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Fatima Zibouh
Fatima Zibouh est diplômée en sciences politiques (ULB) et titulaire d’un Master spécialisé en... En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 18 Août 2013

Le féminisme à l’épreuve du débat postcolonial

Par Fatima Zibouh



Une large frange du mouvement féministe est totalement adversaire du port du foulard. Son argumentation est paradoxale : elle s’appuie sur un discours de lutte contre la domination masculine tout en justifiant (in)volontairement une autre forme de domination. Certaines féministes se montrent ainsi incapables de faire face au défi que représente la visibilité de citoyens européens d’origine musulmane dans l’espace public et les cheminements divers vers l’émancipation.

Ce travail est publié avec l'aimable autorisation de l'auteur et en partenariat avec "LA REVUE NOUVELLE "
Le féminisme à l’épreuve du débat postcolonial

On occulte souvent le fait que l’interdiction du foulard à l’école ou au travail relègue les femmes musulmanes dans leurs foyers plutôt que de les émanciper. Ainsi, une loi dont le dessein est de lutter contre l’oppression va inévitablement toucher des groupes opprimés et donc créer de la « violence symbolique [1] ». La controverse créée autour du port du foulard dans les écoles sera donc considérée ici comme un archétype illustrant une réelle aporie à intégrer une autre façon de vivre l’universel, mais aussi le refus de l’idée qu’il y a plusieurs chemins conduisant à définir son propre modèle d’émancipation.

À travers une grille de lecture basée sur les études postcoloniales (et plus précisément sur les thèses développées par les féministes postcoloniales), nous allons questionner les logiques qui sous-tendent certains discours féministes. Ces lunettes théoriques permettent de déconstruire les catégories mentales développées par les adversaires du foulard et de déceler les nouvelles formes de dialectique postcoloniale présentées sous des modes plus tacites. L’imbrication de plusieurs systèmes de domination, l’intersectionnalité des rapports sociaux de « race » et de sexe, mais aussi la culturalisation ou la « religiosation » de certains phénomènes sociaux amènent à poser la question d’une éventuelle nouvelle forme de racisme subtil présente dans ce débat.


INSTRUMENTALISATION DU DISCOURS FÉMINISTE POUR LÉGITIMER UNE FORME DE DOMINATION

Le mouvement féministe est loin d’être un bloc monolithique. Les divergences ont été particulièrement importantes lors de l’affaire du foulard. Jamais les principes d’égalité entre les sexes et d’émancipation des femmes n’ont été autant activés dans les cas qui concernent les femmes d’origine étrangère. Comme si le non-respect de ces valeurs était devenu l’apanage des communautés venant d’ailleurs, alors que les chiffres montrent bien que les violences faites aux femmes transcendent tous les groupes sociaux composant la société. Les arguments féministes allant dans le sens de l’interdiction du foulard à l’école ont été largement relayés dans le débat public par des militantes féministes, mais aussi par des hommes (politiques, journalistes, écrivains ou philosophes), qui se sont soudainement découverts féministes sans s’être mobilisés auparavant pour dénoncer les inégalités qui frappent toutes les femmes de nos sociétés.

Le principal argument féministe repose sur l’égalité des sexes, mais aussi sur la dénonciation de l’oppression des femmes musulmanes et du foulard comme symbole d’infériorité par rapport à l’homme. D’autres arguments féministes et/ou antiracistes (minoritaires) vont plutôt dénoncer le caractère discriminatoire, voire raciste, d’une interdiction généralisée du port du foulard à l’école. Entre les deux, beaucoup ne savent quelle position prendre. On ne reviendra pas sur tous les arguments féministes développés contre le foulard. Ils sont nombreux et peuvent être aisément déconstruits. On ne prendra qu’un exemple. L’idée que le foulard serait le seul symbole de soumission à l’égard des hommes serait omettre le fait que d’autres types de vêtements « occidentaux » pourraient également revêtir un caractère sexué car représentant une autre forme de soumission au regard masculin.

Certaines militantes féministes vont ainsi dénoncer une instrumentalisation de la cause des femmes par une politique caractérisée par un discours d’exclusion et de discrimination. C’est dans ce sens que la féministe Christine Delphy (2008) dira qu’un mouvement contre l’oppression ne peut explicitement ou implicitement opprimer d’autres groupes. Dans ce sens, le défi du discours féministe sera de ne pas imposer une vision ethnocentrique de l’universalisme occidental comme seul chemin d’accès à l’universel.


