Penser l'islam depuis l'Afrique

Islamologue, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Paris), Youssouf Sangaré est né au Mali en 1982. Ses travaux portent sur l’islam contemporain, en particulier les écrits de penseurs réformistes, et sur les relectures des sources islamiques par des érudits traditionnels. Lauréat du prix de thèse « Mohammed Arkoun en islamologie » (2018), il a publié Le Scellement de la prophétie en islam (2018) et Repenser le Coran et la tradition islamique : une introduction à la pensée de Fazlur Rahman (2017).
 
Souleymane Bachir Diagne est professeur dans les départements d’Études francophones et de Philosophie de l’Université de Columbia, à New York, où il dirige également l’Institut d’études africaines (IAS). Membre associé de l’Académie royale de Belgique et membre de l’American Academy of Arts and Sciences, il est l’auteur chez Riveneuve de Léopold Sédar Senghor, l’art africain comme philosophie (2007, 2019).

Et l’islamologie ? Au moment même où est posée la question d’un renouveau de l’islamologie en France, il faut dire que cette discipline devrait non seulement permettre la production d’un savoir critique sur les textes et doctrines, mais, aussi, la révision des reconfigurations idéologiques de la géographie islamique. Pour cela, il faudrait que la production islamologique, sur les textes, les figures et les doctrines, intègre pleinement le sud du Sahara. C’est loin d’être le cas à ce jour – y compris dans le champ de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, force est de constater une absence de l’islamologie pour ce qui concerne le sud du Sahara, comme si, sur le continent, le fait islamique s’arrêtait aux frontières de l’Afrique du Nord. Mythe colonial et orientaliste, qui continue de structurer l’enseignement, la recherche et la production islamologiques. Mythe selon lequel, au sud du Sahara, nous avons affaire à un simulacre d’islam, fait uniquement d’emprunts, de migrations de récits – du nord vers le sud –, bref à un désert doctrinal. Pour cette raison, l’islamologue sérieux – et s’il souhaite être reconnu comme tel –, à la fois dans sa formation et dans sa recherche, ne s’intéresse qu’à l’islam référence. Dans ce contexte, lorsqu’il est question du sud du Sahara, dans des études islamologiques, c’est souvent pour évoquer les influences venant du nord ou pour épouser cette idée de Montserrat Palau Marti : « l’islam noir doit être étudié en évoquant constamment les cultures proprement africaines ». Soit. Encore reste à identifier l’enjeu principal ici : la manière dont ces « cultures proprement africaines » sont (furent) convoquées, mises en scène dans le rapport à l’islam et à l’histoire. Comment elles sont utilisées dans la construction de l’altérité exclusive évoquée précédemment. Cette altérité, telle que pensée par l’orientalisme, fut pourtant remise en cause par des voix s’identifiant à cet islam. Des voix rarement prises au sérieux, voire inconnues des islamologues. Donnons ici un exemple, ce fut le cas en 1982….

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L’islam, en tant que religion, est pris en otage de nos jours par ceux qui en ont fait une doctrine belliqueuse ou la religion des interdits. Telle pourrait être un résumé concis de la pensée religieuse de Haïdara. Face à cette religion où les autres et, même, la volupté sont des bêtes d’aversion, Haïdara propose de dépoussiérer la doctrine fondamentale de l’enseignement de Muḥammad : l’éthique du comportement. Il résuma cette doctrine lors de sa célébration d’Achoura, le 18 août 2021, par ces mots : (...)

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Grand oublié des études islamologiques, l’islam au sud du Sahara n’en reste pas moins un lieu où se reformulent les doctrines islamiques. Loin de la caricature héritée de travaux orientalistes ou des préjugés de certains auteurs arabo-musulmans, l’islam de l’Afrique subsaharienne offre des textes, des figures et des doctrines religieuses qui s’inscrivent pleinement dans les questions les plus actuelles : l’interprétation du Coran, islam et violence, la place de Muhammad et de sa famille dans la spiritualité musulmane, celle des femmes, le rapport entre théologie et politique, l’altérité… Autant de questions présentes chez le prédicateur malien Chérif Ousmane Madani Haïdara, figure majeure de l’islam ouest-africain d’aujourd’hui. Voici un nouvel éclairage sur les débats actuels au sein de l’islam.