Quatrième de couverture
Comprendre les enjeux liés à la présence musulmane en Occident nécessite de lever une série d’obstacles et de respecter certaines conditions que ce livre propose d’examiner. Toute étude sérieuse de la question se doit en effet d’obéir à des règles scientifiques élémentaires mais pas toujours simples.
Aussi, cela fait plus d’une décennie que les musulmans d’Occident ne cessent d’affirmer leur identité occidentale, tandis que tout particulièrement en Europe, le débat public succombe aux tentations populiste et raciste. Plus une expression positive, enthousiaste et sereine d’une identité musulmane se généralise sur le terrain, plus les imaginaires en jeu sont tiraillés. C’est comme s’ils s’éloignaient dans les discours, chaque fois que les faits et les pratiques les rapprochent. Le danger est là, dans ce déni d’un « Islam d’Occident ».
Pour y faire face, d’aucuns s’évertuent à présenter les musulmans des sociétés occidentales comme une « grande majorité silencieuse ». C’est là par exemple, un défaut d’acuité que l’auteur entend démontrer. Il défend au contraire que c’est en réalité la grande majorité de nos sociétés qui ne les entend pas. Aussi ce livre espère-t-il être une agréable occasion de le faire.
Aussi, cela fait plus d’une décennie que les musulmans d’Occident ne cessent d’affirmer leur identité occidentale, tandis que tout particulièrement en Europe, le débat public succombe aux tentations populiste et raciste. Plus une expression positive, enthousiaste et sereine d’une identité musulmane se généralise sur le terrain, plus les imaginaires en jeu sont tiraillés. C’est comme s’ils s’éloignaient dans les discours, chaque fois que les faits et les pratiques les rapprochent. Le danger est là, dans ce déni d’un « Islam d’Occident ».
Pour y faire face, d’aucuns s’évertuent à présenter les musulmans des sociétés occidentales comme une « grande majorité silencieuse ». C’est là par exemple, un défaut d’acuité que l’auteur entend démontrer. Il défend au contraire que c’est en réalité la grande majorité de nos sociétés qui ne les entend pas. Aussi ce livre espère-t-il être une agréable occasion de le faire.
Broché: 325 pages
Editeur : Halfa
Collection « De temps à autre. Sciences sociales » (2012)
ISBN : 9782954099408.
Rachid ID YASSINE enseigne au département de sociologie de l’université de Perpignan. Il est notamment rattaché au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (EHESS). Ses travaux portent sur l’islam et les régionalismes européens. Diplômé en sociologie, anthropologie, sciences des religions et islamologie, il est consultant auprès d’organisations internationales et membre de divers groupes de recherche.
Rachid ID Yassine est aussi membre du comité de lecture de la revue académique Les Cahiers de l'Islam. Il vous sera possible de le rencontrer lors du colloque du 17 Mars 2014 sur "Qu'est ce que la philosophie Arabe ?" à la Sorbonne.
Retrouver ici les articles de Rachid Id Yassine publiés dans la revue Web les Cahiers de l'Islam.
Julie BILLAUD qui a préfacé cet ouvrage, est docteure en sociologie, chercheure auprès du Conseil des droits de l’homme, et au département d’anthropologie de l’université de Sussex (Royaume-Uni) où elle enseigne.
Retrouver ici les articles de Julie Billaud publiés dans la revue Web les Cahiers de l'Islam.
Sur l'auteur de la recension : Alexandre Piettre est Professeur de Philosophie au lycée Berlioz (Vincennes), chercheur associé au CSPRP de l’Université Paris 7et à l’ISSRC de l’Université de Lausanne.
Rachid ID Yassine est aussi membre du comité de lecture de la revue académique Les Cahiers de l'Islam. Il vous sera possible de le rencontrer lors du colloque du 17 Mars 2014 sur "Qu'est ce que la philosophie Arabe ?" à la Sorbonne.
Retrouver ici les articles de Rachid Id Yassine publiés dans la revue Web les Cahiers de l'Islam.
Julie BILLAUD qui a préfacé cet ouvrage, est docteure en sociologie, chercheure auprès du Conseil des droits de l’homme, et au département d’anthropologie de l’université de Sussex (Royaume-Uni) où elle enseigne.
Retrouver ici les articles de Julie Billaud publiés dans la revue Web les Cahiers de l'Islam.
