L’ouvrage d’Omero Marongiu-Perria est un essai appelant au développement d’une réforme profonde de la lecture de l’islam. Arguant que les positions tenues par les organisations musulmanes extrémistes proviennent des sources mêmes de la théologie musulmane classique, l’auteur propose une démonstration qui situe les origines profondes du problème dans l’héritage sunnite traditionnel, puis appelle à une réforme ou un ijtihad profond de la pensée musulmane..
Baptiste Brodard
Broché: 150 pages
Editeur : ATLANDE (1 juillet 2020)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2350304281
Editeur : ATLANDE (1 juillet 2020)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2350304281
Par Baptiste Brodard
Docteur en études religieuses.
Docteur en études religieuses.
Contexte
Les attentats de janvier et de novembre 2015 perpétrés à Paris par le groupe auto-proclamé « Etat islamique » (ou Daech) ont réalimenté le débat sur la présence musulmane en France. À travers le questionnement des interprétations musulmanes, la recrudescence d’un terrorisme perpétré au nom de l’islam a poussé nombre de penseurs, imams ou responsables d’associations religieuses à s’exprimer sur la nature de l’islam et sa compatibilité vis-à-vis des valeurs républicaines et des droits humains. En parallèle, nombre de musulmans se sont questionnés sur les interprétations de l’islam et les causes de la « radicalisation » extrémiste de certains coreligionnaires. Rapidement, des voix ont désigné le wahhabisme-salafisme comme l’origine du problème, en identifiant ce courant apparu au XVIIIème siècle en Arabie et propagé massivement depuis quelques décennies dans le monde entier au facteur prépondérant de l’extrémisme dans le monde musulman. D’autres ont été plus loin en affirmant que le racine du problème est bien plus profonde : elle découlerait de l’héritage classique de l’islam sunnite. C’est dans cette approche que peut se situer l’ouvrage d’Omero Marongiu-Perria, sociologue et spécialiste de l’islam en France, musulman doté d’un long parcours dans la communauté musulmane et notamment dans la mouvance des Frères musulmans. L’auteur dépasse la thèse récurrente selon laquelle le terrorisme islamiste contemporain serait une conséquence du wahhabisme en soutenant que l’islam sunnite, à travers son processus d’institutionnalisation au cours des derniers siècles, porte en lui-même les germes de l’extrémisme religieux. Les injonctions obscures de certains groupes terroristes découleraient donc directement de ce même héritage religieux, qui serait par ailleurs enseigné dans la majorité des mosquées et des associations musulmanes.
Approche de l’auteur et problématique de l’ouvrage
Dans ce contexte, Omero Marongiu-Perria relève que nombre de discours véhiculés par des personnes se réclamant de l’islam s’opposent aux idéaux de liberté, au respect de l’intégrité humaine, ou encore à l’égalité des sexes. Il constate qu’une majorité de croyants et de responsables religieux s’opposent aux exactions et abus de comportement commis par d’autres musulmans, mais que ces derniers légitiment paradoxalement ces mêmes actes en se référant à la même littérature théologique. En s’opposant violemment aux actes terroristes qui n’auraient « rien à voir avec l’islam », les mêmes cadres musulmans font pourtant référence selon l’auteur à des ouvrages religieux comportant des textes de droit qui ordonnent par exemple la guerre offensive à l’encontre des non-musulmans. C’est cette ambigüité que se propose de traiter l’ouvrage en question.
En partant de l’exemple de Daech, l’auteur remarque que les groupes islamistes terroristes recourent systématiquement à la légitimation fondée sur la théologie musulmane. Cette observation le conduit à opter pour une investigation de fond basée sur le poids de la pensée théologique dans la production et la légitimation de discours et de pratiques transgressant les droits humains. Sa démarche se propose donc de remonter aux sources profondes du problème, qui se rapportent selon lui aux discours de la théologie musulmane classique.
Par souci méthodologique, l’auteur construit sa démonstration en utilisant l’esclavage comme un exemple illustratif de discours religieux contraires aux droits humains. Dans cette optique, l’auteur débute son exposé par le rappel de pratiques d’esclavage commises par le groupe Daech alors légitimées par une rhétorique théologique construite sur des versets du Coran, des ahâdith et fatawa de savants largement reconnus dans le sunnisme traditionnel. Après un exposé concis de références mobilisées par Daech pour justifier sa pratique l’esclavage, l’auteur présente plusieurs extraits de textes de savants musulmans classiques en lien avec l’esclavage en relevant que la pratique de l’esclavage a été largement légitimée durant plusieurs siècles et considérées comme une norme « allant de soi » dans un contexte basé sur des rapports de domination et de différenciation.
