Nous proposons ici la suite de l'article « L’islamophobie » en question. La première partie peut être consultée ici. Dans cette dernière, l'auteur proposait aux musulmans de France de prendre en compte les interrogations de " l'autre" et d'affronter les exigences d'une indispensable introspection permettant ainsi d’entamer une nécessaire autocritique. Dans cette seconde partie, il s'adresse aux politiques et plus largement aux élites qui mettent en placent des stratégies visant à stigmatiser les musulmans de façon à détourner l'opinion publique des vrais enjeux sociaux, économiques et politiques actuels.
Pour un authentique enracinement du fait musulman en France
Photo from Middle east experience website ©
En effectuant cette impérieuse analyse autocritique, les musulmans, armés d’une identité apaisée, rempliront leur part du devoir pour partager le fonds commun d’attitudes et de sentiments de l’ensemble des membres de la société. La question fondamentale réside bien là : quelle peut être la posture et la prégnance des musulmans de France dans la culture politique française ? J’entends par culture politique le système des représentations sociales et historiques largement partagées par l’ensemble des individus souhaitant vivre une communauté de destin. Or, cette culture politique n’est pas un système unique de sens ; elle est constamment en construction, en évolution. C’est d’ailleurs l’une des conditions sine qua non de sa perpétuation. Ainsi, quel est l’idéal de vie commune dans le cadre de la notion du vivre ensemble que défendent les musulmans – ou du moins les personnes actives, dans le cadre associatif ou autre ? Comment dépasser l’étape d’une simple et noble aspiration (le vivre ensemble) à l’édification d’un discours construit et cohérent pour le mettre effectivement en marche de manière méthodique et pédagogique ? La culture politique est le fruit d’une interaction, parfois véhémente, entre les différents groupes sociaux et politiques. Il semble donc nécessaire, pour les musulmans eux-mêmes, de faire le point sur la forme que prend la visibilité de leurs pratiques religieuses et culturelles et celle qu’ils souhaitent adopter, et donc aussi proposer à leur société. Concernant les pratiques cultuelles, ce travail revient avant tout aux responsables religieux qui sont les tenants et les concepteurs d’un discours religieux, lequel sera réapproprié par les musulmans pratiquants par la suite. Quant aux pratiques culturelles (qui peuvent par exemple concerner les habitudes vestimentaires ou les différentes expressions artistiques par exemple), cela revient à l’ensemble des personnes se reconnaissant un lien avec l’islam (pratiquants ou non) d’effectuer ce travail.
Une fois cette tâche colossale réalisée – ou du moins en parallèle à celle-ci – nous serons à même d’assister à un ajustement des comportements sociaux et politiques entre tous les membres de la société politique ; ceci pourra permettre l’émergence d’une société qui assume pleinement sa nouvelle configuration. Dit autrement, Marianne pourra enfin regarder dans le miroir social, en toute sérénité son nouveau visage et l’assumer pleinement.
Une fois cette tâche colossale réalisée – ou du moins en parallèle à celle-ci – nous serons à même d’assister à un ajustement des comportements sociaux et politiques entre tous les membres de la société politique ; ceci pourra permettre l’émergence d’une société qui assume pleinement sa nouvelle configuration. Dit autrement, Marianne pourra enfin regarder dans le miroir social, en toute sérénité son nouveau visage et l’assumer pleinement.
Un enracinement pourtant parsemé d’embuches
Documentaire "Musulmans de France, de 1904 à nos jours" (France 5)
Loin de toute naïveté politique, il faut également évoquer les écueils dressés sur la longue route de la normalisation de la présence musulmane sous nos contrées. Il existe effectivement une résistance au sein du corps social et politique à l’établissement serein du fait musulman en France.
Le principal obstacle auquel les musulmans de France sont confrontés réside essentiellement dans une forte résistance d’une partie de l’élite politique, médiatique et économique, qui, elle, est parfaitement consciente des véritables enjeux anthropologiques et sociétaux que représentent l’installation et la normalisation définitive du fait musulman en France. Pour des raisons parfois idéologiques, mais bien souvent pour conserver le rapport de force politique et social établi, des stratégies d’effraiement de la population et de stigmatisations outrancières d’une catégorie de personnes sont mis en branle pour alerter « l’opinion publique [1] » sur le « danger » de cette
« population nouvelle » que sont censés représenter les « musulmans », transformés pour le coup en une masse compacte et insaisissable. Cette situation est analogue aux stratégies mises en place par les élites, composées alors de notables locaux, de la fin du 18e siècle et tout le long du 19e, pour stigmatiser la classe ouvrière grandissante numériquement et quittant les campagnes pour s’installer à Paris. Elle était alors présentée comme une « foule » dangereuse qui était censée mettre en péril les tout nouveaux principes progressistes issus de la récente Révolution [2]. Aujourd’hui, les
« musulmans » semblent occuper, aux yeux de cette élite, cette même fonction de repoussoir.
