Les cahiers de l'Islam
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Mohamed Kerrou
Mohamed Kerrou enseigne au département des sciences politiques à la Faculté de droit et des... En savoir plus sur cet auteur
Samedi 14 Juin 2014

Hijab : Nouveaux voiles et espaces publics



Coup sur coup, Ceres Editions publie sous la plume de Mohamed Kerrou, un livre d’analyse sur un sujet d’actualité: « Hijab, Nouveaux voiles et espaces publics » . Aussi, et en grande première, l’ouvrage est assorti d’un cahier d’images intitulé « Voiles en images ». Premier survol de ces deux publications et, en Bonnes Feuilles, l’Avant-Propos, signé Mohamed Kerrou.

Mohamed Kerrou enseigne au département des sciences politiques à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis (Université de Tunis El Manar). Adoptant une perspective comparative, ses recherches portent sur les relations entre le religieux et le politique dans l’islam contemporain.



Hijab : Nouveaux voiles et espaces publics













Broché: 203 pages
Editeur : Cérès Editions (1 janvier 2010)
Collection : D'islam et d'Ailleurs
Langue : Français
ISBN-10: 9973197380
ISBN-13: 978-9973197382
Dimensions du produit: 20,8 x 14,4 x 1,2 cm
Prix : EUR 8,55



Cette recension est publiée avec l'aimable autorisation de l'auteur. Elle a déjà fait l'objet d'une première publication sur le site tunisien Leaders .



Le nouveau voile est dans la rue, le café, l’école, le métro, les médias, au stade et sur la plage. Mode et coquetterie sont de mise: la voilée sort, se montre, se fait belle, séduit et se laisse tenter. Son comportement détonne. Il contrarie nos habitudes de pensée, échappe aux politiques, dérange les anciens et piège les modernes. Dans les pays musulmans comme partout ailleurs dans le monde, de nouveaux visages partagent notre quotidien. Ces femmes voilées, comment les voir, les comprendre et en parler ? Comment interpréter leur hijâb, ce symbole qui montre et dit plus qu’il ne cache et tait ?

Tel qu’il s’affiche aujourd’hui, avec ses variantes et ses accessoires, le nouveau hijâb résulte d’un bricolage inédit qui rompt avec les pratiques traditionnelles. Il traduit, en même temps qu’il annonce, les changements de l’individu, de la société et de la culture. Son enjeu politique est la montée du pouvoir féminin dans les espaces publics. Sa portée économique est liée à la mondialisation des objets et des signes. Il symbolise et met en scène, une identité plurielle.

À l’appui d’une nouvelle lecture du voile, l’esthétique, le ludique, le politique et l’économique sont, tour à tour, analysés puis progressivement croisés. La synthèse est percutante. Le texte, rigoureux et audacieux, s’attaque aux vraies questions et répond autant aux partisans qu’aux adversaires du voile. Mohamed Kerrou enseigne au département des sciences politiques à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis (Université de Tunis El Manar). Adoptant une perspective comparative, ses recherches portent sur les relations entre le religieux et le politique dans l’islam contemporain.

«Voiles en images»

Ce cahier de plus de 40 pages propose un commentaire illustré des propos tenus dans le livre. Certaines images viennent corroborer la thèse développée. D’autres complètent nombre d’interrogations, en laissant le champ libre à l’interprétation.

Ce sont, en quelque sorte, autant de références et de citations qui complètent des fragments, par définition inachevés, de la configuration complexe du voilement/dévoilement des femmes musulmanes à l’époque contemporaine.

La variété infinie du voilement réfère à la globalité de ce phénomène vestimentaire et identitaire dont les mises en scène revêtent des dimensions multiples: sociales, culturelles, religieuses, esthétiques et ludiques.

Voiles en images, donne à voir les multiples facettes du processus historique d'accès des femmes musulmanes à l'espace public. Voilées, dévoilées et parfois, dans un entre-deux bricolé au petit bonheur, elles affichent une ferme volonté de participation à la vie publique via les élections, la rue, le travail, l'amour, le cinéma, les médias, la mode, la publicité, les arts, la transgression de la censure des mœurs et la protestation contre les formes de domination masculine.

C'est l'ensemble de cette théâtralisation individuelle et collective qui est visée, par l'objectif des photographes et par les légendes des images.

Bonnes feuilles

Avant-propos

L’objet de ce livre est le hijâb, et non pas le voile intégral qui occupe en Europe le devant de la scène politique et médiatique. Certes, le hijâb qui couvre les cheveux et dessine l’ovale du visage n’est pas sans lien avec le voile intégral qui cache le visage en laissant apparaître les yeux (niqâb), ou en interposant une ouverture grillagée permettant de voir sans être vue (burqa). Néanmoins, les deux pratiques vestimentaires diffèrent par leur nature, en raison de la visibilité ou de l’invisibilité du visage, ce «fondement de la société civile» selon le philosophe Michel Serres.

