Le terme « islamophobie », néologisme remontant aux années 90, ne peut plus être considéré comme un concept abstrait, qui serait forgé de toute pièce par quelques universitaires coupés du monde réel. La haine de l’islam et des musulmans qui, hélas, se traduit, parfois, dans des violences physiques ou des profanations de mosquées, nous rappelle que l’islamo-phobie est une réalité. Mais très longtemps le terme « islamophobie » est resté vague, sans définition concrète, dans son utilisation par les uns et les autres. Cela conduira, d’un côté, à la négation du phénomène par quelques éditorialistes, universitaires ou politiques et, de l’autre, à des tentatives plus ou moins abouties de définition et de délimitation du terme. Ainsi, en 1997, l’organisation antiraciste britannique, Runnymede Trust, proposait une définition du terme (disponible ici ) et, en 2005, ce fut au tour du Conseil de l’Europe de propose une définition (dans un rapport consacré à l'islamophobie et à ses conséquences, à télécharger via ce lien ). Sans oublier l’ouvrage de Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie , publié en 2003, qui analysait le phénomène en question dans ses manifestations multiples : médiatique, socio-professionnelle, politique, littéraire, etc.
Ces précédentes réflexions sont aujourd’hui prolongées et enrichies par la publication du Dictionnaire de l'islamophobie , qui met à la disposition du grand public et des chercheurs une référence en la matière. Son auteur, Kamel Meziti, a bien voulu répondre à nos questions et nous présente son ouvrage dont nous vous recommandons la lecture. Il arrive fréquemment que des auteurs traitant de l'islamophobie se limitent à des propos généraux sur la société et son rapport à ses minorités ou, encore, empruntent le chemin du discours de victimisation. Il s'agit là d'un écueil que l'auteur du Dictionnaire de l'islamophobie à réussi à éviter, en mettant chaque terme dans son contexte historique, sociologique, politique et médiatique.
Ces précédentes réflexions sont aujourd’hui prolongées et enrichies par la publication du Dictionnaire de l'islamophobie , qui met à la disposition du grand public et des chercheurs une référence en la matière. Son auteur, Kamel Meziti, a bien voulu répondre à nos questions et nous présente son ouvrage dont nous vous recommandons la lecture. Il arrive fréquemment que des auteurs traitant de l'islamophobie se limitent à des propos généraux sur la société et son rapport à ses minorités ou, encore, empruntent le chemin du discours de victimisation. Il s'agit là d'un écueil que l'auteur du Dictionnaire de l'islamophobie à réussi à éviter, en mettant chaque terme dans son contexte historique, sociologique, politique et médiatique.
Kamel Meziti (Photo Le maine libre)
Kamel Meziti, historien, auteur et conférencier impliqué dans la promotion de la citoyenneté et du vivre-ensemble. Secrétaire général du Groupe de Recherche islamo-chrétien, il a participé au livre Rites : Fêtes et célébrations de l'humanité (Bayard, 2012), il a aussi publié, avec N. Senèze et P. Haddad, Les fêtes de Dieu Yahweh, Allah aux Editions Bayard (2011).
Les Cahiers de l'Islam : Pourquoi un dictionnaire sur l'islamophobie alors que cette notion est mise en cause par certains polémistes et éditorialistes comme non pertinente, puisque "l'islamophobie" n'existe pas pour ces derniers ?
Kamel Meziti : Effectivement, les polémistes dans tous les registres (politique, intellectuel et médiatique notamment) sont pléthore. Attribuer ce terme aux mollah de la révolution iranienne est un peu court et souffre bien des lacunes sur le plan historique. De même lorsque le Ministre de l’Intérieur affirme que « l’islamophobie est le cheval de Troie des salafistes » (cf. mon intervention sur iTélé et ma réaction dans le Nouvel Observateur ), cela est réducteur et constitue une provocation supplémentaire à l’endroit de tous ceux qui au quotidien combattent un fléau constaté par de nombreuses ONG (Amnesty International, HRW..) et institutions (Conseil de l’Europe, B.I.D.H…). Casser le thermomètre ne fait pas baisser la température.
Kamel Meziti : Effectivement, les polémistes dans tous les registres (politique, intellectuel et médiatique notamment) sont pléthore. Attribuer ce terme aux mollah de la révolution iranienne est un peu court et souffre bien des lacunes sur le plan historique. De même lorsque le Ministre de l’Intérieur affirme que « l’islamophobie est le cheval de Troie des salafistes » (cf. mon intervention sur iTélé et ma réaction dans le Nouvel Observateur ), cela est réducteur et constitue une provocation supplémentaire à l’endroit de tous ceux qui au quotidien combattent un fléau constaté par de nombreuses ONG (Amnesty International, HRW..) et institutions (Conseil de l’Europe, B.I.D.H…). Casser le thermomètre ne fait pas baisser la température.
