« ... amener l’institution scolaire à utiliser les arguments de la cohésion républicaine contre ceux de la tolérance démocratique. C’est opposer République et démocratie alors que les deux notions devraient être conçues comme complémentaires ... Proscrire le foulard à l’école, c’est aussi dans le contexte national actuel, désigner une partie de la population, celle qui est issue de l’immigration venue des pays musulmans, comme cible de toutes les peurs de la société ».
A un moment ou la question du foulard ressurgit dans l'enceinte de l'université, pourtant haut lieu d'universalisme, il nous a semblé interessant de revenir sur « l'affaire des foulards » du début des années 90 qui déboucha à l'époque sur la mise en place de la « circulaire Bayrou ». C'est chose faite ici au travers de la recension de l'ouvrage «Le foulard et la République», écrit au moment des faits par deux sociologues, Françoise Gaspard et Fahrad Khosrow-Khavar.
A un moment ou la question du foulard ressurgit dans l'enceinte de l'université, pourtant haut lieu d'universalisme, il nous a semblé interessant de revenir sur « l'affaire des foulards » du début des années 90 qui déboucha à l'époque sur la mise en place de la « circulaire Bayrou ». C'est chose faite ici au travers de la recension de l'ouvrage «Le foulard et la République», écrit au moment des faits par deux sociologues, Françoise Gaspard et Fahrad Khosrow-Khavar.
Broché: 214 pages
Editeur : La Découverte (14 février 1995)
Langue : Français
ISBN-10: 2707124281
Le livre des deux sociologues - un homme d’origine iranienne et une femme de culture laïque, comme les auteurs le précisent dès le premier chapitre - est le premier qui donne la parole à ces « jeunes filles voilées » qui ont été à deux moments de ces dix dernières années, en 1989 et 1994, le centre de l’actualité et l’objet de discours et de débats enflammés (1). Les entretiens qui ont été réalisés avant la « nouvelle affaire des foulards » de l’automne 1994, mais publiés après, s’inséraient dans le cadre d’une étude sur « les rapports sociaux de sexe au sein des banlieues des villes françaises ». L’originalité de l’ouvrage est qu’il se situe à la fois « du côté des jeunes filles voilées » - c’est le titre de la première partie du livre -, et « du côté de la République » dans la seconde partie qui replace « l’affaire » dans le contexte politique et social de la France de la fin des années 1980, le deuxième septennat de François Mitterrand, la crise de la laïcité et le refus de l’islam en France. La solution choisie - interdire le « voile » à l’école - c’est, écrivent-ils dans leur conclusion,
Le Conseil d’État en se situant sur un autre terrain - celui du droit - vient tout récemment, le 10 juillet 1995, de conclure qu’il ne peut y avoir d’interdiction générale et d’exclusion automatique des établissements scolaires, pour les jeunes filles en « foulard », même si la circulaire Bayrou de septembre 1994 et les règlements intérieurs des lycées et collèges, modifiés en nombre dans la foulée, le prévoyaient. Les mesures d’exclusion de dix-huit lycéennes musulmanes de Strasbourg ont été cassées et le jugement fait jurisprudence : tout cas doit être examiné individuellement, le « foulard » n’est pas « par nature » un signe ostentatoire.
Ce point de droit ne fait que légitimer les analyses des deux sociologues. Elle et il soulignent que le port du « voile » n’a pas un sens univoque et distinguent trois modèles : celui des femmes traditionnelles d’un certain âge, celui des adolescentes et celui de jeunes filles ou femmes de 18 à 25 ans, acculturées par l’école française. Les premières manifestent ainsi l’attachement à leurs traditions ancestrales. Pour les adolescentes, le port du « foulard » les aide à pouvoir sortir de la maison et l’école peut leur permettre d’effectuer le passage de la tradition à la modernité à condition qu’elles ne soient pas rejetées par une intolérance excessive. Elles peuvent être alors coincées entre une famille répressive - où les frères jouent souvent le rôle de gardien - et une société et une école d’autant plus réprobatrices que les jeunes filles sont assimilées aux propagandistes intégristes de l’Iran ou de l’Algérie. Dans le troisième modèle, en revanche, le « voile » peut être revendiqué par des filles ou des femmes bien intégrées par leurs études et leur statut socio-économique, comme une manière d’affirmer leur identité dans une société française qui les rejette, une manière de revendiquer leur différence en même temps que leur visibilité dans l’espace public. Le danger est que la diabolisation qui est faite de l’islam rejette ces jeunes femmes du côté d’une forme d’islam intolérant et sectaire.
Les deux sociologues affirment qu’au cours de leur enquête de terrain - une centaine d’entretiens de deux heures chacun étalés sur plus de deux ans - il et elle n’ont rencontré aucune propagandiste islamiste (liée au FIS par exemple). Dans le chapitre intitulé « Biographies voilées », divers portraits ont été tracés pour refléter la diversité des sens du « voile » : du « voile » revendiqué au « foulard » imposé, du « foulard » porté lâche au « voile » purificateur. Pour la première fois, en particulier dans les cinq entretiens retranscrits, la parole est donnée aux actrices qui expliquent leurs motivations, en dehors du spectacle médiatique des « affaires ».
