T. Oubrou : une pensée en construction
Le nouveau paradigme islamique qu’appelle de ses vœux T. Oubrou se heurte à une double difficulté. Le théologien se propose en effet de déconstruire la pensée musulmane classique ainsi qu’une une certaine conception du droit musulman qui est largement sous l’influence des contingences historiques (culture, pouvoir politique, influence de la philosophie grecque, état d’avancement des sciences exactes, humaines et « religieuses », statut des Textes et le rapport à l’interprétation...). Néanmoins Il ne s’agit pas, de son point de vue, de remettre en cause l’apport des classiques mais d’opérer une revisite puis de retrouver l’intuition foisonnante des Anciens.
T. Oubrou n’est bien évidemment pas le premier réformiste qui préconise de réaliser une archéologie de la formalisation de la théologie musulmane et d’user des sciences humaines de manière à ce que les Textes puissent entrer en relation avec le monde moderne.
On peut même y voir une certaine proximité conceptuelle entre l’apport de T. Oubrou et de certains penseurs « modernistes » musulmans.
T. Oubrou n’est bien évidemment pas le premier réformiste qui préconise de réaliser une archéologie de la formalisation de la théologie musulmane et d’user des sciences humaines de manière à ce que les Textes puissent entrer en relation avec le monde moderne.
On peut même y voir une certaine proximité conceptuelle entre l’apport de T. Oubrou et de certains penseurs « modernistes » musulmans.
Ainsi M. Arkoun a conceptualisé les notions de « Fait coranique » et « fait islamique » pour distinguer le Verbe de Dieu (Révélation) de son interprétation dans l’histoire de la communauté musulmane (voir l’ouvrage de Rachid Benzine, « les nouveaux penseurs de l’islam »). T. Oubrou lui utilisera le concept de « moment coranique » qui correspond à l’anthropologie arabe au moment de la révélation. La Révélation prendrait la culture arabe comme moyen d’expression du message universel sans néanmoins canoniser la norme ; il faut distinguer la norme du principe universel.
Cette empreinte anthropologique dans le texte coranique est aussi relevé par le penseur égyptien Nasr Hâmid Abû Zayd au point qu’il affirma que « le Coran est un produit culturel ». Exprimé dans une langue arabe (donc culturelle) et dans des us et coutumes particulières le Texte devient interprétable puisqu’humain dans son expression.
S’appuyant sur la notion de « principe recteur » T. Oubrou fait une interprétation dynamique du Coran ; la Révélation est un point de départ, donc qui initie, et c’est aux savants de rechercher les intentions du Législateur pour viser les finalités perceptibles à travers la pédagogie coranique reposant sur la dialectique réalité-tanzil où pour reprendre les termes de l’auteur d’une « sharia fractale ». Cette lecture que l’on pourrait qualifier de finaliste se retrouve aussi chez un auteur comme M. Talbi qui utilisera le concept de « vecteur orienté » pour indiquer l’impulsion donnée par la Révélation : « Je vais dessiner deux points: le premier figure l'état de l'esclave avant la révélation du Coran, le second son état après la révélation et grâce à elle. Ensuite je tire un trait allant du premier point au second. J'obtiens ainsi un vecteur orienté, dont la direction montre clairement les intentions du Législateur. » (1)
Nous pouvons ainsi voir que nombreux sont les apports ayant pour ambition de renouveler le cadre épistémologique d’interprétation des Textes sacrés à l’aide des sciences humaines. Cependant une différence marquante peut être relevé entre l’approche de T. Oubrou de celle des penseurs que l’on peut qualifier de modernistes ; contrairement à ces derniers le théologien veut s’inscrire dans une filiation réformiste, ne souhaitant nullement rompre avec l’héritage classique.
« Comprenez que je ne suis pas pour la rupture avec l’héritage classique. Je ne suis ni pour un scepticisme à l’égard de la modernité, ce qui conduirait à un conservatisme crispé, ni pour une révolution contre l’héritage classique musulman, ce qui conduirait à l’anarchie religieuse. Il s’agit plutôt d’une déconstruction, notamment du concept de sharia. Il ne faut pas confondre cela avec une liquidation d’un savoir canonique intellectuel riche et obligé pour tout penseur musulman sérieux. » (2)
Le défi paraît ici à la fois immense mais aussi incertain vu la complexité de la tâche mais aussi la difficulté à produire une synthèse paradigmatique alliant de manière résolue d’une part la critique de la pensée musulmane par les sciences sociales et d’autre part une certaine fidélité aux Classiques. Comment garder l’intuition des Anciens et leur génie tout en déconstruisant un paradigme historiquement situé ? C’est sur cette conjonction conceptuelle qu’est attendue T. Oubrou dont l’œuvre théologique finalisée sera scrutée autant par ses détracteurs que ses admirateurs.
Cette empreinte anthropologique dans le texte coranique est aussi relevé par le penseur égyptien Nasr Hâmid Abû Zayd au point qu’il affirma que « le Coran est un produit culturel ». Exprimé dans une langue arabe (donc culturelle) et dans des us et coutumes particulières le Texte devient interprétable puisqu’humain dans son expression.