LA LECTURE FÉMINISTE POSTCOLONIALE

Depuis quelques années seulement, on voit apparaitre dans la littérature francophone des analyses basées sur les postcolonial studies, alors qu’elles sont largement répandues depuis les années quatre-vingt dans le monde anglo-saxon. Il est difficile de définir avec précision le concept de postcolonialisme, dont l’enjeu majeur est avant tout d’examiner les articulations des différents systèmes de domination marqués par une certaine perception de l’altérité. Notre propos n’est pas ici de développer, ni de déconstruire les études postcoloniales, mais d’utiliser cette grille de lecture pour développer un angle d’analyse sur la façon dont le débat sur le foulard a révélé une certaine forme de domination spécifique liée à l’identité culturelle ou à l’origine ethnique tout en étant combiné à une domination sociale.Malgré les critiques et les limites des études postcoloniales, on peut mettre en évidence un certain nombre d’atouts. En effet, la grille de lecture postcoloniale met en évidence des logiques trop souvent occultées car elle révèle les rapports particuliers que peuvent entretenir le dominant avec des populations étrangères ou d’origine étrangère.

Les théories féministes postcoloniales vont plus en profondeur dans l’analyse en examinant les rapports de classe et de race, mais en intégrant aussi les rapports de genre. L’intérêt de la mise en relation des théories féministes avec les études postcoloniales est qu’elle permet de mettre en évidence l’imbrication des différents systèmes de domination et d’oppression. Ainsi, le féminisme postcolonial met en évidence d’autres dimensions telle que la classe sociale et l’ethnicité pour essayer de développer des entrecroisements entre ces différents facteurs et la dimension genre pour expliquer certaines formes d’oppression. Cette grille de lecture remet également en question les théories féministes occidentales en apportant de nouveaux outils d’analyse.

Quel est le rapport entre ce féminisme postcolonial et l’objet de cette contribution ? L’intérêt de ce cadre théorique permet de critiquer les représentations véhiculées par les féministes occidentales sur les femmes issues de pays tiers, en mettant en évidence leur statut de victime. Parmi ces représentations, il y a l’idée des femmes « à sauver » avec une constante logique civilisatrice qui a pour conséquence une autre forme de domination qui s’exerce, cette fois, entre femmes. Ce discours féministe postcolonial peut s’avérer perturbant car en mettant en évidence le fait qu’il y ait plusieurs chemins pour accéder à l’émancipation, il remet en cause une certaine vision du féminisme universel classique.

En devenant sujet et non plus objet des analyses féministes, ces femmes postcoloniales ont développé leurs propres stratégies d’émancipation et de libération pour lutter contre la domination machiste. Souvent avec les hommes, et pas contre eux. Elles tirent fréquemment la source de leurs combats dans leurs traditions ou leurs textes scripturaires pour définir une nouvelle façon d’affirmer leur féminité. Dans ce cadre, il est utile de rappeler que les femmes musulmanes doivent souvent se battre — à l’intérieur — contre certaines traditions patriarcales, mais qu’elles doivent aussi lutter — à l’extérieur — contre les différentes formes de discrimination basées sur le racisme et/ou les préjugés. Parce qu’elles sont femmes, qu’elles sont d’origine étrangère et parce qu’elles ont choisi de faire ce qu’elles veulent de leur corps en optant pour le choix de porter un foulard, ces femmes doivent résister sur plusieurs fronts.

Par ailleurs, le féminisme postcolonial développe tant ses critiques par rapport à l’androcentrisme des études postcoloniales qu’à l’ethnocentrisme du féminisme occidental. Cela étant, on peut reprocher aux études (féministes) postcoloniales de reproduire les logiques qu’elles-mêmes critiquent. En établissant des oppositions entre les dominants et les dominés, les Occidentaux et les autres, etc. Ces grilles de lecture présentent également le biais de l’assignation identitaire et de l’essentialisation des appartenances. Il est donc important de souligner que les catégorisations présentent des limites pour l’analyse des rapports de force.


