Hisham Aidi
Les intérêts de recherche d'Hisham Aidi portent sur la mondialisation culturelle, la politique économique ethnique et les mouvements sociaux. Il a obtenu son doctorat en Science politique à la Colombia University (New York), il a enseigné à l'École des affaires publiques et internationales de Colombia et au Centre Driskell pour l'Étude de la Diaspora Africaine à l'Université de Maryland. Il est l'auteur de Redeploying The State (Polgrove 2008), une étude comparative sur le travail et les mouvements sociaux en Amérique latine et dans le monde arabe. Il a récemment publié Race, Empire and the New Muslim Youth Culture (Pantheon 2014). Il est chroniqueur régulier dans divers journaux internationaux dont Al Jazeea English.
Malcolm X, 1965. Crédit Photo Michael Ochs ARCHIVES / GETTY
Vous pouvez retrouver l'article d'origine sur ce lien. Traduction de Amine Djebbar pour Les cahiers de l'Islam.
LA MUSIQUE DE MALCOM X
Par Hisham Aidi
L’un des plus intéressants volumes dans la collection de livres de Malcolm X, qui est détenue par le Centre Schomburg, à Harlem, est une traduction anglaise de L’ « Orphée noir » Jean-Paul Sartre, la dense méditation du philosophe français sur l’idée de la Négritude. La copie de Malcolm X est méticuleusement préservée, avec ses fautes de frappe entourées et ses phrases soulignées. Un talon de ticket de métro parisien se trouvant au milieu du livre fait office de marque page.
Le leader des droits civiques a eu une curieuse relation avec la France, il fut admiratif de sa culture, mais dégoûté par ses pratiques coloniales. Sa mère, native de Grenade, parlait le français et avait enseigné la langue à ses enfants. Plusieurs chercheurs français ont suggéré que la devise politique de Malcolm X « Par tous les moyens nécessaires » a été empruntée de la pièce de Sartre intitulée « Les Mains sales ». Et, au désarroi des services secrets américains, les Français admiraient Malcolm X. A un certain moment, J. Edgar Hoover a même contacté les autorités françaises pour les prévenir que le réalisateur Pierre Dominique Gaisseau avait contacté Malcolm, le leader d’une organisation « fanatique » et « anti blanche ». Lorsque Malcolm fut refoulé lors de son arrivée à Paris, le 9 février 1965, les autorités douanières avaient précisé que l’ambassade américaine était derrière cette décision, il les avait raillé en répondant : « Je ne savais pas que la France était une succursale des États-Unis ».
L’expulsion de Malcolm X hors de France fut une chose inhabituelle, la France s’étant longtemps enorgueilli d’être un refuge pour les radicaux et artistes afro-américains, seulement quand elle devait montrer que la République était aveugle et immunisée contre les problèmes raciaux de l’Amérique. En 1978, lorsque le gouvernement français a refusé d’extrader quatre militants Black Panthers recherchés aux États-Unis pour braquage, ces militants étaient devenus une cause célèbre pour les intellectuels français. Et, bien sûr, la France a eu une veille histoire d’amour avec la culture Afro Américaine. Les fans français ont fait découvrir le jazz dans les années 1920, alors qu’il était encore boudé aux États-Unis, et le Hip Hop fut découvert et bien accueilli en France soixante ans plus tard.
Mais la relation entre la France et la culture Afro Américaine a récemment tourné court, car le Hip Hop et la rhétorique de Malcolm X et des Black Panthers sont maintenant utilisés par les jeunes minorités des banlieues françaises pour défier les idées daltoniennes et le sécularisme (laïcité). Après le 11 septembre, certains commentateurs américains ont affirmé que « L’Autobiographie de Malcolm X » était un texte qui enseignait la victimisation et qu’il avait conduit de jeunes américains comme John Walker Lindh à participer au Jihad. Parallèlement, les autorités françaises se demandent maintenant si ce n’était pas un dangereux mélange entre Islam et militantisme noir, personnifié par Malcolm X et fermenté dans les prisons de France, qui a conduit le tueur de Charlie Hebdo, Chérif Kouachi, vers la violence. Cinquante ans après sa mort, Malcolm X nage encore dans les eaux troubles transatlantiques.
