Le gouvernement a déposé le 7 novembre dernier en conseil des ministres un projet de loi autorisant le mariage pour tous, appelation euphémistique désignant le droit pour les homosexuels à s'unir devant un maire. Ce projet entérine officiellement et institutionnalise une rupture fondamentale : l'abandon de la reconnaissance normative et constitutive qu'est la différence des sexes. Cette norme anthropologique que l'on peut à juste titre qualifier d'universelle est ou a été sans doute l'un des rares et précieux dénominateurs communs de l'ensemble des sociétés humaines, des traditions et des civilisations qui ont traversé le ciel de l'Histoire. Le mariage, loin d'avoir constitué une spécificité des religions monothéistes, a été effectivement la forme majeure et dominante de cette reconnaissance sociale fondée sur la différence des sexes, différence nécessaire, complémentaire, condition de la possibilité du genre humain et garantie de sa pérennité à travers la fondation familiale. «La famille, écrivait Claude Lévy-Strauss dans Les Structures élémentaires de la Parenté, (est) fondée sur l'union plus ou moins durable, mais socialement approuvée, de deux individus de sexes différents qui fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, (et) apparaît comme un phénomène pratiquement universel, présent dans tous les types de société». C'est ce modèle ancestral que le mariage homosexuel remet radicalement en cause en voulant dissoudre l'ancienne norme et lui en substituer une nouvelle : la suprématie sociale du désir sur les lois naturelles (que l'on peut rapprocher de la notion islamique de fitra
). On nous rétorquera sans doute cette objection : le désir est-il autre chose que la manifestation d'une tendance naturelle et propre à l'homme ?
A quoi nous répondons ceci : le désir, à une époque dominée par les impératifs catégoriques du consumérisme global, n'a que peu de chose à voir avec les besoins authentiques et les aspirations naturelles de l'homme et tout à voir avec la notion culturelle de «superflu» dans tout ce qu'elle peut avoir de dérisoire et d'absurde. Mais ces considérations préliminaires ne nous permettent pas encore de comprendre comment nous en sommes arrivés là. En vérité, la consécration juridique prochaine du mariage homosexuel par les socialistes n'a rien de surprenant lorsqu'on la replace dans son contexte idéologique. La levée du tabou de l'homosexualité en Europe avait ouvert la voie à sa banalisation et celle-ci, à sa reconnaissance sociale. Le mariage homo n'est qu'une nouvelle étape franchie dans ce processus mené encore et toujours au nom du sacro-saint progrès de la modernité qui est ici le produit à la fois de la logique libérale appliquée aux moeurs, ou plus exactement d'une philosophie libertaire, hédoniste qui renverse la hiérarchie traditionnelle des valeurs, sacralisant au passage les désirs de l'homme et profanant allègrement les valeurs transcendantes et leur source divine. Marx disait en ce sens que «la critique de la religion aboutit à cette doctrine que l'homme est pour l'homme l'être suprême», celui-ci se substituant à tout l'ordre moral, intellectuel et métaphysique issu de la tradition, pour inaugurer en lieu et place une ère nouvelle fondée sur l'humanisme intégral. Nous y reviendrons.
Au nom de l'égalité
Les homosexuels fondent leur revendication sur un principe républicain : le respect de leur liberté sexuelle et leur revendication d'un droit au mariage, au nom de l'égalité. Il serait plus juste de dire que cette revendication traduit plutôt un projet égalitariste qu'égalitaire. L'égalitarisme est une posture qui tend à faire disparaître toute forme de différence, de particularité et considère que le dépassement de ces différences est susceptible de garantir une égalité, non plus seulement de droit, mais de fait. On peut par ailleurs considérer que cet égalitarisme ne signifie rien moins ici qu'un anarchisme, le désordre ambiant et l'absence d'autorité favorisant les états généraux de déliquescence. Il vise paradoxalement pour les couples homosexuels à l'uniformité confuse et indistincte des genres et des statuts, dans la logique libertaire du principe de transgression des normes qui l'anime, étant entendu que cette transgression, en renversant l'organisation sociale établie, produit un mélange des genres qui abolit toutes les frontières indispensables à la pérennité de la vie humaine.
