Asma Sassi
Asma Sassi est doctorante en Histoire à l’École des hautes études en sciences sociales. Elle mène une recherche sur l'histoire des mouvements soufis européens au début du XXe siècle, et plus globalement sur le passage de discours sur le soufisme, tenus par des savants, des administrateurs coloniaux ou des adeptes de l'ésotérisme, à la mise en place d'institutions soufies en Europe, orchestrée par des maîtres spirituels venant des mondes musulmans. Elle anime par ailleurs un séminaire à l'Ehess sur le thème de l'histoire de l'islam en Europe occidentale durant la période contemporaine dans lequel sont autant questionnées les représentations de l'islam dans les discours d'acteurs européens que l'histoire de l'organisation sociale, pratique ou cultuelle des musulmans installés en Europe occidentale.
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Les Cahiers de l'Islam : Qu’entendez-vous par histoire religieuse des migrations ?
On sait, en sciences sociales, que le thème de la religion est essentiel pour comprendre certains mécanismes ou certaines logiques inhérentes à la vie en migration. De nombreux colloques et ouvrages de sociologie ou d’anthropologie traitent de cette corrélation entre religion et migration, tout particulièrement lorsque l’on évoque les migrations africaines. On s’intéresse alors aux réseaux religieux qui façonnent et facilitent la route des migrants, souvent même leur installation ; on s’intéresse également à l’essor d’un marché de biens religieux au sein duquel les migrants tiennent une place participative. A l’arrière-plan, la question porte essentiellement sur la fonction du religieux dans la définition identitaire, sociale, voire même politique du migrant.
De toute évidence, la formulation de cette question est légitimée par le fait qu’elle soulève des problématiques ancrées dans une actualité brûlante : la circulation des hommes interpelle des instances politiques qui légifèrent et élaborent un nombre conséquent de directives pour canaliser au mieux les routes et les trajectoires empruntées par les migrants. Que les sciences sociales s’emparent de cette question relève donc du bon sens ; qu’elles offrent des possibilités de comparaison entre différentes situations ne peut être que salutaire. Elles contribuent indiscutablement à une meilleure compréhension du phénomène de corrélation entre religion et migration.
L’historien qui étudie la circulation et la mobilité des hommes n’a pas moins à s’interroger sur le rôle et la place que tient la religion dans cette circulation. En premier lieu, parce que les contextes dans lesquels se créent un contact entre individus et groupes de diverses confessions religieuses sont aussi nombreux et anciens que les formes religieuses elles-mêmes. En second lieu parce que le facteur religieux, sans être le seul, constitue une voie d’accès à la compréhension des modes de vie adoptés par des groupes en situation de minorités et à celle de leurs rapports à la société d’ « accueil » : stratégies d’évitement, d’invisibilité ou au contraire, revendications militantes pour l’obtention de lieux de culte, la religion est une porte qu’il faut ouvrir pour observer et analyser les formes que prennent les contacts et les identités dans les contextes migratoires.
L’histoire religieuse des migrations est donc, au même titre que les études en sciences sociales, en mesure d’éclairer les débats contemporains sur le phénomène migratoire et sur la place qu’y occupe la religion en tant qu’institution, mode de croyance, pratique, réseau ou commerce. Elle permet en outre de donner de la profondeur à ces débats et de questionner l’évolution des rapports à l’autre ; surtout, elle met en lumière des histoires souvent peu étudiées fournissant pourtant des indications essentielles sur la constitution toute relative des frontières entre les hommes.
Les Cahiers de l'Islam : Vous vous intéressez à la tariqa alawiyya : quelles sont ses particularités dans cette histoire religieuse des migrations ?
La tariqa ‘Alawiyya est fondée à Mostaganem en Algérie par le cheikh Ahmad al-‘Alawi dans les années 1910 ; elle apparaît donc dans un contexte colonial où l’Algérie est française. L’histoire de cette tariqa est très particulière : dans un premier temps, elle suscite la curiosité et l’adhésion d’un petit nombre d’intellectuels et d’artistes français installés en Afrique du Nord. Parmi ces intellectuels, on trouve par exemple le caricaturiste Gustave Jossot, installé en Tunisie depuis 1911. Ensuite, dans les années 1920 et 1930, la tariqa s’implante dans plusieurs villes européennes, en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Ses disciples sont des ouvriers et des marins kabyles, marocains et yéménites, travaillant dans les usines ou au sein de compagnies maritimes européennes. Enfin, à partir de 1932, un métaphysicien suisse, Frithjof Schuon, fonde des zaouias ‘alawiyya, c’est-à-dire des lieux rituels propres à la tariqa, à Bâle, à Lausanne puis à Paris où ne se réunissent, semble-t-il, que des Européens.
