Françoise Duthu, alors Maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre et ancienne députée au Parlement européen, a publié en janvier 2009 aux éditions l’Harmattan un ouvrage intitulé : Le Maire et la mosquée, islam et laïcité en Ile de France. La rédaction des Cahiers de l’islam est allée à sa Rencontre pour mieux cerner la problématique de son livre et, particulièrement, les enjeux (sur les plans politiques, associatifs, etc.) autour de la construction et la gestion des mosquées en Ile de France.
Le livre de F. Duthu garde toute sa pertinence et son actualité compte tenu, notamment, des problèmes que continuent de soulever les projets de construction de mosquées (par rapport aux financements, aux liens entres les pouvoirs publics et les associations cultuelles et/ou culturelles, etc.).
Le livre de F. Duthu garde toute sa pertinence et son actualité compte tenu, notamment, des problèmes que continuent de soulever les projets de construction de mosquées (par rapport aux financements, aux liens entres les pouvoirs publics et les associations cultuelles et/ou culturelles, etc.).
Françoise Duthu , ancienne députée au Parlement européen et maître de conférences à la retraite (Université Paris Ouest-Nanterre). Économiste de formation, elle est également titulaire d'un Master 2 de Sciences Sociales (de l'EHESS*) et d'un « Certificat d’Études Approfondies » (quatre années d’études, à l'IIIT France**). Militante associative active depuis plusieurs années, elle a réalisé un certain nombre d'études sur les questions de diversité culturelle et notamment de l'Islam en France.
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Les Cahiers de l’islam : Le Maire et la mosquée, islam et laïcité en Ile de France : pourquoi le choix de ce titre ?
Françoise Duthu : Ce livre est issu d’un travail de recherche entrepris à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Après avoir hésité entre quelques thèmes tous relatifs à la pratique de l’islam en France et sa perception, j’ai décidé de ne pas étudier une fois de plus « les musulmans » mais de retourner le regard et interroger mes pairs, les hommes (ou femmes) politiques, et de voir comment eux, en situation de responsabilité, géraient leur rapport au fait religieux musulman.
Ma motivation de départ était de savoir, compte tenu du contexte national relatif à l’islam et aux musulmans à l’époque (2006-2007), si l’action des maires pouvait favoriser une acceptation de l’islam « par le bas », leurs compétences ayant été considérablement renforcées par les lois de décentralisation de 1982 en de nombreux domaines. Pour ce qui concerne l’islam, les maires ont en charge via leur service d’urbanisme l’autorisation de la construction de mosquées, ou celle d’établir un « carré musulman » dans les cimetières de leur ville, ou encore celle de prévoir des menus sans viande dans les cantines. Quant à la fête de l’Aïd, elle est co-organisée en relation avec les services préfectoraux. En définitive, la pratique concrète du culte musulman pour nos concitoyens musulmans dépend des décisions du premier magistrat de la ville où ils vivent.
Je me suis rapidement aperçue, après un tour de la littérature existante sur la « gestion locale de l’islam », que les choses n’étaient pas simples non plus au niveau local et j’en suis venue à formuler la question de recherche de la façon suivante : « Quelles « politiques municipales » de l’islam en Ile-de-France ? Entre contrôle et normalisation, comparaisons franciliennes ». Le livre est issu de ce questionnement, passé au crible du terrain.
Le choix du terrain francilien était lié à la fois à son importance dans le paysage islamique français et à son accessibilité pour moi. L’enquête s’est déroulée en 2007 dans les communes d’Argenteuil, Montreuil, Rosny-sous-bois, Créteil et Bobigny, les questions posées ont porté sur l’ensemble des thèmes relatifs à la pratique de l’islam, que je viens d’évoquer. Il n’était pas question de s’arrêter à la question des moquées, mais l’étude a montré que la « grande affaire » pour les maires était avant tout celle-ci. C’est autour de ce thème en effet que se construisaient des systèmes d’action stables, au sein desquels les maires étaient en position de pouvoir, fixant le cadre dans lequel devaient se mouvoir les acteurs musulmans. Ce qui ne veut pas dire que ceux-ci étaient passifs. C’est donc la réalité de ce rapport de force qui a fini par aboutir au titre.
LE MAIRE ET LA MOSQUÉE : Islam et laïcité en Île-de-France
Les Cahiers de l’islam : qu’entendez-vous par « politiques municipales de l’islam » ?
Françoise Duthu : dans les approches sociologiques, il est classique de s’intéresser à ce que l’on appelle la « gestion locale du religieux », quel que soit d’ailleurs le culte concerné. Cependant une telle approche m’a parue un peu trop « technicienne ». La lecture du numéro de mai 2006 de la revue Pouvoirs locaux, les cahiers de la décentralisation, réalisée par des politologues, montrait que l’analyse devait prendre en compte, concernant l’islam, les conflits, les rapports de force, les jeux d’acteur, le système d’action qui se construisait au fil du temps. J’ai donc consciemment voulu sortir de l’approche en terme de « gestion locale du religieux » et préféré tenter d’identifier les logiques et systèmes d’action dans les villes enquêtées en les pensant en terme de dissymétrie de pouvoir. Au bout de mon parcours, il m’a semble que le concept de « politiques municipales de l’islam » était validé, du moins pour le court et moyen terme.