UN DISCOURS QUI VOILE UN RACISME QUI NE DIT PAS TOUJOURS SON NOM…

 À partir de la grille de lecture féministe postcoloniale, la variable « ethnicité » sera examinée à travers l’hypothèse d’une éventuelle racialisation du débat sur le foulard qui se révèle avec une culturalisation et/ou une « religiosation » des questions sociales. Il faut impérativement sortir de ces assignations identitaires qui consistent à renvoyer à des groupes spécifi és (les Turcs, les Marocains, les musulmans, etc.) des traits quasi immuables plutôt que de cadrer l’analyse dans un contexte socioéconomique. Dès lors, posons la question d’une éventuelle forme de racisme subtil présente dans l’argumentaire développé par les adversaires du port du foulard. Bien entendu, précisons d’emblée que toutes les personnes qui soutiennent l’interdiction du foulard à l’école ou au travail ne sont pas toutes motivées par des raisons racistes. L’idée n’est pas d’imputer à tous les prohibitionnistes du foulard des desseins islamophobes, mais plutôt de reprendre certaines critiques dénonçant une logique parfois raciste dans le discours.

 À partir du concept d’hétérophobie, Albert Memmi (1982) définit le racisme comme étant « […] la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges ». À cela, il ajoute que la finalité du racisme demeure l’exclusion et la domination. À partir de ce point de vue, peut-on donc suggérer qu’il y a parfois du racisme dans les arguments qui incitent certains à interdire le port du foulard dans les écoles ? Exercice périlleux. Cela étant, les enquêtes d’opinion en Belgique ou en Europe (l’eurobaromètre de 1997 sur le racisme et la xénophobie dans l’UE, l’eurobaromètre de 2000 sur les attitudes envers les minorités dans l’UE et l’eurobaromètre de 2007 sur les discriminations dans l’UE) montrent bien qu’il y a des formes de rejet à l’égard de l’étranger ou des personnes d’origine étrangère et plus particulièrement à l’égard des musulmans.

 Une étude scientifique de l’université catholique de Louvain (Saroglou et alii, 2009) a justement posé la question d’un éventuel lien entre le foulard et une certaine forme de racisme. Cette recherche avait fait beaucoup de bruit car elle a entamé le débat sur certaines motivations expliquant le choix d’interdire le foulard. Les résultats montrent que l’hostilité à l’égard du foulard est souvent motivée par des préjugés anti immigration et la peur de la différence. Dans un entretien accordé au journal Le Soir, le professeur qui a dirigé cette recherche explique que « contrairement à l’idée reçue, c’est donc principalement le racisme qui suscite en grande partie l’hostilité au voile. Mais il n’est pas exclu que la présence marquée du voile dans l’espace public alimente un racisme sous-jacent [2] ». 

Cette recherche a ainsi démontré que l’aversion de certains à l’égard du foulard était justifiée par une certaine forme de racisme subtil. Bien entendu, ces résultats ne signifient pas que toutes les personnes hostiles au port du foulard soient animées par un sentiment raciste, mais il peut partiellement expliquer certaines motivations.
 
 Dans son ouvrage, sur L’affaire du foulard islamique, Said Bouamama (2004) dénonce la construction d’un discours politique caractérisé par la stigmatisation et l’exclusion de groupes bien déterminés, développant ainsi une certaine forme de « racisme respectable », implicite et subtil. Pierre Tévanian (2007) n’hésite pas lui à décrire de nouvelles formes qui fondent le racisme contemporain basé sur une certaine rhétorique féministe et laïque. Il parle d’ailleurs de « racisme républicain » qui vise une population bien spécifique et qui use de métaphores laïques, féministes ou républicaines pour désigner en réalité une cible bien précise : la communauté musulmane. D’autres vont aussi utiliser le concept de racisme sur la base du fait que des groupes d’individus sont désignés dans le débat à partir de leurs origines ou de leurs confessions et sont stigmatisés en tant que tels ou encore sur l’idée que certaines cultures racialisées seraient par essence sexistes.L’une des figures du féminisme français, Christine Delphy (2006), va également suggérer qu’une loi interdisant le foulard s’inscrirait dans une dynamique caractérisée par « une islamophobie qui prend le relais du racisme antiarabe, et qui trouve là aussi un appui médiatique pour construire un islam imaginaire et dangereux ». L’argument féministe arrive, donc selon elle, à légitimer et à cautionner une certaine forme de racisme par un rapport différencié basé sur l’essentialisation de certains groupes. Pour elle, ce discours est tellement banalisé que, non seulement il ne choque plus, mais pis encore, il permet de justifier des propositions de loi visant à restreindre les libertés individuelles. Il ne s’agit pas, pour Christine Delphy, de ne pas condamner les pratiques machistes ou sexistes, bien au contraire, mais plutôt de dénoncer l’ethnicisation des oppressions et des inégalités envers les femmes. S’inscrivant dans cette logique féministe postcoloniale, elle affirmera par ailleurs avec force que la loi contre le foulard serait une loi discriminatoire, sexiste et raciste.