Dans la seconde partie, les deux sociologues resituent le problème dans l’espace politique et historique français et soulignent qu’il ne faut pas analyser le port du « foulard » dans un pays démocratique et laïque de la même façon que dans un pays musulman où la lutte des intégristes pour l’imposer aux femmes, violemment parfois, est partie prenante d’un combat politique dans lequel, au reste, le gouvernement et l’armée ne s’embarrassent pas plus de principes démocratiques - voir l’exemple de l’Algérie d’aujourd’hui. Il et elle rappellent aussi que les contraintes vestimentaires et corporelles, il n’y a pas si longtemps en France, étaient aussi le lot des filles et des femmes : sortir tête nue, porter le pantalon, se maquiller furent, dans la France profonde, jusqu’il y a une trentaine d’années, des actes considérés comme des provocations.
Mais c’est moins le statut d’opprimées des filles et des femmes « voilées » qui a été mis en avant dans les « affaires de foulards français » que celui de la laïcité, de l’islam et de l’intégration de l’immigration. Le Conseil d’État n’a pas contredit une des fortes affirmations que l’on trouve à la fin de ce livre :
« ... amener l’institution scolaire à utiliser les arguments de la cohésion républicaine contre ceux de la tolérance démocratique. C’est opposer République et démocratie alors que les deux notions devraient être conçues comme complémentaires ... Proscrire le foulard à l’école, c’est aussi dans le contexte national actuel, désigner une partie de la population, celle qui est issue de l’immigration venue des pays musulmans, comme cible de toutes les peurs de la société ».
Le Conseil d’État en se situant sur un autre terrain - celui du droit - vient tout récemment, le 10 juillet 1995, de conclure qu’il ne peut y avoir d’interdiction générale et d’exclusion automatique des établissements scolaires, pour les jeunes filles en « foulard », même si la circulaire Bayrou de septembre 1994 et les règlements intérieurs des lycées et collèges, modifiés en nombre dans la foulée, le prévoyaient. Les mesures d’exclusion de dix-huit lycéennes musulmanes de Strasbourg ont été cassées et le jugement fait jurisprudence : tout cas doit être examiné individuellement, le « foulard » n’est pas « par nature » un signe ostentatoire.
Ce point de droit ne fait que légitimer les analyses des deux sociologues. Elle et il soulignent que le port du « voile » n’a pas un sens univoque et distinguent trois modèles : celui des femmes traditionnelles d’un certain âge, celui des adolescentes et celui de jeunes filles ou femmes de 18 à 25 ans, acculturées par l’école française. Les premières manifestent ainsi l’attachement à leurs traditions ancestrales. Pour les adolescentes, le port du « foulard » les aide à pouvoir sortir de la maison et l’école peut leur permettre d’effectuer le passage de la tradition à la modernité à condition qu’elles ne soient pas rejetées par une intolérance excessive. Elles peuvent être alors coincées entre une famille répressive - où les frères jouent souvent le rôle de gardien - et une société et une école d’autant plus réprobatrices que les jeunes filles sont assimilées aux propagandistes intégristes de l’Iran ou de l’Algérie. Dans le troisième modèle, en revanche, le « voile » peut être revendiqué par des filles ou des femmes bien intégrées par leurs études et leur statut socio-économique, comme une manière d’affirmer leur identité dans une société française qui les rejette, une manière de revendiquer leur différence en même temps que leur visibilité dans l’espace public. Le danger est que la diabolisation qui est faite de l’islam rejette ces jeunes femmes du côté d’une forme d’islam intolérant et sectaire.
Les deux sociologues affirment qu’au cours de leur enquête de terrain - une centaine d’entretiens de deux heures chacun étalés sur plus de deux ans - il et elle n’ont rencontré aucune propagandiste islamiste (liée au FIS par exemple). Dans le chapitre intitulé « Biographies voilées », divers portraits ont été tracés pour refléter la diversité des sens du « voile » : du « voile » revendiqué au « foulard » imposé, du « foulard » porté lâche au « voile » purificateur. Pour la première fois, en particulier dans les cinq entretiens retranscrits, la parole est donnée aux actrices qui expliquent leurs motivations, en dehors du spectacle médiatique des « affaires ».
