Les cahiers de l'Islam
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Dimanche 31 Mars 2019

Histoire économique du monde islamique : De l'Arabie préislamique à la dynastie umayyade





Éditeur : Éditions l'Harmattan
254 pages ; 21,5 x 13,5 cm
ISBN 978-2-343-16696-4
EAN 9782343166964

Présentation éditeur

La mémoire collective considère généralement l'Islam comme l'entrave essentielle au progrès économique et social des peuples qui s'en réclament. La plupart du temps sont étudiés les conflits sociaux, les guerres et les manoeuvres politiques. C'est omettre que les périodes du VIIe au XIe siècle ont été celles où le monde arabo-musulman a fait de remarquables avancées dans la compréhension des phénomènes marchands, des mécanismes monétaires ou en matière de finances publiques. L'ouvrage tente de réunir l'ensemble des travaux jusqu'alors entrepris sur le sujet afin de mettre en lumière le versant économique de l'histoire de l'Islam.
 

Ahmed Danyal ARIF est auteur. Après des études en économie, en droit et en sciences politiques, il a occupé un temps diverses fonctions au sein de l'administration fiscale. Suite à un premier essai visant à présenter le système économique islamique (L'Islam et le Capitalisme : pour une justice économique, L'Harmattan, 2016), il a voulu à travers celui-ci, montrer comment ce système s'est matérialisé dans la pratique à travers l'histoire.


