Dans une perspective confessante musulmane, la vie procède d’une intentionnalité divine dont la nature nous échappe, car Dieu est au-delà de toute intelligibilité humaine, mais nous pouvons approcher ses aspects téléologique et conséquentiel de deux façons. Tout d’abord, en portant un regard sur l’univers et sur le monde qui nous entoure, le divin nous donne la possibilité de déchiffrer son empreinte irriguant chaque élément de la création. Ensuite, la méditation introspective nous permet de développer notre Conscience – je mets une majuscule au vocable - en nous connectant à l’essence de notre être, dans sa pleine réalité, pour renouer notre connexion à cette même empreinte qui l’irrigue, à l’instar de toutes les composantes de l’univers. De ce point de vue, la diversité du monde créé représente les innombrables reflets de Dieu, manifestations diverses et variées de ses attributs en tant qu’unique réalité tangible qu’il nous est donné de découvrir, au-delà des illusions que représentent les formes matérielles qui s’offrent à notre regard. C’est dans ce lien au divin qu’on trouve l’essence même de la sacralité de la vie, en tant que reflet du haqq, terme employé dans le Coran pour désigner à la fois la seule Vérité ou Réalité qui traverse le temps et l’espace de l’univers, à savoir Dieu. On trouve, à ce propos, un « vecteur orienté » fondamental dans le passage coranique suivant : « Nous leur montrerons nos signes dans les horizons et en eux-mêmes afin qu’il leur devienne évident qu’Il est la Vérité » (Coran 41, 53). Le terme « vérité », pour exprimer le divin, est employé ici avec un « v » majuscule. Quant à l’être humain, il serait bien prétentieux d’affirmer qu’il possède cette vérité pour lui seul, dans sa croyance ou dans sa tradition.
À travers soi et en connexion avec le monde, nous pouvons nous connecter au divin par le moyen de la « conversion » et de l’« obéissance », encore faut-il comprendre ce qu’on entend par ces deux mots. Dans sa racine latine conversio, la conversion désigne littéralement le changement d’orientation. Cela rejoint parfaitement l’attitude que le texte coranique prête au Prophète Abraham lorsqu’il dit : « J’ai pris la décision de tourner mon visage vers Celui qui a fendu les cieux et la terre, en toute pureté […] » (Coran 6, 79). De même, toujours dans sa racine latine ob-audire, le terme obéir signifie « prêter l’oreille à ». Je l’emploie ici dans le sens de prêter l’oreille au divin à travers le livre ouvert du monde, ce qui rejoint parfaitement le passage coranique évoquant le rappel : « Très certainement, il y a en ceci un rappel pour celui qui possède un cœur, ou encore qui prête l’oreille tout en étant présent. » (Coran 51, 37). A partir de ces deux notions, nous comprenons tout aussi facilement pourquoi, finalement, nous sommes tous des « convertis », et pourquoi il est important de ne pas figer la notion d’obéissance dans un carcan dogmatique intangible qui ne souffrirait d’aucune évolution à travers le temps. Ce serait là une atteinte aux fondements de la dynamique d’une religion qui doit répondre aux questions et aux évolutions du monde et des sociétés humaines, et Dieu seul sait si l’être humain est aujourd’hui confronté à une multitude de défis, j’en évoquerai quelques-uns dans la suite de mon propos. Pour entrer dans le vif du sujet, parler de la sacralité de la vie nécessite, de mon point de vue, d’articuler deux choses essentielles : tout d’abord de considérer que chaque élément du monde créé reflète la plénitude du divin, et en ce sens il ne doit pas être « profané ». Ensuite, d’œuvrer à faire du monde habité, la terre en l’occurrence, un lieu sûr et sacré pour tous, condition sine qua non pour que les hommes puissent tenter de s’unir dans une véritable fraternité humaine. Ces deux choses ont des incidences concrètes dans la façon dont nous devons renouveler notre lecture des textes de l’islam pour fonder une théologie de l’altérité ancrée dans un monde en pleine mutation.