Il s’agit donc d’une tariqa aux trajectoires multiples dont deux mettent en scène des migrants, soit des Français en Afrique du Nord, soit des Nord-Africains en Europe occidentale. Ce schéma donne de la complexité à l’étude de cette voie mystique et interroge les motifs et les formes d’adhésion des migrants dans un contexte colonial où priment des rapports de domination.
On sait, en sciences sociales, que le thème de la religion est essentiel pour comprendre certains mécanismes ou certaines logiques inhérentes à la vie en migration. De nombreux colloques et ouvrages de sociologie ou d’anthropologie traitent de cette corrélation entre religion et migration, tout particulièrement lorsque l’on évoque les migrations africaines. On s’intéresse alors aux réseaux religieux qui façonnent et facilitent la route des migrants, souvent même leur installation ; on s’intéresse également à l’essor d’un marché de biens religieux au sein duquel les migrants tiennent une place participative. A l’arrière-plan, la question porte essentiellement sur la fonction du religieux dans la définition identitaire, sociale, voire même politique du migrant.
De toute évidence, la formulation de cette question est légitimée par le fait qu’elle soulève des problématiques ancrées dans une actualité brûlante : la circulation des hommes interpelle des instances politiques qui légifèrent et élaborent un nombre conséquent de directives pour canaliser au mieux les routes et les trajectoires empruntées par les migrants. Que les sciences sociales s’emparent de cette question relève donc du bon sens ; qu’elles offrent des possibilités de comparaison entre différentes situations ne peut être que salutaire. Elles contribuent indiscutablement à une meilleure compréhension du phénomène de corrélation entre religion et migration.
L’historien qui étudie la circulation et la mobilité des hommes n’a pas moins à s’interroger sur le rôle et la place que tient la religion dans cette circulation. En premier lieu, parce que les contextes dans lesquels se créent un contact entre individus et groupes de diverses confessions religieuses sont aussi nombreux et anciens que les formes religieuses elles-mêmes. En second lieu parce que le facteur religieux, sans être le seul, constitue une voie d’accès à la compréhension des modes de vie adoptés par des groupes en situation de minorités et à celle de leurs rapports à la société d’ « accueil » : stratégies d’évitement, d’invisibilité ou au contraire, revendications militantes pour l’obtention de lieux de culte, la religion est une porte qu’il faut ouvrir pour observer et analyser les formes que prennent les contacts et les identités dans les contextes migratoires.
L’histoire religieuse des migrations est donc, au même titre que les études en sciences sociales, en mesure d’éclairer les débats contemporains sur le phénomène migratoire et sur la place qu’y occupe la religion en tant qu’institution, mode de croyance, pratique, réseau ou commerce. Elle permet en outre de donner de la profondeur à ces débats et de questionner l’évolution des rapports à l’autre ; surtout, elle met en lumière des histoires souvent peu étudiées fournissant pourtant des indications essentielles sur la constitution toute relative des frontières entre les hommes.
Les Cahiers de l'Islam : Vous vous intéressez à la tariqa alawiyya : quelles sont ses particularités dans cette histoire religieuse des migrations ?
La tariqa ‘Alawiyya est fondée à Mostaganem en Algérie par le cheikh Ahmad al-‘Alawi dans les années 1910 ; elle apparaît donc dans un contexte colonial où l’Algérie est française. L’histoire de cette tariqa est très particulière : dans un premier temps, elle suscite la curiosité et l’adhésion d’un petit nombre d’intellectuels et d’artistes français installés en Afrique du Nord. Parmi ces intellectuels, on trouve par exemple le caricaturiste Gustave Jossot, installé en Tunisie depuis 1911. Ensuite, dans les années 1920 et 1930, la tariqa s’implante dans plusieurs villes européennes, en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Ses disciples sont des ouvriers et des marins kabyles, marocains et yéménites, travaillant dans les usines ou au sein de compagnies maritimes européennes. Enfin, à partir de 1932, un métaphysicien suisse, Frithjof Schuon, fonde des zaouias ‘alawiyya, c’est-à-dire des lieux rituels propres à la tariqa, à Bâle, à Lausanne puis à Paris où ne se réunissent, semble-t-il, que des Européens.
