"... je ne voudrais pas m’arrêter à la seule égalité des hommes et des femmes, à la différenciation sexuelle. C’est aussi des dimensions du féminin qu’il est question, de celles de l’humanité de l’homme et de la femme et de son rôle sur cette Terre… Il y a lieu d’interroger sa portée, de méditer dans cette perspective, pour saisir ce qu’on peut appeler le « souffle féminin » dans le message coranique, là où la Loi prend son sens."
Diplômée en Philosophie (Lille), en Science politique (Université Mohamed V de Casablanca), en Sociologie générale (Paris VII), Thérèse Benjelloun a enseigné en France et au Maroc, collaboré à l'hebdomadaire marocain L'Economiste, à la revue Prologues, à des projets éditoriaux, dont le lancement à Casablanca des éditions canadiennes « Edgar Morin Editeurs ». Elle a publié plusieurs essais, parmi lesquels Femme, culture, entreprise au Maroc, Wallada, Casablanca, 1994.
A l'occasion de la publication de son dernier ouvrage, Le souffle féminin du message coranique, Les Cahiers de l'Islam, 2015 (Préface de Khireddine Mourad), Thérèse Benjelloun nous présente celui-ci au travers de cette rencontre.
A l'occasion de la publication de son dernier ouvrage, Le souffle féminin du message coranique, Les Cahiers de l'Islam, 2015 (Préface de Khireddine Mourad), Thérèse Benjelloun nous présente celui-ci au travers de cette rencontre.
Les Cahiers de l'Islam : Thérèse Benjelloun, vous venez de publier un ouvrage intitulé Le souffle féminin du message coranique. Contrairement à de nombreux ouvrages parus récemment, il n’est visiblement pas question ici de « revendications féminines ». Il semble plutôt s’attacher, entre autres, à rappeler aux lecteurs le cœur du message spirituel de l’Islam relatif aux relations hommes-femmes en Islam. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Thérèse Benjelloun : Effectivement je n’ai pas du tout travaillé dans un esprit de revendication. Je n’en ressens pas le besoin, l’égalité entre les femmes et les hommes me paraissant intimement une évidence – ce qui ne veut pas dire que la conscience et sa pratique en soient acquises partout, pour toutes et tous ! Ma conviction se heurtait au miroir déformant du regard ‘occidental’ sur cette question, des préjugés globalisés par l’hégémonie occidentale, présents parmi les Musulmans eux-mêmes, qu’ils la revendiquent, s’y opposent ou s’y enlisent épisodiquement. Cette perplexité m’a ainsi plutôt conduite à me demander ce que voulait dire ‘être femme’ dans l’esprit de l’Islam. Il me semblait fondamental d’interroger l’essence féminine et l’étendue du rôle qui lui est alloué, d’approcher la dimension spirituelle du féminin et du masculin. J’ai donc entrepris, à la mesure de mes moyens, d’interroger dans un esprit positif les sources dont nous disposons : le Coran, la Sunna, les commentaires et les attitudes des théologiens et des maîtres spirituels… En commençant par répertorier les versets coraniques qui avaient trait aux femmes. Je n’avais pas de thèse à soutenir, ni de débat à ouvrir.
Les Cahiers de l'Islam : A l’instar d’autres chercheurs récents, vous mettez en exergue l’égalité ontologique de l’homme et de la femme en Islam. Comment expliquez-vous que celle-ci, à de rares exceptions près, n’ait pas été réellement prise en compte par les élites musulmanes des générations précédentes ?