Tout existant est sacré en soi
La première question à se poser, lorsqu’on parle de la sacralité de la vie, est relative à la signification que l’on donne aux termes de sacralité et de vie. Sur le plan étymologique, le sacré désigne ce qui ne peut être touché sans être souillé, par opposition au profane, du latin pro fanum, ce ou celui qui se tient devant le lieu consacré. Pour le croyant, le sacré est inviolable car il provient directement du divin, il est en contact avec lui et, à ce titre, il possède un statut particulier. Si on étend la signification du terme au-delà d’une perspective uniquement religieuse, on considérera alors, d’un point de vue humaniste par exemple, qu’est sacré ce à quoi on doit un respect absolu. Partant de là, affirmer la sacralité de la vie revient à dire que tout être vivant, mais également tout ce qui, dans ce monde, concourt à apporter la vie, doit bénéficier d’un respect absolu. Je pose ici un curseur haut, qui est conforme à l’approche musulmane selon laquelle toutes les composantes de ce monde sont dotées d’une forme d’intelligibilité. Le texte coranique nous en donne un aperçu, non exhaustif, rapporté à l’immensité du divin, selon lequel Dieu a proposé le « dépôt », al-amânah - terme qui a fait l’objet de nombreuses interprétations exégétiques - aux cieux, à la Terre ainsi qu’aux montagnes, mais ces éléments de la création l’ont refusé, puis l’homme en accepta la responsabilité : « Très certainement, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes de porter le dépôt, mais ils ont refusé de le porter et en ont eu peur, alors que l'homme s'en est chargé ; il est cependant très injuste [envers lui-même] et très ignorant [de la réalité de Son seigneur]. » (Coran 33, 72). Si je m’attarde juste sur les éléments du cosmos cités dans ce passage coranique, je constate qu’il leur est prêté une sorte de conscience et un pouvoir d’agir. Dans d’autres passages, le Coran nous donne des exemples relatifs au langage et à l’intelligence des animaux, il restitue la parole de la huppe et de la fourmi, il mentionne aussi qu’ils vivent en communautés à l’instar de l’être humain. Il donne également l’exemple de Caïn qui apprend la façon d’enterrer son frère mort en observant un corbeau procéder en l’ensevelissement d’un de ses congénères.
Il s’agit donc de tendre l’oreille et changer l’orientation de son regard pour comprendre le langage de la création et voir les signes du divin à travers le livre du monde. Le Coran nous dit : « Il n'existe pas de bête sur la terre, ni d'oiseau volant de ses deux ailes, si ce n'est qu'ils forment des communautés à l'instar de vos communautés humaines ; Nous n'avons omis aucune chose dans le Livre. Puis ils seront rassemblés vers leur Seigneur. » (Coran 6, 38) J’en conclus ici deux choses : tout d’abord, poser le principe de la sacralité de la vie revient à affirmer que chaque élément de ce monde, en tant qu’il concourt à son équilibre et à sa pérennisation, doit jouir d’un respect absolu. Cela signifie aussi que chaque être humain, quel que soit son statut, quels que soient ses actes, possède en lui la plénitude de l’humanité en tant que reflet du divin. Enfin, tous les éléments du monde créé, humains, animaux, végétaux, minéraux, forces telluriques, forces de la nature sont solidaires dans le sens où ils sont interdépendants les uns des autres. Affirmer la sacralité de l’ensemble de ces éléments nécessite de poser des limites à l’action de l’être humain sur le monde, dans un contexte où, peut-être, de toute leur histoire, les hommes se sont dotés des moyens d’action sur l’environnement les plus sophistiqués avec, désormais, la possibilité pure et simple de détruire leur planète.
Transformer notre regard sur un monde qui a changé
Depuis les deux derniers siècles, l’avènement de l’ère industrielle a fait passer une partie minoritaire de la planète d’une économie de subsistance vers une économie d’abondance. Je ne me permettrai pas ici de donner des leçons de morale, je ne suis ni philosophe, ni économiste, ni spécialiste en géopolitique. Simplement, l’économie de subsistance était intimement liée à une cosmogonie, c’est-à-dire une histoire de la création du monde et de l’harmonie entre la société des hommes et son environnement. Les rites ont longtemps accompagné l’activité humaine, tout comme celle-ci était dépendante de l’action de la nature. On comprendra très simplement que l’expression « faire confiance en Dieu », lorsque la probabilité de manger de la viande est extrêmement faible, que l’on exploite la terre à la force des bras en priant pour que la pluie salvatrice tombe, on ne la vit pas de la même façon que quand, au sein d’une société d’abondance, notre vie se résume peu ou prou à consommer toujours plus. Je ne condamne pas l’évolution technologique, d’ailleurs j’en profite moi-même comme tout-un-chacun. Je veux simplement dire ici que, dans notre relation au monde, nous avons perdu la plupart des repères qui structuraient le temps, l’espace, la sociabilité et, bien entendu, le rapport au sacré de nos prédécesseurs. Je m’interroge donc sur la cosmogonie que propose la société contemporaine, mais également sur la capacité des religions et des philosophes à proposer un récit structurant sur la place de l’être humain et son rôle dans un monde qui a profondément changé en quelques décennies. Dans le même temps, je refuse le pleurnichage des religieux qui ressassent à n’en plus finir les âges d’or du passé où les gens étaient supposés vivre dans le meilleur des mondes. L’évolution de la capacité d’action des humains est mentionnée dans le Coran de manière très explicite : : « Oh, peuple de djinns et d'hommes ! Si vous avez la capacité de pénétrer les confins des cieux et de la terre, alors faites-le. Mais vous ne pourrez le faire qu'à l'aide d'un pouvoir (ou d'une puissance matérielle). » (Coran, 55, 33). Parvenu à ce stade de notre « pouvoir d’agir », il nous faut prendre conscience de son caractère relatif face à la puissance de la nature et – pour le croyant – à la toute-puissance de Dieu. Pierre Rabhi nous dit dans son ouvrage Manifeste pour la Terre et l’Humanisme : « La science moderne la plus affinée explorant le subtil et vaste champ de la matière et de l’énergie rejoint certaines grandes traditions et l’intuition de la quasi-totalité des peuples initiaux pour qui la diversité, la cohésion et la cohérence de tous les éléments qui composent la vie sont une évidence. La sphère terrestre examinée de l’espace est perçue comme une sorte d’organisme à part entière constitué d’un pôle à l’autre d’éléments indissociables [1] . »