Extraits

L’appel du Prophète Muhammad

Après une brève période pendant laquelle le Prophète va prêcher en privé, c’est publiquement qu’il va commencer à remettre en question les croyances et les pratiques existantes chez ses compatriotes mecquois. Selon Ibrahim, c’est le concept d’ « autorité » enseigné par le Prophète qui sera le plus important. En effet, les dirigeants de clans bâtissaient leur autorité selon des traditions tribales, et sur le pouvoir qu’ils avaient nourri au fur et à mesure du renforcement de leur capital. Celui-ci leur avait permis de mobiliser davantage de partisans afin de défendre leurs intérêts économiques. À leur place, Muhammad va introduire l’autorité d’un Dieu suprême, Allah. Selon Muhammad, Allah était le Créateur de l’univers et de tout ce qui s’y trouve, que toutes les richesses Lui appartenaient et qu’Il était généreux envers Ses créatures. Si l’autorité suprême Lui appartient, la personne jouissant d’une autorité quelconque ici-bas était considérée comme Son représentant (M. B. M. Ahmad, 2013a). Si les Mecquois connaissaient bien Allah, ils avaient développé un ensemble de dieux inférieurs afin d’intercéder avec Lui. Or, l’affluence des visiteurs venus vénérer les divinités constituait une importante source de revenus pour eux. Mais le facteur le plus important du conflit entre Muhammad et ses adversaires, tournait autour du point qu’ils ne pouvaient se résigner à abandonner leur autorité au profit de Muhammad. Sur fond de déclin des institutions mecquoises existantes, Muhammad introduira donc l’autorité d’un Dieu monothéiste, qui sera beaucoup plus inclusive et durable que celle basée sur la tradition tribale. Le verset 206 du chapitre 2 du Coran est à ce titre d’une importance capitale : « Et quand il est au pouvoir, il parcourt le pays pour y créer le désordre et détruire les récoltes et les population ; et Allah n’aime pas le désordre ». Il signifiait que de nombreux dirigeants qui, lorsqu’ils assumaient le pouvoir, avaient pris l’habitude de créer le désordre au lieu de servir le pays et ses habitants, entraînant des perturbations économiques et la ruine des générations postérieures. Le mot arabe « harth » dans le verset cité signifiait littéralement une « récolte », mais englobait une signification plus large en représentant toutes les ressources relatives au développement économique (M. B. M. Ahmad, 2013a). Selon l’Islam, les véritables dirigeants étaient donc ceux qui apportaient la paix et amélioraient le bien-être économique de leurs sujets.
Un autre aspect important du culte de Dieu est la relation contractuelle entre l’individu et Dieu en tant que Comptable. Cette relation avait pour objectif d’encourager la justice interpersonnelle et était exprimée par la doctrine du Jour du jugement, lorsque l’individu serait récompensé ou puni selon ses actes. Ainsi, l’Islam va dès le départ insister sur le fait que l’ordre économique puisse laisser la plus grande place à la liberté et à l’entreprise individuelle (ibid.). Le commerce étant par nature une interaction ou un échange entre un acheteur et un vendeur, il avait vocation à favoriser l’individu. Cette émergence de l’individu aura donc dans le contexte de l’époque une pertinence économique, puisqu’elle va libérer ce dernier des contraintes économiques liées aux responsabilités envers le clan. Puissant moteur, la liberté faciliterait la participation directe à l’économie, augmenterait les possibilités de mobilité sociale et économique individuelles, et pousserait l’individu à l’investissement plutôt qu’à des dépenses inutiles. La vision islamique était que si la vie humaine était réduite à une succession de tâches obligatoires, l’individu ne pouvait être tenu responsable de ses actes après sa mort (M. B. M. Ahmad, 2013a).
Appesantissons-nous à présent un instant sur le Coran. Pour les musulmans, chaque mot et chaque lettre du celui-ci étaient selon eux la parole de Dieu révélée à Muhammad, son Prophète. La durée de cette révélation sera répartie sur toute la période de son prophétat qui durera vingt-trois ans. En d’autres termes, la révélation du premier fragment du Coran a indiqué le début de sa prophétie, et la dernière partie sera révélée peu de temps avant son décès. Par conséquent, si les jours collectifs du prophétat sont analysés par rapport au nombre total de versets coraniques, la révélation quotidienne moyenne équivaut à moins d’un verset par jour. En effet, on compte plus ou moins 7 970 jours de prophétat et le nombre total de versets du Coran s’élève au nombre de 6 236. Sur la base de ces calculs, il est évident que le Coran a été révélé de manière lente et progressive (M. B. Ahmad, 2011). En effet, il fallait d’abord permettre aux musulmans, notamment les premiers adhérents au message de l’Islam, de l’étudier et de le mémoriser. Le verset déclarant « (...) nous avons divisé le Coran en parties afin que tu puisses le lire à l’humanité à intervalles, et Nous l’avons fait descendre graduellement » (Coran, 17: 107), semble bien nous le montrer. Par ailleurs, nombreux sont les versets exhortant un changement du schéma habituel des pratiques socio- économiques dans lesquelles les Arabes étaient englués. La réforme de la structure de consommation d’un individu par exemple, pouvait prendre du temps et rendait nécessaire le suivi d’un processus divisé en phases.
Dire que le Coran regorge de chapitres évoquant le déplaisir divin de l’état de la situation à La Mecque relève de l’euphémisme. Les Mecquois seront invités à plus de modération et de flexibilité, en particulier envers les pauvres, les orphelins, les veuves et tous ceux qui étaient faibles et nécessitaient une aide. Si les richesses seront décrites comme « une parure de la vie de ce monde » (Coran, 18 : 47), celles fondées sur la privation d’une frange importante de la population n’auraient aucun sens, lorsque l’individu serait appelé à rendre compte devant Dieu. De plus, une telle privation n’était pas économiquement saine, car l’écart grandissant entre les riches et les pauvres n’avait pas seulement créé des tensions sociales, mais obligeait les marchands à renoncer à une plus grande part de leurs richesses. En conséquence, il leur sera demandé de rendre leur richesse plus mobile en la distribuant, et non pas en l’accumulant excessivement. D’Abu Lahab, le chapitre 111 nous dit que « Sa richesse et ce qu’il a gagné ne lui servira à rien [au Jour du Jugement] » (ibid., 111: 3). Un autre énoncera que « Les rivalités mutuelles dans la recherche de l’augmentation de biens vous rendent oublieux de Dieu ; Jusqu’à ce que vous visitiez les cimetières » (ibid., 102 : 2 & 3). Mais le jour que les Mecquois redoutaient le plus, n’était- il pas celui où il n’y aurait « ni vente ni achat, ni amitié, ni intercession » (Coran, 2 : 255) ? Le recours à de telles analogies ne semble pas être le fruit du hasard lorsqu’on cherche à prêcher un message, qui s’adresse à des personnes dont le commerce frisait l’obsession (Torrey, 1892). Bien que le Prophète ne spécifiera pas de suite les moyens par le biais desquelles la redistribution de la richesse devait être entreprise, il soulignera dès le départ l’exigence de la responsabilité de l’individu devant Dieu. De ce fait, une distinction va naître entre la redistribution en tant que responsabilité religieuse et celle qui était en vigueur à l’époque, c’est-à-dire tribale et traditionnelle (Ibrahim, 1990).

