Ce volume étudie la place et le devenir des cimetières et des tombes dans le monde musulman contemporain, en croisant les approches de l'islamologie, de l'anthropologie et des sciences sociales pour analyser le fait funéraire en islam dans ses dimensions religieuses, politiques et mémorielles.Extrait quatrième de couverture
Cette recension a déjà fait l'objet d'une publication dans la Bulletin critique des Annales islamologiques , 36 | 2022 sous licence Creative Commons (BY NC SA).
Quatrième de couverture
Ce volume étudie la place et le devenir des cimetières et des tombes dans le monde musulman contemporain, en croisant les approches de l'islamologie, de l'anthropologie et des sciences sociales pour analyser le fait funéraire en islam dans ses dimensions religieuses, politiques et mémorielles. Y sont abordés les croyances et pratiques entre orthodoxie et hétérodoxie (notamment au Pakistan); le culte des morts en islam en contexte socialiste (Chine, Kazakhstan); l'inhumation des musulmans en terre d'émigration (Royaume-Uni, Brésil); l'évolution de cimetières emblématiques du monde chiite (Iran, Liban). L'ensemble montre comment les intérêts politiques, les préceptes religieux et les besoins mémoriels se partagent en islam le pouvoir sur l'espace des morts et sa fréquentation par les vivants.
Lieux de mémoire où se conjuguent gestion de l'ici-bas et représentation de l'au-delà, les cimetières et les tombes occupent une place concrète et symbolique considérable dans les mondes musulmans. Porteurs de sens juridiques, éthiques et eschatologiques, rapportés à l'islam comme Loi révélée (sharî`a), ils font aussi l'objet de décisions politiques, d'appropriations sociales et de pressions économiques diverses. Comme fait social total, ils participent à la construction de la mémoire culturelle de la communauté. Dans cet ouvrage, cimetières et tombes des musulmans sont étudiés à travers les enjeux religieux, politiques et mémoriels que présentent leur habitation, leur gestion et leur fréquentation. Huit contributions analysent ces aspects selon les approches croisées de l'islamologie, de l'anthropologie et des sciences sociales. Après un aperçu des traditions textuelles, des études de cas contemporains couvrent un large spectre géographique, de la Chine au Brésil en passant par le Liban. Le dossier met en lumière la pluralité des statuts et des destins des défunts?: saints, héros ou morts ordinaires?; morts en pays d'islam, en terre socialiste ou en émigration. Il montre comment les évolutions sociétales transforment des lieux et des rites apparemment immuables, mais aussi comment des pratiques et croyances perdurent en dépit des aléas politiques. Il établit par-là que les cimetières demeurent des lieux vivants où se reflètent et se construisent les sociétés musulmanes.
Lieux de mémoire où se conjuguent gestion de l'ici-bas et représentation de l'au-delà, les cimetières et les tombes occupent une place concrète et symbolique considérable dans les mondes musulmans. Porteurs de sens juridiques, éthiques et eschatologiques, rapportés à l'islam comme Loi révélée (sharî`a), ils font aussi l'objet de décisions politiques, d'appropriations sociales et de pressions économiques diverses. Comme fait social total, ils participent à la construction de la mémoire culturelle de la communauté. Dans cet ouvrage, cimetières et tombes des musulmans sont étudiés à travers les enjeux religieux, politiques et mémoriels que présentent leur habitation, leur gestion et leur fréquentation. Huit contributions analysent ces aspects selon les approches croisées de l'islamologie, de l'anthropologie et des sciences sociales. Après un aperçu des traditions textuelles, des études de cas contemporains couvrent un large spectre géographique, de la Chine au Brésil en passant par le Liban. Le dossier met en lumière la pluralité des statuts et des destins des défunts?: saints, héros ou morts ordinaires?; morts en pays d'islam, en terre socialiste ou en émigration. Il montre comment les évolutions sociétales transforment des lieux et des rites apparemment immuables, mais aussi comment des pratiques et croyances perdurent en dépit des aléas politiques. Il établit par-là que les cimetières demeurent des lieux vivants où se reflètent et se construisent les sociétés musulmanes.