Les Cahiers de l'Islam : Comment définissez-vous ce phénomène et cette réalité qu'est "l'islamophobie"?
Kamel Meziti : L’islamophobie participe de la construction d’un « problème musulman » à travers la banalisation des discours publics stigmatisant sans complexe l’islam et les musulmans au nom de la liberté d’expression, de « la laïcité manipulée ». Le discours islamophobe revêt parfois les oripeaux républicains dans la bouche de responsables politiques. Le terme lui-même est aujourd’hui inapproprié pour décrire une réalité qui dépasse l’étymologie : nous ne sommes plus dans la simple phobie, la peur légitime que peut éprouver tout un chacun. On est passé de la peur à l’hostilité puis à une multiplication des manifestions islamophobes à travers des profanations de lieux de cultes, de cimetières, d’agressions verbales et physiques de femmes voilées, d’attaques physiques de fidèles âgés, de menaces de mort de responsables religieux…Tous les indicateurs français (chiffres du Ministère de l’Intérieur, de l’Observatoire National de l’islamophobie ou encore du Collectif Contre l’Islamophobie en France…) corroborent la montée d’un fléau qui questionne notre vivre-ensemble et met en péril la cohésion nationale.
Les Cahiers de l'Islam : Dans ce dictionnaire consacré à l'islamophobie, pouvez-vous nous présenter quelques entrées pour mieux le comprendre ?
Kamel Meziti : Ces dernières années ont été riches en glissements sémantiques, en titres provocateurs, en publications stigmatisantes, en boulettes communicationnelles, en dérapages contrôlés ciblant encore et toujours l’islam et ses fidèles et en actes antimusulmans en tous genres. L’objectif du « Dictionnaire de l’islamophobie est d’illustrer l’ampleur d’un phénomène en phase de gangréner notre vivre-ensemble : il n’est pas l’apanage d’une certaine droite populiste et raciste mais transcende parfois les clivages politiques classiques. L’ouvrage s’adresse à un grand public et reprend systématiquement les mots et les expressions, qui ont échappé ou ont été volontairement prononcés par des politiques, des journalistes, des intellectuels, des artistes. Chaque entrée donne lieu à une remise dans le contexte de l’époque et à une explication sur les effets ravageurs que cela a pu provoquer dans les consciences ou dans la société. La lettre « H » par exemple introduit « Halal » et toutes les polémiques stériles déclenchées sur les « cantines halal » ; le « L » se focalise sur la « Laïcité » dévoyée par certains et son instrumentalisation pour cibler encore la composante musulmane de notre pays ; le « M » met en exergue les « Marinades » de la haine ordinaire de Marine Le Pen en pleine campagne présidentielle ; le « O » est consacré aux « Prières de rue » des musulmans assimilées à l’Occupation nazie ; le « P » aborde le roman de Houellebecq « Plateforme » où on lit sous la plume de Houellebecq que « « L'islam ne pouvait naître que dans un désert stupide , au milieu de bédouins crasseux qui n'avaient rien d'autre à faire - pardonnez-moi - que d'enculer leurs chameaux . » ….. Le « V » met en lumière les dérapages contrôlés de Jean-François Copé quant au Français se faisant « arracher son pain au chocolat à la sortie du collège par des voyous qui lui expliquent qu'on ne mange pas pendant le Ramadan »
Les Cahiers de l'Islam : Compte tenu de votre expérience sur le terrain associatif et en tant qu'ancien aumônier au sein de la Marine nationale, quelles sont les sources principales nourrissant l'islamophobie selon vous ?
Kamel Meziti : Il y a des raisons profondes qui relèvent de l’histoire, depuis la première Croisade initiée par le Pape Urbain II jusqu’à la guerre d’Algérie, sans même parler des attentats du 11 septembre 2001 qui ont aussi terni l’image de l’islam tout en apportant de l’eau au moulin des théoriciens du clash des civilisations. Une ultra-minorité de musulmans à travers le monde ont nourri et continuent à nourrir les islamophobes de postures ou autres idéologues de la haine. De ce point de vue, les extrêmes sont toujours des alliés objectifs. En tant que premier et ancien Directeur de l’Aumônerie de la Marine Nationale, j’ai aussi pu mesurer le degré d’ignorance vis-à-vis de la deuxième religion de France. Faire tomber les murs de l’ignorance à tous les niveaux (y compris chez les musulmans vis-à-vis de leur propre religion) est une priorité. A cet égard, il est urgent de réfléchir à la formation des responsables cultuels musulmans (aumôniers, imams, recteurs…), non seulement sur le plan théologique, mais aussi historique, linguistique et institutionnel. Il est primordial que les responsables cultuels musulmans aient une parfaite connaissance du fonctionnement de nos institutions et du contexte français. En outre, on ne peut que déplorer l’instrumentalisation de l’islam par certains responsables politiques à des fins électoralistes ; de même, c’est un secret de polichinelle que d’affirmer que l’islam fait vendre, notamment lorsqu’il s’agit de passer en boucle des drames humains, guerres ou attentat dans lesquels certains musulmans sont les premiers protagonistes. Les médias français relaient souvent une image négative de l’islam vu à travers le prisme de l’étranger et non pas appréhendé comme la deuxième religion de France. Récemment encore, sur une célèbre chaine de télévision, j’ai interpellé les journalistes sur la responsabilité des médias.