De mon point de vue, penser la sacralité de la vie nous ramène à revisiter le sens du dépôt que Dieu a confié à l’être humain, en le considérant comme représentatif du couple « liberté-responsabilité ». La capacité à agir dans le monde a pour corollaire la responsabilité des conséquences de nos actes. Le Coran évoque un aspect de cette dialectique à travers le verset suivant : « C'est Lui [Dieu] qui vous a rendu la terre obéissante. Marchez jusque sur les épaules de la terre, mangez-y de Son attribution, c'est vers Lui que de la terre vous resurgirez. » (Coran, 67, 15). L’expression arabe fa'mchou fî manâkibihâ (marchez jusque ses épaules) transcrit l'idée de « pénétrer au cœur » et de parcourir l'étendue terrestre, en gardant à l'esprit que c'est Dieu le maître absolu du monde. Prendre acte de cela, c’est comprendre qu’une action non consciente et non mesurée sur le monde transgresse purement et simplement l’équilibre qu’il y a fixé. De ce point de vue, juste pour prendre un exemple, je suis complètement dépité lorsque j’observe des musulmans ou des organisations musulmanes se disputer le marché alimentaire qualifié de « halal ». Nos théologiens rivalisent d’arguments pour déterminer si un animal doit être abattu de telle ou telle autre façon afin que l’on puisse consommer sa chair. Très rares sont ceux qui oseront porter un regard critique sur les conditions dans lesquelles les presque un milliard d’animaux sont élevés, si l’on peut encore employer ce terme, et abattus chaque année, uniquement en France. Quand j’évoque cette situation auprès de mes coreligionnaires, je suis souvent abasourdi de la façon dont la plupart considère l’animal comme une simple marchandise, en contradiction totale avec l’ensemble de nos références scripturaires. Je comprends alors la portée du passage coranique suivant : « Ils ont oublié Dieu et ils se sont oubliés eux-mêmes » (Coran 59,19). Sur un autre plan, pour répondre aux interrogations grandissantes qui naissent dans tous les champs de la vie sociale et de la recherche, la société dans laquelle nous vivons s’est dotée de multiples comités d’éthique qui intègrent le point de vue des traditions religieuses. Ces comités comportent malheureusement peu de musulmans – représentants religieux et/ou spécialistes dans les champs disciplinaires variés – en capacité d’apporter une réflexion construite sur des sujets extrêmement pointus. Parallèlement, lorsqu’on voit le niveau des programmes d’enseignement dans les instituts islamiques, on comprend le gouffre qui sépare le monde religieux de l’islam du reste de la société. Quand une association musulmane organise un colloque sur des thèmes liés à l’éthique, la bioéthique, l’environnement ou d’autres sujets qui nécessitent un niveau de réflexion élevé, ce sont en quasi-totalité des spécialistes non-musulmans qui sont sollicités, avec quelques théologiens musulmans venus pour rappeler des généralités sur l’islam mille fois ressassées. Je parle ici à partir d’un ancrage français, mais je suis prêt à parier que la situation n’est pas très évoluée dans les pays d’Islam. Nous sommes pourtant là au cœur de ce fameux « dépôt » que Dieu nous a confié, qu’en faisons-nous ?
Faisons de la Terre un lieu sûr et sacré pour tous
Les êtres humains peuvent-ils coopérer pour redonner à la sacralité de la vie sa vraie place et, si oui, à quelles conditions ? Dans mes conférences et dans quelques écrits j’ai à plusieurs reprises employé l’expression « nous devons construire un universel partagé ». J’emploie le terme « universel » dans un sens relatif, non absolu, car je pars du principe qu’aucun parmi nous – individu ou groupe – ne peut avoir la prétention de posséder la Vérité à lui seul. Sa déclinaison « partagé » renvoie à la nécessité de collaborer les uns avec les autres, au-delà de nos ancrages convictionnels. La complexité du monde contemporain, mais aussi la douleur que les humains lui infligent chaque jour un peu plus, nécessite un véritable « sursaut de conscience » si l’on veut stopper le chemin qui est en train de nous conduire à notre perte. L’universel partagé, c’est un espace collaboratif entre des hommes et des femmes capables de construire une échelle commune de valeurs fondamentales qu’ils s’interdisent de transgresser. Je pense par exemple à la limitation de notre impact sur l’environnement, à la prise en compte de la personnalité animale, au respect absolu de la liberté de conscience pour les humains, au fait de ne pas porter atteinte à leur intégrité physique, quels qu’aient été leurs actes, à la mise en œuvre concrète des principes d’équité et de justice sociale, entre autres valeurs non exhaustives. Il s’agit donc de vivre en fraternité humaine avec l’autre, quel qu’il soit, en faisant sien le principe établi par Jean-Jacques Rousseau : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». Le philosophe entendait par-là que dès-lors où les humains vivent en société, il leur appartient d’établir les modalités, ou les lois si l’on préfère, pour que la vie sociale puisse se dérouler dans la paix et l’harmonie. Je prône ici clairement le primat de règles et de lois séculières qui puissent transcender toutes les appartenances des membres de la société. En effet, seul le cadre laïque peut offrir les conditions les plus abouties d’articulation de ces lois avec les ancrages convictionnels les plus variés, parfois même antagonistes, des citoyens.
