Par Omar Merzoug
Docteur en philosophie, Paris-IV Sorbonne.
Docteur en philosophie, Paris-IV Sorbonne.
A vrai dire, rien ne destinait Ibn Hazm (994-1064), l’aristocrate andalou, à jouer le rôle qui fut le sien en théologie et en jurisprudence musulmanes. Il n’était nullement prévisible qu’il dût tenir cette place éminente de théoricien et de critique savant de toutes les écoles constituées de droit et de casuistique islamiques. Rejeton de l’oligarchie "omeyyade" la plus raffinée, celle qui tint longtemps le haut du pavé dans une Andalousie turbulente, mais prospère et riche, notamment sous le règne du somptueux calife Abd al-Rahmân III (912-961), Ibn Hazm voyait s’ouvrir devant lui une carrière de luxe et de bien-être, une existence vouée aux arts et aux loisirs, dans le décor enchanteur de la Cordoue des califes.
Mais le coup de force d’Al-Mansûr, un arriviste téméraire prompt à toutes les actions d’éclat pour s’emparer du pouvoir, le retrait de la noblesse "omeyyade" et le déclin de son influence, précipitèrent le jeune Ibn Hazm dans l’arène des luttes politiques et sociales. Farouche partisan des factions "omeyyades", avocat talentueux de leur droit à régenter un État créé par elles et maintenu dans les plus violentes tempêtes, Ibn Hazm subira le contre-coup de ses engagements et en paiera le prix fort.
Il faut croire que le destin de cette dynastie était scellé d’avance et le sens de l’histoire ne travaillait pas à son succès. Ibn Hazm verra la chute de l’État "omeyyade", en 1030, alors qu’il est au faîte de sa jeunesse. Il assistera à la naissance des "souverains des factions" (Mûlûk al-Tawâ’if), à ses yeux, un pur scandale politique et théologique qu’il ne combattra plus dans l’arène politique, mais qu’il aura à penser et à démolir dans le champ des idées.
Ibn Hazm se consacrera dès lors à ses travaux littéraires, philosophiques et juridiques, il mènera une carrière scientifique d’un singulière tournure, puisqu’elle ne s’inscrit pas comme une rupture avec son combat politique, mais elle en sera plutôt la poursuite sous d’autres formes, avec des instruments nouveaux.
Voilà pourquoi Ibn Hazm ne sera pas un intellectuel en chambre, retiré dans une tour d’ivoire, mais il continuera à rompre des lances avec des adversaires théologiens ou jurisconsultes, mais qu’il faut d’abord considérer comme des rivaux politiques.
Dans sa retraite et sa solitude relative, Ibn Hazm entreprend de tirer toutes les conséquences de ces luttes et de l’effondrement de l’État "omeyyade". En ce sens, la pensée d’Ibn Hazm est le produit de l’échec historique et politique de l’État "omeyyade" à se maintenir et à perdurer.
Il est fort probable que si le succès avait été au rendez-vous, Ibn Hazm aurait été un homme politique, un "vizir" qui n’aurait guère eu le loisir de rédiger des livres aussi accomplis, aussi circonstanciés et aussi prolifiques. Mais il ne faut pas oublier d’ajouter que cette oeuvre excède de beaucoup les circonstances politiques et historiques qui lui ont donné le branle. L’y réduire, c’est ne pas comprendre son sens profond et sa portée véritable.
Le combat des idées n’est donc pour Ibn Hazm que le couronnement du combat politique. Dialogues, débats controverses et diatribes, toutes les formes de la dialectique sont bonnes aux yeux d’Ibn Hazm pour convaincre ses adversaires de la pertinence, de la vérité de ses assertions.
Or, en Islam classique, les luttes politiques apparaissent d’ordinaire sous la figure d’affrontements religieux et les dissensions religieuses prennent toujours l’aspect de conflits politiques. Autrement dit, l’opposition politique se pare du masque de la secte et la discorde religieuse surgit sous le travestissement d’une faction politique.
Dans un cas, les mots, les concepts et les slogans consonnent avec les sources et le référent religieux et dans l’autre, ils s’accordent avec la langue de la politique, sa syntaxe et sa sémantique.
Rien d’étonnant dans ces conditions que l’opposition politique d’Ibn Hazm et son refus de l’ordre établi s’expriment par la construction d’un monument théologico-juridique que d’aucuns ont, hâtivement, nommé "la 5e école".
Or le droit est l’armature et le substrat de la cité musulmane. Ibn Khaldûn l’écrit expressément:
Dans sa retraite et sa solitude relative, Ibn Hazm entreprend de tirer toutes les conséquences de ces luttes et de l’effondrement de l’État "omeyyade". En ce sens, la pensée d’Ibn Hazm est le produit de l’échec historique et politique de l’État "omeyyade" à se maintenir et à perdurer.
Il est fort probable que si le succès avait été au rendez-vous, Ibn Hazm aurait été un homme politique, un "vizir" qui n’aurait guère eu le loisir de rédiger des livres aussi accomplis, aussi circonstanciés et aussi prolifiques. Mais il ne faut pas oublier d’ajouter que cette oeuvre excède de beaucoup les circonstances politiques et historiques qui lui ont donné le branle. L’y réduire, c’est ne pas comprendre son sens profond et sa portée véritable.
Le combat des idées n’est donc pour Ibn Hazm que le couronnement du combat politique. Dialogues, débats controverses et diatribes, toutes les formes de la dialectique sont bonnes aux yeux d’Ibn Hazm pour convaincre ses adversaires de la pertinence, de la vérité de ses assertions.
Or, en Islam classique, les luttes politiques apparaissent d’ordinaire sous la figure d’affrontements religieux et les dissensions religieuses prennent toujours l’aspect de conflits politiques. Autrement dit, l’opposition politique se pare du masque de la secte et la discorde religieuse surgit sous le travestissement d’une faction politique.
Dans un cas, les mots, les concepts et les slogans consonnent avec les sources et le référent religieux et dans l’autre, ils s’accordent avec la langue de la politique, sa syntaxe et sa sémantique.
Rien d’étonnant dans ces conditions que l’opposition politique d’Ibn Hazm et son refus de l’ordre établi s’expriment par la construction d’un monument théologico-juridique que d’aucuns ont, hâtivement, nommé "la 5e école".
Or le droit est l’armature et le substrat de la cité musulmane. Ibn Khaldûn l’écrit expressément:
Le Fiqh est la connaissance des lois divines en ce qui concerne les actions des musulmans légalement capables (Mukallaf): celles-ci peuvent être obligatoires, interdites, recommandables, blâmables ou permises. Ces lois se trouvent dans le Coran, dans la Sunna et les indications fournies par le Législateur et c’est l’ensemble des lois tirées de ces sources qui constitue la jurisprudence.
Derrière des propos savants et des analyses érudites, la visée secrète d’Ibn Hazm est de faire voir l’illégitimité juridique du coup de force et des dissensions qui ont conduit à ruiner l’État "omeyyade".
En recourant à la démonstration juridique dont les arrêts obligent et contraignent tout musulman, il fait coup double : il invalide le coup de force politique à l’issue duquel le clan "omeyyade" s’est vu écarté du pouvoir et, en outre, il le rejette dans les affres du blasphème et de l’infidélité, car l’insurrection contre le calife légitime de la communauté relève du délit de "Kûfr".