Thérèse Benjelloun : Il y a toujours eu en Islam des femmes épanouies, libres, soutenues par leur entourage masculin et féminin. Même si elles sont exceptionnelles, si surtout on n’en a pas ou peu gardé la mémoire, la lecture qu’on opère ne doit pas être dichotomique : l’effacement apparent des femmes, même s’il s’avère effectif, du moins dans le regard qu’on porte sur elles, ne doit pas tromper sur la réalité de leur rôle dans la société, sur leur statut juridique et leur degré ontologique. Le reste relève du contingent, du coutumier… A ce niveau, les habitudes sociales et intellectuelles, les anciens modes de penser l’ont souvent emporté sur la profondeur du message coranique qui affirme l’égalité ontologique des hommes et des femmes. Des relents du passé se sont glissés. On trouve ainsi encore des musulmans qui déclarent qu’Eve a été tirée d’une côte d’Adam, ce qui n’est pas islamique, mais biblique. Et puis la méconnaissance, voire l’ignorance des Textes, a permis le développement d’interprétations fausses, sans compter les objectifs parfois plus politiques que théologiques de certains docteurs de la Loi ou prétendus tels. L’enthousiasme de la période de la Révélation s’étant affaibli, une certaine orthodoxie a figé le flux de ses apports. Pourtant les grands Maîtres n’ont jamais cherché, à ma connaissance, à imposer leur interprétation. Ils n’ont pas toujours été entendus, mais leur parole vit. A chacun de retrouver le sens de la lettre coranique, à faire la distinction du pérenne et du circonstanciel… Et puis il faut dire que plus récemment les femmes ont été un des enjeux de la colonisation, justement dans la mesure où elles constituent bien un pilier essentiel de la société. Le colonisateur s’en est servi pour forcer la société à évoluer dans la direction qui l’intéressait, soit en cherchant à la maintenir dans ce qu’il considérait comme sa tradition afin de la dominer, soit en l’éduquant à sa propre vision du monde pour une ‘libération’ selon ses valeurs, soit tout cela simultanément. Les colonisés ont réagi à cette stratégie par l’angoisse et le souci de maintenir l’ordre traditionnel en le bloquant parfois. Mais je le répète, cela n’est pas systématique, et le regard doit s’ouvrir au-delà des apparences et dépasser les clichés.
Les Cahiers de l'Islam : Selon vous quels sont les éléments qui permettraient de rendre ce discours audible dans le monde actuel ? Un monde globalisé, où la question éthique se pose avec urgence. Finalement, dans la perspective de générer une dynamique libératrice sur la question des femmes, le moment n’est-il pas venu de se saisir des valeurs universelles et égalitaires du message originel de l’islam que vous évoquez au sein de votre ouvrage ?
Thérèse Benjelloun : De quelle dynamique libératrice est-il question ? Les femmes en ont-elles besoin ? Je peux vous dire, à partir de ce que j’ai vu, que dans les campagnes et les montagnes marocaines, là où la vie est très dure pour les femmes – comme pour les hommes – elles se sont souvent organisées dans des coopératives qui fonctionnent très bien. Les femmes y jouent de ce fait un rôle qui ne leur est pas du tout dénié par leurs compagnons. En ville, où la vie n’est pas non plus facile, elles prennent des responsabilités, réclament leurs droits… Le mouvement s’opère, inévitablement, selon leurs critères, en fonction des nécessités, les leurs, pas celles qu’on voudrait leur imaginer ici ou là ! Ceci étant je crois que l’éducation aux valeurs universelles des Textes et de la sunna, la connaissance et la méditation des sources scripturaires, permettraient une dynamique de progrès personnel et collectif autonome, en relation avec le monde contemporain et sans mimétisme. C’est un vaste chantier, où presque tout reste à réaliser, mais qui avance, discrètement !
Les Cahiers de l'Islam : Il semble effectivement que l’on assiste actuellement à travers le Monde Musulman à un certain renouveau féminin, un mouvement où les « revendications » féminines s’affranchissent simultanément des discours islamiques apologétiques et traditionalistes majoritaires et des discours féministes qui se prétendent universels. Dans quelle mesure peut-on dire que votre ouvrage s’inscrit dans une telle démarche, en proposant notamment une certaine forme de « réappropriation féminine » de l’interprétation des textes sacrés ?
Thérèse Benjelloun : Chacun, homme ou femme, doit obtenir le moyen d’accéder aux sources scripturaires de l’Islam. Et cela passe par l’apprentissage de la lecture et une certaine autonomie intellectuelle. L’interprétation des textes n’est pas la propriété des uns ou des autres. Elle est plurielle et se situe à des niveaux différents. Un même mot, un même verset coranique, peuvent revêtir des significations diverses, sans que celles-ci s’opposent ou s’additionnent simplement. Le message coranique doit prendre son sens pour chacun, là et au moment où il vit. Peut-être aujourd’hui la présence des femmes est-elle plus visible ? Plus agissante ? Je ne pense pas qu’elle ait jamais été inopérante… S’affranchir, c’est se libérer. Mais le mouvement tourne court si l’on en vient à s’enfermer dans la revendication, ou dans la simple mise en exergue du statut juridique des femmes, sans rappeler au moins qu’il est empreint de justice, de miséricorde mutuelle. Pour cette raison je ne voudrais pas m’arrêter à la seule égalité des hommes et des femmes, à la différenciation sexuelle. C’est aussi des dimensions du féminin qu’il est question, de celles de l’humanité de l’homme et de la femme et de son rôle sur cette Terre… Il y a lieu d’interroger sa portée, de méditer dans cette perspective, pour saisir ce qu’on peut appeler le « souffle féminin » dans le message coranique, là où la Loi prend son sens.