Les deux types de voiles, le hijâb et le voile intégral ou voile facial, ainsi que les débats contemporains incessants autour de ces habits n’ont pas connu une apparition simultanée mais ont émergé successivement, au point que l’un semble aller sans l’autre. Dans le proche avenir, il est possible que «la question du voile» finisse par constituer une seule affaire même si, pour l’heure, la polarisation autour du voile intégral induit une banalisation et un oubli du hijâb.

L’hypothèse de ce livre fut initialement élaborée pour le hijâb – mot générique qualifiant, à l’origine, plusieurs sortes de voiles mais qui a fini par désigner le foulard. En relation avec les débats récents qui ont lieu en Europe et également en Egypte, le voile intégral a été incorporé à l’effort d’analyse en épilogue du texte, et introduit également, en prologue, dans le but d’une meilleure saisie de la configuration d’ensemble. D’autant plus que la problématique adoptée, celle de l’identité et de l’espace public, joue aussi bien pour le hijâb que pour le voile intégral.

Étant donné que tout voile est une pratique vestimentaire assurant une visibilité publique, les «Voiles en images», inséré à la fin du livre, est un cahier de photographies en noir et blanc destiné à fournir une documentation visuelle, relative aux jeux des voiles (anciens et nouveaux, partiels et intégraux, artistiques et politiques, ludiques et contestataires...) auxquels s’adonnent les femmes musulmanes, à la recherche d’une identité et d’une affirmation de soi, dans un rapport de distinction avec l’autre, dans l’espace public.

Espace de débat et de délibération, selon la conception de Jürgen Habermas, l’espace public – ou la sphère publique – historiquement lié à la formation de l’État national et démocratique, s’est progressivement enrichi de l’apport des réflexions critiques qui ont mis l’accent sur le rôle décisif des femmes, de la culture, de la religion et des nouveaux médias.

L’idée de base de l’analyse développée ici est que le voile dit des choses significatives sur les individus et sur la société. Quelque part, le voile parle autant qu’il montre et rend visible les femmes dans l’espace public. En tant que signe et symbole, le voile est «structuré comme un langage» et se veut porteur d’un discours révélateur d’un rapport organique entre identité/altérité qu’il appartient au chercheur de déchiffrer et d’écrire.

L’écriture du voile est un exercice délicat et périlleux en raison de l’extrême diversité et mobilité du phénomène étudié qui relève de l’esthétique et du politique, de l’économique et du symbolique, du passé et du présent. C’est ainsi que tout jugement de valeur à propos du voile, le limitant à un aspect au détriment des autres, est forcément réducteur et inapte à en saisir la dynamique interne et externe

Tout se passe comme s’il s’agissait d’un jeu de voiles, un jeu de mots (« Je dévoile ») qui réfère aussi bien à la transition vestimentaire opérant le long de l’histoire contemporaine qu’aux possibilités qu’ont les femmes de passer du dévoilement au voilement et, une fois couvertes, de changer de voiles en fonction des situations et de l’être-ensemble ou, au contraire, de vouloir abandonner, à l’instar de nombre d’iraniennes rebelles, cette tenue imposée par l’ordre moral islamique.

Pour ce qui est de la transition vestimentaire, il n’est pas inutile de voir comment le voile a changé de nom et de fonction, en s’inscrivant dans un rapport étroit d’interaction avec l’espace public. À travers les époques historiques, «les mots et les choses » ont beaucoup changé en conservant certains aspects et en perdant d’autres. Ainsi, en est-il du niqâb, par exemple, qui désignait, à l’origine, le voile du visage et qui est devenu, par extension, un vêtement-voile laissant apparaître les yeux. Il en est de même de la burqa qui, selon le lexicographe arabe Ibn Mandhûr, s’appliquait aussi bien aux bestiaux qu’aux femmes bédouines, pour nommer le masque du visage avec parfois une ouverture à la hauteur des yeux mais qui a fini, à son tour, par désigner un voile-vêtement. La « purdah», issue sans doute de « pardeh» (voile, rideau, hymen, en persan) – laissant entendre une sonorité proche, mais non attestée, de la « burdah » (couverture et cape en arabe), prend deux formes dans les pays musulmans de culture indo-iranienne: l’obligation pour les femmes de couvrir leurs corps en cachant leurs formes et la séparation physique, par une barrière ajourée ou partiellement cloisonnée, entre femmes et hommes. En Iran, les femmes recouraient à divers types de voilement : le « tchador » consistant en une pièce d’étoffe, ornée ou de couleur noire, enveloppant le corps et laissant le visage découvert, le «roussari» un simple foulard noué sous le menton et le « maqnaeh», une capuche recouvrant la tête et la poitrine. La Révolution islamique généralise le port du «maqnaeh» et d’un manteau, le «roupuch».

Pendant des siècles, les Afghanes portaient un « tchadri », voile traditionnel qui diffère de la burqa dans la mesure où il ne couvre pas le bas du pantalon et permet aux femmes de pouvoir sortir leurs mains à travers les ouvertures. Ce n’est pas le cas de la burqa qui est un vêtement fermé, dérobant le corps en entier et s’accompagnant souvent de gants couvrant les mains. La burqa est une invention récente des mouvements néo-salafistes qui s’évertuent à la propager partout où ils s’activent à former une communauté de foi repliée sur elle-même.

