Les cahiers de l'Islam
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Dimanche 7 Septembre 2014

Reportage : La ville syrienne de Homs montre des signes de vie dans un décor lunaire dévasté


Reportage spécial : Ian Black trouve les chuchotements de la normalité, de la stabilité et quelques habitants dans l'ex-bastion rebel assiégé par les forces d'Assad pendant deux ans (the guardian).



Reportage : La ville syrienne de Homs montre des signes de vie dans un décor lunaire dévasté

Ian Black est le rédacteur en chef Moyen-Orient du journal The Guardian. Avec plus de 25 années d'écriture à son actif, il a également été le rédacteur en chef européen, rédacteur diplomatique, chef-écrivain à l'étranger et correspondant au Moyen-Orient.

Homs au mois de mai quand un accord négocié par l'Iran a permis aux combattants anti-Assad de la quitter, avec une poignée de non combattants qui ont survécu au siège pendant 2 ans. Photographe : Reuters.
Homs au mois de mai quand un accord négocié par l'Iran a permis aux combattants anti-Assad de la quitter, avec une poignée de non combattants qui ont survécu au siège pendant 2 ans. Photographe : Reuters.


Ce texte est une traduction de l'article de Ian Black paru sur le site the guardian, le 31 juillet 2014. Vous pouvez trouver l'article d'origine sur ce lien. Traduction par l'équipe des Cahiers de l'Islam.


Par Ian Black

Adnan Azzam a fort à faire. Chaque chambre de son appartement du deuxième étage situé dans la vieille ville de Homs porte les stigmates de la guerre : il y a un trou d'obus dans le coin de la chambre des enfants et les tiroirs sont absents des armoires vitrées dans le salon décoré. Ils ont été coupés pour être utilisés comme bois de chauffage par les rebelles qui, occupant l'appartement, ont fait leur cuisine dans la cage d'escalier, laissant des traces de brûlure sur le mur blanchi à la chaux.

Dans la rue, une affiche met en garde les résidents qui sont de retour afin qu'ils se méfient dans le cas où ils tomberaient par hasard sur l'une de ces nombreuses sortes des munitions et d'armement - obus de mortier, roquettes, grenades - qui ont été utilisés durant la féroce bataille pour la troisième plus grande ville de Syrie, "Capitale" de la Révolution, qui tenta, puis échoua, de renverser le président Bachar al-Assad. «Tenez-vous à l'écart, ne les touchez pas et informez les autres si vous voyez l'une de celles-ci 
» exhorte-t-elle.

Azzam fait parti de ces quelques dizaines de personnes qui revinrent dans le quartier chrétien lorsqu'un qu'un accord négocié par l'Iran autorisa les combattants anti-Assad à le quitter, avec une poignée de non-combattants qui avaient survécu au siège ayant duré deux ans. L'accord de mai représente assez bien la manière avec laquelle le conflit syrien fut géré dans sa quatrième année. Neuf cents rebelles furent autorisés à sortir, avec leurs armes, reportant les combats à un autre jour. Ailleurs, cependant, la guerre continue. 

«Mon appartement est en meilleur état que beaucoup d'autres», explique l'ingénieur à la retraite, qui a fui vers un village voisin au début de 2012 ."Les combattants vivaient habituellement au rez de chaussée dans le cas où ils eurent été bombardés. C'était un quartier agréable. Les deux parties sont à blâmer. Maintenant, les gens viennent pour nettoyer leurs maisons et vider les poubelles. Mais le gouvernement ne peut pas se permettre de payer pour effacer tous les dommages. Peut-être attendent-ils l'aide internationale ? Il m'est encore impossible de ramener ma famille ».

Abdullah Sabbagh, le voisin du bas d'Azzam, a sécurisé sa porte avec un lourd cadenas pour dissuader les voleurs. Anas, qui vit au coin de la rue, réclame une nouvelle cuisine et une nouvelle salle de bain, mais n'a pas encore reçu une quelconque compensation officielle - ce qui implique d'obtenir un rapport de police que l'on récupère auprès de la municipalité. L'eau a été restaurée mais les fournitures d'électricité sont sporadiques.

Le contrôle du gouvernement syrien dans la majeure partie de Homs ne fait aucun doute. Photograph : Joseph Eid/AFP/Getty Images
Le contrôle du gouvernement syrien dans la majeure partie de Homs ne fait aucun doute. Photograph : Joseph Eid/AFP/Getty Images
Pourtant, des signes de rétablissement peuvent être notés. Ce mois-ci le premier mariage, depuis que les loyalistes d'Assad appellent à la libération, a été célébré dans l'église syriaque orthodoxe du premier quart de siècle (apr. J.-C), Umm al-Zennar. De même, Bayt al-Agha, le restaurant de l'époque ottomane se trouvant à proximité, avec sa structure distinctive qui alterne pierres noires et blanches désormais à moitié détruite, a été ouvert au public pendant la Coupe du monde au Brésil. Cependant, à la nuit tombée, les ruelles sont étrangement désertes, des figures fantomatiques émergent des points de contrôle de sécurité à l'approche des véhicules. Il faudra de nombreuses années avant de retrouver le cachet pittoresque d'antan.