Les communautés musulmanes doivent également faire face aux différentes velléités des mêmes élites qui consistent à leur dénier une totale légitimité citoyenne – ou à tout le moins à en amoindrir la consistance – notamment en leur rappelant constamment leurs origines lointaines et quelques peu exotiques. Ostraciser toute une catégorie de la population, en la reléguant constamment dans la catégorie de « l’Autre », recèle effectivement quelques avantages ; tout d’abord celui d’orienter le regard de l’opinion publique vers d’autres directions que les véritables enjeux notamment liés à la crise économique endémique et ses différentes conséquences sur l’avenir de nos sociétés ainsi que l’absence évidente de projet de société crédible pour y faire face. Ensuite, cette stratégie permet surtout de maintenir un statu quo quant à l’interface des rapports de force concernant des communautés musulmanes, de moins en moins immigrées, mais, on l’a vu, toujours peu dotées en ressources économiques et sociales. Elle requiert un troisième avantage pour une partie de plus en plus large du personnel politique (de droite comme de gauche) : celle de maximiser les gains politiques (et donc électoraux), sans prendre de grands risques, sur le dos d’une catégorie de la population quasiment dénuée de capacité politique. Les dernières élucubrations « pâtissières » d’un leader de la droite ne sont que l’illustration – risible s’il ne s’agissait pas de questions relevant de l’humain – de cette logique. Les différents thèmes (halal, cantines, piscine…) qui ont alimenté les dernières Présidentielles ne font là aussi que confirmer cette analyse.
Le principal obstacle auquel les musulmans de France sont confrontés réside essentiellement dans une forte résistance d’une partie de l’élite politique, médiatique et économique, qui, elle, est parfaitement consciente des véritables enjeux anthropologiques et sociétaux que représentent l’installation et la normalisation définitive du fait musulman en France. Pour des raisons parfois idéologiques, mais bien souvent pour conserver le rapport de force politique et social établi, des stratégies d’effraiement de la population et de stigmatisations outrancières d’une catégorie de personnes sont mis en branle pour alerter « l’opinion publique [1] » sur le « danger » de cette
« population nouvelle » que sont censés représenter les « musulmans », transformés pour le coup en une masse compacte et insaisissable. Cette situation est analogue aux stratégies mises en place par les élites, composées alors de notables locaux, de la fin du 18e siècle et tout le long du 19e, pour stigmatiser la classe ouvrière grandissante numériquement et quittant les campagnes pour s’installer à Paris. Elle était alors présentée comme une « foule » dangereuse qui était censée mettre en péril les tout nouveaux principes progressistes issus de la récente Révolution [2]. Aujourd’hui, les
« musulmans » semblent occuper, aux yeux de cette élite, cette même fonction de repoussoir.
Les communautés musulmanes doivent également faire face aux différentes velléités des mêmes élites qui consistent à leur dénier une totale légitimité citoyenne – ou à tout le moins à en amoindrir la consistance – notamment en leur rappelant constamment leurs origines lointaines et quelques peu exotiques. Ostraciser toute une catégorie de la population, en la reléguant constamment dans la catégorie de « l’Autre », recèle effectivement quelques avantages ; tout d’abord celui d’orienter le regard de l’opinion publique vers d’autres directions que les véritables enjeux notamment liés à la crise économique endémique et ses différentes conséquences sur l’avenir de nos sociétés ainsi que l’absence évidente de projet de société crédible pour y faire face. Ensuite, cette stratégie permet surtout de maintenir un statu quo quant à l’interface des rapports de force concernant des communautés musulmanes, de moins en moins immigrées, mais, on l’a vu, toujours peu dotées en ressources économiques et sociales. Elle requiert un troisième avantage pour une partie de plus en plus large du personnel politique (de droite comme de gauche) : celle de maximiser les gains politiques (et donc électoraux), sans prendre de grands risques, sur le dos d’une catégorie de la population quasiment dénuée de capacité politique. Les dernières élucubrations « pâtissières » d’un leader de la droite ne sont que l’illustration – risible s’il ne s’agissait pas de questions relevant de l’humain – de cette logique. Les différents thèmes (halal, cantines, piscine…) qui ont alimenté les dernières Présidentielles ne font là aussi que confirmer cette analyse.