Je rappelle cela parce que j’observe deux illusions qui traversent les discours et les manières de penser des musulmans, aujourd’hui, les freinant dans cette orientation collaborative. La première réside dans la notion de « liberté », dans sa version islamique, qui pousse à penser un « entre-soi communautaire exclusif » du salut ici-bas. Combien de fois n’entend-on pas des prédicateurs ou des leaders religieux proclamer que l’islam est venu apporter la libération de l’homme du carcan de l’obéissance aux hommes pour obéir uniquement à Dieu ? Ce serait, selon eux, la seule condition d’une vie sur terre qui soit la plus pure. Une fois ce principe posé, comment l’applique-t-on dans un collectif d’humains pour « faire société » ? Qui définit la « bonne voie » dans un système où des groupes de musulmans se sont toujours disputés la fameuse « lecture authentique » de leurs textes pour soumettre des populations entières à leur idéologie ? Et ces lois, dans quelles orientations fondamentales s’inscrivent-elles en termes de respect absolu de l’intégrité humaine et de sa diversité ? En quoi apportent-elles une plus-value, en termes de sens et de pratiques collectives, pour le respect de l’environnement ? Ces considérations ne relèvent pas d’une simple vue de l’esprit. Il existe une Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée en 1948. Elle représente indiscutablement une avancée considérable dans l’histoire des sociétés humaines même si ces dernières n’ont pas été en mesure d’éradiquer la logique de prédation dans tous les aspects de la vie sociale. De leur côté, les grandes institutions religieuses musulmanes tentent depuis plusieurs décennies de réintroduire des pans de la Charia médiévale dans le droit positif des pays d’Islam, en particulier dans le monde arabe.
Si l’on s’en tient juste au thème de la sacralité de la vie, il y aurait déjà beaucoup à dire sur cette démarche qui cherche à freiner les avancées en matière des droits de l’homme, sur fond d’anti-occidentalisme primaire. En 1990, l’Organisation de la conférence islamique, créée sous l’impulsion de l’Arabie Saoudite, a adopté la Déclaration islamique des droits de l’homme. Le texte affirme le primat absolu des droits de Dieu et la condition de « servitude » des êtres humains à son égard. Dans son article 10, il stipule : « L’Islam est la religion naturelle de l'homme. Il n'est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté́ ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l'athéisme. ». La formulation, en apparence sensée protéger les musulmans de toute forme de pression et de prosélytisme, est utilisée dans le but principal d’annuler le principe du respect de la liberté de conscience. Il en découle purement et simplement la possibilité de tuer un individu pour ses simples idées qui seraient jugées comme hétérodoxes par un pouvoir politique ou une institution religieuse musulmane. La Charte arabe des droits de l’homme de 2004, dans son article 26, suit à peu près la même logique. On pourrait relever les plusieurs autres points de ces deux chartes qui contreviennent clairement aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Parallèlement, un comité de savants d’al-Azhar a entamé, en 1978, un projet de Constitution islamique universelle, et un Code pénal unifié de la Ligue des États Arabes a été achevé, en 1996, et approuvé à l’unanimité des ministres de la Justice des pays membres. On peut polémiquer à loisir sur les affres d’un Occident conquérant, cela ne peut nous exonérer, en qualité de musulmans, d’une critique franche et précise de l’état des pays d’Islam à l’époque contemporaine. Sauf à affirmer que toute démarche de ce type est bonne par le simple fait qu’elle cherche à se démarquer des valeurs prétendument occidentales.