Deux maires -Montreuil et Créteil- présentaient clairement une vision globale de leur politique d’où découlent leurs réponses aux demandes des représentants locaux du culte musulman. Il n’en demeure pas moins que dans les autres communes, sans que les maires explicitent leurs choix, notamment dans celui de la construction des lieux de culte, se dessinent effectivement des politiques qui ont une cohérence et des caractéristiques. C’est ce que j’ai tenté de démontrer dans l’ouvrage. Les édiles choisissent tels partenaires musulmans – les légitimant aux yeux de la communauté - plutôt que d’autres, posent telle règles plutôt que d’autres en fonction de critères qui leurs sont propres. Le rôle du maire est central. C’est lui qui fixe le cadre général dans lequel seront conduites les négociations sur tout sujet relatif à l’islam dans la commune. Le résultat est que l’accès à la pratique du culte musulman sera différent d’une commune à l’autre, ce qui n’est pas le cas pour les autres religions établies. Cela pose évidemment question d’un point de vue républicain.
Françoise Duthu : dans les approches sociologiques, il est classique de s’intéresser à ce que l’on appelle la « gestion locale du religieux », quel que soit d’ailleurs le culte concerné. Cependant une telle approche m’a parue un peu trop « technicienne ». La lecture du numéro de mai 2006 de la revue Pouvoirs locaux, les cahiers de la décentralisation, réalisée par des politologues, montrait que l’analyse devait prendre en compte, concernant l’islam, les conflits, les rapports de force, les jeux d’acteur, le système d’action qui se construisait au fil du temps. J’ai donc consciemment voulu sortir de l’approche en terme de « gestion locale du religieux » et préféré tenter d’identifier les logiques et systèmes d’action dans les villes enquêtées en les pensant en terme de dissymétrie de pouvoir. Au bout de mon parcours, il m’a semble que le concept de « politiques municipales de l’islam » était validé, du moins pour le court et moyen terme.
Deux maires -Montreuil et Créteil- présentaient clairement une vision globale de leur politique d’où découlent leurs réponses aux demandes des représentants locaux du culte musulman. Il n’en demeure pas moins que dans les autres communes, sans que les maires explicitent leurs choix, notamment dans celui de la construction des lieux de culte, se dessinent effectivement des politiques qui ont une cohérence et des caractéristiques. C’est ce que j’ai tenté de démontrer dans l’ouvrage. Les édiles choisissent tels partenaires musulmans – les légitimant aux yeux de la communauté - plutôt que d’autres, posent telle règles plutôt que d’autres en fonction de critères qui leurs sont propres. Le rôle du maire est central. C’est lui qui fixe le cadre général dans lequel seront conduites les négociations sur tout sujet relatif à l’islam dans la commune. Le résultat est que l’accès à la pratique du culte musulman sera différent d’une commune à l’autre, ce qui n’est pas le cas pour les autres religions établies. Cela pose évidemment question d’un point de vue républicain.
Les Cahiers de l’islam : quel est le sens du sous-titre : « islam et laïcité en Ile-de-France » ?
Françoise Duthu : ce qui est problématique, c’est que chaque maire agit en fonction notamment de sa vision personnelle de la laïcité et non pas selon ce que dit strictement la loi. Par exemple, concernant la construction de mosquées, il suffirait de vérifier simplement si le permis de construire déposé correspond au règlement d’urbanisme et aux besoins des musulmans présents sur le territoire. Or, il est souvent demandé aux musulmans de constituer une association commune, quelles que soient leurs différences (souvent ignorées), comme préalable à l’autorisation de construire une mosquée. Il y a en quelque sorte ingérence dans les modes d’organisation du religieux musulman. Cette ingérence est liée en partie à un souci pratique (ne pas construire plus de mosquées que nécessaire sur la commune) mais aussi à une volonté de contrôler, de s’assurer de la présence d’un islam « raisonnable ». Cette volonté de contrôler va prendre des formes plus ou moins pesantes ou légères en fonction de la représentation que le premier magistrat se fait de la laïcité. Or il existe, en simplifiant, deux types de vision de la laïcité en France : le premier, qui correspond à l’esprit de la loi, respecte la liberté de culte sans distinction dans l’espace privé comme public. Il voit dans la laïcité un principe d’organisation d’un vivre ensemble. C’est dans cette conception qu’a été accompagné le projet de la mosquée de Créteil, dont l’architecture (présence d’un minaret, modernisme) a pour vocation d’inscrire le bâtiment dans le patrimoine urbain. Le second voit dans la laïcité un contenu et non un principe, ce contenu étant le bannissement du religieux de l’espace public. Elle est souvent défendue par des personnalités en réalité hostiles à toute croyance, souvent instrumentalisée, particulièrement contre l’islam, y compris dans les milieux républicains de gauche. On en a hélas de nombreux exemples, et en particulier, dans le cadre de notre enquête, à Montreuil, où les contraintes posées aux musulmans, notamment en matière de collecte de fonds, rendaient quasi impossible la réalisation du projet [1]. En tous cas, c’est bien la vision qu’a le maire de la laïcité qui va orienter sa prise de décision et non le fait qu’il soit de droite ou de gauche. On trouve curieusement bien des similitudes entre les choix du maire UMP d’Argenteuil et ceux du maire de Montreuil, tout du moins dans la volonté de sélectionner les partenaires musulmans à favoriser.