Dans la seconde partie, les deux sociologues resituent le problème dans l’espace politique et historique français et soulignent qu’il ne faut pas analyser le port du « foulard » dans un pays démocratique et laïque de la même façon que dans un pays musulman où la lutte des intégristes pour l’imposer aux femmes, violemment parfois, est partie prenante d’un combat politique dans lequel, au reste, le gouvernement et l’armée ne s’embarrassent pas plus de principes démocratiques - voir l’exemple de l’Algérie d’aujourd’hui. Il et elle rappellent aussi que les contraintes vestimentaires et corporelles, il n’y a pas si longtemps en France, étaient aussi le lot des filles et des femmes : sortir tête nue, porter le pantalon, se maquiller furent, dans la France profonde, jusqu’il y a une trentaine d’années, des actes considérés comme des provocations.
Mais c’est moins le statut d’opprimées des filles et des femmes « voilées » qui a été mis en avant dans les « affaires de foulards français » que celui de la laïcité, de l’islam et de l’intégration de l’immigration. Le Conseil d’État n’a pas contredit une des fortes affirmations que l’on trouve à la fin de ce livre :
« Exclure des filles de l’école publique, n’est-ce pas aujourd’hui, si l’on pense en termes d’égalité entre les personnes, se tromper d’adversaire, de méthode et d’époque... N’est-ce pas adopter une mesure de nature sexiste puisqu’elle conduit à rompre l’égalité entre les filles et les garçons face à l’obligation scolaire ? ».
Ce livre est un livre important avant tout parce qu’il donne la parole à celles qui sont directement concernées par le « problème ». Il est important parce qu’il le replace dans un contexte historique et une chronologie. On pourrait s’interroger cependant sur l’utilisation indifférenciée - et revendiquée en raison de sa « commodité » - des termes « foulard » et « voile », dont l’historicité de l’apparition avait été cependant soulignée au début du livre. Il aurait été intéressant de mesurer plus précisément quand et par qui ces deux termes étaient employés et quelles étaient et sont encore leurs connotations sous-jacentes. Edgar Morin avait fait, dans Libération, un bel article sur le « je ne sais comment le nommer ». Par ailleurs, l’analyse de ce que les auteurs appellent « la crise de l’école » est très rapide et convenue et mériterait une enquête plus approfondie. Enfin l’histoire et même la politique semblent parfois traitées cavalièrement. L’histoire de la laïcité à l’école ressemble un peu à une image d’Épinal ; la colonisation et la guerre d’Algérie ne sont pas évoquées comme éléments constitutifs importants - même s’ils relèvent du refoulé (2) - de la formation d’une « opinion française » sur l’islam. Enfin, même si les positions des « intellectuels philosophes républicains » transcendent les courants politiques, la démarche de M. Bayrou s’est inscrite dans une logique gouvernementale précise, dans cette période pré-électorale, marquée le mois précédent, en août 1994, par les arrestations et les expulsions spectaculaires et illégales « d’islamistes dangereux » à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua. Intellectuels de gauche à leur insu et hommes politiques de droite confortent ainsi indirectement, via la diabolisation de l’islam et de la communauté musulmane en France, un discours anti-immigrés tenu ailleurs avec quelque succès. Ces réflexions ne sauraient diminuer le mérite de ce livre qui pose courageusement de vraies questions, tout en défendant le combat pour la parité des hommes et des femmes dans la République.
Cette recension a déjà fait l'objet d'une publication : Michelle ZANCARINI-FOURNEL, « Françoise GASPARD et Fahrad KHOSROW-KHAVAR, Le foulard et la République », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 2 | 1995, mis en ligne le 01 janvier 2005, URL : http://clio.revues.org/510
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Notes
(1) Dans un billet du Nouvel Observateur le 5-XI-1992, Jacques Julliard a reconnu qu’au moment où, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin était mis à bas - ce qui changea tout de même la face du monde - dans les salons intellectuels parisiens on ne parlait que du « foulard ». À l’École des Hautes Études à l’automne 1994, la directrice adjointe du même journal déclarait que la « nouvelle affaire des foulards » conduirait la France tout droit à l’intégrisme et au fascisme, comme dans les années 1930, s’il n’y avait pas de réaction. Elle faisait écho à la lettre signée le 2 novembre 1989 par cinq philosophes « L’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine... ».
(2) Voir les travaux de Benjamin Stora et, en particulier, La gangrène et l’oubli, La Découverte, 1991.
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Notes
(1) Dans un billet du Nouvel Observateur le 5-XI-1992, Jacques Julliard a reconnu qu’au moment où, le 9 novembre 1989, le mur de Berlin était mis à bas - ce qui changea tout de même la face du monde - dans les salons intellectuels parisiens on ne parlait que du « foulard ». À l’École des Hautes Études à l’automne 1994, la directrice adjointe du même journal déclarait que la « nouvelle affaire des foulards » conduirait la France tout droit à l’intégrisme et au fascisme, comme dans les années 1930, s’il n’y avait pas de réaction. Elle faisait écho à la lettre signée le 2 novembre 1989 par cinq philosophes « L’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine... ».
(2) Voir les travaux de Benjamin Stora et, en particulier, La gangrène et l’oubli, La Découverte, 1991.