Une détérioration rapide du climat politique
Ce climat politique est véritablement inquiétant. Bien que, la réalité quotidienne est, encore une fois, beaucoup plus fluide que les représentations le laissent croire, l’on constate une radicalisation des postures et des discours. Le personnel politique de droite comme de gauche est effectivement tenté de jouer la carte de la récupération de sentiments populistes. La sphère politique se nourrit des différents faits divers basés, en apparence, sur des justifications identitaires. Les soubresauts de tensions extrêmes qui interviennent ici ou là et qui sont, en réalité, davantage l’expression d’une réalité socio-économique particulièrement âpre sont, à leur tour, alimentés par des discours publics stigmatisants émanant d’hommes et de femmes politiques de premier plan. C’est donc ce cercle vicieux pernicieux et dangereux sur le long terme qui est en train de proliférer. On assiste parfois à des réactions « ethnicistes » – fort heureusement encore minoritaires – qui, sans pour autant tomber dans une dramatisation excessive, devraient alerter toutes les consciences convaincues par la notion du vivre ensemble. Les manifestations clairement hostiles à la présence de l’islam, à l’instar de l’occupation violente et symbolique du chantier de la mosquée de Poitiers, sont avant tout le fait de groupuscules clairement racialistes d’extrême-droite qui se jouent de la peur diffuse dans la société à propos de l’islam, espérant ainsi rassembler le plus grand nombre sur ce mode. Ces mouvements d’extrême droite ont toujours existé mais leur dangerosité devient patente quand leurs discours et leurs postures politiques trouvent écho au sein d’une partie du champ politique traditionnel. A ce titre, il s’agit d’être très vigilant face aux évolutions droitières du principal mouvement politique d’opposition qui semble céder aux chants de ces sirènes de mauvais augures. Par ailleurs, le contexte socio-économique actuel particulièrement déprimé et qui, selon plusieurs analystes, n’est pas prêt d’évoluer positivement, n’est malheureusement qu’un terreau fertile pour la prolifération de ces logiques de radicalisation…
Comme toute réalité sociale, la situation est très complexe et appelle donc à se garder de toute analyse et attitude simplistes. Elle appelle également, de la part des musulmans engagés socialement, à de l’humilité dans l’action car ces derniers n’ont pas la maîtrise de tous les paramètres. Ils doivent composer avec une réalité parfois hostile. Nous sommes donc face à la conjonction de deux logiques : l’une, mettant au prisme la responsabilité des musulmans pour l’édification d’une posture et d’un discours audibles et l’autre soulignant l’attitude d’une partie de l’élite qui, consciemment et/ou inconsciemment, rend difficile l’insertion du fait musulman. C’est la capacité ou non à juguler ces deux logiques qui permettra, à mon sens, de se frayer un chemin vers un véritable vivre ensemble dans les faits (ce qui est déjà peu ou prou le cas) et dans l’ordre symbolique.
Comme toute réalité sociale, la situation est très complexe et appelle donc à se garder de toute analyse et attitude simplistes. Elle appelle également, de la part des musulmans engagés socialement, à de l’humilité dans l’action car ces derniers n’ont pas la maîtrise de tous les paramètres. Ils doivent composer avec une réalité parfois hostile. Nous sommes donc face à la conjonction de deux logiques : l’une, mettant au prisme la responsabilité des musulmans pour l’édification d’une posture et d’un discours audibles et l’autre soulignant l’attitude d’une partie de l’élite qui, consciemment et/ou inconsciemment, rend difficile l’insertion du fait musulman. C’est la capacité ou non à juguler ces deux logiques qui permettra, à mon sens, de se frayer un chemin vers un véritable vivre ensemble dans les faits (ce qui est déjà peu ou prou le cas) et dans l’ordre symbolique.
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[1] Il convient d’être toujours vigilant face à cette notion… Cf. l’article de Pierre Bourdieu, L’opinion publique n’existe pas, in Questions de Sociologie, Paris, Les Editions de Minuit, 1984, pp.222-235.
[2] Cf. Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIX e et XXe siècles), discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007.
[1] Il convient d’être toujours vigilant face à cette notion… Cf. l’article de Pierre Bourdieu, L’opinion publique n’existe pas, in Questions de Sociologie, Paris, Les Editions de Minuit, 1984, pp.222-235.
[2] Cf. Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIX e et XXe siècles), discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007.