Le zèle pour Malcolm X est un indicateur de diverses tendances géopolitiques. L’intérêt pour Malcolm à tendance à apparaître dans les marges de la société, dans les zones urbaines où les institutions d’État et les services publics ne s’étendent pas entièrement, peuplées par des minorités plus sombres et colorées qui développent une conscience raciale. Au milieu des années soixante, le mouvement Black Power émerge en Angleterre, inspiré par la visite de Malcolm X en 1965. Par la suite, d’autres mouvements de Black Power suivirent : le parti des Black Panther d’Israël, initié en 1971 par les Juifs d’Afrique du Nord ; le Parti Black Panther polynésien, en Nouvelle-Zélande, et le parti des Panthères de Dalit, fondé en 1972 par les « Intouchables » en Inde.
Aujourd’hui, l’intérêt pour Malcolm X réside essentiellement auprès des Noirs et des Musulmans vivants en Europe occidentale. La dernière décennie a vu la montée d’une multitude de groupe basée en Europe qui célèbre Malcolm et qui puise dans le mouvement des Black Panthers : La Ligue Européenne Arabe de Belgique, les Indigènes de la République en France, le Pantrarna de Suède, et les Black Panthers de Grèce.
Pour les jeunes Musulmans européens, tiraillés entre la surveillance des États et les mouvements d’extrême droite, Malcolm X est une figure attrayante simplement dans la façon où il a traité l’oppression d’Etat et organisé l’hostilité à travers la transcendance. Si l’Amérique n’avait pas voulu de lui, il n’aurait pas été attaché à ses frontières. L’impressionnante trajectoire de Malcolm partant des rues d’arnaqueurs et de prostituées jusqu’aux arènes internationales (s’élever au dessus de tous les États, se libérer des chaînes du carcan patriotique et de l’allégeance nationale, ne craignant que Allah) est ce qui attire les jeunes vivant dans les ghettos. Et pour les jeunes Musulmans qui essaient de donner du sens à leur combat international, le lien de Malcolm entre le local et l’international, la lutte contre le racisme avec la lutte contre l’impérialisme, est particulièrement attrayant.
Les décideurs politiques aux Etats-Unis et en Europe notent les parallèles et les connexions entre le militantisme racial des années soixante avec le militantisme islamiste d’aujourd’hui. Les responsables européens craignent que les jeunes Musulmans s’identifient davantage à un mouvement international comme celui des Frères Musulmans que le pays dans lequel ils vivent. Ils redoutent que l’exemple de Malcolm X sape les efforts de « dé-transnationalisation » des jeunes Musulmans. Malcolm, après tout, a montré que la souveraineté de l’État n’était pas inviolable ; il a su lier la lutte Afro-Américaine avec les mouvements de libération à l’étranger, il a contré les réclamations du Département d’Etat sur le progrès racial (Racial Progress), et il a essayé de faire comparaître les Etats-Unis devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour leur violation des droits de l’homme. Aujourd’hui, les gouvernements arborent une compréhension modérée du discours de Malcolm X dans le cadre de leurs efforts dans la contre-radicalisation. Ils se concentrent sur sa phase « cosmopolite », après qu’il effectua son pèlerinage à la Mecque et qu’il cessa de parler de clubs de tirs pour l’autodéfense.
La diplomatie américaine a également rendu hommage à Malcolm X ces dernières années. Durant le mois de l’histoire des Noirs et l’anniversaire de Malcolm X, les ambassades américaines ont choisi d’honorer dans le même temps le président Obama et la période post pèlerinage de Malcolm, célébrant ainsi leurs ascensions vers une reconnaissance internationale et leurs relations avec l’Islam, en soulignant que Malcolm X était un « symbole de vitalité, celui d’une Amérique ouverte », qui a rendu possible la présidence d’Obama. Ces initiatives diplomatiques sont ironiques, pour le moins, car il y a cinquante ans, le gouvernement américain avait harcelé et traqué Malcolm à chacune de ses étapes. Aujourd’hui, ils utilisent son image, et celle de la protestation des Noirs en général, pour gagner la faveur des populations hostiles. (En mai 2013, après un événement qui célébrait l’anniversaire de Malcolm X, les travailleurs de l’Ambassade de Sanaa avaient affiché des pancartes avec pour slogan « Joyeux anniversaire à Malcolm X qui s’est courageusement dressé contre l’injustice et la haine », un Yéménite avait publié sur la page Facebook de l’Ambassade : « Je regrette que l’ambassadeur américain ne soit pas courageux comme l’a été Malcolm X qui est resté debout face à l’oppression »). L’autre paradoxe de la diplomatie américaine est qu’elle déploie dans le même temps un capital moral pour le mouvement des droits civiques, le renforcement de la sécurité intérieure et la revivification des méthodes de surveillance utilisées il y a cinquante ans contre les activistes Noirs. Le programme de surveillance du Département de Police New Yorkais (NYPD) contre les Musulmans américains, par exemple, a été calibré sur celui du Ghetto Informant Program utilisé par le FBI et qui fut mis en place dans les années soixante pour surveiller les quartiers Noirs.