Compte-rendu
Bulle Tuil Leonetti
L’importance de l’étude du monde funéraire pour la connaissance des sociétés n’est aujourd’hui plus à démontrer, tout particulièrement pour les sociétés musulmanes où la religion accorde une place prépondérante au salut, et à la tombe comme lieu de transition pour y accéder. Cependant, cimetières et tombes musulmanes ont souvent été étudiés pour des aires culturelles et chronologiques limitées, dans des perspectives disciplinaires aux contours précis.
Ce constat s’applique à l’étude des mondes musulmans contemporains. Mathieu Terrier et Sepideh Parsapajouh le rappellent dans leur introduction, culte des saints et sanctuaires dans l’islam contemporain ont fait l’objet de nombreuses études, de même que la mort en migration. Dans une perspective qu’ils souhaitent pluridisciplinaire et pluridimensionnelle, les contributions rassemblées ici permettent de renouveler l’étude du fait funéraire en évoquant les différentes catégories de défunts, du plus prestigieux au plus humble, dans différentes aires culturelles et géographiques, et dans les milieux urbains et ruraux.
Ce dossier thématique publié dans la Remmm, intitulé « Cimetières et tombes dans les mondes musulmans. À la croisée des enjeux religieux, politiques et mémoriels », rassemble huit articles et une introduction, au travers desquels les co-directeurs se proposent de conjuguer les approches de l’islamologie, des sciences sociales et de l’histoire culturelle pour donner un aperçu plus complet du sujet en prenant aussi en compte « le fonds de croyances et de représentations donnant sens aux pratiques des musulmans ». Une partie de ces contributions est issue d’un atelier organisé par les deux co-directeurs, Mathieu Terrier et Sepideh Parsapajouh, dans le cadre du congrès du GIS Momm tenu à l’été 2015, et intitulé « Le cimetière à la croisée des politiques : espace, État et religion ». Ce dossier initial est complété par d’autres articles, suite à l’appel à contribution proposé lors de la réalisation de ce dossier de la Remmm.
Trois points de vue sont retenus pour explorer cette thématique : le fait religieux (Mathieu Terrier et Delphine Ortis), les enjeux politiques et la gestion des cimetières (Isabelle Ohayon, Michelangelo Giampaoli, Nada Afiouni et Sepideh Parsapajouh), et la mémoire culturelle et les enjeux mémoriaux (Delphine Ortis, Marie-Paule Hille, Nada Afiouni, Kinda Chaib et Sepideh Parsapajouh). Les contributions sont organisées en quatre parties qui sont « Croyances et pratiques funéraires entre orthodoxie et hétérodoxie », « Croyances, pouvoir et mémoire en tension : l’islam en contexte socialiste », « Reterritorialiser la mort : cimetières musulmans en terre d’immigration » et enfin « Croyances, pouvoir et mémoire en tension : des cimetières chiites aujourd’hui ».
Immédiatement après l’introduction qui évoque le contexte de réalisation de ce dossier, et en déplore les limites géographiques – Afrique, Balkans et mondes turcs en sont exclus – le volume ouvre par l’article de Mathieu Terrier intitulé « La tombe comme isthme (barzakh) entre les vivants et les morts : points de vue croisés du soufisme et du shīʿisme imāmite (al-Ghazālī et al-Fayḍ al-Kāshānī) ». L’auteur y explore, dans une perspective comparative, deux traités portant sur le trépas, le châtiment de la tombe, la résurrection et la communication possible entre morts et vivants. Cette étude éclaire avec beaucoup de pertinence le champ des croyances eschatologiques et, seules, restent dans l’ombre la dimension historique de ces traités et leur diffusion pour éclairer les pratiques présentées dans les études suivantes. La seconde contribution, rédigée par Delphine Ortis, « La tombe, miroir de la destinée des morts ? Analyse de différents espaces funéraires dans une ville de pèlerinage pakistanaise (Sehwan Sharīf, Sindh) », restitue une enquête anthropologique au long cours sur la typologie et l’emplacement des tombes dans l’espace d’une ville « sainte » du Pakistan, en fonction de l’appartenance sociale des défunts au groupe des saints, des confréries ou du commun. Bien que la matérialité des tombes ne soit pas au cœur de ce dossier, l’autrice classifie justement tombes et espaces en prenant en compte leur forme, leur distribution, leur densité et leur localisation. Elle révèle comment la ville se développe en s’appuyant sur cette topographie sainte.