 Enfin, il est important de souligner le fait que ces mécanismes de domination, qu’elle soit sociale, sexiste, ou raciste, ne sont pas toujours conscients. Bien au contraire, on trouvera aisément des adversaires du port du foulard dans les écoles ou au travail, qui sont engagés dans la lutte antiraciste. Cela étant, l’examen des argumentations développées par quelques tenants du discours prohibitionniste révèle parfois une certaine forme de racisme tacite de par l’ethnicisation de certaines explications. De manière générale, il serait plus judicieux de parler d’une construction institutionnalisée et légitimée d’une certaine forme de peur liée au développement de la diversité ethnoculturelle dans nos sociétés.

LE DÉFI D’UNE GESTION SEREINE DE LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE

Plusieurs phénomènes contemporains mettent en évidence les thématiques de l’identité et de l’altérité qui posent le défi d’une gestion sereine et pacifi ée de la diversité ethnoculturelle dans les sociétés occidentales, qui soit respectueuse des différences des individus composant notre société. Le débat sur ce tissu, nommé foulard ou voile, est souvent expliqué par la crainte d’une islamisation de nos sociétés à travers l’imposition de la charia, mais il témoigne aussi parfois du refus d’accepter une réalité nouvelle, celle de la visibilité des citoyens européens de confession musulmane dans l’espace public. Il est important que, malgré les divergences de points de vue, les féministes reviennent à ce qui a constitué le point de départ du mouvement, à savoir la lutte contre la domination masculine. Qu’importent les origines, les classes sociales, le niveau intellectuel, etc. Toutes les femmes ont en commun le défi de résister aux oppressions machistes, avec les hommes qui partagent le même combat. Que ce soit pour lutter contre les mariages forcés, l’excision ou l’imposition du foulard, mais aussi pour l’égalité salariale ou la répartition équitable des tâches familiales et ménagères.

Il faudra dès lors refuser les assignations identitaires et sortir des cloisons communautaires de part et d’autre (les Occidentales ou les Blanches versus les autres), ce qui permettra de rompre avec les rapports de domination en développant un front commun en matière de lutte contre le machisme, le racisme et toutes formes de discrimination… sans complaisance, ni condescendance. !
 

___________________________
[1] La violence symbolique est un concept développé par Bourdieu qu’il définit comme étant « tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force ». Bourdieu P., Esquisse d’une théorie de la pratique, Droz, 1972, p. 18.

[2] Gutiérrez R., « Le port du voile heurte les Belges », dans Le Soir, 26 mai 2007.


Bibliographie

Bouamama S. (2004), L’affirmation du foulard islamique. La production d’un racisme respectable, Le Geai bleu.

Delphy Chr. (2006), « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles questions féministes, volume XXV, n° 1.

Delphy Chr. (2008), Classer, dominer : qui sont les autres ?, La Fabrique.

Memmi A. (1982), Le racisme, Gallimard.

Saroglou V., Lamkaddem B., Van Pachterbeke M., Buxant C. (2009), « Host society’s dislike of the Islamic veil : The role of subtle prejudice, values, and religion », International Journal for Intercultural Relations, n° 33, p. 419-428.

Tévanian P. (2007), La République du mépris. Les métamorphoses du racisme dans la France des années Sarkozy, La Découverte.





1.Posté par Isabelle CEREIIJO le 08/09/2013 09:26
" des citoyennes européennes d'origine musulmane"...qu'est ce donc ? mes cheveux se hisse sur la tête !!! alors les européens convertis à l'Islam, sont quoi ? des musulmans d'origine européenne ? Il y a une confusion entre culture et religion qui me gène, d'autant que l'on parle d'une religion universelle devant laquelle il n'y a plus ni orient ni occident




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