A ce stade de notre sujet, la lecture de l'oeuvre de René Guénon nous semble des plus utiles. Guénon qui définissait la modernité comme un mouvement foncièrement antitraditionnel a identifié et analysé quelques-unes de ses particularités. Parmi celles-ci, l'individualisme ou humanisme qu'il définit comme cette attitude qui consiste à nier tout principe supérieur à l'homme. Cette négation des principes ayant conduit les sociétés modernes à un chaos social caractérisé par un certain nombre de
symptômes : leur matérialisme populaire, leur réductionnisme sensitif, leur rationalisme borné et leur relativisme général. Pour René Guénon, ces sociétés se sont dispersées dans la multiplicité d'un devenir aveugle coupé de toutes références authentiques qui les mèneront tôt ou tard à leur perte, si un changement profond, que des élites intellectuelles pourraient préparer, n'est pas amorcé.
Une inversion des valeurs
L'avènement de ce mariage homosexuel participe absolument de l'émergence de ce chaos normatif et social provoqué par cette transgression morale que l'on peut qualifier d'obsessionnelle. En effet, la sécularisation qui est l'une des formes prises par la modernité, a su agir en deux siècles comme un acide sur l'ensemble des principes, des normes et des interdits fondateurs qui constituaient la moelle de la tradition et de ses institutions (famille, collectivité, principe d'autorité, attachement à la notion de vérité, de justice, sacralité de la vie...). On sait depuis longtemps que la notion de liberté est inséparable de celle de limite, et sur ce terrain religions et philosophies morales se rejoignent. Paradoxalement donc, le développement ininterrompu de cette logique transgressive, en dissolvant toujours plus ces limites naturelles et constitutives de l'homme, a produit une époque marquée par le recul de la Liberté bien comprise, c'est à dire en tant qu'elle demeure l'expression du Droit, pour favoriser la satisfaction de libertés individuelles en tant qu'elles manifestent le Désir.
Cette subversion axiologique ne s'est pas arrêtée là comme l'explique très bien Guénon : à la recherche de la Vérité, s'est progressivement substituée celle de l'Utile et à la recherche du Bien, on a préféré celle du Mieux, celui-ci étant l'ennemi de celui-là comme l'enseigne l'adage qui confirme cette inversion des valeurs. Sur le plan des moeurs, cette logique a fait reculer l'institution du mariage remplacé progressivement par l'amour libre, autrement dit sans réel engagement, ou fragilisé par la banalisation de l'adultère, vécu comme inéluctable du fait de l'attractivité sexuelle naturelle entre hommes et femmes. L'atomisation sociale a célébré le règne de l'individu sur la collectivité, la désacralisation de la vie et l'agnosticisme, par le désespoir qu'ils véhiculent, ont favorisé l'accroissement du suicide, et l'homosexualité, bien qu'étant une pratique ancienne, a trouvé dans ce terreau idéologique le levain propice à son épanouissement de mêmes que d'autres pratiques sexuelles dites transgressives telles que la bisexualité, la transsexualité, l'échangisme... Au-delà de leur spécificité, ces pratiques sont toutes l'expression inconsciente ou assumée d'une volonté de violer certaines règles morales socialement admises, cette violation étant la source d'un plaisir qui reste ici la seule finalité poursuivie.
Ce que disent les institutions de l'islam
On le sait, les religions monothéistes et certaines doctrines orientales condamnent toutes l'homosexualité jugée comme une pratique immorale, contre-nature, perverse et identifiée dans les religions du Livre comme une innovation du peuple de Sodome qui fut anéantie par Dieu, outre son incrédulité, pour ses moeurs, comme le mentionne la Torah et le Coran. Si l'homosexualité est rigoureusement proscrite, a fortiori le mariage homosexuel l'est donc davantage. En France, des organisations de représentation du culte musulman ont exprimé publiquement leur position de refus de ce mariage sur la base d'une argumentation qu'il est intéressant d'étudier. Deux instances en particulier se sont notamment exprimées : le Conseil français du culte musulman et l'Union des organisations islamiques de France. Le premier adopte dans son argumentation, une approche purement formelle et juridique, indiquant que les sources musulmanes définisse le mariage comme un «acte fondé sur le consentement mutuel en vue d’établir une union légale et durable (Coran, s 4, v. 21), entre un homme et une femme. Il a pour but la vie dans la fidélité réciproque et la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux». C'est donc au nom de cette définition précise que le CFCM déclare la «non-conformité du «mariage homosexuel» avec les principes de la jurisprudence musulmane (qui) fait l’unanimité au sein de toutes les écoles juridiques musulmanes». On remarquera que le CFCM ne rappelle pas que l'islam, au même titre que le judaïsme et le christianisme, condamne fermement l'homosexualité en tant que pratique et ceci indépendamment des expressions juridiques ou sociales que celle-ci pourrait revêtir.