La deuxième partie de l’ouvrage, dédiée aux mondes socialistes, commence par l’article de Marie-Paule Hille, intitulé « Les jeux de l’ombre et de la lumière. Ce que nous disent des tombeaux de saints musulmans sur une forme contemporaine de sainteté (Chine, Gansu, 1968-2018) ». Dans ce dernier, l’autrice explore un sanctuaire récent, fondé en 1914 après la mort du premier maître fondateur du courant mystique du Xidaotang, en lien avec sa tombe et le siège de la confrérie. Il s’agit de nouveau des résultats d’une enquête de terrain menée sur plus de dix ans. Elle révèle la gestion politique d’un sanctuaire, et le travail de ses membres pour le sécuriser, au moment où l’État applique une politique de sécularisation et de contrôle de ces sites par le biais patrimonial. L’auteur le démontre avec efficacité, seules les tombes relevant toujours d’une pratique dévotionnelle privée échappent à ce processus.
Dans la contribution suivante, intitulée « Honorer ses morts en socialisme, une économie de l’islam kazakh (1960-1980) », Isabelle Ohayon parvient à restituer, en étudiant des archives, comment les musulmans kazakhs sont parvenus à maintenir pratiques et rituels d’accompagnement des défunts dans leur dernière demeure, malgré les contraintes idéologiques du régime et les pénuries généralisées à l’époque du socialisme tardif, cela en contexte rural. L’économie de la mort y est finement analysée par l’autrice qui révèle également comment l’autorité multiforme de certaines figures, liée à leur position dans la hiérarchie soviétique mais aussi à leur piété, se traduit dans les pratiques suivant leur décès ainsi que dans le dispositif choisi pour les inhumer.
Dans la troisième partie, consacrée à la mort en contexte de migration, Michelangelo Giampaoli présente les résultats de son enquête menée dans le plus grand cimetière musulman du Brésil situé à São Paulo : « L’islam tropical face à la mort : une ethnographie du cimetière musulman de Guarulhos (São Paulo) ». Dans ce cimetière créé et géré par une société philanthropique privée, la Société Musulmane de Bienveillance, l’auteur observe comment les tombes témoignent d’une forme d’acculturation brésilienne des musulmans de la région, que leurs bénéficiaires soient issus de migrations en provenance du Proche-Orient, ou soient des Brésiliens nouvellement convertis. L’enjeu majeur de ce cimetière est la gestion de l’espace en raison du nombre de fidèles sans cesse croissant : dans l’attente de l’inauguration d’un nouveau cimetière, comment se conformer aux prescriptions légales musulmanes qui imposent un respect de l’intégrité du corps inhumé, tout en accueillant le flux constant de nouvelles sépultures ?
Cette problématique transparaît également dans l’article suivant, rédigé par Nada Afiouni, « Transformation des lieux d’inhumation des musulmans dans le Grand Londres ». Dans le contexte particulier de la gestion multiculturelle des particularismes propres à l’Angleterre, l’autrice analyse avec beaucoup de perspicacité comment des acteurs privés – les maisons de pompes funèbres musulmanes – sont parvenues à faire accepter aux musulmans de se faire enterrer sur place, et non dans leurs pays d’origine, faisant de leur mort un objet transactionnel. Les espaces funéraires se partagent progressivement en fonction de l’origine migratoire des défunts, et la forme même des sépultures proposées par ces acteurs privés évolue vers une standardisation.
La quatrième et dernière partie explore le fait funéraire en contexte chiite, et débute par l’article de Kinda Chaib « Morts invisibles versus morts mis en scène ? Enjeux mémoriels dans les cimetières villageois du Liban-Sud ». Il présente les premiers résultats d’une enquête au Liban-Sud, dans un village rural où l’aspect et la disposition des tombes dans les cimetières témoignent de la réécriture constante de la mémoire militante locale. L’autrice en est visiblement au début de ses investigations, et le matériau rassemblé, signifiant, pourra donner lieu à une étude d’envergure qui n’est ici qu’introduite.
