Cette Rencontre avec Sébastien Chazaud permet d'avoir quelques éléments de réflexion quant à l'histoire de l'islam en Suisse et expose les défis et enjeux que soulève la présence musulmane dans ce pays. Il serait ainsi possible de procéder à des rapprochements et comparaisons avec le contexte français.
Sébastien Chazaud
Sébastien Chazaud , historien (diplômé de l'Université de Genève) et collaborateur scientifique à l'Université de Liège.
Les Cahiers de l’Islam : Pouvez-vous nous donner quelques éléments historiques sur la présence de l'islam et des musulmans en Suisse ?
Sébastien Chazaud : C'est au cours des trois dernières décennies du XXe siècle que s'est développée la présence musulmane en Suisse. A la fin des années soixante, le pays a besoin de main-d'oeuvre. C'est ainsi que des travailleurs de Turquie puis de Yougoslavie immigrent. En 1970, il y a en Suisse 16'353 musulmans dont deux tiers d'hommes. Au cours de la décennie suivante, le regroupement familial est autorisé. La population musulmane de Suisse augmente (56'625 personnes en 1980, 152'217 en 1990, 310'807 en 2000) et s'équilibre en ce qui concerne la représentation des sexes. Des événements politiques récents expliquent également l'arrivée de migrants de confession musulmane, on pense notamment aux guerres de Yougoslavie. Pour un aperçu complet, je recommande la lecture du rapport réalisé en 2010 pour la Commission fédérale pour les questions de migration par le Groupe de Recherche sur l'Islam en Suisse (GRIS) et accessible en ligne : Vie musulmane en Suisse [1].
Les Cahiers de l’Islam : En France, des auteurs (comme A. Finkielkraut) affirment que "l'islam est un problème en France". N'est-ce pas aussi le cas en Suisse dans le discours de stigmatisation de l'islam et des musulmans ?
Sébastien Chazaud : Tout à fait mais je dirais qu'en Suisse ce discours est tenu dans le domaine public par des personnalité politiques plutôt que par des auteurs ou encore par des intellectuels. Lors du débat suscité par la votation contre la construction de minarets, ce sont principalement des personnalités du puissant parti qu'est l'UDC qui se sont fait entendre et ont attaqué l'islam ainsi que les musulmans. C'est à ce moment qu'a émergé le politicien valaisan Oskar Freysinger qui s'est beaucoup investi dans la campagne. Dans un pays hétérogène (du point de vue linguistique notamment) comme la Suisse, rares sont les personnalités véritablement connues des deux côtés de la Sarine. Le sociologue Jean Ziegler est une exception notable qui confirme la règle. Freysinger et lui, à défaut d'avoir les mêmes positions, ont justement l'avantage d'être parfaitement bilingues.
Les Cahiers de l’Islam : Une telle idée n'était-elle pas au centre des débats lors de la votation pour l'interdiction des minarets (en 2009) ?
Sébastien Chazaud : En effet, cette idée a été extrêmement présente dans un débat qui n'a que rarement porté sur le minaret pour ce qu'il est mais au contraire pour ce qu'il peut représenter, à savoir un symbole visible de l'islam, religion de l'étranger, par rapport au christianisme, religion « historique » de la Suisse. En outre, l'islam est décrit par les partisans de l'interdiction non pas comme une simple religion mais comme une voie de vie complète, avec un système juridique incompatible avec les lois helvétiques.
Sébastien Chazaud : C'est au cours des trois dernières décennies du XXe siècle que s'est développée la présence musulmane en Suisse. A la fin des années soixante, le pays a besoin de main-d'oeuvre. C'est ainsi que des travailleurs de Turquie puis de Yougoslavie immigrent. En 1970, il y a en Suisse 16'353 musulmans dont deux tiers d'hommes. Au cours de la décennie suivante, le regroupement familial est autorisé. La population musulmane de Suisse augmente (56'625 personnes en 1980, 152'217 en 1990, 310'807 en 2000) et s'équilibre en ce qui concerne la représentation des sexes. Des événements politiques récents expliquent également l'arrivée de migrants de confession musulmane, on pense notamment aux guerres de Yougoslavie. Pour un aperçu complet, je recommande la lecture du rapport réalisé en 2010 pour la Commission fédérale pour les questions de migration par le Groupe de Recherche sur l'Islam en Suisse (GRIS) et accessible en ligne : Vie musulmane en Suisse [1].
Les Cahiers de l’Islam : En France, des auteurs (comme A. Finkielkraut) affirment que "l'islam est un problème en France". N'est-ce pas aussi le cas en Suisse dans le discours de stigmatisation de l'islam et des musulmans ?
Sébastien Chazaud : Tout à fait mais je dirais qu'en Suisse ce discours est tenu dans le domaine public par des personnalité politiques plutôt que par des auteurs ou encore par des intellectuels. Lors du débat suscité par la votation contre la construction de minarets, ce sont principalement des personnalités du puissant parti qu'est l'UDC qui se sont fait entendre et ont attaqué l'islam ainsi que les musulmans. C'est à ce moment qu'a émergé le politicien valaisan Oskar Freysinger qui s'est beaucoup investi dans la campagne. Dans un pays hétérogène (du point de vue linguistique notamment) comme la Suisse, rares sont les personnalités véritablement connues des deux côtés de la Sarine. Le sociologue Jean Ziegler est une exception notable qui confirme la règle. Freysinger et lui, à défaut d'avoir les mêmes positions, ont justement l'avantage d'être parfaitement bilingues.