Ce silence est révélateur d'un certain abandon de la part des autorités religieuses ou à tout le moins d'une gêne à devoir endosser la responsabilité d'une condamnation morale et catégorique de l'homosexualité alors même que cette dernière est protégée par des lois qui garantisse sa pratique. Conflit d'autorité entre Dieu et la république ou stratégie de communication visant à permettre l'expression d'une critique du mariage homo sans critiquer l'homosexualité elle-même, cette posture demeure néanmoins incohérente car on voit mal comment une critique du mariage homosexuel pourrait-être légitime si celle de l'homosexualité elle-même n'est pas revendiquée. Si les autorités religieuses de l'Islam de France n'assume pas une critique ouverte, franche et sincère de l'homosexualité, il n'est pas possible de se lancer dans celle du mariage homo qui n'est que l'aboutissement social et juridique prévisible du processus consubstantiel à la modernité que nous présentions précédemment, dans sa coloration libertaire. Ce manque de volontarisme ou de courage du CFCM sur ce dossier est le produit direct, on l'aura compris, d'une disqualification de l'autorité religieuse dans une société laïque et sécularisée. Une disqualification parfois intégrée par ces acteurs comme on peut le lire dans le communiqué du CFCM : «nous sommes conscients que les règles et les normes d’une religion ne peuvent être mises en avant pour s’opposer ou se soustraire aux normes et aux règles de la République qui s’appliquent à tous. Ces règles républicaines doivent être le résultat de débats et de choix démocratiques ouverts à tous les citoyens quelles que soient leurs conditions ou leurs convictions».
Les incohérences de l'Islam de France
Plus loin, la même instance tient à rappeler : « Par ailleurs, en présentant notre position sur le projet de loi, nous réaffirmons notre condamnation totale de toute forme d’atteinte qui viserait une personne en raison de ses opinions, de son appartenance religieuse ou de son orientation sexuelle. Et, à ce titre, nous condamnons fermement tout acte homophobe». Rappel juridique pour se prémunir de poursuites éventuelles ? Pour autant, la question moral de fond se pose : la condamnation de l'homosexualité dans son principe même relève-t-elle de l'homophobie ? Pour les homosexuels, sans aucun doute. Les autres arguments déployés par le CFCM sont un mélange de registres associant la tradition et la modernité : la protection de l'institution du mariage, celle des droits de l'enfant à avoir un père et une mère et quelques données statistiques sur la faible quantité de couples concernés par ce mariage. Quant à l'UOIF, les éléments mis en avant contre ce mariage homo sont à peu de choses près les mêmes : le respect de la loi universelle des couples (masculin/féminin), de la famille, de la filiation, les droits de l'enfant, le recours également aux données statistiques.
Là-encore, pas de condamnation directe de la pratique de l'homosexualité lorsque l'UOIF écrit : «Enfin, nous souhaitons rappeler que l’homophobie est condamnée par tous. Nous la condamnons fermement, mais cette discrimination n’est pas l’objet du débat. Il n’est pas non plus ici question de se prononcer en faveur ou contre l’homosexualité, puisque tout individu a le droit de mener sa vie privée comme il l’entend». Les mêmes critiques formulées plus haut s'appliquent une fois de plus car les positions de l'UOIF comme celles du CFCM font directement l'impasse sur le vrai sujet et tentent de le contourner. Nous ajoutons que cette attitude est d'autant plus préjudiciable qu'elle ne répond pas à leur vocation. En effet, les hommes attendent des institutions religieuses qu'elles présentent aussi clairement que possible la position des Textes sur un sujet déterminé. Leur mission n'est pas de convaincre ou de faire du prosélytisme mais d'exposer fidèlement ce que disent les sources, indépendamment de l'accueil fait à ses positions ou du changement de moeurs et de mentalités observés dans les sociétés et ceci, dans la mesure où une telle position religieuse existe dans le Livre ou la Tradition.
Ce n'est pas le choix qu'ont fait ces institutions qui louvoyent entre ces deux univers de référence, évoquant d'un côté leur crainte que «dans un monde moderne, globalisé et mouvant par définition, ne sommes-nous pas en train d’effacer, petit à petit, tous nos repères naturels et de déstabiliser ce sur quoi l’humanité s’est toujours fondée et a toujours continué à se préserver ?», tout en invoquant d'autre part, le «devoir de conscience» et les «principes universels sur lesquels la République française est fondée», autrement dit quelques-uns des éléments produits par la modernité, cette même modernité dont la vague de fond n'a pas cessé de noyer les sociétés et les esprits eux-mêmes, au point d'avoir considéré que deux individus de même sexe vivant en couple pouvaient se marier et fonder une famille, et que cette infamie constituait un progrès moral pour l'humanité.