Ces dernières années, les experts de l’anti terrorisme ont affirmé que la musique constituait un moyen idéal pour distinguer un musulman modéré d’un extrémiste. Les responsables français sont donc à l’affût des rimes djihadistes, mais ils ne veulent pas non plus que la jeunesse se détourne complètement de la musique. Une affiche publiée le mois dernier par le Ministère de l’intérieur français liste les signes montrant l’évolution d’un ami ou d’un membre de la famille vers le Djihadisme, et elle précise que si une personne arrête d’écouter de la musique alors cela traduit un début de radicalisation. Les experts affirment aujourd’hui que le Hip Hop modéré et une compréhension mesurée de Malcolm X aideraient les jeunes musulmans à la dérive, d’autant plus que d’anciens militants viennent aujourd’hui révéler qu’ils ont été mis sur le chemin de l’extrémisme par le biais du Gangsta Rap et de Malcolm X.
L’idée selon laquelle la répulsion envers la musique, l’admiration pour Malcolm X et l’attraction au militantisme vont de pair est, bien sûr, terriblement réductrice. A l’instar d’un jeune homme, Malcolm avait une passion notoire pour la musique. Dans son autobiographie, il se vante sur la façon où il a, en tant que jeune cireur de chaussures au Roseland Ballroom de Boston, fait briller les chaussures de Duke Ellington, Count Basie, Lionel Hampton, et d’autres grands noms. A l’époque où il fut surnommé « Red Detroit », Malcolm X a dansé et joué de la batterie dans les bars de Jazz, avec pour nom de scène « Jack Carlton ». Mais lorsqu’il rejoignit la Nation of Islam, sa vision des choses commença à changer. En 1950, alors qu’il était en prison, Malcom écrivit une lettre à un compagnon de cellule dans laquelle il décrivait son amour pour le Jazz et ses « effets consolants ». Il écrivit « Ma copine numéro 1 était Dina Washington » (faisant référence à la chanteuse Dinah Wahington). « Elle est toujours la plus grande ». Mais la musique lui a également rappelé son « passé de pêcheur » et il se promit de satisfaire sa passion pour le jazz uniquement à travers des artistes Musulmans.
Durant le reste de sa vie, Malcolm X aura essayer d’équilibrer son amour pour la musique avec ses engagements politiques et religieux. Dans un discours prononcé en 1964, il a souligné l’importance de la musique dans la libération des Noirs, en déclarant que la musique était « le seul domaine de la scène américaine dans lequel les Noirs ont pu librement créer ». Et il a excellé dans celui ci. Les papiers personnels de Malcolm sont très plaisants à lire en partie parce qu’ils regorgent de références à la musique et à la littérature – ils contiennent des mentions sur Thelonious Monk et son « Groupe Musulman », sur la chanteuse Dakota Staton, et une coupure de journal sur la tournée de Duke Ellington et de son groupe en Syrie et en Iran. Lors d’un voyage en Afrique, Malcolm s’immergea dans la vie musicale des pays nouvellement indépendants, en visitant les centres sociaux et les clubs de danse, encouragé par la façon dont ils essayaient de revivre les formes de musiques indigènes dans le cadre de la décolonisation. Au Ghana Press Club, il assista à une exaltante expérience de musique Highlife et - selon le récit de Maya Angelou - il tapota ses doigts sur sa jambe mais il refusa de danser. Au Caire, il traîne avec les aficionados de jazz Afro Américain qui tentent de créer un genre « progressiste » Afro Asiatique pour contrer ce qui est diffusé par le Département d’État. La musique pour l’émancipation est permise.