À l’inverse, la contribution qui clôture ce dossier est celle, très complète, rédigée par Sepideh Parsapajouh et intitulée « “Le Paradis de Zahra” : le grand cimetière de Téhéran entre pratiques populaires et rationalité étatique ». Analysant le fonctionnement de cette immense et unique nécropole de la capitale iranienne, l’autrice se place sur la longue durée, révélant l’évolution des pratiques, des formes utilisées, la hiérarchie des espaces et ce qu’elles nous apprennent de la société iranienne actuelle. En mettant en lumière l’articulation complexe entre rationalité d’État, orthodoxie et pratiques dévotionnelles intimes des croyants, elle explore également l’économie du fonctionnement de ce cimetière atypique dans le corpus présenté ici.
L’ensemble de ces contributions témoigne de la diversité des solutions trouvées localement pour répondre aux besoins des croyants, mais aussi aux impératifs des États modernes qui régulent et contrôlent – dans une certaine mesure – inhumations et cimetières. Bien que non énoncée dans l’introduction comme un des axes de réflexion de ce dossier, la problématique de l’économie de la mort transparaît dans toutes ces études, évoquant le prix des concessions, des rétributions pour les cérémonies ou encore le travail de corps de métier spécialisés qui accompagnent les défunts dans leur dernière demeure. On peut regretter, en revanche, que les croyances et les représentations eschatologiques soient finalement si peu abordées au fil des contributions, alors qu’il s’agissait d’une problématique constante énoncée dans l’introduction. De même, certaines réflexions, notamment sur l’orthodoxie et l’hétérodoxie des pratiques et des aménagements, auraient utilement dues être étudiées dans la longue durée afin de nuancer certaines conclusions. Si l’on peut saluer l’effort fait pour illustrer le dossier, certains articles manquent cruellement de la documentation visuelle pourtant utile au propos, notamment d’un point de vue cartographique : un cimetière doit être envisagé dans son environnement et en lien avec l’espace habité pour pouvoir être compris. Malgré ces quelques réserves, ce dossier remplit son objectif et permet d’embrasser le sujet du monde funéraire en croisant les approches, faisant ressortir parallèles et divergences dans différents points du monde musulman contemporain.
Ce constat s’applique à l’étude des mondes musulmans contemporains. Mathieu Terrier et Sepideh Parsapajouh le rappellent dans leur introduction, culte des saints et sanctuaires dans l’islam contemporain ont fait l’objet de nombreuses études, de même que la mort en migration. Dans une perspective qu’ils souhaitent pluridisciplinaire et pluridimensionnelle, les contributions rassemblées ici permettent de renouveler l’étude du fait funéraire en évoquant les différentes catégories de défunts, du plus prestigieux au plus humble, dans différentes aires culturelles et géographiques, et dans les milieux urbains et ruraux.
Ce dossier thématique publié dans la Remmm, intitulé « Cimetières et tombes dans les mondes musulmans. À la croisée des enjeux religieux, politiques et mémoriels », rassemble huit articles et une introduction, au travers desquels les co-directeurs se proposent de conjuguer les approches de l’islamologie, des sciences sociales et de l’histoire culturelle pour donner un aperçu plus complet du sujet en prenant aussi en compte « le fonds de croyances et de représentations donnant sens aux pratiques des musulmans ». Une partie de ces contributions est issue d’un atelier organisé par les deux co-directeurs, Mathieu Terrier et Sepideh Parsapajouh, dans le cadre du congrès du GIS Momm tenu à l’été 2015, et intitulé « Le cimetière à la croisée des politiques : espace, État et religion ». Ce dossier initial est complété par d’autres articles, suite à l’appel à contribution proposé lors de la réalisation de ce dossier de la Remmm.
Trois points de vue sont retenus pour explorer cette thématique : le fait religieux (Mathieu Terrier et Delphine Ortis), les enjeux politiques et la gestion des cimetières (Isabelle Ohayon, Michelangelo Giampaoli, Nada Afiouni et Sepideh Parsapajouh), et la mémoire culturelle et les enjeux mémoriaux (Delphine Ortis, Marie-Paule Hille, Nada Afiouni, Kinda Chaib et Sepideh Parsapajouh). Les contributions sont organisées en quatre parties qui sont « Croyances et pratiques funéraires entre orthodoxie et hétérodoxie », « Croyances, pouvoir et mémoire en tension : l’islam en contexte socialiste », « Reterritorialiser la mort : cimetières musulmans en terre d’immigration » et enfin « Croyances, pouvoir et mémoire en tension : des cimetières chiites aujourd’hui ».