La deuxième illusion entretient l’idée que les textes de l’islam contiennent déjà toutes les réponses pratiques à la manière de « faire société ». Là aussi, combien de fois n’entend-on nous pas nos responsables religieux utiliser l’expression « Dieu dit que… » comme s’ils avaient reçu un mandat spécial de sa part pour être son porte-voix. Certes, le Coran nous expose les orientations fondamentales que devrait suivre une société humaine pour vivre en harmonie avec le monde. Mais encore fait-il que nous soyons capables d’en renouveler notre lecture, car le texte représente ici le support de départ et non pas le point d’aboutissement d’une réflexion sur le monde. Il existe certainement quelques valeurs fondamentales qui ont traversé l’espace et le temps des hommes ; les notions de m’arûf et de munkar – ce qui est reconnu par les sociétés humaines comme bien et comme mauvais – ne sont pas explicitement définies dans le Coran. Ce sont des valeurs que l’on peut qualifier de « méta-textuelles » car elles sont au-delà du texte lui-même. Pour les comprendre, peut-être qu’un non-musulman, philosophe, expert dans un domaine quelconque, voire simple travailleur de la terre, m’en dira beaucoup plus qu’un musulman, aussi érudit soit-il. C’est en tenant compte de cela que l’on peut analyser le système de violence symbolique et pratique qui est mis en place par des leaders politiques et religieux musulmans. Que ce soit au niveau des États, des mouvements islamistes dans les pays d’Islam ou au sein des diverses sensibilités de l’Islam contemporain à travers le monde, la logique de la course au pouvoir et à l’hégémonie, sur fond de rejet des valeurs considérées comme venues de l’Occident, a supplanté toute possibilité d’une réflexion saine sur les grandes questions du monde contemporain et de la modernité. D’un autre côté et d’une façon plus générale, pour nous qui vivons en Occident, le découplage des savoirs théoriques et techniques et la spécialisation à outrance dans tous les domaines nous a fait perdre toute vue d’ensemble nous permettant de réfléchir sainement sur la désacralisation effrénée de notre rapport au monde. Comme signe d’alerte sur cet aspect, il n’existe quasiment aucun philosophe aujourd’hui qui a conduit une réflexion de fond sur les enjeux de l’écologie, pas dans le sens politique du terme mais dans la nécessité de poser des limites à l’action des humains sur leur environnement. Et nous, en tant que musulmans, où en sommes-nous ? Une fois l’illusion de posséder la Vérité passée, quel regard concret pouvons-nous porter sur notre contribution concrète à cette réflexion ?
Je rappelle cela parce que j’observe deux illusions qui traversent les discours et les manières de penser des musulmans, aujourd’hui, les freinant dans cette orientation collaborative. La première réside dans la notion de « liberté », dans sa version islamique, qui pousse à penser un « entre-soi communautaire exclusif » du salut ici-bas. Combien de fois n’entend-on pas des prédicateurs ou des leaders religieux proclamer que l’islam est venu apporter la libération de l’homme du carcan de l’obéissance aux hommes pour obéir uniquement à Dieu ? Ce serait, selon eux, la seule condition d’une vie sur terre qui soit la plus pure. Une fois ce principe posé, comment l’applique-t-on dans un collectif d’humains pour « faire société » ? Qui définit la « bonne voie » dans un système où des groupes de musulmans se sont toujours disputés la fameuse « lecture authentique » de leurs textes pour soumettre des populations entières à leur idéologie ? Et ces lois, dans quelles orientations fondamentales s’inscrivent-elles en termes de respect absolu de l’intégrité humaine et de sa diversité ? En quoi apportent-elles une plus-value, en termes de sens et de pratiques collectives, pour le respect de l’environnement ? Ces considérations ne relèvent pas d’une simple vue de l’esprit. Il existe une Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée en 1948. Elle représente indiscutablement une avancée considérable dans l’histoire des sociétés humaines même si ces dernières n’ont pas été en mesure d’éradiquer la logique de prédation dans tous les aspects de la vie sociale. De leur côté, les grandes institutions religieuses musulmanes tentent depuis plusieurs décennies de réintroduire des pans de la Charia médiévale dans le droit positif des pays d’Islam, en particulier dans le monde arabe.
Si l’on s’en tient juste au thème de la sacralité de la vie, il y aurait déjà beaucoup à dire sur cette démarche qui cherche à freiner les avancées en matière des droits de l’homme, sur fond d’anti-occidentalisme primaire. En 1990, l’Organisation de la conférence islamique, créée sous l’impulsion de l’Arabie Saoudite, a adopté la Déclaration islamique des droits de l’homme. Le texte affirme le primat absolu des droits de Dieu et la condition de « servitude » des êtres humains à son égard. Dans son article 10, il stipule : « L’Islam est la religion naturelle de l'homme. Il n'est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté́ ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l'athéisme. ». La formulation, en apparence sensée protéger les musulmans de toute forme de pression et de prosélytisme, est utilisée dans le but principal d’annuler le principe du respect de la liberté de conscience. Il en découle purement et simplement la possibilité de tuer un individu pour ses simples idées qui seraient jugées comme hétérodoxes par un pouvoir politique ou une institution religieuse musulmane. La Charte arabe des droits de l’homme de 2004, dans son article 26, suit à peu près la même logique. On pourrait relever les plusieurs autres points de ces deux chartes qui contreviennent clairement aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Parallèlement, un comité de savants d’al-Azhar a entamé, en 1978, un projet de Constitution islamique universelle, et un Code pénal unifié de la Ligue des États Arabes a été achevé, en 1996, et approuvé à l’unanimité des ministres de la Justice des pays membres. On peut polémiquer à loisir sur les affres d’un Occident conquérant, cela ne peut nous exonérer, en qualité de musulmans, d’une critique franche et précise de l’état des pays d’Islam à l’époque contemporaine. Sauf à affirmer que toute démarche de ce type est bonne par le simple fait qu’elle cherche à se démarquer des valeurs prétendument occidentales.