Il s’agit donc d’une tariqa aux trajectoires multiples dont deux mettent en scène des migrants, soit des Français en Afrique du Nord, soit des Nord-Africains en Europe occidentale. Ce schéma donne de la complexité à l’étude de cette voie mystique et interroge les motifs et les formes d’adhésion des migrants dans un contexte colonial où priment des rapports de domination.
Les Cahiers de l'Islam : Pour faire écho aux débats contemporains autour des migrants : est-ce que les questions d’assimilation et/ou d’intégration se sont posées pour les disciples de cette tariqa ? Si oui, comment ont-ils fait face à ces problématiques ?
Ce schéma double est d’autant plus intéressant à examiner qu’il interpelle en effet l’historien sur les questions d’assimilation et d’intégration. La question que l’on se pose est bien de savoir quel rôle la tariqa ‘Alawiyya a tenu dans la vie sociale et religieuse de ces migrants ? Le premier écueil que cette étude permet d’éviter est de penser que ces questions d’assimilation et d’intégration concernent uniquement les migrants nord-africains en France et en Europe. En réalité, elles se posent également pour les migrants français en Afrique du nord. Qu’implique en effet leur adhésion à une voie confrérique musulmane dans le contexte de l’Algérie française ?
L’examen de témoignages laissés par les amis et disciples français du cheikh al-‘Alawi permet de relever l’existence de ce que l’on pourrait appeler une « assimilation inversée ». Dans les grandes lignes, l’idée civilisatrice française consistait à guider progressivement les indigènes vers une transformation organique de leur état de manière à les pousser à s’identifier au colonisateur et à adopter ses vertus. Dans le cas des disciples français du cheikh al-‘Alawi, c’est une logique inverse qui se met en place dans la mesure où ces disciples adoptent un certain nombre de traits communs aux indigènes qu’ils côtoient. Ils abandonnent le christianisme au profit de l’islam, empruntent un nom islamique, portent l’habit indigène, vivent dans les quartiers arabes, lisent et écrivent pour certains en arabe et s’initient à une doctrine de la mystique musulmane.
Leur vie sociale est donc conditionnée par leur conversion à l’islam et leur besoin de trouver au sein d’un ordre mystique un espace d’expression de leur nouvelle religiosité. Le cheikh al-‘Alawi est tout à fait disposé à les accueillir d’autant plus que certains lui apportent une aide non négligeable dans la résolution de problèmes administratifs avec les institutions coloniales.
Si l’assimilation inversée est le processus qui permet de restituer les actes et la pensée des aspirants français de la ‘Alawiyya en Algérie, la « désassimilation » est la stratégie adoptée pour organiser la vie sociale et religieuse des migrants nord-africains en Europe occidentale.
Farouchement opposé à la naturalisation française des Algériens, le cheikh al-‘Alawi n’est pas insensible aux conditions de vie de ces migrants et entend bien diffuser sa doctrine dans leurs rangs pour mettre en œuvre une véritable morale musulmane de leur comportement social. Dès les années 1920, des délégués spirituels tels que le Cheikh Al-Amrouche ou le cheikh al-Hakimi sont envoyés dans les villes d’Europe, à Marseille, Paris, La Haye ou encore Cardiff pour constituer des groupes d’aspirants et combattre le laisser-aller religieux dans lequel se trouvaient les migrants concernés.
