentales dans le domaine des études sur le Coran. Par ailleurs, ces développements se terminent souvent par des exemples, tirés de la vie quotidienne des peuples musulmans, particulièrement de l’Afrique du Sud, dont l’auteur est originaire.
L’ouvrage commence d’ailleurs par un premier chapitre (p. 31-52) précisément intitulé « Le Coran dans la vie des musulmans ».
Les chapitres 2 et 3, « Le Coran entre dans le monde » (p. 53-88) et « Le Coran comme parole écrite » (p. 89-118), traitent des questions relatives à la révélation du texte et à sa réception. Le chapitre 4, « L’assemblage du Coran » (p. 119-147), aborde des questions délicates, souvent mal traitées par les chercheurs, musulmans ou non, en une série de courts sous-chapitres : « L’assemblage du Coran du vivant du Prophète », « Le Coran devient un canon », « La perspective chiite », « L’érudition coranique critique non musulmane », « Le développement progressif de l’écriture arabe », « L’existence de plusieurs manuscrits différents », et « Lectures et modes ». Les questions les plus difficiles demeurent celles des sources du texte, de ses origines, de sa langue et de son style, de son inimitabilité (iʿǧāz) enfin. La lecture de F. Esack est très attentive au monde intérieur de la foi musulmane, aux horizons spirituels islamiques. Elle est flexible et intelligente.
Il ne travaille pas le Coran comme un texte nu, éloigné de toute profondeur. Néanmoins, il comprend l’intérêt d’une approche critique et saisit l’importance d’une vision « extérieure » sur le monde de l’islam.
Aux pages 149 à 175, on trouve un chapitre de grande importance, intitulé « Le Prophète et le Coran engendré, non pas créé ». F. Esack fait appel à Wilfred Cantwell Smith, qui lui-même s’appuie sur al-Suyūṭī, pour traiter de questions telles que « La révélation récitée : développement de la doctrine sur le Coran », « La doctrine du caractère incréé et éternel du Coran », « Les mu‘tazilites et l’émergence du kalâm », « Le Prophète Muhammad et le Coran ».
Les pages 177 à 211 offrent un chapitre intitulé « Comprendre et interpréter le Coran », avec des questions telles que « Révélations mecquoises et révélations médinoises » et surtout « Les circonstances de la révélation », où F. Esack traite du contexte historique de la genèse du texte. Quant à l’abrogation (nasḫ), il l’explique en faisant référence aux témoignages d’al-Rāzī, d’al-Suyūṭī, d’al-Dihlawī, et d’Ibn al-Qayyim al-Ǧawziyya dont il analyse et critique les différentes thèses. C’est là une incitation à s’imprégner de ces textes, très pratiques et très concrets. En un court sous-chapitre, « Le Coran et l’herméneutique » (p. 208-210), il présente les « nouvelles lectures » de Fazlur Rahman, de Naṣr Ḥāmid Abū Zayd et de Mohammed Arkoun.
Dans le chapitre intitulé « Croire en le Coran » (p. 213-242), l’auteur étudie la croyance en la prophétie, avec des exemples tels que ceux d’Abraham et de Moïse. Dans ce chapitre, comme dans le suivant (« La conduite vertueuse selon le Coran », p. 243-280), nous trouvons une présentation assez simple de questions de grande importance, pour lesquelles l’auteur s’appuie sur certains passages coraniques en donnant des exemples précis. Ici il fournit peu d’analyses critiques, il ne donne plus de références, il ne mentionne plus de récentes recherches.
En conclusion, nous dirons que Le Coran, mode d’emploi n’apporte pas une réflexion nouvelle (2), mais est un « guide » utile, présentant les différentes approches pour mieux lire et comprendre le texte fondateur de l’islam.
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(1) Voir Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel, 2004, qui lui consacre un chapitre, et Alain Roussillon, La pensée islamique contemporaine, acteurs et enjeux, Paris, Téraèdre, 2005, p. 93 et s.
(1) Voir Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel, 2004, qui lui consacre un chapitre, et Alain Roussillon, La pensée islamique contemporaine, acteurs et enjeux, Paris, Téraèdre, 2005, p. 93 et s.