S’appuyant sur la notion de « principe recteur » T. Oubrou fait une interprétation dynamique du Coran ; la Révélation est un point de départ, donc qui initie, et c’est aux savants de rechercher les intentions du Législateur pour viser les finalités perceptibles à travers la pédagogie coranique reposant sur la dialectique réalité-tanzil où pour reprendre les termes de l’auteur d’une « sharia fractale ». Cette lecture que l’on pourrait qualifier de finaliste se retrouve aussi chez un auteur comme M. Talbi qui utilisera le concept de « vecteur orienté » pour indiquer l’impulsion donnée par la Révélation : « Je vais dessiner deux points: le premier figure l'état de l'esclave avant la révélation du Coran, le second son état après la révélation et grâce à elle. Ensuite je tire un trait allant du premier point au second. J'obtiens ainsi un vecteur orienté, dont la direction montre clairement les intentions du Législateur. » (1)
Nous pouvons ainsi voir que nombreux sont les apports ayant pour ambition de renouveler le cadre épistémologique d’interprétation des Textes sacrés à l’aide des sciences humaines. Cependant une différence marquante peut être relevé entre l’approche de T. Oubrou de celle des penseurs que l’on peut qualifier de modernistes ; contrairement à ces derniers le théologien veut s’inscrire dans une filiation réformiste, ne souhaitant nullement rompre avec l’héritage classique.
« Comprenez que je ne suis pas pour la rupture avec l’héritage classique. Je ne suis ni pour un scepticisme à l’égard de la modernité, ce qui conduirait à un conservatisme crispé, ni pour une révolution contre l’héritage classique musulman, ce qui conduirait à l’anarchie religieuse. Il s’agit plutôt d’une déconstruction, notamment du concept de sharia. Il ne faut pas confondre cela avec une liquidation d’un savoir canonique intellectuel riche et obligé pour tout penseur musulman sérieux. » (2)
Le défi paraît ici à la fois immense mais aussi incertain vu la complexité de la tâche mais aussi la difficulté à produire une synthèse paradigmatique alliant de manière résolue d’une part la critique de la pensée musulmane par les sciences sociales et d’autre part une certaine fidélité aux Classiques. Comment garder l’intuition des Anciens et leur génie tout en déconstruisant un paradigme historiquement situé ? C’est sur cette conjonction conceptuelle qu’est attendue T. Oubrou dont l’œuvre théologique finalisée sera scrutée autant par ses détracteurs que ses admirateurs.
Une charia de minorité en question
La question de l’adaptation des musulmans en situation de minorité religieuse a connu de nombreuses péripéties ces 30 dernières années. On peut dire que jusqu’à nos jours le concept de « fiqh de minorité » n’a pas réussi à faire consensus. C’est au milieu des années 80 que le terme apparaît avec le savant et penseur irakien Taha Jabir al-Alwani qui veut développer une nouvelle branche du droit musulman spécifique et applicable aux musulmans de plus en plus nombreux en Occident. Il souhaite rompre avec le cadre classique qui distingue « Dar al harb » et « Dar al islam ». Il ne s’agit plus de protéger les musulmans vivant dans des terres hostiles mais de pérenniser leur établissement dans des pays où leur citoyenneté totale ou partielle est garantie.
Face à cela les critiques furent acerbes notamment du feu Cheikh Ramadan al Bouti qui conteste d’une part la pertinence du concept (le droit classique ayant prévu ces situations et les modalités juridiques pour y répondre) et dénonce d’autre part le danger d’une remise en cause de la dimension universelle de l’islam. Alors que le premier argument paraît justifié, le second l’est beaucoup moins Al Bouti étant encore dans un paradigme médiéval mais surtout dans une logique de « conquête » : « Nous étions optimistes et pensions que la croissance du nombre des musulmans en Occident, avec leur attachement à l’islam et l’alignement sur ses lois, dissoudrait la civilisation occidentale déviante dans le courant de la civilisation islamique. » (3)
Après avoir soutenu cette orientation (à travers les réalisations du Conseil européen de la Fatwa et des écrits entre autre de Y. Al Qaradaoui) T. Ramadan n’y voit plus qu’une construction établie dans l’urgence qu’il faut désormais dépasser.
« Le concept, de fait, est problématique, et certains l’ont critiqué, car il ne rend pas compte du statut juridique des citoyens occidentaux de confession musulmane. Il n’existe pas, somme toute, de citoyenneté minoritaire. » (4)
Cette critique n’est que partiellement fondée car croire que la simple citoyenneté et son exercice peuvent résoudre les problématiques de la présence musulmane c’est faire abstraction d’éléments aussi essentiels que l’histoire et l’identité profonde d’un pays. Il ne faut jamais perdre de vue que l’histoire et la culture sont déterminantes dans la formation de la norme juridique et ceci quelque soit le type de régime politique et de rapport entre l’Etat et la religion. T. Ramadan accorde une grande importance à la place des sciences humaines dans la formulation du droit, or il semble ici tomber dans un certain nominalisme s’éloignant des réalités historiques qui structurent la vie politique et sociale.
Face à cette question T. Oubrou veut établir plus qu’un fiqh des minorités, une charia des minorités (la distinction n’est pas anecdotique). Il ne s’agit donc pas de se limiter à produire des avis juridiques mais de penser la présence musulmane dans une anthropologie nouvelle ; il s’agit d’établir une pensée nouvelle dans un monde nouveau. Pour cela il propose de nouveaux concepts (tirés de l’héritage classique) comme la « contraction de la sharia » qui fait évoluer la norme en fonction de la contrainte, l’« éthicisation de la sharia » qui concentre la norme religieuse au plan moral.