En s’intéressant ensuite aux discours de penseurs musulmans contemporains dont l’autorité théologique est largement reconnue par les musulmans sunnites, l’auteur relève une certaine contradiction et ambiguïté. D’un côté, dans un élan apologétique, ils démontrent que la vocation de l’islam a toujours été de mettre fin à la pratique ancestrale de l’esclavage et de rendre l’être humain libre et indépendant. D’un autre, ils relaient des discours de la jurisprudence traditionnelle relative aux règles de l’esclavage sans distanciation ni contextualisation. Ils ajoutent alors en conclusion que les esclaves ont été beaucoup mieux traités dans l’islam que dans l’histoire occidentale moderne. En bref, la posture de ces théologiens reste selon l’auteur paradoxale : elle soutient d’un côté la vocation abolitionniste de l’islam, tout en défendant parallèlement la validité de certains textes légitimant l’esclavage. Pour l’auteur, la question de l’esclavage est représentative d’une problématique plus large, relative au rapport qu’entretiennent les musulmans avec l’héritage religieux institutionnel et un ensemble important de textes sacralisés. À travers cet exemple, il cherche ainsi à ouvrir le débat de la place de certains textes dans la pensée musulmane et de la nécessité d’une réforme de fond dans la théologie.
En effet, au-delà de l’hétérogénéité des mouvements islamiques, l’auteur démontre un lien tenace et récurrent entre un héritage théologique islamique construit durant le Moyen-Âge et les dérives contemporaines dans les propos et pratiques de personnes ou collectifs extrémistes, condamnés pour leur irrespect de l’être humain et des droits fondamentaux. Ainsi, il souligne la nécessité de déconstruire le paradigme islamique dominant, en l’identifiant comme une cause profonde des idéologies extrêmes actuelles. L’ouvrage soutient alors que la racine du problème ne vient pas spécifiquement du wahhabisme ni de l’idéologie des Frères musulmans, mais qu’elle s’incarnerait bien plus pernicieusement dans le paradigme islamique développé en amont durant les premiers siècles de l’islam, et qui serait aujourd’hui encore partagé par les diverses tendances d’islam malgré leur diversité visible et revendiquée. Dans cette vision, le wahhabisme partage avec la mouvance des Frères musulmans, les courants traditionnalistes ou encore les confréries soufies toute une série de normes et une vision du monde semblable, issues de la théologie formalisée et institutionnalisée à partir de la rigidification de la pensée islamique et de la « fin » de l’ijtihad qui se situerait entre le Xème et XIIIème siècle. Dès lors, les récents élans et tentatives de réponse à l’extrémisme promus par certains penseurs autant dans le courant traditionnaliste malékite que dans le courant « frériste » sont selon l’auteur infructueuses et fragiles, car ces deniers se réfèrent aux mêmes textes de base, problématiques en soi, sans réelle prise de distance. Pour y voir plus clair, il faudrait plutôt remonter en amont pour s’intéresser au droit musulman médiéval, qui représente encore la base de la pensée théologique contemporaine dominante dans l’islam.
Dans la perspective de l’auteur, la déconstruction d’arguments théologiques justifiant l’esclavage, l’inégalité des droits entre sexes ou encore les rapports belliqueux envers les non-musulmans ne peut se faire que par la remise en question de textes anciens, trop souvent sacralisés, et par la distanciation d’un héritage religieux datant de plus de mille ans. Cette entreprise difficile sous-entend la désacralisation et l’historisation non seulement de travaux de théologiens de renom, mais aussi des bases du droit musulman. Elle propose également de questionner la validité de certains propos attribués aux prophètes (ahâdith). Déconstruire le paradigme hégémonique passerait ainsi par une réforme théologique radicale, caractérisée par une critique orientée non seulement vers les travaux théologiques majoritaires, mais également vers les sources même du droit et du dogme islamiques. Selon l’auteur, ce travail de déconstruction et de désacralisation est le seul à même de contrecarrer les discours théologiques instrumentalisés par Daech et par d’autres groupes terroristes et extrémistes.