Le livre aborde d’autres thèmes, bien sûr. La personnalité du maire, voire son histoire personnelle ou celle de ses proches collaborateurs joue également un rôle très important.
Il s’avère finalement que l’ensemble des décisions prises par les maires sous l’effet de ces différents facteurs aboutit à une nette inégalité territoriale. Cette question devrait être prise en charge par le politique au niveau national. Car c’est bien à ce niveau qu’une régulation serait nécessaire pour sortir de ce qui est une véritable « exception musulmane ».
Françoise Duthu : ce qui est problématique, c’est que chaque maire agit en fonction notamment de sa vision personnelle de la laïcité et non pas selon ce que dit strictement la loi. Par exemple, concernant la construction de mosquées, il suffirait de vérifier simplement si le permis de construire déposé correspond au règlement d’urbanisme et aux besoins des musulmans présents sur le territoire. Or, il est souvent demandé aux musulmans de constituer une association commune, quelles que soient leurs différences (souvent ignorées), comme préalable à l’autorisation de construire une mosquée. Il y a en quelque sorte ingérence dans les modes d’organisation du religieux musulman. Cette ingérence est liée en partie à un souci pratique (ne pas construire plus de mosquées que nécessaire sur la commune) mais aussi à une volonté de contrôler, de s’assurer de la présence d’un islam « raisonnable ». Cette volonté de contrôler va prendre des formes plus ou moins pesantes ou légères en fonction de la représentation que le premier magistrat se fait de la laïcité. Or il existe, en simplifiant, deux types de vision de la laïcité en France : le premier, qui correspond à l’esprit de la loi, respecte la liberté de culte sans distinction dans l’espace privé comme public. Il voit dans la laïcité un principe d’organisation d’un vivre ensemble. C’est dans cette conception qu’a été accompagné le projet de la mosquée de Créteil, dont l’architecture (présence d’un minaret, modernisme) a pour vocation d’inscrire le bâtiment dans le patrimoine urbain. Le second voit dans la laïcité un contenu et non un principe, ce contenu étant le bannissement du religieux de l’espace public. Elle est souvent défendue par des personnalités en réalité hostiles à toute croyance, souvent instrumentalisée, particulièrement contre l’islam, y compris dans les milieux républicains de gauche. On en a hélas de nombreux exemples, et en particulier, dans le cadre de notre enquête, à Montreuil, où les contraintes posées aux musulmans, notamment en matière de collecte de fonds, rendaient quasi impossible la réalisation du projet [1]. En tous cas, c’est bien la vision qu’a le maire de la laïcité qui va orienter sa prise de décision et non le fait qu’il soit de droite ou de gauche. On trouve curieusement bien des similitudes entre les choix du maire UMP d’Argenteuil et ceux du maire de Montreuil, tout du moins dans la volonté de sélectionner les partenaires musulmans à favoriser.
Le livre aborde d’autres thèmes, bien sûr. La personnalité du maire, voire son histoire personnelle ou celle de ses proches collaborateurs joue également un rôle très important.
Il s’avère finalement que l’ensemble des décisions prises par les maires sous l’effet de ces différents facteurs aboutit à une nette inégalité territoriale. Cette question devrait être prise en charge par le politique au niveau national. Car c’est bien à ce niveau qu’une régulation serait nécessaire pour sortir de ce qui est une véritable « exception musulmane ».
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* EHESS : École des Hautes Études en Sciences Sociales
** IIIT : Institut International de la pensée Islamique
[1] Le dossier, élaboré sous le mandat de J.-P. Brard a finalement pu aboutir sous celui de D.Voynet. Signalons que les Evangélistes avaient eux-aussi souffert des préjugés du maire dans la même période.
* EHESS : École des Hautes Études en Sciences Sociales
** IIIT : Institut International de la pensée Islamique
[1] Le dossier, élaboré sous le mandat de J.-P. Brard a finalement pu aboutir sous celui de D.Voynet. Signalons que les Evangélistes avaient eux-aussi souffert des préjugés du maire dans la même période.