L’objectif est ici « l’intégration sociologique et concrète de l’islam, son aspect pratique, sa visibilité ou invisibilté comme on veut, au sein des valeurs de la République. »(5)
Le sens de minorité n’a plus la même signification : « Pour moi le terme de « minorité » vient mettre la sharia en contexte et répondre ainsi concrètement à la situation laïque française, entre autres. Il s’agit de mettre en relation la norme avec la réalité concrète, tout en restant fidèle aux méthodes qui régissent l’application de la sharia à la réalité. C’est la réalité qui détermine la forme concrète que prend telle ou telle loi de la sharia, voir sa non-applicabilité dans certains cas. Encore faut-il pour cela connaître cette réalité. » (6)
T. Oubrou ambitionne d’exporter cette thèse puisque dans la mondialisation, quelque soit l’échelle où l’on se trouve, chacun peut se retrouver en situation de minorité.
« La sharia de minorité est donc une théorie restreinte, mais elle sous-tend une théorie plus générale et qui dépasse le seul cadre français. Elle ne sera donc pas totalement périmée, en tout cas pas de sitôt, même si la réalité française elle-même venait à changer. La thèse prévoit un ensemble de méthodes qui permettent de suivre l’évolution de la « cinétique sociétale » française. » (7)
Face à cela les critiques furent acerbes notamment du feu Cheikh Ramadan al Bouti qui conteste d’une part la pertinence du concept (le droit classique ayant prévu ces situations et les modalités juridiques pour y répondre) et dénonce d’autre part le danger d’une remise en cause de la dimension universelle de l’islam. Alors que le premier argument paraît justifié, le second l’est beaucoup moins Al Bouti étant encore dans un paradigme médiéval mais surtout dans une logique de « conquête » : « Nous étions optimistes et pensions que la croissance du nombre des musulmans en Occident, avec leur attachement à l’islam et l’alignement sur ses lois, dissoudrait la civilisation occidentale déviante dans le courant de la civilisation islamique. » (3)
Après avoir soutenu cette orientation (à travers les réalisations du Conseil européen de la Fatwa et des écrits entre autre de Y. Al Qaradaoui) T. Ramadan n’y voit plus qu’une construction établie dans l’urgence qu’il faut désormais dépasser.
« Le concept, de fait, est problématique, et certains l’ont critiqué, car il ne rend pas compte du statut juridique des citoyens occidentaux de confession musulmane. Il n’existe pas, somme toute, de citoyenneté minoritaire. » (4)
Cette critique n’est que partiellement fondée car croire que la simple citoyenneté et son exercice peuvent résoudre les problématiques de la présence musulmane c’est faire abstraction d’éléments aussi essentiels que l’histoire et l’identité profonde d’un pays. Il ne faut jamais perdre de vue que l’histoire et la culture sont déterminantes dans la formation de la norme juridique et ceci quelque soit le type de régime politique et de rapport entre l’Etat et la religion. T. Ramadan accorde une grande importance à la place des sciences humaines dans la formulation du droit, or il semble ici tomber dans un certain nominalisme s’éloignant des réalités historiques qui structurent la vie politique et sociale.
Face à cette question T. Oubrou veut établir plus qu’un fiqh des minorités, une charia des minorités (la distinction n’est pas anecdotique). Il ne s’agit donc pas de se limiter à produire des avis juridiques mais de penser la présence musulmane dans une anthropologie nouvelle ; il s’agit d’établir une pensée nouvelle dans un monde nouveau. Pour cela il propose de nouveaux concepts (tirés de l’héritage classique) comme la « contraction de la sharia » qui fait évoluer la norme en fonction de la contrainte, l’« éthicisation de la sharia » qui concentre la norme religieuse au plan moral.
L’objectif est ici « l’intégration sociologique et concrète de l’islam, son aspect pratique, sa visibilité ou invisibilté comme on veut, au sein des valeurs de la République. »(5)
Le sens de minorité n’a plus la même signification : « Pour moi le terme de « minorité » vient mettre la sharia en contexte et répondre ainsi concrètement à la situation laïque française, entre autres. Il s’agit de mettre en relation la norme avec la réalité concrète, tout en restant fidèle aux méthodes qui régissent l’application de la sharia à la réalité. C’est la réalité qui détermine la forme concrète que prend telle ou telle loi de la sharia, voir sa non-applicabilité dans certains cas. Encore faut-il pour cela connaître cette réalité. » (6)
T. Oubrou ambitionne d’exporter cette thèse puisque dans la mondialisation, quelque soit l’échelle où l’on se trouve, chacun peut se retrouver en situation de minorité.
« La sharia de minorité est donc une théorie restreinte, mais elle sous-tend une théorie plus générale et qui dépasse le seul cadre français. Elle ne sera donc pas totalement périmée, en tout cas pas de sitôt, même si la réalité française elle-même venait à changer. La thèse prévoit un ensemble de méthodes qui permettent de suivre l’évolution de la « cinétique sociétale » française. » (7)
Critique de la notion de « dar ach-chahada »
Si la question de « charia de minorité » peut poser question le concept récurrent de Dar Ach-chahada (demeure de témoignage) chez T. Ramadan ne semble pas plus pertinent. Il faut rappeler que ce concept est ancien et remonte au moins au penseur algérien Malek Bennabi pour lequel d’ailleurs il ne donne pas le même sens. Dans le chapitre « sphères de présence » d’un petit ouvrage « idée d’un Commonwealth islamique » il fait une réinterprétation du pèlerinage d’adieu où les absents sont tous les non musulmans à travers les siècles pour lesquels les musulmans doivent témoigner de leur foi et de leur bon comportement. « D’ailleurs dans cet état, le musulman n’a pas un rôle purement passif : sa présence même agit sur les choses, sur les actions des autres. Quand un témoin est présent, sa seule présence peut changer le cours des évènements, peut éviter l’irrémédiable. »
C’est exactement la même idée que T. Ramadan reprend en la précisant quelque peu mais surtout en comparant cette notion à la typologie classique de « Dar al islam » et « Dar al kufr ». Dans cette perspective la notion de Dar ach-chahada souffre d’au moins deux limites dont l’une est pointé par T. Oubrou. « Si le principe de catégorisation des territoires, en vigueur chez les juristes classiques n’étaient pas dénués de pertinence, ce n’est pas le cas des nouvelles catégories géo-théologiques élaborées par certains auteurs musulmans contemporains et que nous avons critiqués plus haut : dâr ad-da’wa (terre de prédication) et dâr ash-shahâda (terre de témoignage). En effet, elles font fi de l’intention des premiers canonistes, qui ne qualifiaient pas un pays en fonction de la tâche religieuse qu’auraient à y accomplir les musulmans (comme prédicateur ou témoins de leur foi), mais en fonction de ses caractéristiques politiques et juridiques, l’objectif étant d’en tirer des conclusions normatives spécifiques au pays.