Persécutions et boycott économique et social du clan Hashimite

Le défi le plus évident du Prophète Muhammad était lié à la structure sociale. La solidarité clanique, en tant que fondement institutionnel de la structure sociale, était assez forte pour permettre aux Quraysh de devenir la tribu dominante à La Mecque. Mais cette solidarité va progressivement s’estomper en raison des exigences des marchands et de leurs capitaux. Ainsi, le leadership collectif et coopératif des Quraysh va aboutir à un schisme, avec plusieurs factions en concurrence les unes avec les autres. La rupture de cette solidarité peut être illustrée par un incident important entre Muhammad et ses compatriotes mecquois. Il s’agit du boycott social et économique de son clan, les Banu Hashim. Jusqu’alors, le Prophète prêchait ouvertement et avait pu rassembler une poignée de fidèles issus de plusieurs clans. C’est alors qu’une série de persécutions va naître à l’encontre des musulmans avec Abu Jahl comme figure de proue. Lui et ses partisans vont user de plusieurs moyens pour que les musulmans renoncent à leur foi, notamment en utilisant l’agression physique sur les plus opprimés (les mustad‘afun). Mais craignant la perte du pouvoir, les leaders qurayshites exerceront également des pressions de type économiques (Watt, 1961). Dans le cas d’un créancier qui ne disposait pas d’une protection concrète de la part de tous les clans, l’un d’entre eux pouvait alors aisément refuser de payer une dette légitime. Il est dit d’Abu Bakr, alors marchand prospère, que son patrimoine passera de 40 000 dirhams lorsqu’il deviendra musulman à 5 000 dirhams lorsqu’il quittera La Mecque en 622 (Watt, 1961). Un peu plus tard, le mécontentement des leaders qurayshites va redoubler d’intensité après les conversions de ‘Umar et de Hamza, et le fait que certains musulmans aient trouvé refuge auprès du Négus d’Abyssinie. Les opposants vont en réponse décider d’instituer un boycott du clan hashimite. Plusieurs dirigeants de clans, avec à leurs têtes Abu Jahl, vont donc décider lors d’une réunion que le seul moyen de s’en débarrasser était « de cesser tout commerce avec eux, de ne pas leur parler, de ne pas leur demander de femmes en mariage et de ne pas leur donner nos filles » (Tabari). Cet accord fera l’objet d’un document officiel vers 617 frappé du sceau des principaux leaders parmi les Quraysh, et sera accroché au mur de la Ka’ba en prenant la forme d’une exhortation nationale (M. B. Ahmad, 2011). Abu Lahab, l’oncle de Muhammad, va également se joindre au boycott et deviendra l’un de ses adversaires les plus véhéments. Mais étant devenu lui-même, après la mort d’Abu Talib, le leader des Banu Hashim, il est plus que probable que son action était motivée par des intérêts personnels. Contrairement à Abu Talib, qui continuera sa vie durant, à remplir sa responsabilité de protecteur envers son clan alors même qu’il n’avait pas accepté l’Islam, Abu Lahab va en pleine conscience méconnaître son rôle traditionnel en refusant de « donner protection » à Muhammad. Malgré une situation plus que difficile, certains non musulmans et témoins de ces événements seront touchés par l’atrocité de la situation subite par les musulmans (M. B. Ahmad, 2011). Cette période de tribulations restera en vigueur peu ou prou trois ans, et les musulmans ne pourront sortir de leur campement excepté durant la saison du mois sacré. Mais ce boycott sera un fiasco, car il s’agissait d’une réponse clanique à un mouvement social basé sur un tout autre système (Ibrahim, 1990). En effet, cette mesure va échouer dans son objectif visant à empêcher la propagation de l’Islam, puisque tous les musulmans ne provenaient tout simplement pas de la tribu des Banu Hashim, et que tous les membres de cette dernière n’étaient pas musulmans. Cette tentative d’ostracisme à l’encontre des Banu Hashim va inévitablement conduire à une polarisation et à des conflits d’intérêts au sein des clans à La Mecque, avec d’un côté les leaders qurayshites, et de l’autre ceux portés par leur compassion. Parmi les derniers se trouvait Hakim ibn Hizam qui amenait secrètement de la nourriture à sa tante paternelle, Khadija. Il faut citer aussi Hisham ibn ‘Amr, qui, en raison de son attachement aux Banu Hashim, prendra l’habitude d’amener un chameau chargé de nourritures et de vêtements à la tombée de la nuit (Ibn Ishaq). Les efforts de ces derniers porteront finalement leurs fruits lorsque l’oligarchie mecquoise sera poussée à mettre fin à cette mesure cruelle, au grand dam d’Abu Jahl et de ses partisans.




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