Tareq Oubrou / © Crédit photo : Archives Guillaume Bonnaud
Tareq Oubrou, imam et recteur de la mosquée de Bordeaux. Il est l'auteur, entre autres, de Appel à la réconciliation. Foi musulmane et valeurs de la République française, Paris, Plon (2019) ; Ce que vous ne savez par sur l’Islam, Paris, Fayard (2016) ; L'Unicité de Dieu. Des Noms et Attributs divins, Editions Bayane (2006)
Que pensez-vous de la création d’un Conseil national des imams ?
La question fondamentale, et qui est implicite de votre question : de quel islam s’agit-il ? S'agit-il d’un islam civilisationnel ? D’un islam culturel ? D’un islam ethnique ? D’un islam politique ? Il est vrai que l'islam, en tant que phénomène qui a fait irruption dans la société française, pose un certain nombre de problématiques, et pour les musulmans et la société qui a accueilli cette population avec des mémoires différentes, des cultures différentes et tout ceci sous couvert du label islam. L’islam recouvre beaucoup de réalités : sociologique, ethnique, doctrinale, politique. On est devant un phénomène très complexe par nature et qu'on résume en général par le mot islam.La suite dans la vidéo ci-dessous.
Quand il y a un phénomène, lié à l'islam, qui perturbe l’équilibre laïque de la société on le qualifie d’islamisme, c'est-à-dire un islam engagé et qui a un projet déclaré ou pas pour islamiser. Parce que l’on a toujours cette vision de l’islam conquérant depuis le moyen-âge, sachant que l’islam et le catholicisme sont deux religions du salut universel et prosélytes par essence […] Dès que l’on traite de l’islam, on a ces a priori. Il y a aussi le rapport colonial avec cette population. Nous sommes donc véritablement dans un laboratoire d'une complexité inouïe.
En France avons-nous les compétences musulmanes pour mener une réforme des discours islamiques ?
« Toute pensée dynamique est en permanence en contradiction avec elle-même ».
Il ne s'agit pas de donner des injonctions : donnez-nous un islam occidental ! Non, ça ne se décrète pas... en même temps, il faut être pragmatique. L'approche de l'État est une approche réaliste-pragmatique. Il faut traiter le symptôme et, en même temps [mener] la refondation des théologies, c'est-à-dire de la refondation de la pensée et de l'agir musulman en Occident. C'est une chance pour nous de repenser notre islam au cœur de la civilisation humaine qui est l'Occident, qu'on le veuille ou non, et qui a imposé ses valeurs au monde. Comme les musulmans, au moyen-âge, ils ont pensé avec les Grecs, les Byzantins, les Perses, nous devons penser avec notre civilisation actuelle. C'est un travail qu'il faudrait mener […] Ce n’est pas à l’État de le faire, c’est aux musulmans de le faire. Malheureusement, le constat est amer : les musulmans n’ont pas cette maturité.
Ce qui pose problème, ce n’est pas le culte...
Ce qui pose problème, ce n’est pas le culte, l’islam n’est pas qu’un culte […] ce qui est problématique c’est l’horizontalité, c’est-à-dire le droit canonique, l’éthique – les pratiques individuelles et collectives dans l’espace public […] Nous avons besoin d’une armée d’imams qui diffusent une lecture de l’éthique musulmane qui s’inscrit dans l’altérité, qui ne prend pas en considération uniquement le droit mais la culture également - ce que j’appelle la théologie d’acculturation. Parce qu’il y a beaucoup de choses que le droit nous confère […] mais le problème n’est pas au niveau du droit, ni même au niveau de laïcité, c’est au niveau d’un changement des mœurs qui n’est pas admis par la société française.
Comment penser l’islam de France dans un monde globalisé ?
« [dans ce monde globalisé] on ne peut avoir qu'une éthique provisoire… »
Faut-il créer un institut de la formation des imams en France ? En Europe ?
C’est la même problématique : sur quel corpus doctrinal former ces imams ? Sur le malikisme ? Le hanafisme ? La théologie ash’arite ? Maturidite ? Mu‘tazilite ? Ou faut-il inventer une nouvelle théologie et un niveau droit canon ? […] Il faut une épistémologie sur la base de laquelle on va penser un programme pour pouvoir assurer une formation en adéquation avec la civilisation occidentale. Sinon, c’est du bricolage. On importe un islam médiéval […]. Ce qui m’intéresse, c’est le fond.
C'est pour quand la réforme de l'islam?
« La réforme, ça ne se décrète pas […] La réforme... on la fait, on n’en parle pas. Il faut produire tout simplement, et c’est l’histoire qui juge ».
Le patrimoine islamique n’est-il pas un obstacle à la réforme des discours islamiques ?
Vous savez, il y a des gens qui veulent rester dans le passé et il y a des gens qui veulent rompre avec le passé. Les deux solutions sont mauvaises […] Il faut parler avec les anciens et les modernes. Je suis pour la démarcation, mais pas pour la rupture. L’héritage, il faut le lire d’abord ; il faut le connaître d’abord… On ne peut pas critiquer quelque chose qu’on n’a pas étudiée.