Les Cahiers de l’Islam : Une telle idée n'était-elle pas au centre des débats lors de la votation pour l'interdiction des minarets (en 2009) ?
Sébastien Chazaud : En effet, cette idée a été extrêmement présente dans un débat qui n'a que rarement porté sur le minaret pour ce qu'il est mais au contraire pour ce qu'il peut représenter, à savoir un symbole visible de l'islam, religion de l'étranger, par rapport au christianisme, religion « historique » de la Suisse. En outre, l'islam est décrit par les partisans de l'interdiction non pas comme une simple religion mais comme une voie de vie complète, avec un système juridique incompatible avec les lois helvétiques.
Les Cahiers de l’Islam : Concernant l'interdiction des minarets, comment est-elle perçue aujourd'hui, avec le recul, par la population suisse ?
Sébastien Chazaud : La population suisse vote fréquemment. Elle a accepté en 2014, pour prendre des exemples relatifs à « l'étranger », une initiative de l'UDC « Contre l'immigration de masse » et refusé une initiative populaire « Halte à la surpopulation », dite Ecopop, dont j'ai rendu compte dans un billet [2]. L'année précédente, elle a largement accepté un durcissement de la loi sur l'asile. En 2010, soit un an après la votation contre l'interdiction des minarets, elle a accepté une initiative populaire de l'UDC « Pour le renvoi des étrangers criminels ». D'autres thématiques ont également donné lieu à des débats fort émotionnels, je pense par exemple à l'armée, à la santé ou encore à l'économie. Ceci pour dire que l'attention de la population, dans le domaine politique, se porte en priorité sur les questions proposées à l'occasion des votations. A ce titre, il paraît désormais évident qu'après les minarets, le nouvel « objet » par lequel l'UDC s'attaque à l'islam est le voile. En effet, le Comité d'Egerkingen, très proche de ce parti et déjà à l'origine de l'initiative « contre la construction de minarets », s'apprête à proposer un nouveau texte visant, cette fois-ci, à interdire le port du voile intégral et la dissimulation du visage dans les lieux publics. L'UDC valaisanne, de son côté, a déposé une initiative populaire « pour des têtes nues dans nos écoles » [3]. Le Tessin, quant à lui, a déjà interdit la dissimulation du visage dans les lieux publics, avec, comme l'a admis Giorgio Ghiringhelli, à l'origine de l'initiative ayant permis cette interdiction, la burqa comme cible principale [4].
Pour le public intéressé par la thématique de l'Islam en Suisse, nous vous recommandons cet ouvrage :
Sébastien Chazaud : La population suisse vote fréquemment. Elle a accepté en 2014, pour prendre des exemples relatifs à « l'étranger », une initiative de l'UDC « Contre l'immigration de masse » et refusé une initiative populaire « Halte à la surpopulation », dite Ecopop, dont j'ai rendu compte dans un billet [2]. L'année précédente, elle a largement accepté un durcissement de la loi sur l'asile. En 2010, soit un an après la votation contre l'interdiction des minarets, elle a accepté une initiative populaire de l'UDC « Pour le renvoi des étrangers criminels ». D'autres thématiques ont également donné lieu à des débats fort émotionnels, je pense par exemple à l'armée, à la santé ou encore à l'économie. Ceci pour dire que l'attention de la population, dans le domaine politique, se porte en priorité sur les questions proposées à l'occasion des votations. A ce titre, il paraît désormais évident qu'après les minarets, le nouvel « objet » par lequel l'UDC s'attaque à l'islam est le voile. En effet, le Comité d'Egerkingen, très proche de ce parti et déjà à l'origine de l'initiative « contre la construction de minarets », s'apprête à proposer un nouveau texte visant, cette fois-ci, à interdire le port du voile intégral et la dissimulation du visage dans les lieux publics. L'UDC valaisanne, de son côté, a déposé une initiative populaire « pour des têtes nues dans nos écoles » [3]. Le Tessin, quant à lui, a déjà interdit la dissimulation du visage dans les lieux publics, avec, comme l'a admis Giorgio Ghiringhelli, à l'origine de l'initiative ayant permis cette interdiction, la burqa comme cible principale [4].
Pour le public intéressé par la thématique de l'Islam en Suisse, nous vous recommandons cet ouvrage :
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[1] http://www.ekm.admin.ch/dam/data/ekm/dokumentation/materialien/mat_muslime_f.pdf.
[2] http://www.democratie.ulg.ac.be/ecopop-ecologie-ou-xenophobie/.
[3] Le Temps, 11 mars 2015.
[4] Le Temps, 10 septembre 2013.
[1] http://www.ekm.admin.ch/dam/data/ekm/dokumentation/materialien/mat_muslime_f.pdf.
[2] http://www.democratie.ulg.ac.be/ecopop-ecologie-ou-xenophobie/.
[3] Le Temps, 11 mars 2015.
[4] Le Temps, 10 septembre 2013.