Ce qui intéressait les canonistes classiques, c’étaient surtout les notions de paix, de liberté et de sécurité. Abû Hanifa, fondateur du hanafisme, considère en substance qu’un pays fait partie de la « terre d’islam » (dâr al-islam) si le musulman peut y accomplir ses pratiques religieuses en toute liberté et sans être inquiété. » (8)
Il faut enfin rajouter que le témoignage, même s’il doit tenir compte de l’espace et ses caractéristiques, reste valable quelque soit l’environnement dans lequel évolue le musulman donc même en « terre d’islam ».
C’est exactement la même idée que T. Ramadan reprend en la précisant quelque peu mais surtout en comparant cette notion à la typologie classique de « Dar al islam » et « Dar al kufr ». Dans cette perspective la notion de Dar ach-chahada souffre d’au moins deux limites dont l’une est pointé par T. Oubrou. « Si le principe de catégorisation des territoires, en vigueur chez les juristes classiques n’étaient pas dénués de pertinence, ce n’est pas le cas des nouvelles catégories géo-théologiques élaborées par certains auteurs musulmans contemporains et que nous avons critiqués plus haut : dâr ad-da’wa (terre de prédication) et dâr ash-shahâda (terre de témoignage). En effet, elles font fi de l’intention des premiers canonistes, qui ne qualifiaient pas un pays en fonction de la tâche religieuse qu’auraient à y accomplir les musulmans (comme prédicateur ou témoins de leur foi), mais en fonction de ses caractéristiques politiques et juridiques, l’objectif étant d’en tirer des conclusions normatives spécifiques au pays.
Ce qui intéressait les canonistes classiques, c’étaient surtout les notions de paix, de liberté et de sécurité. Abû Hanifa, fondateur du hanafisme, considère en substance qu’un pays fait partie de la « terre d’islam » (dâr al-islam) si le musulman peut y accomplir ses pratiques religieuses en toute liberté et sans être inquiété. » (8)
Il faut enfin rajouter que le témoignage, même s’il doit tenir compte de l’espace et ses caractéristiques, reste valable quelque soit l’environnement dans lequel évolue le musulman donc même en « terre d’islam ».
Une réforme radicale ?
T. Ramadan, auteur prolifique, rappelle de manière récurrente de penser le droit musulman à travers ses finalités supérieures et ses sources combinant le Livre déployé et le Livre révélé. Sur ces deux aspects il estime qu’il devient urgent d’opérer une réforme radicale à laquelle il souhaite contribuer. Cet apport est-il radical ? En quoi cette réforme est-elle radicale ?
Comme nous l’avons signalé dans un article précédent il souhaite la mise en place de conseils réunissant à parité théologiens et scientifiques provenant des sciences exactes et des sciences humaines afin de prendre en compte la complexité de l’environnement et d’apporter les solutions les mieux adaptées tout en respectant les finalités de la Charia. C’est une entreprise salutaire il est vrai et qui a vu le jour grâce au CILE implanté au Qatar. Les conclusions de ce conseil, et malgré la participation de personnalités religieuses d’envergure, ne semblent pas apporter les solutions attendues. Ensuite il faut être clair si réunir physiquement et à l’échelle mondiale des théologiens et des scientifiques peut apparaître comme une innovation on ne peut manifestement pas dire qu’il s’agisse d’une réforme radicale sachant que de tout temps les théologiens ont exploité les savoirs de leur temps pour donner des avis juridiques. On ne peut parler ici de saut qualitatif mais tout au plus d’une meilleure intégration des sciences exactes et sciences humaines dans la production juridique.
Comme nous l’avons signalé dans un article précédent il souhaite la mise en place de conseils réunissant à parité théologiens et scientifiques provenant des sciences exactes et des sciences humaines afin de prendre en compte la complexité de l’environnement et d’apporter les solutions les mieux adaptées tout en respectant les finalités de la Charia. C’est une entreprise salutaire il est vrai et qui a vu le jour grâce au CILE implanté au Qatar. Les conclusions de ce conseil, et malgré la participation de personnalités religieuses d’envergure, ne semblent pas apporter les solutions attendues. Ensuite il faut être clair si réunir physiquement et à l’échelle mondiale des théologiens et des scientifiques peut apparaître comme une innovation on ne peut manifestement pas dire qu’il s’agisse d’une réforme radicale sachant que de tout temps les théologiens ont exploité les savoirs de leur temps pour donner des avis juridiques. On ne peut parler ici de saut qualitatif mais tout au plus d’une meilleure intégration des sciences exactes et sciences humaines dans la production juridique.