Pour conclure, il apparait clairement qu’Omero Marongiu-Perria soutient la thèse d’une relecture critique profonde de l’islam, qui implique une désacralisation de l’héritage théologique islamique. Cela passe selon lui par une lecture critique et une distanciation des injonctions théologiques développées dans des contextes de domination impériale, en orientant la centralité sur le respect de la dignité et des droits humains. Si ses propos sur le Coran restent moins étayés, il apparait qu’il soutient à la fois la thèse que le texte coranique (mushaf) n’est pas problématique en soi, tout en soulevant prudemment quelques interrogations quant au processus historique de formalisation du texte et quelques critiques relatives à la sacralisation excessive du texte par les musulmans.
En partant de l’exemple de Daech, l’auteur remarque que les groupes islamistes terroristes recourent systématiquement à la légitimation fondée sur la théologie musulmane. Cette observation le conduit à opter pour une investigation de fond basée sur le poids de la pensée théologique dans la production et la légitimation de discours et de pratiques transgressant les droits humains. Sa démarche se propose donc de remonter aux sources profondes du problème, qui se rapportent selon lui aux discours de la théologie musulmane classique.
Par souci méthodologique, l’auteur construit sa démonstration en utilisant l’esclavage comme un exemple illustratif de discours religieux contraires aux droits humains. Dans cette optique, l’auteur débute son exposé par le rappel de pratiques d’esclavage commises par le groupe Daech alors légitimées par une rhétorique théologique construite sur des versets du Coran, des ahâdith et fatawa de savants largement reconnus dans le sunnisme traditionnel. Après un exposé concis de références mobilisées par Daech pour justifier sa pratique l’esclavage, l’auteur présente plusieurs extraits de textes de savants musulmans classiques en lien avec l’esclavage en relevant que la pratique de l’esclavage a été largement légitimée durant plusieurs siècles et considérées comme une norme « allant de soi » dans un contexte basé sur des rapports de domination et de différenciation.
En s’intéressant ensuite aux discours de penseurs musulmans contemporains dont l’autorité théologique est largement reconnue par les musulmans sunnites, l’auteur relève une certaine contradiction et ambiguïté. D’un côté, dans un élan apologétique, ils démontrent que la vocation de l’islam a toujours été de mettre fin à la pratique ancestrale de l’esclavage et de rendre l’être humain libre et indépendant. D’un autre, ils relaient des discours de la jurisprudence traditionnelle relative aux règles de l’esclavage sans distanciation ni contextualisation. Ils ajoutent alors en conclusion que les esclaves ont été beaucoup mieux traités dans l’islam que dans l’histoire occidentale moderne. En bref, la posture de ces théologiens reste selon l’auteur paradoxale : elle soutient d’un côté la vocation abolitionniste de l’islam, tout en défendant parallèlement la validité de certains textes légitimant l’esclavage. Pour l’auteur, la question de l’esclavage est représentative d’une problématique plus large, relative au rapport qu’entretiennent les musulmans avec l’héritage religieux institutionnel et un ensemble important de textes sacralisés. À travers cet exemple, il cherche ainsi à ouvrir le débat de la place de certains textes dans la pensée musulmane et de la nécessité d’une réforme de fond dans la théologie.
En effet, au-delà de l’hétérogénéité des mouvements islamiques, l’auteur démontre un lien tenace et récurrent entre un héritage théologique islamique construit durant le Moyen-Âge et les dérives contemporaines dans les propos et pratiques de personnes ou collectifs extrémistes, condamnés pour leur irrespect de l’être humain et des droits fondamentaux. Ainsi, il souligne la nécessité de déconstruire le paradigme islamique dominant, en l’identifiant comme une cause profonde des idéologies extrêmes actuelles. L’ouvrage soutient alors que la racine du problème ne vient pas spécifiquement du wahhabisme ni de l’idéologie des Frères musulmans, mais qu’elle s’incarnerait bien plus pernicieusement dans le paradigme islamique développé en amont durant les premiers siècles de l’islam, et qui serait aujourd’hui encore partagé par les diverses tendances d’islam malgré leur diversité visible et revendiquée. Dans cette vision, le wahhabisme partage avec la mouvance des Frères musulmans, les courants traditionnalistes ou encore les confréries soufies toute une série de normes et une vision du monde semblable, issues de la théologie formalisée et institutionnalisée à partir de la rigidification de la pensée islamique et de la « fin » de l’ijtihad qui se situerait entre le Xème et XIIIème siècle. Dès lors, les récents élans et tentatives de réponse à l’extrémisme promus par certains penseurs autant dans le courant traditionnaliste malékite que dans le courant « frériste » sont selon l’auteur infructueuses et fragiles, car ces deniers se réfèrent aux mêmes textes de base, problématiques en soi, sans réelle prise de distance. Pour y voir plus clair, il faudrait plutôt remonter en amont pour s’intéresser au droit musulman médiéval, qui représente encore la base de la pensée théologique contemporaine dominante dans l’islam.