Il est d’ailleurs intéressant de relever comment, d’un pays à un autre, d’une culture à une autre, d’une époque à une autre, le voile change de forme, de couleur et de dénomination : du « haïk » et du « Sefsari » au hijâb puis au niqâb (Tunisie et Algérie), du « lithâm » et du « haïk » à la djellaba – masculine/féminine – puis au hijâb et au niqâb (Maroc), du « tcherchef » et du « gorshâf » au « turban » puis au niqâb et à la burqa (Turquie), etc.

L’évolution vestimentaire qui semble infinie, marque néanmoins des continuités ainsi que des moments de rupture importants à relever en vue d’une analyse approfondie et globale.

En ce qui concerne le changement de voile, les femmes ont la possibilité non seulement de se voiler/dévoiler au gré des circonstances et du choix individuel mais également de troquer un voile contre un autre : de passer du hijâb au voile intégral et vice-versa ; sans parler des multiples possibilités d’associer différents vêtements et voiles.

Ces jeux des voiles dénotent d’une théâtralité sociale qui est déjà inscrite dans les logiques des pratiques vestimentaires ainsi que des rapports interindividuels en société. L’historien Johan Huizinga avait qualifié l’être humain d’Homo ludens, au lieu d’Homo faber ou d’Homo sapiens, en raison de la prégnance du jeu dans toutes les activités humaines. Le jeu est entendu au sens d’activité se déroulant selon des règles, dans une ambiance de ravissement et d’enthousiasme, en suscitant des relations collectives s’entourant de mystères et d’étrangetés.

De son côté, le sociologue Erving Goffman et ses disciples ont orienté leurs études vers l’analyse des interactions verbales et gestuelles et des situations intersubjectives reposant sur des symboles partagés. L’étude d’un certain nombre de situations les a menés à considérer les individus comme des acteurs s’adonnant à une théâtralité sociale et d’analyser les situations de «face-à-face » en tant que métaphores rituelles visant à « ne pas perdre la face ».

Nous verrons, au fil des pages, comment les jeux des voiles sont orchestrés par des représentations et des pratiques sociales qui sont, à la fois, ludiques, esthétiques, politiques, économiques, voire stratégiques et globales. En plus, ces jeux des voiles charrient des enjeux politiques et symboliques à la croisée des logiques contradictoires du voilement et du dévoilement, du normatif et du transgressif.

La méthodologie adoptée dans ce livre se veut, en même temps, théorique et empirique. Sur le plan théorique, c’est l’approche sociologique comparative – entre les phénomènes sociaux et les pays où se déroulent ces phénomènes – qui est privilégiée avec l’option pour la méthode compréhensive qui suppose une proximité entre le sujet et l’objet ainsi qu’un grand intérêt pour les actions de l’individu et pour le sens qu’il donne à ses actions. Sur le plan empirique, l’observation des voiles et des comportements des voilées dans l’espace public fut décisive pour l’analyse qui, dans un premier temps, s’est orientée vers les entretiens approfondis avec les voilées puis a recentré l’enquête, non pas sur les discours et les représentations mais sur les pratiques sociales, par le biais de la « description dense » des réseaux de significations qui sont publiquement situés et procèdent souvent par métaphores et métonymies plus ou moins instituées. Le chercheur est alors appelé, comme le recommande l’anthropologue Clifford Geertz, à lire « par-dessus les épaules » des voilées, afin de découvrir les logiques inhérentes à leurs pratiques quotidiennes.

L’empathie, cette intuition et capacité du chercheur de se mettre à la place d’autrui afin de saisir ses motivations et ses réactions émotionnelles, pourrait laisser suggérer une sympathie de l’auteur pour son objet d’étude : le hijâb. En réalité, une telle posture n’est agencée que pour relayer et renforcer la distanciation consistant à se départir des jugements de valeur (« le pour » ou « le contre ») qui brouillent la vue de l’analyste nécessairement impliqué et l’empêchent souvent de comprendre le sens des actions et l’identité des acteurs en situation d’interaction sociale.

De l’identité et du sens, c’est là que réside probablement le secret du hijâb et du voile intégral ainsi que des phénomènes culturels contemporains dont Sélim Abou avait montré, qu’ils restructurent, en ce temps de mondialisation de l’angoisse identitaire, les relations à soi et à l’autre, à l’expérience du mal et de la souffrance des individus dans le cadre de sociétés pluriculturelles, tiraillées entre plusieurs modèles de référence et d’appartenance.

L’espoir est que ce livre contribue, un tant soit peu, à rendre intelligibles les jeux et les enjeux du hijâb et des voilements, devenus spectaculaires, dans les contextes sociaux et historiques qui sont les nôtres aujourd’hui.
Hijab : Nouveaux voiles et espaces publics




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