Une architecture des maqasids qui demeure imprécise
S’agissant de la redéfinition des finalités de la charia et de son approfondissement là aussi on ne peut en toute objectivité parler de radicalité mais plutôt d’aggiornamento. En effet depuis Ach-chattibi et plus encore depuis l’avènement du mouvement réformiste nombreux sont les théologiens qui ont revu la hiérarchisation classique datant du XIème siècle. Nous ne citerons que le savant tunisien Ibn Achour qui dans son ouvrage « les finalités de la législation musulmane » intègre de nouveaux objectifs comme l’égalité, la liberté, la sécurité et le bien-être.
La présentation holiste du droit musulman a l’indéniable vertu de mettre en évidence les orientations et les visées globales de l’islam, ce qui en écarte les apparentes contradictions d’une part et évite de trahir le sens profond de la Législation islamique d’autre part. Elle a néanmoins les limites de ses avantages, c’est-à-dire qu’elle demeure très générale et donc fort imprécise sur le contenu des finalités, laissant par conséquent de larges marges d’interprétations contradictoires. En clair l’école des finalités nous donne la hiérarchie des objectifs mais ne dit pas grand chose sur la fixation en des termes juridiques et sur l’éventail des possibles. C’est ainsi par exemple que durant les années 60 et 70 nombreux sont les théologiens qui ont vu des convergences entre les finalités de l’islam et celles du socialisme (à l’exception de son penchant matérialiste), alors que depuis les années 80 c’est surtout l’interprétation libérale (en économie, précisons) de l’islam qui a semblée triompher. Alors quand T. Ramadan place la dignité et le bien-être dans les finalités supérieures de la Charia la question qui demeure c’est quel contenu donner à la dignité et quels paramètres prendre en compte pour le bien-être sachant que cette dernière notion demeure assez imprécise pour les économistes comme pour les sociologues.
Si cette tâche est assez complexe pour les musulmans vivant dans une aire géographique homogène alors qu’en est t-il pour les sociétés où se rencontrent des cultures devant produire un universel partagé ?!
La présentation holiste du droit musulman a l’indéniable vertu de mettre en évidence les orientations et les visées globales de l’islam, ce qui en écarte les apparentes contradictions d’une part et évite de trahir le sens profond de la Législation islamique d’autre part. Elle a néanmoins les limites de ses avantages, c’est-à-dire qu’elle demeure très générale et donc fort imprécise sur le contenu des finalités, laissant par conséquent de larges marges d’interprétations contradictoires. En clair l’école des finalités nous donne la hiérarchie des objectifs mais ne dit pas grand chose sur la fixation en des termes juridiques et sur l’éventail des possibles. C’est ainsi par exemple que durant les années 60 et 70 nombreux sont les théologiens qui ont vu des convergences entre les finalités de l’islam et celles du socialisme (à l’exception de son penchant matérialiste), alors que depuis les années 80 c’est surtout l’interprétation libérale (en économie, précisons) de l’islam qui a semblée triompher. Alors quand T. Ramadan place la dignité et le bien-être dans les finalités supérieures de la Charia la question qui demeure c’est quel contenu donner à la dignité et quels paramètres prendre en compte pour le bien-être sachant que cette dernière notion demeure assez imprécise pour les économistes comme pour les sociologues.
Si cette tâche est assez complexe pour les musulmans vivant dans une aire géographique homogène alors qu’en est t-il pour les sociétés où se rencontrent des cultures devant produire un universel partagé ?!
Quand T. Oubrou répond aux interrogations de T. Ramadan
Depuis le début des années 90 T. Ramadan s’est engagé en Europe et dans le monde sur nombre de problématiques politiques, économiques et sociales. En intellectuel engagé son influence auprès de la communauté musulmane (notamment pratiquante) est beaucoup plus importante que celle T. Oubrou. T. Oubrou quant à lui est resté beaucoup plus en retrait estimant que le rôle du théologien s’inscrit dans un temps beaucoup plus long. Avec une lecture de l’islam très sociale T. Ramadan a pu prendre des positions courageuses, ce qui fut moins le cas pour les questions théologiques. On peut penser aussi que n’étant pas lui même théologien et par souci de réserve il a préféré interroger les savants de l’islam. Il en est ainsi par exemple pour des questions sensibles comme le mariage mixte engageant une musulmane : « les savants ont beau répété la règle, les réalités concrètes, à l’intérieur des communautés religieuses musulmanes, sont en train de changer. La majorité des femmes musulmanes continuent à épouser des musulmans, mais le pourcentage de celles qui se marient à des personnes d’autres confessions est en constante progression (…). Or, les ulama se contentent de rappeler l’opinion unanime, sans vraiment prendre en compte les réalités du terrain. » (9)
T. Oubrou, face à cette problématique, propose des réponses audacieuses et innovantes en lien avec la réalité des musulmans.
Au sujet du mariage mixte : « la dimension religieuse n’est qu’une partie du débat. Licite ou pas licite ? Là encore, il n’existe aucun texte univoque qui interdirait à une musulmane de se marier à un chrétien ou un juif. Mais la question demeure : est-ce que tout ce qui est permis est souhaitable ? En tant qu’imam, le mariage est un simple acte juridique, sans cérémonie religieuse. Mais mon devoir est de mettre les gens devant leur responsabilité, et de les éclairer sur les imprévus qu’ils n’ont pas imaginés, notamment concernant l’avenir des enfants ». (10)
Même s’il est réservé sur cette question il ne l’écarte vu qu’un nombre croissant de mariage finit par un divorce et que dans plus de 80% des cas c’est la mère qui conserve la garde des enfants donc situation plus favorable pour la préservation de la foi musulmane des enfants.