La deuxième illusion entretient l’idée que les textes de l’islam contiennent déjà toutes les réponses pratiques à la manière de « faire société ». Là aussi, combien de fois n’entend-on nous pas nos responsables religieux utiliser l’expression « Dieu dit que… » comme s’ils avaient reçu un mandat spécial de sa part pour être son porte-voix. Certes, le Coran nous expose les orientations fondamentales que devrait suivre une société humaine pour vivre en harmonie avec le monde. Mais encore fait-il que nous soyons capables d’en renouveler notre lecture, car le texte représente ici le support de départ et non pas le point d’aboutissement d’une réflexion sur le monde. Il existe certainement quelques valeurs fondamentales qui ont traversé l’espace et le temps des hommes ; les notions de m’arûf et de munkar – ce qui est reconnu par les sociétés humaines comme bien et comme mauvais – ne sont pas explicitement définies dans le Coran. Ce sont des valeurs que l’on peut qualifier de « méta-textuelles » car elles sont au-delà du texte lui-même. Pour les comprendre, peut-être qu’un non-musulman, philosophe, expert dans un domaine quelconque, voire simple travailleur de la terre, m’en dira beaucoup plus qu’un musulman, aussi érudit soit-il. C’est en tenant compte de cela que l’on peut analyser le système de violence symbolique et pratique qui est mis en place par des leaders politiques et religieux musulmans. Que ce soit au niveau des États, des mouvements islamistes dans les pays d’Islam ou au sein des diverses sensibilités de l’Islam contemporain à travers le monde, la logique de la course au pouvoir et à l’hégémonie, sur fond de rejet des valeurs considérées comme venues de l’Occident, a supplanté toute possibilité d’une réflexion saine sur les grandes questions du monde contemporain et de la modernité. D’un autre côté et d’une façon plus générale, pour nous qui vivons en Occident, le découplage des savoirs théoriques et techniques et la spécialisation à outrance dans tous les domaines nous a fait perdre toute vue d’ensemble nous permettant de réfléchir sainement sur la désacralisation effrénée de notre rapport au monde. Comme signe d’alerte sur cet aspect, il n’existe quasiment aucun philosophe aujourd’hui qui a conduit une réflexion de fond sur les enjeux de l’écologie, pas dans le sens politique du terme mais dans la nécessité de poser des limites à l’action des humains sur leur environnement. Et nous, en tant que musulmans, où en sommes-nous ? Une fois l’illusion de posséder la Vérité passée, quel regard concret pouvons-nous porter sur notre contribution concrète à cette réflexion ?
Mettre fin à l’hégémonie dogmatique
Pierre Rabhi écrit : « Une partie des conflits humains n’ont pas pour mobile des enjeux territoriaux, mais l’affirmation de symboles, de croyances, de nationalismes, de cultures, d’idéologies divergents. On s’entre-égorge bien plus pour des idées, des « vérités », des opinions, des préjugés et des dogmes contradictoires que pour des litiges vraiment tangibles. » [2] J’ai trouvé ce passage très illustratif des tensions que vivent les sociétés humaines aujourd’hui. Penser cela en 2017, c’est tout de même prendre acte de deux guerres mondiales qui ont entraîné le monde dans une spirale infernale au siècle dernier et, pour nous musulmans, c’est aussi penser notre rapport à nos textes et à notre tradition religieuse après le 11 septembre 2001 et Daesh. Aussi, la question n’est pas que géopolitique, elle n’est pas due uniquement à des considérations matérielles et sociales, ni uniquement aux conséquences des stratégies des grandes puissances de par le monde. Elle est également dans le processus de déshumanisation de l’autre qui commence dès lors qu’on le réduit à un aspect unique de sa personne, qui se poursuit lorsqu’on pose « virtuellement » les conditions de sa possible élimination, elle se prolonge lorsqu’un groupe d’individus prétend faire passer ces conditions de la virtualité à la pratique effective, et elle se conclut par le passage à l’acte. Chacun parmi nous peut être potentiellement contaminé par les deux premières phases. Dès lors qu’un imam, un théologien ou un prédicateur quelconque affirme que « si nous étions dans une société musulmane, une vraie, qui applique la Loi de Dieu, on devrait appliquer telle règle pour soumettre, voire pour éliminer telle ou telle autre catégorie de gens », notre santé mentale et notre jugement critique sont déjà en danger. Face à cela, il nous appartient de garder notre faculté de jugement, quel que soit le statut de la personne prétendant parler au nom de Dieu. Je ne dis pas cela dans un esprit vindicatif ni dans une naïveté excessive : aujourd’hui, en France, il existe des gens qui développent une aversion vis-à-vis de l’islam et des musulmans. C’est un fait, et ils adoptent parfois le même processus de réduction, voire de déshumanisation de l’autre, et l’on pourrait étendre cela à l’échelle mondiale. Mais c’est également le cas chez une partie des musulmans vis-à-vis des sociétés dans lesquelles ils vivent. Ce qui m’intéresse, personnellement, c’est de sortir de cette logique d’affrontement en n’attendant pas des autres qu’ils m’aiment, ni même qu’ils respectent mes idées.