Dans la perspective de l’auteur, la déconstruction d’arguments théologiques justifiant l’esclavage, l’inégalité des droits entre sexes ou encore les rapports belliqueux envers les non-musulmans ne peut se faire que par la remise en question de textes anciens, trop souvent sacralisés, et par la distanciation d’un héritage religieux datant de plus de mille ans. Cette entreprise difficile sous-entend la désacralisation et l’historisation non seulement de travaux de théologiens de renom, mais aussi des bases du droit musulman. Elle propose également de questionner la validité de certains propos attribués aux prophètes (ahâdith). Déconstruire le paradigme hégémonique passerait ainsi par une réforme théologique radicale, caractérisée par une critique orientée non seulement vers les travaux théologiques majoritaires, mais également vers les sources même du droit et du dogme islamiques. Selon l’auteur, ce travail de déconstruction et de désacralisation est le seul à même de contrecarrer les discours théologiques instrumentalisés par Daech et par d’autres groupes terroristes et extrémistes.
Pour conclure, il apparait clairement qu’Omero Marongiu-Perria soutient la thèse d’une relecture critique profonde de l’islam, qui implique une désacralisation de l’héritage théologique islamique. Cela passe selon lui par une lecture critique et une distanciation des injonctions théologiques développées dans des contextes de domination impériale, en orientant la centralité sur le respect de la dignité et des droits humains. Si ses propos sur le Coran restent moins étayés, il apparait qu’il soutient à la fois la thèse que le texte coranique (mushaf) n’est pas problématique en soi, tout en soulevant prudemment quelques interrogations quant au processus historique de formalisation du texte et quelques critiques relatives à la sacralisation excessive du texte par les musulmans.
Une thèse osée et courageuse, ou simplement dans l’air du temps ?
Les thèses d’Omero Marongiu-Perria exposées en 2017 dans son ouvrage ont d’abord semblé audacieuses et courageuses. En tant qu’ancien militant auparavant associé aux Frères musulmans, l’auteur s’est distancié des discours prédominants dans l’espace communautaire musulman et a visiblement entrepris un travail profond de réflexion et d’analyse sur le rapport de ses coreligionnaires aux sources et discours islamiques. En s’attaquant intellectuellement aux thèses qui constituent le socle commun de l’essentiel des courants musulmans institutionnalisés en France, tout en maintenant un lien évident avec la communauté musulmane, l’auteur semble avoir osé une approche réformiste révolutionnaire.
Mais est-ce que cette approche est vraiment inédite ? Si les thèses de l’auteur sont audacieuses, elles apparaissent dans un contexte socioculturel et politique particulier, consécutif aux attentats de 2015, qui a réanimé le débat de l’islam en France et de la nécessité d’une réforme et d’une autocritique émanant de la « communauté musulmane ». À cette époque, même l’organisation Musulmans de France (MDF), alors encore appelée Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), a brièvement tenté une nouvelle orientation et une distanciation vis-à-vis de certaines de ses positions théologiques. Lors de son rassemblement annuel du Bourget de 2017, l’UOIF avait en effet donné la parole à plusieurs intervenants aux positions réformistes claires, qui ont alors osé remettre en question l’enseignement prôné jusque-là par l’organisation. L’auteur a lui-même été invité à s’exprimer sur la nécessité d’une réforme théologique, notamment en compagnie d’autres penseurs réformistes à l’instar d’Ousmane Timera. Il est intéressant de relever que dès l’année suivante, l’organisation revint visiblement sur ses positions en semblant finalement renouer avec sa ligne idéologique de base, et donc en se distanciant des thèses jugées trop réformistes ou progressistes.