S’agissant de la différence d’héritage entre l’homme et la femme T. Ramadan nous dit: « mais que faire lorsque dans les familles et les sociétés contemporaines, cette logique de solidarité ne fonctionne plus, que les hommes ont démissionné (volontairement ou non) de leur responsabilités financières et que les femmes se retrouvent seules, parfois sans famille élargie, avec plusieurs enfants à charge ? Suffit-il de répéter la norme « définitive et indiscutable… » (11)
T. Oubrou, à contre courant des réponses habituellement données, assume ses choix juridiques ; « dans nos sociétés modernes, on ne gagne plus sa vie exclusivement grâce à la force physique, et les femmes travaillent tout comme les hommes. La technologie, et les compétences intellectuelles leur garantissent, en principe, une totale indépendance par rapport aux hommes. Une femme qui travaille doit donc subvenir aux besoins de sa famille, même si le droit canonique l’exempte de ce devoir. Qui dit mêmes devoirs dit mêmes droits : par conséquent il faut que les proportions de l’héritage soient ajustées pour aller vers plus d’égalité en ce domaine » (12)
Au sujet de la valeur du témoignage de l’homme et de la femme : « pour en finir avec cette question, je dis que dans nos sociétés où les femmes ont investi tous les domaines de la vie publique, sociale, économique…seule la crédibilité intellectuelle, mentale et morale doit compter, que ce soit en matière de témoignage ou d’autres domaines. Le verset cité étant optatif et ne concerne qu’un seul domaine commercial, il contient un principe recteur (irshad), une téléonomie qui trace une voie vers une égalité normative et juridique substantielle entre l’homme et la femme à tous les niveaux, accompagnant ainsi l’évolution de l’humanité » (13)
Nous voyons clairement ici que les opinions convergent pour ne pas dire qu’elles sont semblables mais que les postures et les paradigmes ne sont pas les mêmes. Le paradigme classique de T. Ramadan semble néanmoins connaître certaines limites parce que ses réflexions peuvent entrer en contradiction avec des textes explicites, on le verra avec la question des châtiments corporels.
T. Oubrou, face à cette problématique, propose des réponses audacieuses et innovantes en lien avec la réalité des musulmans.
Au sujet du mariage mixte : « la dimension religieuse n’est qu’une partie du débat. Licite ou pas licite ? Là encore, il n’existe aucun texte univoque qui interdirait à une musulmane de se marier à un chrétien ou un juif. Mais la question demeure : est-ce que tout ce qui est permis est souhaitable ? En tant qu’imam, le mariage est un simple acte juridique, sans cérémonie religieuse. Mais mon devoir est de mettre les gens devant leur responsabilité, et de les éclairer sur les imprévus qu’ils n’ont pas imaginés, notamment concernant l’avenir des enfants ». (10)
Même s’il est réservé sur cette question il ne l’écarte vu qu’un nombre croissant de mariage finit par un divorce et que dans plus de 80% des cas c’est la mère qui conserve la garde des enfants donc situation plus favorable pour la préservation de la foi musulmane des enfants.
S’agissant de la différence d’héritage entre l’homme et la femme T. Ramadan nous dit: « mais que faire lorsque dans les familles et les sociétés contemporaines, cette logique de solidarité ne fonctionne plus, que les hommes ont démissionné (volontairement ou non) de leur responsabilités financières et que les femmes se retrouvent seules, parfois sans famille élargie, avec plusieurs enfants à charge ? Suffit-il de répéter la norme « définitive et indiscutable… » (11)
T. Oubrou, à contre courant des réponses habituellement données, assume ses choix juridiques ; « dans nos sociétés modernes, on ne gagne plus sa vie exclusivement grâce à la force physique, et les femmes travaillent tout comme les hommes. La technologie, et les compétences intellectuelles leur garantissent, en principe, une totale indépendance par rapport aux hommes. Une femme qui travaille doit donc subvenir aux besoins de sa famille, même si le droit canonique l’exempte de ce devoir. Qui dit mêmes devoirs dit mêmes droits : par conséquent il faut que les proportions de l’héritage soient ajustées pour aller vers plus d’égalité en ce domaine » (12)
Au sujet de la valeur du témoignage de l’homme et de la femme : « pour en finir avec cette question, je dis que dans nos sociétés où les femmes ont investi tous les domaines de la vie publique, sociale, économique…seule la crédibilité intellectuelle, mentale et morale doit compter, que ce soit en matière de témoignage ou d’autres domaines. Le verset cité étant optatif et ne concerne qu’un seul domaine commercial, il contient un principe recteur (irshad), une téléonomie qui trace une voie vers une égalité normative et juridique substantielle entre l’homme et la femme à tous les niveaux, accompagnant ainsi l’évolution de l’humanité » (13)
Nous voyons clairement ici que les opinions convergent pour ne pas dire qu’elles sont semblables mais que les postures et les paradigmes ne sont pas les mêmes. Le paradigme classique de T. Ramadan semble néanmoins connaître certaines limites parce que ses réflexions peuvent entrer en contradiction avec des textes explicites, on le verra avec la question des châtiments corporels.
De la sécularisation et de l’islam en Occident
Le rapport du politique à la religion suscite encore des interrogations et des craintes et cela l’est encore davantage au sujet de l’islam.
