Cette recension a été publiée dans un premier temps dans le n° 134 d'avril - juin 2006 de la revue Archives de sciences sociales des religions.
Présentation de l'éditeur : « Du livre haineux d'Oriana Fallacci aux « provocations » de Michel Houellebecq, en passant par certaines déclarations d'intellectuels et éditorialistes de renom, l'islam fait depuis peu l'objet de critiques violentes qui se nourrissent de tous les amalgames, notamment avec le terrorisme islamiste : l'idée se répand, confortée par les thèses de Samuel Huntington sur le « choc des civilisations », que l'islam est une religion dangereuse et qu'il représente une menace pour la France et ses valeurs. À partir d'une enquête approfondie et d'une analyse de la rhétorique antimusulmane, Vincent Geisser s'attache à mettre en lumière les anciens et les nouveaux registres de l'islamophobie « à la française », du mépris chrétien pour la religion musulmane à la xénophobie de l'extrême droite, en passant par l'offensive des « intégristes de la laïcité » ou la haine de l'Arabo-musulman dans certains milieux juifs radicaux : la crainte et la haine du musulman semblent avoir progressivement succédé à celles de l'« Arabe », mêlant haine religieuse, racisme et peur des nouvelles « classes dangereuses », les jeunes de banlieues. »
Collection : Sur le vif
Parution : septembre 2003
Prix : 6,50 €
ISBN : 9782707140609
Dimensions : 115 * 190 mm
Façonnage : Broché
Nb de pages : 128
C'est la définition que donne le Petit Robert 2005 d'un de ces nouveaux « entrants » de l'année, en compagnie entre autre, de « Hidjab », « Burqa » ou « Communautarisme ». Vincent Geisser, chargé de recherches au CNRS (Institut de Recherches et d'Études sur le Monde Arabe et Musulman, Aix-en-Provence), en publiant à l'automne 2003 La nouvelle islamophobie, n'est certainement pas étranger à la promotion de ce néologisme. La thèse centrale de cet essai repose sur un postulat : il y a en France, et notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001, une phobie de l'islam en tant que religion et civilisation et, par delà, un rejet de ceux qui sont supposés en faire partie. Cette peur de l'islam et des musulmans qui « se déploie de façon autonome », V. Geisser la distingue du racisme anti-arabe ou anti-immigré « plus traditionnel » puisqu'elle s'exerce non plus sur un référent ethnique mais religieux et en l'occurrence « sur tout signe visible de l'islamité. »
Dès la première page de son introduction, V. Geisser nous donne à lire les deux rapports qui justifient sa prise de position et qui sont à la base de son constat :
a) Le rapport 2001 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH) (organisation officielle rattachée au Premier ministre) qui relève que « si les Maghrébins et les “beurs” issus de l'immigration étaient jusqu'à présent plus particulièrement visés, ces violences se sont souvent élargies aux communautés arabo-musulmanes. »
b) L'étude du réseau RAXEN (Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes) réalisée dans quinze pays de l'Union Européenne après les attentats du 11 septembre 2001 et qui montre « dans tous les pays, une islamophobie latente [qui] a mis à profit les circonstances présentes pour émerger, se concrétisant sous la forme d'actes d'agression physique et d'insultes verbales. »
Or, si le phénomène est constaté aussi bien en Europe qu'en Amérique du Nord, pour V. Geisser il existe bien une islamophobie « à la française » qui serait avant tout « une religiophobie » venue se greffer à un « contentieux historique » mêlant histoire coloniale, guerre d'Algérie mal « digérée », et anti-cléricalisme républicain. Tout au long de son ouvrage, l'auteur propose de nous éclairer sur les causes de cette nouvelle peur et les dangers quelle peut représenter pour notre société. Aussi décline-t-il sa démonstration en quatre parties correspondant aux quatre catégories d'islamophobes ou de « faciliteurs d'islamophobie » que son analyse a pu dégager.