Sur l'auteur de la recension : Alexandre Piettre est Professeur de Philosophie au lycée Berlioz (Vincennes), chercheur associé au CSPRP de l’Université Paris 7et à l’ISSRC de l’Université de Lausanne.
Ce livre dense est le fruit de cinq années de recherche sur les manifestations identitaires et les productions culturelles des musulmans des sociétés occidentales, croisant anthropologie, sociologie et philosophie à partir d’une enquête effectuée dans le cadre d’un Master de recherche. Prenant acte de l’effectivité d’une acculturation occidentale de l’islam, démontrée notamment par Olivier Roy et nombre de travaux inscrits dans le champ de la science politique, autant que celle d’un « évidement religieux de la culture européenne » mis en évidence par Danièle Hervieu-Léger, la thèse de l’auteur est que les musulmans des sociétés occidentales sont historiquement « engagés dans la suppression des frontières entre Islam et Occident et dans la réaffirmation de celles qui séparent culture et religion » (p. 265). Le problème étant que ce double processus réactive une phobie de l’Occident à l’égard du fait islamique, en tant qu’elle a partie liée avec la façon même dont s’est forgée l’identité culturelle occidentale.
Selon Rachid Id Yassine en effet, qui s’inscrit ici dans le sillage des travaux de Nilüfer Göle, l’islam occidental n’est pas intelligible en termes de choc ou de rencontre entre deux civilisations, mais en termes d’interpénétration entre des aires culturelles qui tendent, avec la mondialisation, à produire une seule et même culture plurielle, une « polyculture », et in fine des sociétés interculturelles plutôt que multiculturelles. Cela suppose de prendre acte d’un problème épistémologique du côté des catégories même de civilisation et de culture, esquivé notamment par les analyses en termes d’ethnicisation du religieux. Mais le problème est encore plus grand du côté de l’approche scientifique de la religion en général, et de l’islam en particulier. Tout d’abord parce que la catégorie de religion est tributaire de l’expérience religieuse occidentale, qui appréhende la religion comme une sphère autonome et séparée d’activités et de savoir, tandis qu’en islam c’est dans le cadre même du "dîn" de l’obligation morale et matérielle ("daïn";dette) à l’égard du divin, que l’on envisage la distinction entre ce qui relève du culte ("f iqh al-‘ibadât") d’une part, et ce qui relève d’autre part de la vie quotidienne et des interactions sociales (" fiqh al-mu’amalât").
Les implications de cette différence d’approche du religieux sont considérables. Tout se passe comme si la religion ne pouvait être abordée, du point de vue de l’expérience religieuse occidentale, que dans le cadre d’une théorie de la culture appréhendée comme système éthico-normatif, comme on peut l’envisager à la suite de Durkheim, Mircea Eliade, Lévi-Strauss, Bourdieu, René Girard ou Marcel Gauchet. Alors que c’est précisément là la définition de la religion qui procède de l’expérience religieuse islamique, si bien que la religion ne peut pas être une culture dans cette perspective, mais une éthique transculturelle. Cela suppose de renoncer avec Camille Tarot à toute définition essentialiste de la religion, pour ne considérer que le fait religieux lui-même, celui-ci devant d’abord être appréhendé comme religiosité au sens simmelien du terme, c’est-à-dire comme une caractéristique humaine fondamentale en termes de disposition à croire. Et c’est pourquoi une étude sur l’islamité occidentale doit prendre toute la mesure, avec Jean-Paul Charnay, du fait que l’islam se présente comme une "logocratie", c’est-à-dire comme une interprétation d’un discours de Dieu, irréductible à tout discours sur Dieu, c’est-à-dire à la théologie.
Dès lors, il s’agit d’analyser les productions culturelles des musulmans occidentaux, en envisageant d’une part l’islamité en tant qu’elle se rapporte à une éthique et non à une culture, et comme la résultante d’une trajectoire d’identification ; et d’autre part l’occidentalité en tant qu’elle se rapporte à une culture dans ses modalités expressives, à ce qu’Abraham Moles appelle des « culturèmes », c’est-à-dire des manières d’être qui forgent l’occidentalité comme identité culturelle. À partir de l’approche anthropologique de la production culturelle de Malinowski, il a ainsi répertorié six cents produits qui en un même instant s’expriment conformément aux culturèmes occidentaux et expriment l’islamité, parmi lesquels il a sélectionné vingt-cinq produits hautement significatifs à l’égard de ces deux critères, correspondant à des idéaux-types. La démarche sociologique se veut donc résolument compréhensive. Ainsi, il constate que dans l’alimentaire et le vestimentaire, de plus en plus de produits répondant en tout point aux normes culturelles occidentales, tels les plats préparés ou les "hijâb" sportifs, respectent l’éthique religieuse normative de l’islam. Mais plus encore, il remarque que nombre de produits culturels typiquement occidentaux, pour lesquels l’orthopraxie islamique n’est pas requise pour être créés et consommés, affichent et revendiquent une éthique islamique. Ce dernier point est particulièrement vrai s’agissant des productions artistiques, notamment du côté de la création musicale (rap, rock, punk…).