De mon point de vue, les grands enjeux aujourd’hui sont dans la création de petits espaces collaboratifs où des gens de tous horizons, de toutes croyances, de toutes cultures, réfléchissent ensemble aux moyens concrets de construire un universel partagé, une logique de solidarité et la diminution de leur impact sur l’environnement. C’est la seule base tangible sur laquelle nous pouvons construire un édifice, une société humaine qui redonne du sens au sacré. C’est aussi à partir de cette base que l’on peut rendre son opérationnalité à la notion de tolérance, dans un véritable esprit voltairien. Je fais ici allusion aux pages qu’il consacre à la tolérance dans son Dictionnaire philosophique. Son ouvrage est moins un traité qu’un véritable plaidoyer pour la coexistence pacifique, dans lequel il mobilise les textes et l’histoire des religions en faveur de la tolérance. On pourrait dire, dans le droit fil de Voltaire, que la tolérance est forcément subordonnée à des principes supérieurs qui sont le respect des droits humains, la démocratie, la séparation des ordres politique et religieux, la reconnaissance de la pluralité des idées et de la liberté de conscience absolue, entre autres principes supérieurs qui mériteraient d’être détaillés. J’alerte ici mes coreligionnaires sur la façon dont, parfois, nous demandons à ce que nos convictions soient respectées et prises en compte par la société dans laquelle nous vivons, alors même que nous déployons une forte intolérance vis-à-vis des convictions des autres, ce qui les conforte dans l’idée que, finalement, là où un musulman se trouve, il cherche à imposer ses valeurs et ses normes religieuses à son environnement. Cet aspect trouve un lien avec la sacralité de la vie à partir de la façon dont nous distinguons un comportement humain et l’être humain en tant que tel, comme dans la façon dont nous distinguons les orientations fondamentales de nos textes religieux et leur dimension historique relative à l’époque de la prophétie. Et cette réflexion doit constamment être renouvelée, en révisant de fond en comble l’échelle des valeurs qui a fondé le rapport au monde dans les théologies musulmanes. Peut-on lire le Coran dans une perspective abolitionniste, c’est–à-dire en partant du principe que la peine de mort doit être supprimée des sociétés humaines ? Quelles conséquences théologiques en tire-t-on sur les questions du bien et du mal, de la sacralité de la vie humaine ? Quelles conséquences pratiques cette lecture a-t-elle sur la portée normative que l’on accorde aux peines légales définies dans la charia médiévale ? Peut-on s’orienter, en tant que musulman, vers un végétarisme consenti à la lumière de notre impact néfaste sur le monde et de notre maltraitance des animaux ? Quelles conséquences théologiques et pratiques cela peut-il avoir dans notre compréhension et dans notre application de nos textes ? Comment envisage-t-on concrètement le respect de la liberté de conscience, du libre choix des individus à disposer de leur corps et de vivre selon leurs convictions, dans une perspective musulmane ?
Ce qui me connaissent savent pourquoi je prends ces exemples puisque je suis un musulman abolitionniste, opposé fermement à la peine de mort, promoteur d’un végétarisme consenti et d’une lecture inclusive des textes de l’islam. Aussi, ces quelques questions que je viens de lister sont loin d’être exhaustives, mais elles nécessitent de se pencher en profondeur sur le sens que nous donnons, dans une perspective musulmane à la sacralité de la vie. Pour y répondre, les théologiens et les penseurs des traditions monothéistes, entre autres, ont développé une littérature abondante. Dans le champ islamique, les débats tournent rapidement aux anathèmes et aux menaces dès lors qu’un penseur sort du cadre établi par les institutions religieuses ou qu’un théologien tente une lecture renouvelée des textes à partir d’un avis considéré comme châdh, ou marginal. Depuis des décennies, penseurs et théologiens musulmans sont enfermés dans le discours sur la notion de maqâcid al-charî’ah, ou les finalités de la Charia, développés par l’imam al-Shâtibî il y a plusieurs siècles de cela, mais sans donner l’impression d’avoir pris acte du changement paradigmatique de la société contemporaine. Mais l’impasse n’est que partielle puisque, finalement, notre religion ne connait pas de clergé centralisé ni de magistère. Chaque musulman est donc responsable devant Dieu de sa pensée et de ses actes, et c’est à lui d’œuvrer dans le monde à partir de la conscience spirituelle qu’il aura développée.