Le jour venu, le niveau de destruction de Homs se révèle choquant. Les bâtiments sont détruits et grêlés ou encore les étages effondrés les uns sur les autres. L
es fenêtres ne sont plus que des espaces sombres carbonisés. Les slogans gribouillés sur des murs nous restituent des bribes de l'histoire : "Bienvenue aux gens du Jihad" lit-on sur celui-ci. D'autres vantent Al-Farouq, l'une des premières brigades de l'Armée Syrienne Libre, l'alliance rebelle principale. Dans le paysage lunaire du voisinage de Bab Hud, sur la ligne de front formée par la citadelle de Homs, un commandant a signé lui même : Issam Abu Al-Mout *, un nom de guerre constitué d'une terrifiante référence à un homme qui se vante de faire face à la mort.

Les résidents reviennent inspecter leurs maisons dans le quartier de Wadi Al-Sayeh de Homs en mai, après la chute de la ville au bénéfice des forces d'Assad. Photo: Omar Sanadiki/Reuters
Les résidents reviennent inspecter leurs maisons dans le quartier de Wadi Al-Sayeh de Homs en mai, après la chute de la ville au bénéfice des forces d'Assad. Photo: Omar Sanadiki/Reuters
Les images de victoire ont été placardées partout. Sur une structure squelettique noircie, en face de la mosquée Khalid ibn Al-Walid, une longue bannière d'Assad, dans un costume sobre préférée ici à la tenue de camouflage commando chic qu'il affecte habituellement, flotte dans le vent chaud. "Ensemble nous reconstruirons" déclare-t-il. Les bulldozers ont commencé à dégager des trous dans les décombres. De joyeuses peintures de rue - faisant partie de la campagne "Homs dans mon cœur" - égayent la vue poussiéreuse et grisâtre.

A Damas, le ministère de l'information, qui contrôle les visas et l'accès des médias étrangers, tient à approuver les voyages à Homs où l'évolution de la situation correspond largement au discours officiel d'un retour à la normalité, d'un retour à la stabilité ainsi qu'au début de la reconstruction - et bien sûr à la victoire revendiquée par Assad. 

Le contrôle du gouvernement syrien ne fait aucun doute. La route de la capitale vers Homs est un peu plus longue que les jours d'avant-guerre en raison d'un détour nécessaire pour éviter le risque de rencontrer des tireurs d'élite sur la route principale, et il y a de fréquents et exaspérants des points de contrôle où les soldats s'ennuient et exigent des contrôles d'identité et des fouilles de véhicules. Au nord, vers Alep et dans les zones détenues par ISIS (Islamic State in Iraq and the Levant), on peut entendre le grondement de l'artillerie.

Les membres de l'Armée de Défense nationale inspectant un taxi dans le Wadi Dahab, une zone alaouite de Homs qui a été la récente cible d'attentats à la voiture. Photo : Anwat Amro/AFP/Getty Images
Les membres de l'Armée de Défense nationale inspectant un taxi dans le Wadi Dahab, une zone alaouite de Homs qui a été la récente cible d'attentats à la voiture. Photo : Anwat Amro/AFP/Getty Images
La ville n'est pas entièrement sûre. A Wadi Dahab, une zone de Homs densément peuplée par des alaouites, des gravats frais marquent les sites de récents attentats à la voiture, l'un d'eux revendiqué par Jabhat al-Nusra, le groupe djihadiste syrien de la région qui a fait allégeance à Al-Qaïda. Les commerçants ont placé des fûts de carburant sur le trottoir pour essayer de mettre un peu de distance entre eux et une éventuelle explosion. 
 
Baba Amr, le quartier tenu par les rebelles où les journalistes Marie Colvin et Rémi Ochlik ont été tués par les tirs de roquettes du gouvernement en Février 2012, est dévasté et semble étrangement désert. Un barrage de la milice en interdit l'accès. D'autres parties de la ville sont étonnamment bien conservées. A Inshaat, où des rangées de rutilants véhicules blancs de l'ONU remplissent le parking d'un hôtel d'Etat cinq étoiles, les rues sont propres et en bon ordre, les restaurants sont animés pour l'Iftar, le repas du Ramadan.

Personne ne sait exactement combien d'habitants de Homs ont fui à l'étranger, ou combien se sont déplacés à l'intérieur de la Syrie. Mais le mois dernier, le HCR comptait encore plus de 352 000 personnes de la ville inscrits en tant que réfugiés, la majorité se trouvant au Liban voisin - soit entre un quart et un cinquième de la population d'avant-guerre. Les rumeurs abondent sur des biens abandonnés dans les zones favorables à l'opposition et emmenés par les loyalistes alaouites ainsi que sur les pillages de la très détestée Armée de Défense nationale, formée par des Iraniens. Aucune statistique n'est disponible. 