Cette mise à l'écart des universitaires a permis la promotion médiatique d'experts sécuritaires – Antoine Basbous, Antoine Sfeir, Alexandre Del Valle ou Frédéric Encel – dont la notoriété s'appuie, sur un « prétendu réalisme » face au danger d'islamisation des banlieues hexagonales. Ces « nouveaux experts de la peur », dont il est question tout au long du deuxième chapitre, sont devenus, au grand regret de l'auteur, « les figures de références en matière d'islam et d'islamisme ». Pour V. Geisser, la figure la plus emblématique de ces « experts de le peur » est sans conteste A. Del Vale : ancien de l'extrême-droite « païenne » et militant de l'UMP de tendance souverainiste, il partage avec les experts militaires une même « haine de l'Amérique, le mépris de l'islam et des penchants pro-serbes ». Le 11 septembre 2001 est un véritable « événement providentiel » pour le jeune auteur puisqu'il passe en quelques jours des « milieux obscurs de la Nouvelle droite » aux projecteurs des plateaux de télévisions. Le plus dérangeant, pour l'auteur, est l'appui dont bénéficient ces experts de la part d'universitaires, ou de certains géopoliticiens qui prennent là une « revanche médiatique » sur le milieu académique qui les accepte mal ou certains chercheurs non spécialistes de l'islam. C'est le cas de la démographe de l'INED Michèle Tribalat ou du politologue du CNRS, Pierre-André Taguieff, qui « au nom d'un combat commun contre l'islamisme et la nouvelle judéophobie », en viennent à accorder des tickets d'entrée à des auteurs « peu scrupuleux sur l'origine de leurs informations et de leurs sources ».
Le troisième chapitre, consacré à cette « nouvelle judéophobie », est en fait le cœur de la démonstration de cet essai. En effet, nous ne pouvons comprendre le ton de La nouvelle islamophobie si nous oublions qu'il est une réponse, le titre est cependant là pour nous le rappeler, à celui de P-A. Taguieff, La nouvelle judéophobie, paru quelques mois auparavant (Paris, Mille et Une Nuits, 2002). La thèse centrale de ce livre est l'apparition en France, et singulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001, d'une nouvelle « judéophobie » (terme qu'il préfère à antisémitisme, trop lié à l'histoire européenne des xixe et xxe siècles), fruit d'une « alliance » objective entre islamistes et certains militants de gauche et d'extrême-gauche pro-palestiniens, anti-américains et anti-mondialistes et qui aurait pour prétexte l'anti-sionisme et la critique d'Israël. Pour l'auteur, cette thèse, qui n'a jamais fait l'objet d'une véritable enquête de terrain, ne tient pas. Il reproche à ses promoteurs une vision « conservatrice de l'ordre social [...] » censée prévenir de l'« imminence de conflits communautaires sur notre territoire. » C'est finalement toutes ces thèses, qu'il appelle « huntingtonienne in societa », que V. Geisser combat. Selon lui, elles créent un climat malsain en désignant les jeunes « Arabo-musulmans », aidés en sous-main par des « intello-gauchistes », comme les auteurs d'une nouvelle forme d'antisémitisme supplantant celui plus « traditionnel » des milieux d'extrême-droite et ourdissant de concert un prétendu « complot contre la République. »
Le quatrième et dernier chapitre est consacré à ce que V. Geisser appelle les « cautions ethniques » de la dialectique islamophobe : les acteurs politiques, intellectuels, religieux ou médiatiques « de culture musulmane » tirant leur légitimité d'une expertise « du vécu », se posant comme « décrypteurs autorisés des questions musulmanes » et tenant un discours catastrophiste, sur une « benladisation » supposée des banlieues françaises. Souvent proches du pouvoir algérien, ces personnalités diverses, du recteur de la mosquée de Paris Dalil Boubakeur au journaliste de Marianne Mohammed Sifaoui, ne perçoivent les enjeux de l'islam en France « qu'à travers le prisme du syndrome algérien, c'est-à-dire réduits à une lutte entre les “musulmans éclairés” et les “musulmans obscurantistes” ».