Immédiatement après l’introduction qui évoque le contexte de réalisation de ce dossier, et en déplore les limites géographiques – Afrique, Balkans et mondes turcs en sont exclus – le volume ouvre par l’article de Mathieu Terrier intitulé « La tombe comme isthme (barzakh) entre les vivants et les morts : points de vue croisés du soufisme et du shīʿisme imāmite (al-Ghazālī et al-Fayḍ al-Kāshānī) ». L’auteur y explore, dans une perspective comparative, deux traités portant sur le trépas, le châtiment de la tombe, la résurrection et la communication possible entre morts et vivants. Cette étude éclaire avec beaucoup de pertinence le champ des croyances eschatologiques et, seules, restent dans l’ombre la dimension historique de ces traités et leur diffusion pour éclairer les pratiques présentées dans les études suivantes. La seconde contribution, rédigée par Delphine Ortis, « La tombe, miroir de la destinée des morts ? Analyse de différents espaces funéraires dans une ville de pèlerinage pakistanaise (Sehwan Sharīf, Sindh) », restitue une enquête anthropologique au long cours sur la typologie et l’emplacement des tombes dans l’espace d’une ville « sainte » du Pakistan, en fonction de l’appartenance sociale des défunts au groupe des saints, des confréries ou du commun. Bien que la matérialité des tombes ne soit pas au cœur de ce dossier, l’autrice classifie justement tombes et espaces en prenant en compte leur forme, leur distribution, leur densité et leur localisation. Elle révèle comment la ville se développe en s’appuyant sur cette topographie sainte.
La deuxième partie de l’ouvrage, dédiée aux mondes socialistes, commence par l’article de Marie-Paule Hille, intitulé « Les jeux de l’ombre et de la lumière. Ce que nous disent des tombeaux de saints musulmans sur une forme contemporaine de sainteté (Chine, Gansu, 1968-2018) ». Dans ce dernier, l’autrice explore un sanctuaire récent, fondé en 1914 après la mort du premier maître fondateur du courant mystique du Xidaotang, en lien avec sa tombe et le siège de la confrérie. Il s’agit de nouveau des résultats d’une enquête de terrain menée sur plus de dix ans. Elle révèle la gestion politique d’un sanctuaire, et le travail de ses membres pour le sécuriser, au moment où l’État applique une politique de sécularisation et de contrôle de ces sites par le biais patrimonial. L’auteur le démontre avec efficacité, seules les tombes relevant toujours d’une pratique dévotionnelle privée échappent à ce processus.
Dans la contribution suivante, intitulée « Honorer ses morts en socialisme, une économie de l’islam kazakh (1960-1980) », Isabelle Ohayon parvient à restituer, en étudiant des archives, comment les musulmans kazakhs sont parvenus à maintenir pratiques et rituels d’accompagnement des défunts dans leur dernière demeure, malgré les contraintes idéologiques du régime et les pénuries généralisées à l’époque du socialisme tardif, cela en contexte rural. L’économie de la mort y est finement analysée par l’autrice qui révèle également comment l’autorité multiforme de certaines figures, liée à leur position dans la hiérarchie soviétique mais aussi à leur piété, se traduit dans les pratiques suivant leur décès ainsi que dans le dispositif choisi pour les inhumer.
Dans la troisième partie, consacrée à la mort en contexte de migration, Michelangelo Giampaoli présente les résultats de son enquête menée dans le plus grand cimetière musulman du Brésil situé à São Paulo : « L’islam tropical face à la mort : une ethnographie du cimetière musulman de Guarulhos (São Paulo) ». Dans ce cimetière créé et géré par une société philanthropique privée, la Société Musulmane de Bienveillance, l’auteur observe comment les tombes témoignent d’une forme d’acculturation brésilienne des musulmans de la région, que leurs bénéficiaires soient issus de migrations en provenance du Proche-Orient, ou soient des Brésiliens nouvellement convertis. L’enjeu majeur de ce cimetière est la gestion de l’espace en raison du nombre de fidèles sans cesse croissant : dans l’attente de l’inauguration d’un nouveau cimetière, comment se conformer aux prescriptions légales musulmanes qui imposent un respect de l’intégrité du corps inhumé, tout en accueillant le flux constant de nouvelles sépultures ?