Les militants de l'opposition, qui vivent maintenant ailleurs, rejettent le discours optimiste du gouvernement. "Homs est la ville de l'horreur", déclare Razan, dont la famille sunnite a été impliquée dans les manifestations de masse du mois d' avril 2011 et a subie l'offensive de l'armée ainsi que la répression qui a suivi. "S'il y avait eu une vraie solution, les gens seraient en mesure de revenir en arrière, mais des centaines d'entre eux sont toujours en prison. Le gouvernement supprime des postes de contrôle et essaie de montrer que tout va bien. C'est fou comment ils ont réussi à "recouvrir" le tout et laver le cerveau des gens simplement en disant: «Passons à la suite »".
 
Samer, un riche homme d'affaires, pose clairement le ton : «Tout ceci a pour but d'étouffer la rébellion."


Les chars syriens sont repérés près de Bab Amr, à Homs, en 2012. Photo: Reuters
Les chars syriens sont repérés près de Bab Amr, à Homs, en 2012. Photo: Reuters
A Al-Waer, à deux miles à l'ouest, nous retrouvons le champ de bataille. Comme d'autres zones tenues par les rebelles à travers la Syrie, cette partie de Homs est toujours en état de siège. Les appartements situés sous les toits de plusieurs tours sont brûlés - touchés par l'artillerie du gouvernement dans le but de déloger les snipers. Mais il s'agit essentiellement d'une guerre statique et curieusement "intime". Les résidents, qui comprennent également des fonctionnaires, se déplacent chaque jour à l'intérieur et en dehors de la banlieue pour travailler ou étudier, passant devant l'armée et les barrages routiers des rebelles qui se trouvent juste derrière à quelques centaines de mètres de distance. Des garçons émaciés détalent pour gagner quelques livres en portant les courses à travers l'espace qui sépare les deux camps. Les négociations sur les conditions d'accès, et peut-être sur un éventuel vieil accord de l'évacuation de la ville, se poursuivent de manière sporadique. 

« C'est difficile, surtout pour les enfants, et le principal souci reste leur bien-être psychologique », explique Afra, une étudiante en droit, en regardant avec méfiance l'agent de sécurité en uniforme qui flâne à proximité pendant qu'elle décrit la situation sur place. "En tant qu'adulte, vous pouvez y faire face, mais les plus petits ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ont peur des bruits soudains et si une porte claque, ils sursautent. "

Omar, la cinquantaine et propriétaire d'un magasin, soutient que les combattants à Al-Waer sont des syriens, dont beaucoup de gens du pays -et non les étrangers vilipendés par les médias de l'Etat - qui restent entre eux la plupart du temps. "Il y a deux jours, ils ont commencé à se tirer les uns sur les autres. Quand cela arrive, c'est effrayant et nous voulons que l'armée intervienne. Nous sommes fatigués. J'avais acheté une nouvelle maison mais elle a perdu de sa valeur. Nous voulons en finir avec ça ."  Ce sentiment de lassitude est largement partagé, à Homs et au-delà. 

« J'avais l'habitude d'aller travailler tous les jours et d'entendre le bruit des balles des tireurs d'élite », explique Samar, une fonctionnaire alaouite travaillant au sein du département 
régional de l'éducation de Homs. En 2012, sa famille et elle ont déménagé dans un appartement éloigné de la vieille ville, mais pas suffisamment encore pour être hors de portée des mortiers tirés par les rebelles. "Le pire, c'est la peur d'être enlevé" dit-elle. « Parfois, nous ne jetions pas nos ordures durant plusieurs jours de peur d'être dans la rue. Mais les choses vont beaucoup mieux maintenant» Anas, sa fille, raconte qu'elle a été forcée de porter le hijab lors des manifestations anti-régime qui se sont accrues à l'apogée du sanglant printemps arabe syrien. 

Pourtant, il y a aussi une volonté d'aller de l'avant et d'essayer d'accentuer le positif. 
« A un moment cela est devenu un conflit sectaire», dit Nazem Kanawati, un autre chrétien qui a quitté sa maison pour le vieux Homs et qui milite depuis peu pour la campagne de reconstruction. « Mais, regardez, la mosquée est plus proche de mon domicile que l'église. Elle fait aussi partie de mon patrimoine. Rappelez-vous : l'Europe a été complètement détruite après la seconde guerre mondiale et elle a été capable de se reconstruire. Je sens qu'un brillant avenir est devant nous. Les blessures de la guerre peuvent être guéries. »


* NDLR Les cahiers de l'Islam : Issam le "père de la mort".




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