Les officiels européens envisagent nerveusement la façon de dé-radicaliser l’image de Malcolm, et les ambassades américaines font tout leur possible ce mois ci pour célébrer le Malcolm « modéré » ; il est cependant nécessaire de rappeler les complexités de l’homme et comment il a justement détesté la propagande. Je ne suis pas raciste, il a une fois écrit dans son agenda : Je suis un extrémiste. Je suis, a-t-il écrit, « extrême contre le mal ».
LA MUSIQUE DE MALCOM X
Par Hisham Aidi
L’un des plus intéressants volumes dans la collection de livres de Malcolm X, qui est détenue par le Centre Schomburg, à Harlem, est une traduction anglaise de L’ « Orphée noir » Jean-Paul Sartre, la dense méditation du philosophe français sur l’idée de la Négritude. La copie de Malcolm X est méticuleusement préservée, avec ses fautes de frappe entourées et ses phrases soulignées. Un talon de ticket de métro parisien se trouvant au milieu du livre fait office de marque page.
Le leader des droits civiques a eu une curieuse relation avec la France, il fut admiratif de sa culture, mais dégoûté par ses pratiques coloniales. Sa mère, native de Grenade, parlait le français et avait enseigné la langue à ses enfants. Plusieurs chercheurs français ont suggéré que la devise politique de Malcolm X « Par tous les moyens nécessaires » a été empruntée de la pièce de Sartre intitulée « Les Mains sales ». Et, au désarroi des services secrets américains, les Français admiraient Malcolm X. A un certain moment, J. Edgar Hoover a même contacté les autorités françaises pour les prévenir que le réalisateur Pierre Dominique Gaisseau avait contacté Malcolm, le leader d’une organisation « fanatique » et « anti blanche ». Lorsque Malcolm fut refoulé lors de son arrivée à Paris, le 9 février 1965, les autorités douanières avaient précisé que l’ambassade américaine était derrière cette décision, il les avait raillé en répondant : « Je ne savais pas que la France était une succursale des États-Unis ».
L’expulsion de Malcolm X hors de France fut une chose inhabituelle, la France s’étant longtemps enorgueilli d’être un refuge pour les radicaux et artistes afro-américains, seulement quand elle devait montrer que la République était aveugle et immunisée contre les problèmes raciaux de l’Amérique. En 1978, lorsque le gouvernement français a refusé d’extrader quatre militants Black Panthers recherchés aux États-Unis pour braquage, ces militants étaient devenus une cause célèbre pour les intellectuels français. Et, bien sûr, la France a eu une veille histoire d’amour avec la culture Afro Américaine. Les fans français ont fait découvrir le jazz dans les années 1920, alors qu’il était encore boudé aux États-Unis, et le Hip Hop fut découvert et bien accueilli en France soixante ans plus tard.
Mais la relation entre la France et la culture Afro Américaine a récemment tourné court, car le Hip Hop et la rhétorique de Malcolm X et des Black Panthers sont maintenant utilisés par les jeunes minorités des banlieues françaises pour défier les idées daltoniennes et le sécularisme (laïcité). Après le 11 septembre, certains commentateurs américains ont affirmé que « L’Autobiographie de Malcolm X » était un texte qui enseignait la victimisation et qu’il avait conduit de jeunes américains comme John Walker Lindh à participer au Jihad. Parallèlement, les autorités françaises se demandent maintenant si ce n’était pas un dangereux mélange entre Islam et militantisme noir, personnifié par Malcolm X et fermenté dans les prisons de France, qui a conduit le tueur de Charlie Hebdo, Chérif Kouachi, vers la violence. Cinquante ans après sa mort, Malcolm X nage encore dans les eaux troubles transatlantiques.
Le zèle pour Malcolm X est un indicateur de diverses tendances géopolitiques. L’intérêt pour Malcolm à tendance à apparaître dans les marges de la société, dans les zones urbaines où les institutions d’État et les services publics ne s’étendent pas entièrement, peuplées par des minorités plus sombres et colorées qui développent une conscience raciale. Au milieu des années soixante, le mouvement Black Power émerge en Angleterre, inspiré par la visite de Malcolm X en 1965. Par la suite, d’autres mouvements de Black Power suivirent : le parti des Black Panther d’Israël, initié en 1971 par les Juifs d’Afrique du Nord ; le Parti Black Panther polynésien, en Nouvelle-Zélande, et le parti des Panthères de Dalit, fondé en 1972 par les « Intouchables » en Inde.