De mon point de vue, les grands enjeux aujourd’hui sont dans la création de petits espaces collaboratifs où des gens de tous horizons, de toutes croyances, de toutes cultures, réfléchissent ensemble aux moyens concrets de construire un universel partagé, une logique de solidarité et la diminution de leur impact sur l’environnement. C’est la seule base tangible sur laquelle nous pouvons construire un édifice, une société humaine qui redonne du sens au sacré. C’est aussi à partir de cette base que l’on peut rendre son opérationnalité à la notion de tolérance, dans un véritable esprit voltairien. Je fais ici allusion aux pages qu’il consacre à la tolérance dans son Dictionnaire philosophique. Son ouvrage est moins un traité qu’un véritable plaidoyer pour la coexistence pacifique, dans lequel il mobilise les textes et l’histoire des religions en faveur de la tolérance. On pourrait dire, dans le droit fil de Voltaire, que la tolérance est forcément subordonnée à des principes supérieurs qui sont le respect des droits humains, la démocratie, la séparation des ordres politique et religieux, la reconnaissance de la pluralité des idées et de la liberté de conscience absolue, entre autres principes supérieurs qui mériteraient d’être détaillés. J’alerte ici mes coreligionnaires sur la façon dont, parfois, nous demandons à ce que nos convictions soient respectées et prises en compte par la société dans laquelle nous vivons, alors même que nous déployons une forte intolérance vis-à-vis des convictions des autres, ce qui les conforte dans l’idée que, finalement, là où un musulman se trouve, il cherche à imposer ses valeurs et ses normes religieuses à son environnement. Cet aspect trouve un lien avec la sacralité de la vie à partir de la façon dont nous distinguons un comportement humain et l’être humain en tant que tel, comme dans la façon dont nous distinguons les orientations fondamentales de nos textes religieux et leur dimension historique relative à l’époque de la prophétie. Et cette réflexion doit constamment être renouvelée, en révisant de fond en comble l’échelle des valeurs qui a fondé le rapport au monde dans les théologies musulmanes. Peut-on lire le Coran dans une perspective abolitionniste, c’est–à-dire en partant du principe que la peine de mort doit être supprimée des sociétés humaines ? Quelles conséquences théologiques en tire-t-on sur les questions du bien et du mal, de la sacralité de la vie humaine ? Quelles conséquences pratiques cette lecture a-t-elle sur la portée normative que l’on accorde aux peines légales définies dans la charia médiévale ? Peut-on s’orienter, en tant que musulman, vers un végétarisme consenti à la lumière de notre impact néfaste sur le monde et de notre maltraitance des animaux ? Quelles conséquences théologiques et pratiques cela peut-il avoir dans notre compréhension et dans notre application de nos textes ? Comment envisage-t-on concrètement le respect de la liberté de conscience, du libre choix des individus à disposer de leur corps et de vivre selon leurs convictions, dans une perspective musulmane ?
Ce qui me connaissent savent pourquoi je prends ces exemples puisque je suis un musulman abolitionniste, opposé fermement à la peine de mort, promoteur d’un végétarisme consenti et d’une lecture inclusive des textes de l’islam. Aussi, ces quelques questions que je viens de lister sont loin d’être exhaustives, mais elles nécessitent de se pencher en profondeur sur le sens que nous donnons, dans une perspective musulmane à la sacralité de la vie. Pour y répondre, les théologiens et les penseurs des traditions monothéistes, entre autres, ont développé une littérature abondante. Dans le champ islamique, les débats tournent rapidement aux anathèmes et aux menaces dès lors qu’un penseur sort du cadre établi par les institutions religieuses ou qu’un théologien tente une lecture renouvelée des textes à partir d’un avis considéré comme châdh, ou marginal. Depuis des décennies, penseurs et théologiens musulmans sont enfermés dans le discours sur la notion de maqâcid al-charî’ah, ou les finalités de la Charia, développés par l’imam al-Shâtibî il y a plusieurs siècles de cela, mais sans donner l’impression d’avoir pris acte du changement paradigmatique de la société contemporaine. Mais l’impasse n’est que partielle puisque, finalement, notre religion ne connait pas de clergé centralisé ni de magistère. Chaque musulman est donc responsable devant Dieu de sa pensée et de ses actes, et c’est à lui d’œuvrer dans le monde à partir de la conscience spirituelle qu’il aura développée.
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[1] Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et l’Humanisme, éditions Babel, 2017 (1ère éd. Actes Sud, 2008), p. 61-62.
[2] Ibid., p 95.
[1] Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et l’Humanisme, éditions Babel, 2017 (1ère éd. Actes Sud, 2008), p. 61-62.
[2] Ibid., p 95.
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