Cette problématique transparaît également dans l’article suivant, rédigé par Nada Afiouni, « Transformation des lieux d’inhumation des musulmans dans le Grand Londres ». Dans le contexte particulier de la gestion multiculturelle des particularismes propres à l’Angleterre, l’autrice analyse avec beaucoup de perspicacité comment des acteurs privés – les maisons de pompes funèbres musulmanes – sont parvenues à faire accepter aux musulmans de se faire enterrer sur place, et non dans leurs pays d’origine, faisant de leur mort un objet transactionnel. Les espaces funéraires se partagent progressivement en fonction de l’origine migratoire des défunts, et la forme même des sépultures proposées par ces acteurs privés évolue vers une standardisation.
La quatrième et dernière partie explore le fait funéraire en contexte chiite, et débute par l’article de Kinda Chaib « Morts invisibles versus morts mis en scène ? Enjeux mémoriels dans les cimetières villageois du Liban-Sud ». Il présente les premiers résultats d’une enquête au Liban-Sud, dans un village rural où l’aspect et la disposition des tombes dans les cimetières témoignent de la réécriture constante de la mémoire militante locale. L’autrice en est visiblement au début de ses investigations, et le matériau rassemblé, signifiant, pourra donner lieu à une étude d’envergure qui n’est ici qu’introduite.
À l’inverse, la contribution qui clôture ce dossier est celle, très complète, rédigée par Sepideh Parsapajouh et intitulée « “Le Paradis de Zahra” : le grand cimetière de Téhéran entre pratiques populaires et rationalité étatique ». Analysant le fonctionnement de cette immense et unique nécropole de la capitale iranienne, l’autrice se place sur la longue durée, révélant l’évolution des pratiques, des formes utilisées, la hiérarchie des espaces et ce qu’elles nous apprennent de la société iranienne actuelle. En mettant en lumière l’articulation complexe entre rationalité d’État, orthodoxie et pratiques dévotionnelles intimes des croyants, elle explore également l’économie du fonctionnement de ce cimetière atypique dans le corpus présenté ici.
L’ensemble de ces contributions témoigne de la diversité des solutions trouvées localement pour répondre aux besoins des croyants, mais aussi aux impératifs des États modernes qui régulent et contrôlent – dans une certaine mesure – inhumations et cimetières. Bien que non énoncée dans l’introduction comme un des axes de réflexion de ce dossier, la problématique de l’économie de la mort transparaît dans toutes ces études, évoquant le prix des concessions, des rétributions pour les cérémonies ou encore le travail de corps de métier spécialisés qui accompagnent les défunts dans leur dernière demeure. On peut regretter, en revanche, que les croyances et les représentations eschatologiques soient finalement si peu abordées au fil des contributions, alors qu’il s’agissait d’une problématique constante énoncée dans l’introduction. De même, certaines réflexions, notamment sur l’orthodoxie et l’hétérodoxie des pratiques et des aménagements, auraient utilement dues être étudiées dans la longue durée afin de nuancer certaines conclusions. Si l’on peut saluer l’effort fait pour illustrer le dossier, certains articles manquent cruellement de la documentation visuelle pourtant utile au propos, notamment d’un point de vue cartographique : un cimetière doit être envisagé dans son environnement et en lien avec l’espace habité pour pouvoir être compris. Malgré ces quelques réserves, ce dossier remplit son objectif et permet d’embrasser le sujet du monde funéraire en croisant les approches, faisant ressortir parallèles et divergences dans différents points du monde musulman contemporain.
Référence électronique
Bulle Tuil Leonetti, « Mathieu Terrier, Sepideh Parsapajouh (dir.), Cimetières et tombes dans les mondes musulmans. À la croisée des enjeux religieux, politiques et mémoriels », Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 01 avril 2023.
URL : http://journals.openedition.org/bcai/1167 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.1167
Bulle Tuil Leonetti, « Mathieu Terrier, Sepideh Parsapajouh (dir.), Cimetières et tombes dans les mondes musulmans. À la croisée des enjeux religieux, politiques et mémoriels », Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 01 avril 2023.
URL : http://journals.openedition.org/bcai/1167 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.1167