T. Ramadan a bien raison d’affirmer que cette relation a évoluée à travers le temps : « il n’y a pas de religion ou de spiritualité, quelle qu’elle soit, qui n’ait (d’une façon ou une autre) de relation avec le politique, une conception du fait politique ou un discours plus ou moins élaboré sur la question. Il n’existe pas non plus de système ou de pratiques politiques, et ce même dans les sociétés les plus sécularisées ou les plus idéologiquement athées, qui soient complètement coupés de la référence religieuse, même si celle-ci est représentée dans l’horizon culturel de la société : la France est culturellement catholique comme la Chine est nourrie par le confucianisme, et les systèmes politiques comme les politiciens ne peuvent pas négliger ou ignorer ces dimensions (..). Ce qui importe ici n’est pas de savoir si la religion a ou a à voir avec la politique (puisqu’elles ont toujours une relation) mais bien plutôt de savoir quel type de relation il faut envisager et promouvoir.»(14)
L’auteur met en garde contre les grands slogans t comme « l’islam n’a rien à voir avec la politique » ou encore « l’islam s’oppose à la séparation de la religion et de la politique » mais finit lui-même par céder à des considérations ressassées depuis des siècles qui visent aussi à rassurer un occident ayant trop souvent à l’esprit une représentation totalitaire de l’islam; en distinguant le dogme et le culte des mu’amalt (affaires sociales) il rajoute : « la méthodologie est exactement inverse dans la sphère des affaires sociales (al-mu’amalat), où tout le champ du possible est ouvert jusqu’aux limites de ce qui est formellement interdit par les Textes ou le consensus des savants. »
Cette distinction, sans cesse répétée, ne remet pas en cause le lien entre la religion et la politique bien au contraire vu que les autres dimensions sont davantage de l’ordre de l’intime et par conséquent ne font pas l’objet d’une norme sociale réellement contraignante. Il est vrai que les normes relatives aux affaires sociales sont produites à travers une dialectique plus souple et ouverte entre les sources du droit et le contexte mais elles n’échappent pas plus à l’architecture des Maqasids. Cela l’est par exemple au sujet des châtiments corporels. Cette question, certes secondaire, pose problème à différents niveaux. Il s’agit, rappelons le, d’une prérogative régalienne de l’Etat qui détient « monopole de la violence physique légitime ». En conséquence ici la séparation de la prescription religieuse et du pouvoir politique n’existe pas. Quel paradigme crédible et honnête peut on avoir en occident par rapport à cette question ?
Ensuite dans son moratoire sur les châtiments corporels T. Ramadan questionne (courageusement il faut le noter car c’est une question épineuse) les savants autour de trois questions : « en sus, nous nous appuyons sur la méthodologie des Usul al-fiqh (fondements du droit et de la jurisprudence) pour poser trois questions fondamentales aux u’lama’ en général et aux fuqahas en particuliers : que disent vraiment les textes ? Quelles sont les conditions nécessaires à l’application ? Dans quel contexte social ? » (15)
Par cet appel T. Ramadan se voulait être fidèle à la fois aux Textes mais aussi aux finalités de la Charia et au paradigme classique des Usuls et des maqasid. Il faut ajouter à cela que certains textes sont précis et sans ambigüités. A supposer maintenant que les conditions soient remplies pour appliquer les châtiments (peine capitale, amputation des mains entre autres) il devient alors difficile d’y échapper. A travers ses différents ouvrages T. Ramadan veut visiblement trouver une issue de sortie par rapport au code pénal qu’il souhaiterait dépasser mais sa méthodologie indéniablement ne le permet pas. Ainsi dans un ouvrage d’entretiens il est interrogé de cette manière : « Dans ce cas-là, dans un Etat islamique idéal, faudrait-il appliquer cette mutilation comme peine pour le voleur ? » et T. Ramadan de répondre : « Restons dans la réalité. Cette société idéale, de droit et de justice, est un objectif vers lequel l’on tend et sur la route de cette réalisation il faut faire face au fractures qui empêchent que les trois conditions que j’ai mentionnées soient réunies » (16)
T. Oubrou quant à lui n’évoque pas vraiment cette question et porte davantage sa réflexion sur l’aspect contingent et relatif du droit musulman. Tout le droit classique doit être revu si l’on admet la dimension anthropologique de la Révélation. « C’est le nœud d’un problème théologique grave, que j’appréhende avec une grande prudence… Même s’il est vrai que, par exemple, les principologues (usuliyyun) parlent de la tradition locale (u’rf) comme une dimension de la sharia, ils ne la considèrent véritablement que quand elle s’inscrit dans une tradition elle-même musulmane, alors que le Coran et la Sunna, initialement, ont pris en considération la tradition locale des païens de l’époque. Cela est particulièrement important pour des questions telles que la notion de riba, les châtiments corporels, le statut juridique de la femme, etc., qui agitent les communautés musulmanes » (17)
Il souhaite « émanciper la sharia de tout système politique à priori (Etat islamique, califat…) comme condition de son élaboration. Cela redonnera à l’islam sa dimension religieuse originelle (…). Ce travail permet de passer de la question de « l’islam dans la sécularisation » à la question de « l’islam et la sécularisation, c’est-à-dire à la problématique de la sécularisation de l’islam lui-même. » (18
« Il est vrai que l’islam est porteur d’une vision métaphysique globale sur l’existence et sur le monde. Mais cela doit être compris au niveau du sens, du théologique et de l’éthique, et pas au niveau du droit musulman dont le paradigme fut dans une large mesure lié à la notion politique totalisante du califat, un système lui-même formalisé par les hommes et qui serait prétendument fixé une fois pour toute » (19)
Cette démarche se heurte à un certain nombre d’interrogations et de limites tant au niveau des Textes que du projet civilisationnel. Si le Prophète de l’islam n’a pas apporté de législation et si la révélation n’est pas un système juridique comment devons nous interpréter les textes suivants ? : « Juge alors parmi eux d'après ce qu' Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, et prends garde qu'ils ne tentent de t'éloigner d'une partie de ce qu' Allah t'a révélé. Et puis, s'ils refusent sache qu' Allah veut les affliger pour une partie de leurs péchés. Beaucoup de gens, certes, sont des pervers. » (Coran, 5 : 49) et encore « Ceux qui ne jugent pas d'après ce qu' Allah a fait descendre, ceux-là sont les pervers. » (Coran, 5 : 47). Il paraît difficile ici d’en faire une lecture circonstanciée. A moins, peut être, de considérer là aussi qu’il s’agit non pas de normes juridiques mais de principes que les versets mentionnent.