Dans les discours et les témoignages rapportés à propos de cette histoire, ces migrants sont présentés comme des chômeurs ou des ouvriers consommant femmes et vins, vivant dans une débauche sociale totale, à peine visibles, et dont l’administration française ne s’occupe que dans un but de contrôle. En Grande-Bretagne, de nombreux marins yéménites ont depuis longtemps contracté des alliances conjugales avec des Anglaises et des Galloises, et éduqué les enfants issus de ces unions en-dehors de toute référence à l’islam et à leur pays d’origine. Les missions des délégués spirituels ne sont donc pas seulement de nature religieuse, elles visent surtout à faire de la ‘Alawiyya un mouvement engagé dans la lutte pour rendre à ces migrants d’une part leur dignité sociale, et pour leur rappeler d’autre leurs origines ethniques et islamiques.
C’est ainsi que le Cheikh al-Hakimi fonde en 1936 une association islamique à Cardiff avec le soutien des autorités politiques locales qui cherchent de leur côté à parer la montée du communisme parmi les marins au chômage. Cette association permet aux anciens marins yéménites de renouer avec une pratique religieuse islamique qu’ils avaient oubliée, mais surtout de convertir leurs épouses à l’islam, d’éduquer leurs enfants dans les rites islamiques et d’organiser des parades dans les rues de la ville pour exposer la fierté de leurs origines ethniques.
Dans un cas comme dans l’autre, l’adhésion des migrants à la ‘Alawiyya implique un changement de vie en fonction des jugements portés sur la situation politique. La ‘Alawiyya se concentre sur la promotion de l’islam et engage ses disciples en situation de migration à changer de statut, de mode de vie et à le faire valoir sur la place publique. Le processus engagé par ces groupes n’est pas, in fine, l’assimilation en tant que telle mais des processus qui la mettent en permanence dans une situation d’inversion. L’histoire religieuse des migrants adhérant à la ‘Alawiyya permet de mettre en lumière toute la subtilité du concept d’assimilation et d’affiner l’analyse sur ses modalités de fonctionnement.
Les Cahiers de l'Islam : La migration au sein de cette tariqa a-t-elle eu un effet sur son évolution -à la fois sur le plan doctrinal, sur la question de la transmission du savoir, sur son organisation interne, ses rapports avec voies mystiques, etc.- ?
A tous les niveaux de l’histoire de la ‘Alawiyya, il est possible de trouver la preuve que le thème des migrations y tient une place dominante, même si à l’heure actuelle, la sociologie d’un groupe comme la ‘Alawiyya, dirigé par le Cheikh Khaled Bentounès, peut avoir tendance à se concentrer sur l’organisation et les activités de groupes non-impliqués dans des phénomènes de migration. L’histoire des successeurs du Cheikh al-‘Alawi, le Cheikh ‘Ada Bentounès et son fils Mahdi, n’est pas moins traversée de circulations d’hommes qui impactent nécessairement sur la formulation de leurs conceptions doctrinales respectives. C’est une histoire qu’il reste encore néanmoins à étudier de manière plus indiciaire.
Ce schéma double est d’autant plus intéressant à examiner qu’il interpelle en effet l’historien sur les questions d’assimilation et d’intégration. La question que l’on se pose est bien de savoir quel rôle la tariqa ‘Alawiyya a tenu dans la vie sociale et religieuse de ces migrants ? Le premier écueil que cette étude permet d’éviter est de penser que ces questions d’assimilation et d’intégration concernent uniquement les migrants nord-africains en France et en Europe. En réalité, elles se posent également pour les migrants français en Afrique du nord. Qu’implique en effet leur adhésion à une voie confrérique musulmane dans le contexte de l’Algérie française ?
L’examen de témoignages laissés par les amis et disciples français du cheikh al-‘Alawi permet de relever l’existence de ce que l’on pourrait appeler une « assimilation inversée ». Dans les grandes lignes, l’idée civilisatrice française consistait à guider progressivement les indigènes vers une transformation organique de leur état de manière à les pousser à s’identifier au colonisateur et à adopter ses vertus. Dans le cas des disciples français du cheikh al-‘Alawi, c’est une logique inverse qui se met en place dans la mesure où ces disciples adoptent un certain nombre de traits communs aux indigènes qu’ils côtoient. Ils abandonnent le christianisme au profit de l’islam, empruntent un nom islamique, portent l’habit indigène, vivent dans les quartiers arabes, lisent et écrivent pour certains en arabe et s’initient à une doctrine de la mystique musulmane.