Dans ce contexte particulier, l’ouvrage d’Omero Marongiu-Perria aurait eu intérêt à aborder une tendance réformiste alors bien plus acceptable dans les milieux communautaires, qui se caractérise à la fois par la fidélité aux sources scripturaires premières et par une analyse critique de la production religieuse traditionnelle. En reconnaissant la primauté du Coran et son caractère sacré et révélé, cette approche se permet désacralise et conteste certains avis du droit islamique (fiqh) traditionnel ou moderne, même lorsqu’ils sont majoritaires et font figure d’autorité. À titre d’exemple, en se basant sur la supériorité du Coran et la relecture contextualisée des ahâdith, les penseurs inscrits dans cette approche défendent l’idée du respect de la liberté religieuse dans l’islam, en rejetant l’option religieuse majoritaire qui prévoit une condamnation et une peine de l’apostasie. À travers la même méthodologie, ils rejettent également certaines pratiques extrêmes existantes dans le droit musulman, à l’instar de la lapidation ou de l’esclavage. Parmi ses penseurs, on peut citer dans l’espace islamique communautaire de France les imams Mohamed Bajrafil, Tareq Oubrou, Islam Ibn Ahmad, ou encore le penseur Ousmane Timera qui s’inscrit quant à lui dans une approche quasi-exclusivement coranique. Au niveau international, l’imam et théologien arabe Adnan Ibrahim s’inscrit dans une approche semblable et touche un public beaucoup plus large. En raison de l’intérêt d’une telle approche dans une réforme théologique de fond et de l’impact large et profond qu’elle est susceptible d’impliquer dans les communautés musulmanes, il est curieux que l’auteur, pour qui ces entreprises dites « réformistes » sont familières, n’ait pas mentionné les contributions de ces penseurs musulmans dans sa démonstration.
Mais est-ce que cette approche est vraiment inédite ? Si les thèses de l’auteur sont audacieuses, elles apparaissent dans un contexte socioculturel et politique particulier, consécutif aux attentats de 2015, qui a réanimé le débat de l’islam en France et de la nécessité d’une réforme et d’une autocritique émanant de la « communauté musulmane ». À cette époque, même l’organisation Musulmans de France (MDF), alors encore appelée Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), a brièvement tenté une nouvelle orientation et une distanciation vis-à-vis de certaines de ses positions théologiques. Lors de son rassemblement annuel du Bourget de 2017, l’UOIF avait en effet donné la parole à plusieurs intervenants aux positions réformistes claires, qui ont alors osé remettre en question l’enseignement prôné jusque-là par l’organisation. L’auteur a lui-même été invité à s’exprimer sur la nécessité d’une réforme théologique, notamment en compagnie d’autres penseurs réformistes à l’instar d’Ousmane Timera. Il est intéressant de relever que dès l’année suivante, l’organisation revint visiblement sur ses positions en semblant finalement renouer avec sa ligne idéologique de base, et donc en se distanciant des thèses jugées trop réformistes ou progressistes.
Dans ce contexte particulier, l’ouvrage d’Omero Marongiu-Perria aurait eu intérêt à aborder une tendance réformiste alors bien plus acceptable dans les milieux communautaires, qui se caractérise à la fois par la fidélité aux sources scripturaires premières et par une analyse critique de la production religieuse traditionnelle. En reconnaissant la primauté du Coran et son caractère sacré et révélé, cette approche se permet désacralise et conteste certains avis du droit islamique (fiqh) traditionnel ou moderne, même lorsqu’ils sont majoritaires et font figure d’autorité. À titre d’exemple, en se basant sur la supériorité du Coran et la relecture contextualisée des ahâdith, les penseurs inscrits dans cette approche défendent l’idée du respect de la liberté religieuse dans l’islam, en rejetant l’option religieuse majoritaire qui prévoit une condamnation et une peine de l’apostasie. À travers la même méthodologie, ils rejettent également certaines pratiques extrêmes existantes dans le droit musulman, à l’instar de la lapidation ou de l’esclavage. Parmi ses penseurs, on peut citer dans l’espace islamique communautaire de France les imams Mohamed Bajrafil, Tareq Oubrou, Islam Ibn Ahmad, ou encore le penseur Ousmane Timera qui s’inscrit quant à lui dans une approche quasi-exclusivement coranique. Au niveau international, l’imam et théologien arabe Adnan Ibrahim s’inscrit dans une approche semblable et touche un public beaucoup plus large. En raison de l’intérêt d’une telle approche dans une réforme théologique de fond et de l’impact large et profond qu’elle est susceptible d’impliquer dans les communautés musulmanes, il est curieux que l’auteur, pour qui ces entreprises dites « réformistes » sont familières, n’ait pas mentionné les contributions de ces penseurs musulmans dans sa démonstration.