Ce qu’une telle enquête permet de mettre en évidence, c’est donc à la fois la distinction entre culture et religion et leur caractère indissociable : l’islam comme référentiel éthique n’existe concrètement que s’il s’inscrit dans une culture singulière déterminée. Pour comprendre ce qui se joue d’un point de vue anthropologique, il faut envisager la religion comme un système symbolique, et les symboles comme étant les « embrayeurs » de l’action sociale avec Victor Witter Turner, et non comme l’expression d’une idéologie avec Marx, ni comme la structure sémiologique d’une culture dans la perspective relativiste qui est celle de Lévi-Strauss. Mais elle ne dit rien du modèle culturel dans lequel elle doit s’inscrire, des manières d’être qu’elle doit faire sienne pour exister socialement. D’après l’auteur, cette distinction correspond à celle qu’établit Weber entre socialisation communautaire et socialisation sociétaire. Ainsi peut-on, à la lumière de la production culturelle des musulmans d’Occident, envisager avec Turner religion et culture comme deux pôles dialectiques de la vie sociale. Si bien qu’en définitive, les formes d’individualisation en général profondément orthodoxe de la religiosité contemporaine de l’islam, dans la mesure même où elles en revendiquent le cadre éthico-normatif, apparaissent comme la condition même de l’acculturation occidentale de l’islam.
Cet ouvrage aborde donc avec exigence et courage les enjeux proprement culturels de l’insertion de l’islam en Occident, encore assez peu explorés en France. Il sera, à n’en pas douter, extrêmement utile à qui veut aborder dans toute sa complexité les processus d’acculturation des musulmans occidentaux. S’il démontre que les rapports entre religion et culture sont justiciables d’une approche en termes de mobilité culturelle, il tend cependant à défendre une distinction substantielle entre religion et culture telle que celle-ci n’apparaît plus que comme un contenant de la première, dénuée de tout enjeu pour la formation éthique du sujet, donnant le sentiment que l’on pourrait ainsi penser dans toute son épure un islam culturellement occidental. Aussi, la mise en évidence de productions musulmanes idéal-typiquement occidentales tend à occulter les productions culturelles qui empruntent des culturèmes non-occidentaux pour rendre visible l’adhésion à l’islam : plus que le "hijâb" sportif, ce sont tout de même les voiles à la mode turque, égyptienne ou saoudienne qui ont le vent en poupe chez les musulmanes européennes. In fine, c’est peut-être une approche par trop fidèle à Weber qu’il conviendrait de revisiter pour aller au bout des interrogations épistémologiques soulevées par l’auteur. S’il ouvre des pistes très fécondes en ce sens du côté de la philosophie, certaines mériteraient peut-être d’être plus systématiquement explorées : ainsi de la philosophie de l’art et de l’histoire de Walter Benjamin, notamment sa conception de l’image dialectique, sous-jacente à nombre d’analyses de l’auteur et qui mériterait d’être exhumée ; de la phénoménologie qui pourrait permettre de saisir en quoi la mobilité culturelle peut être enjeu de conflictualité politique ; du tournant linguistique qui permettrait de penser plus avant la dimension performative des productions culturelles islamiques et de revisiter la conception de l’action sociale webérienne encore trop rivée à l’intentionnalité de l’acteur ; et de l’approche foucaldienne de la subjectivation éthique qui pourrait permettre, avec la philosophie de la communauté de Roberto Esposito dans son sillage qu’on peut s’étonner de ne pas rencontrer dans l’ouvrage, d’interroger l’opposition entre société et communauté héritée des pères fondateurs de la sociologie.
Cette recension est publiée en partenariat avec " Liens socio", Le portail francophone des sciences sociales.