Aujourd’hui, l’intérêt pour Malcolm X réside essentiellement auprès des Noirs et des Musulmans vivants en Europe occidentale. La dernière décennie a vu la montée d’une multitude de groupe basée en Europe qui célèbre Malcolm et qui puise dans le mouvement des Black Panthers : La Ligue Européenne Arabe de Belgique, les Indigènes de la République en France, le Pantrarna de Suède, et les Black Panthers de Grèce.
Pour les jeunes Musulmans européens, tiraillés entre la surveillance des États et les mouvements d’extrême droite, Malcolm X est une figure attrayante simplement dans la façon où il a traité l’oppression d’Etat et organisé l’hostilité à travers la transcendance. Si l’Amérique n’avait pas voulu de lui, il n’aurait pas été attaché à ses frontières. L’impressionnante trajectoire de Malcolm partant des rues d’arnaqueurs et de prostituées jusqu’aux arènes internationales (s’élever au dessus de tous les États, se libérer des chaînes du carcan patriotique et de l’allégeance nationale, ne craignant que Allah) est ce qui attire les jeunes vivant dans les ghettos. Et pour les jeunes Musulmans qui essaient de donner du sens à leur combat international, le lien de Malcolm entre le local et l’international, la lutte contre le racisme avec la lutte contre l’impérialisme, est particulièrement attrayant.
Les décideurs politiques aux Etats-Unis et en Europe notent les parallèles et les connexions entre le militantisme racial des années soixante avec le militantisme islamiste d’aujourd’hui. Les responsables européens craignent que les jeunes Musulmans s’identifient davantage à un mouvement international comme celui des Frères Musulmans que le pays dans lequel ils vivent. Ils redoutent que l’exemple de Malcolm X sape les efforts de « dé-transnationalisation » des jeunes Musulmans. Malcolm, après tout, a montré que la souveraineté de l’État n’était pas inviolable ; il a su lier la lutte Afro-Américaine avec les mouvements de libération à l’étranger, il a contré les réclamations du Département d’Etat sur le progrès racial (Racial Progress), et il a essayé de faire comparaître les Etats-Unis devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour leur violation des droits de l’homme. Aujourd’hui, les gouvernements arborent une compréhension modérée du discours de Malcolm X dans le cadre de leurs efforts dans la contre-radicalisation. Ils se concentrent sur sa phase « cosmopolite », après qu’il effectua son pèlerinage à la Mecque et qu’il cessa de parler de clubs de tirs pour l’autodéfense.
La diplomatie américaine a également rendu hommage à Malcolm X ces dernières années. Durant le mois de l’histoire des Noirs et l’anniversaire de Malcolm X, les ambassades américaines ont choisi d’honorer dans le même temps le président Obama et la période post pèlerinage de Malcolm, célébrant ainsi leurs ascensions vers une reconnaissance internationale et leurs relations avec l’Islam, en soulignant que Malcolm X était un « symbole de vitalité, celui d’une Amérique ouverte », qui a rendu possible la présidence d’Obama. Ces initiatives diplomatiques sont ironiques, pour le moins, car il y a cinquante ans, le gouvernement américain avait harcelé et traqué Malcolm à chacune de ses étapes. Aujourd’hui, ils utilisent son image, et celle de la protestation des Noirs en général, pour gagner la faveur des populations hostiles. (En mai 2013, après un événement qui célébrait l’anniversaire de Malcolm X, les travailleurs de l’Ambassade de Sanaa avaient affiché des pancartes avec pour slogan « Joyeux anniversaire à Malcolm X qui s’est courageusement dressé contre l’injustice et la haine », un Yéménite avait publié sur la page Facebook de l’Ambassade : « Je regrette que l’ambassadeur américain ne soit pas courageux comme l’a été Malcolm X qui est resté debout face à l’oppression »). L’autre paradoxe de la diplomatie américaine est qu’elle déploie dans le même temps un capital moral pour le mouvement des droits civiques, le renforcement de la sécurité intérieure et la revivification des méthodes de surveillance utilisées il y a cinquante ans contre les activistes Noirs. Le programme de surveillance du Département de Police New Yorkais (NYPD) contre les Musulmans américains, par exemple, a été calibré sur celui du Ghetto Informant Program utilisé par le FBI et qui fut mis en place dans les années soixante pour surveiller les quartiers Noirs.