La thèse d’Omero Marongiu-Perria établit des liens entre le droit islamique traditionnel, mis en avant par les quatre écoles juridiques dominantes et reconnues comme l’ « orthodoxie » sunnite, et les discours de groupes islamistes violents. Si les penseurs associés au courant réformiste répondent aux avis (fatawa) problématiques qui font polémiques, en leur opposant des interprétations alternatives tout autant fondées sur un argumentaire scripturaire religieux, il faut également mentionner que même les penseurs affiliés au courant sunnite traditionaliste ont émis nombre de contre-discours religieux qui, sur la base d’un argumentaire purement théologique, émettent des conclusions qui vont à l’encontre de celles de groupes tels Daech ou Al-Qaida. Nombre de « savants » musulmans sunnites contemporains, à l’instar de Hamza Yusuf aux Etats-Unis ou Habib Umar au Yémen, ont diffusé des discours théologiques discréditant franchement les mouvances dites « djihadistes ». Ainsi, s’ils font appel au même droit islamique et aux mêmes arguments d’autorités que ceux illustrés dans l’ouvrage d’Omero Marongiu-Perria comme les bases légitimant nombre d’exactions, le fait qu’ils débouchent sur des conclusions opposées à celles des groupes ciblés interroge. À ce sujet, il est intéressant de se référer à la lettre ouverte à Al-Baghdadi rédigée par des savants musulmans contemporains et signés par un nombre important de leaders de la communauté [1]. Ce document vise à déconstruire les discours et exactions du groupe Daech en se fondant sur des arguments théologiques. Si nombre d’organisations traditionnalistes maintiennent mécaniquement dans leurs ouvrages et enseignements des textes classiques de théologiens du Moyen-Âge qui comportent des propos problématiques, notamment liés au traitement des esclaves, elles fondent visiblement leurs enseignements sur d’autres points prioritaires et rappellent éventuellement, le cas échéant, que ces injonctions étaient émises dans un contexte particulier marqué par des modes de fonctionnement sociaux très différents.
Conclusion
Nombre de voix reconnaissent que des avis religieux ont été émis à des fins politiques et hégémoniques dans des contextes d’impérialisme belliqueux. Une partie du fiqh découle certes de considérations politiques, avant de devenir immuables à travers un processus ultérieur de sacralisation. L’erreur herméneutique courante, prépondérante chez certains contemporains, ressort de l’instrumentation de ces textes considérés pour l’occasion comme des lois divines valables en tout temps et en tout lieu. Un travail de déconstruction et de désacralisation permettrait de distinguer les aspects contextuels des dimensions en phase avec la révélation originelle. À ce niveau, l’ouvrage « Rouvrir les portes de l’Islam » d’Omero Marongiu-Perria contribue favorablement à la sensibilisation sur des problématiques longtemps occultés dans les cercles musulmans.
Toutefois, si l’intérêt de l’ouvrage repose sur son diagnostic, le ton de l’auteur et les solutions proposées présentent le risque de diaboliser les courants d’une large part d’acteurs et penseurs musulmans à travers une extrapolation et une généralisation excessive de certaines positions, en occultant les arguments de nombreux penseurs musulmans traditionnels ou contemporains qui ont émis des avis divergents à ceux des groupes impliqués dans des actes terroristes et d’autres atrocités. À l’instar de plusieurs tendances, ce qui peut être appelé le sunnisme mainstream, ou le courant traditionaliste, a répondu point par point aux exactions reprochées aux groupes dits « djihadistes ». En outre, nombre de figures savantes musulmanes se sont opposés aux éléments controversés cités dans l’ouvrage de Marongiu-Perria en promouvant pourtant une lecture théologique qui n’est jamais passée par une déconstruction de l’ensemble de l’héritage traditionnel. Mahmud Shaltut (1977), ancien imam de l’Université al-Azhar, a par exemple affirmé que le Coran, appréhendé dans sa globalité et lu à la lumière d’une réflexion prenant en compte le contexte, n’appelle ni à la violence, ni à la persécution, en concluant que la Révélation limite l’usage de la guerre à deux seules conditions, à savoir la réponse à une agression et la défense de la liberté religieuse. Finalement, il convient d’ajouter que la posture de l’auteur Omero Marongiu-Perria n’est pas nouvelle. Dans le contexte anglo-saxon, les tensions entre le paradigme musulman traditionnaliste et les approches réformistes, voire progressistes, donnent déjà lieu depuis plusieurs décennies à des débats antagonistes qui laissent chaque protagoniste sur ses positions. Pour illustrer ce propos, on pourrait simplement citer la critique du professeur britannique bien connu Tim Winter, alias Abdal-Hakim Murad (Murad, 2000), au théologien sud-africain Farid Esack suite à la parution de son ouvrage phare (Esack, 1997). On se retrouvera donc encore une nouvelle fois dans le clivage habituel entre des traditionnalistes, soucieux de « protéger » l’islam et le statu quo par la défense de toute déconstruction de l’héritage classique majoritaire, et des réformistes partisans d’une lecture directe des sources théologiques primaires (Coran et ahadith) en réévaluant la production historique savante de l’islam avec un regard critique assumé (Brodard, 2018).