Les Cahiers de l'Islam : Quel lien faites-vous entre la lutte contre l'islamophobie et le combat contre les autres formes de discrimination et de stigmatisation? Comment mener, de manière efficace, ces combats ?
Kamel Meziti : La France, pays historique des « droits de l’homme » a toujours été à la pointe de la lutte contre toutes les formes d’intolérance. Or, on constate une libération de la parole, des actes délictueux en croissance à l’encontre de concitoyens de référence ou même « d’apparence » musulmane. Ceci n’est pas compatible avec les valeurs républicaines. L’arsenal juridique pour sanctionner ces postures et actes islamophobes existe mais malheureusement on constate un certain laxisme. Nier la notion d’islamophobie pour la cantonner dans un vaste magma de « racisme » ne fait pas avancer les choses et peut même générer des frustrations, un sentiment de traitement à géométrie variable. La lutte contre l’intolérance, le racisme, l’antisémitisme doit être complétée par celle du combat contre l’islamophobie. Elle doit se faire sur le plan éducatif. Par exemple, il serait souhaitable de refonder les programmes scolaires à travers l’enseignement du « fait religieux » (comme le préconisait Régis Debray) ; revoir aussi les programmes d’histoire (connaissance approfondie de l’islam et de sa civilisation, de son apport à la civilisation occidentale…) me semblerait une autre bonne direction à suivre. La mise en place d’une commission interministérielle de lutte contre l’islamophobie ou à défaut une commission parlementaire constitue aussi une urgence. La crise actuelle du Conseil Français du Culte Musulman et son manque de légitimité, de crédibilité et sa longue politique de l’autruche vis-à-vis de la réalité islamophobe en France (jusqu’à la création de l’Observatoire national de l’islamophobie) rendent impérieux la création d’une véritable structure représentative, sur la base d’une concertation nationale et de compétences établies. Cette nouvelle structure, pour être efficace , doit être à la fois un interlocuteur reconnu des pouvoirs publics et tout autant des centaines associations cultuelles indépendantes du pays et de la communauté musulmane de France. Un « Grenelle de l’islam » associant tous les protagonistes (institutionnels, religieux, intellectuels, experts, associations, …) devient plus que jamais nécessaire.
Kamel Meziti : La France, pays historique des « droits de l’homme » a toujours été à la pointe de la lutte contre toutes les formes d’intolérance. Or, on constate une libération de la parole, des actes délictueux en croissance à l’encontre de concitoyens de référence ou même « d’apparence » musulmane. Ceci n’est pas compatible avec les valeurs républicaines. L’arsenal juridique pour sanctionner ces postures et actes islamophobes existe mais malheureusement on constate un certain laxisme. Nier la notion d’islamophobie pour la cantonner dans un vaste magma de « racisme » ne fait pas avancer les choses et peut même générer des frustrations, un sentiment de traitement à géométrie variable. La lutte contre l’intolérance, le racisme, l’antisémitisme doit être complétée par celle du combat contre l’islamophobie. Elle doit se faire sur le plan éducatif. Par exemple, il serait souhaitable de refonder les programmes scolaires à travers l’enseignement du « fait religieux » (comme le préconisait Régis Debray) ; revoir aussi les programmes d’histoire (connaissance approfondie de l’islam et de sa civilisation, de son apport à la civilisation occidentale…) me semblerait une autre bonne direction à suivre. La mise en place d’une commission interministérielle de lutte contre l’islamophobie ou à défaut une commission parlementaire constitue aussi une urgence. La crise actuelle du Conseil Français du Culte Musulman et son manque de légitimité, de crédibilité et sa longue politique de l’autruche vis-à-vis de la réalité islamophobe en France (jusqu’à la création de l’Observatoire national de l’islamophobie) rendent impérieux la création d’une véritable structure représentative, sur la base d’une concertation nationale et de compétences établies. Cette nouvelle structure, pour être efficace , doit être à la fois un interlocuteur reconnu des pouvoirs publics et tout autant des centaines associations cultuelles indépendantes du pays et de la communauté musulmane de France. Un « Grenelle de l’islam » associant tous les protagonistes (institutionnels, religieux, intellectuels, experts, associations, …) devient plus que jamais nécessaire.