Ces dernières années, les experts de l’anti terrorisme ont affirmé que la musique constituait un moyen idéal pour distinguer un musulman modéré d’un extrémiste. Les responsables français sont donc à l’affût des rimes djihadistes, mais ils ne veulent pas non plus que la jeunesse se détourne complètement de la musique. Une affiche publiée le mois dernier par le Ministère de l’intérieur français liste les signes montrant l’évolution d’un ami ou d’un membre de la famille vers le Djihadisme, et elle précise que si une personne arrête d’écouter de la musique alors cela traduit un début de radicalisation. Les experts affirment aujourd’hui que le Hip Hop modéré et une compréhension mesurée de Malcolm X aideraient les jeunes musulmans à la dérive, d’autant plus que d’anciens militants viennent aujourd’hui révéler qu’ils ont été mis sur le chemin de l’extrémisme par le biais du Gangsta Rap et de Malcolm X.
L’idée selon laquelle la répulsion envers la musique, l’admiration pour Malcolm X et l’attraction au militantisme vont de pair est, bien sûr, terriblement réductrice. A l’instar d’un jeune homme, Malcolm avait une passion notoire pour la musique. Dans son autobiographie, il se vante sur la façon où il a, en tant que jeune cireur de chaussures au Roseland Ballroom de Boston, fait briller les chaussures de Duke Ellington, Count Basie, Lionel Hampton, et d’autres grands noms. A l’époque où il fut surnommé « Red Detroit », Malcolm X a dansé et joué de la batterie dans les bars de Jazz, avec pour nom de scène « Jack Carlton ». Mais lorsqu’il rejoignit la Nation of Islam, sa vision des choses commença à changer. En 1950, alors qu’il était en prison, Malcom écrivit une lettre à un compagnon de cellule dans laquelle il décrivait son amour pour le Jazz et ses « effets consolants ». Il écrivit « Ma copine numéro 1 était Dina Washington » (faisant référence à la chanteuse Dinah Wahington). « Elle est toujours la plus grande ». Mais la musique lui a également rappelé son « passé de pêcheur » et il se promit de satisfaire sa passion pour le jazz uniquement à travers des artistes Musulmans.
Durant le reste de sa vie, Malcolm X aura essayer d’équilibrer son amour pour la musique avec ses engagements politiques et religieux. Dans un discours prononcé en 1964, il a souligné l’importance de la musique dans la libération des Noirs, en déclarant que la musique était « le seul domaine de la scène américaine dans lequel les Noirs ont pu librement créer ». Et il a excellé dans celui ci. Les papiers personnels de Malcolm sont très plaisants à lire en partie parce qu’ils regorgent de références à la musique et à la littérature – ils contiennent des mentions sur Thelonious Monk et son « Groupe Musulman », sur la chanteuse Dakota Staton, et une coupure de journal sur la tournée de Duke Ellington et de son groupe en Syrie et en Iran. Lors d’un voyage en Afrique, Malcolm s’immergea dans la vie musicale des pays nouvellement indépendants, en visitant les centres sociaux et les clubs de danse, encouragé par la façon dont ils essayaient de revivre les formes de musiques indigènes dans le cadre de la décolonisation. Au Ghana Press Club, il assista à une exaltante expérience de musique Highlife et - selon le récit de Maya Angelou - il tapota ses doigts sur sa jambe mais il refusa de danser. Au Caire, il traîne avec les aficionados de jazz Afro Américain qui tentent de créer un genre « progressiste » Afro Asiatique pour contrer ce qui est diffusé par le Département d’État. La musique pour l’émancipation est permise.
Les officiels européens envisagent nerveusement la façon de dé-radicaliser l’image de Malcolm, et les ambassades américaines font tout leur possible ce mois ci pour célébrer le Malcolm « modéré » ; il est cependant nécessaire de rappeler les complexités de l’homme et comment il a justement détesté la propagande. Je ne suis pas raciste, il a une fois écrit dans son agenda : Je suis un extrémiste. Je suis, a-t-il écrit, « extrême contre le mal ».