Toutefois, si l’intérêt de l’ouvrage repose sur son diagnostic, le ton de l’auteur et les solutions proposées présentent le risque de diaboliser les courants d’une large part d’acteurs et penseurs musulmans à travers une extrapolation et une généralisation excessive de certaines positions, en occultant les arguments de nombreux penseurs musulmans traditionnels ou contemporains qui ont émis des avis divergents à ceux des groupes impliqués dans des actes terroristes et d’autres atrocités. À l’instar de plusieurs tendances, ce qui peut être appelé le sunnisme mainstream, ou le courant traditionaliste, a répondu point par point aux exactions reprochées aux groupes dits « djihadistes ». En outre, nombre de figures savantes musulmanes se sont opposés aux éléments controversés cités dans l’ouvrage de Marongiu-Perria en promouvant pourtant une lecture théologique qui n’est jamais passée par une déconstruction de l’ensemble de l’héritage traditionnel. Mahmud Shaltut (1977), ancien imam de l’Université al-Azhar, a par exemple affirmé que le Coran, appréhendé dans sa globalité et lu à la lumière d’une réflexion prenant en compte le contexte, n’appelle ni à la violence, ni à la persécution, en concluant que la Révélation limite l’usage de la guerre à deux seules conditions, à savoir la réponse à une agression et la défense de la liberté religieuse. Finalement, il convient d’ajouter que la posture de l’auteur Omero Marongiu-Perria n’est pas nouvelle. Dans le contexte anglo-saxon, les tensions entre le paradigme musulman traditionnaliste et les approches réformistes, voire progressistes, donnent déjà lieu depuis plusieurs décennies à des débats antagonistes qui laissent chaque protagoniste sur ses positions. Pour illustrer ce propos, on pourrait simplement citer la critique du professeur britannique bien connu Tim Winter, alias Abdal-Hakim Murad (Murad, 2000), au théologien sud-africain Farid Esack suite à la parution de son ouvrage phare (Esack, 1997). On se retrouvera donc encore une nouvelle fois dans le clivage habituel entre des traditionnalistes, soucieux de « protéger » l’islam et le statu quo par la défense de toute déconstruction de l’héritage classique majoritaire, et des réformistes partisans d’une lecture directe des sources théologiques primaires (Coran et ahadith) en réévaluant la production historique savante de l’islam avec un regard critique assumé (Brodard, 2018).
Références
_____________________
[1] Le document est disponible en plusieurs langues à la page web : http://www.lettertobaghdadi.com/ (consultée le 27 février 2021).
[1] Le document est disponible en plusieurs langues à la page web : http://www.lettertobaghdadi.com/ (consultée le 27 février 2021).
Bibliographie
_____________________
Brodard, Baptiste. 2018. Dépasser la critique réformiste et l’apologie traditionaliste. Oumma.com. Disponible sur : https://oumma.com/depasser-critique-reformiste-lapologie-traditionaliste.(consultée le 27 février 2021)
Esack, Farid. 1997. Qur'an, Liberation and Pluralism. One world Publication, Oxford.
Murad, Abdal-Hakim. 2000. Book review of “Qur'an, Liberation and Pluralism” by Farid Esack. Intellectual Discourse. No 1, 97-114.
Open Letter to Al-Baghdadi. Disponible sur : http://www.lettertobaghdadi.com/ en date du 30 avril 2017.
Shaltut, Mahmud. 1977. Koran and fighting. Brill, Leiden.