Leur vie sociale est donc conditionnée par leur conversion à l’islam et leur besoin de trouver au sein d’un ordre mystique un espace d’expression de leur nouvelle religiosité. Le cheikh al-‘Alawi est tout à fait disposé à les accueillir d’autant plus que certains lui apportent une aide non négligeable dans la résolution de problèmes administratifs avec les institutions coloniales.
Si l’assimilation inversée est le processus qui permet de restituer les actes et la pensée des aspirants français de la ‘Alawiyya en Algérie, la « désassimilation » est la stratégie adoptée pour organiser la vie sociale et religieuse des migrants nord-africains en Europe occidentale.
Farouchement opposé à la naturalisation française des Algériens, le cheikh al-‘Alawi n’est pas insensible aux conditions de vie de ces migrants et entend bien diffuser sa doctrine dans leurs rangs pour mettre en œuvre une véritable morale musulmane de leur comportement social. Dès les années 1920, des délégués spirituels tels que le Cheikh Al-Amrouche ou le cheikh al-Hakimi sont envoyés dans les villes d’Europe, à Marseille, Paris, La Haye ou encore Cardiff pour constituer des groupes d’aspirants et combattre le laisser-aller religieux dans lequel se trouvaient les migrants concernés.
Dans les discours et les témoignages rapportés à propos de cette histoire, ces migrants sont présentés comme des chômeurs ou des ouvriers consommant femmes et vins, vivant dans une débauche sociale totale, à peine visibles, et dont l’administration française ne s’occupe que dans un but de contrôle. En Grande-Bretagne, de nombreux marins yéménites ont depuis longtemps contracté des alliances conjugales avec des Anglaises et des Galloises, et éduqué les enfants issus de ces unions en-dehors de toute référence à l’islam et à leur pays d’origine. Les missions des délégués spirituels ne sont donc pas seulement de nature religieuse, elles visent surtout à faire de la ‘Alawiyya un mouvement engagé dans la lutte pour rendre à ces migrants d’une part leur dignité sociale, et pour leur rappeler d’autre leurs origines ethniques et islamiques.
C’est ainsi que le Cheikh al-Hakimi fonde en 1936 une association islamique à Cardiff avec le soutien des autorités politiques locales qui cherchent de leur côté à parer la montée du communisme parmi les marins au chômage. Cette association permet aux anciens marins yéménites de renouer avec une pratique religieuse islamique qu’ils avaient oubliée, mais surtout de convertir leurs épouses à l’islam, d’éduquer leurs enfants dans les rites islamiques et d’organiser des parades dans les rues de la ville pour exposer la fierté de leurs origines ethniques.
Dans un cas comme dans l’autre, l’adhésion des migrants à la ‘Alawiyya implique un changement de vie en fonction des jugements portés sur la situation politique. La ‘Alawiyya se concentre sur la promotion de l’islam et engage ses disciples en situation de migration à changer de statut, de mode de vie et à le faire valoir sur la place publique. Le processus engagé par ces groupes n’est pas, in fine, l’assimilation en tant que telle mais des processus qui la mettent en permanence dans une situation d’inversion. L’histoire religieuse des migrants adhérant à la ‘Alawiyya permet de mettre en lumière toute la subtilité du concept d’assimilation et d’affiner l’analyse sur ses modalités de fonctionnement.
Les Cahiers de l'Islam : La migration au sein de cette tariqa a-t-elle eu un effet sur son évolution -à la fois sur le plan doctrinal, sur la question de la transmission du savoir, sur son organisation interne, ses rapports avec voies mystiques, etc.- ?
A tous les niveaux de l’histoire de la ‘Alawiyya, il est possible de trouver la preuve que le thème des migrations y tient une place dominante, même si à l’heure actuelle, la sociologie d’un groupe comme la ‘Alawiyya, dirigé par le Cheikh Khaled Bentounès, peut avoir tendance à se concentrer sur l’organisation et les activités de groupes non-impliqués dans des phénomènes de migration. L’histoire des successeurs du Cheikh al-‘Alawi, le Cheikh ‘Ada Bentounès et son fils Mahdi, n’est pas moins traversée de circulations d’hommes qui impactent nécessairement sur la formulation de leurs conceptions doctrinales respectives. C’est une histoire qu’il reste encore néanmoins à étudier de manière plus indiciaire.