L’autre limite de cette proposition c’est celle de la sécularisation de l’islam. La difficulté réside ici dans le sens donné à la sécularisation. On peut convenir que si l’entreprise consiste à faire en sorte que la religion s’émancipe du politique, de manière à ce qu’elle ne soit pas utilisée comme moyen de pouvoir et ainsi de la détourner des ses finalités, alors cette évolution serait pour beaucoup souhaitable. Mais la sécularisation peut aussi se définir comme l’action de soustraire une fonction, une institution sociale à la domination et à l'influence religieuse. La sociologie (notamment des religions) utilise le paradigme de la sécularisation comme élément central de la modernité et de la sortie de la religion ou du moins de sa perte d’influence. Le bilan de plus de deux siècles de sécularisation et de privatisation de la vie religieuse peut il être à ce point positif pour que l’islam et le monde musulman s’en inspire ? Le mouvement de sécularisation (sous ses différentes formes) ne peut être analysé, il me semble, sans l’insérer dans une évolution historique globale et sans y étudier l’ensemble de ses effets.
La sécularisation a certes permis une plus grande autonomie de l’individu et la liberté de conscience mais elle s’est aussi accompagnée d’individualisme, de matérialisme et donc de la perte de valeurs spirituelles. En bref, la sécularisation ne serait-elle pas l’ennemi de la transcendance ? Dans tous les cas il s’agit d’un processus qui minore l’influence de la religion comme le souligne Olivier Roy : « La sécularisation est un phénomène de société qui ne requiert aucune mise en œuvre politique : c’est lorsque le religieux cesse d’être au centre de la vie des hommes, même s’ils se disent toujours croyants ; les pratiques des hommes comme le sens qu’ils donnent au monde ne se font plus sous le signe de la transcendance et du religieux. Le stade ultime de la sécularisation, c’est la disparition de la religion,… » (19).
Plus loin l’auteur anticipe sur un aggiornamento de l’islam à l’instar du christianisme : « l’ébranlement pour l’islam, c’est la perte de l’évidence sociale de la religion, c’est-à-dire de son incarnation dans une culture, et sa minorisation sociale et politique, suivie de sa reconstruction comme une « pure » religion, sur une base individuelle, même si cela conduit à la reconstruction d’une communauté déterritorialisée de croyants ». Il serait donc bienvenu que T. Oubrou précise ce qu’il entend par sécularisation vu les répercussions majeures que peut avoir ce processus sur la vie sociale des croyants.
T. Ramadan a bien raison d’affirmer que cette relation a évoluée à travers le temps : « il n’y a pas de religion ou de spiritualité, quelle qu’elle soit, qui n’ait (d’une façon ou une autre) de relation avec le politique, une conception du fait politique ou un discours plus ou moins élaboré sur la question. Il n’existe pas non plus de système ou de pratiques politiques, et ce même dans les sociétés les plus sécularisées ou les plus idéologiquement athées, qui soient complètement coupés de la référence religieuse, même si celle-ci est représentée dans l’horizon culturel de la société : la France est culturellement catholique comme la Chine est nourrie par le confucianisme, et les systèmes politiques comme les politiciens ne peuvent pas négliger ou ignorer ces dimensions (..). Ce qui importe ici n’est pas de savoir si la religion a ou a à voir avec la politique (puisqu’elles ont toujours une relation) mais bien plutôt de savoir quel type de relation il faut envisager et promouvoir.»(14)
L’auteur met en garde contre les grands slogans t comme « l’islam n’a rien à voir avec la politique » ou encore « l’islam s’oppose à la séparation de la religion et de la politique » mais finit lui-même par céder à des considérations ressassées depuis des siècles qui visent aussi à rassurer un occident ayant trop souvent à l’esprit une représentation totalitaire de l’islam; en distinguant le dogme et le culte des mu’amalt (affaires sociales) il rajoute : « la méthodologie est exactement inverse dans la sphère des affaires sociales (al-mu’amalat), où tout le champ du possible est ouvert jusqu’aux limites de ce qui est formellement interdit par les Textes ou le consensus des savants. »
Cette distinction, sans cesse répétée, ne remet pas en cause le lien entre la religion et la politique bien au contraire vu que les autres dimensions sont davantage de l’ordre de l’intime et par conséquent ne font pas l’objet d’une norme sociale réellement contraignante. Il est vrai que les normes relatives aux affaires sociales sont produites à travers une dialectique plus souple et ouverte entre les sources du droit et le contexte mais elles n’échappent pas plus à l’architecture des Maqasids. Cela l’est par exemple au sujet des châtiments corporels. Cette question, certes secondaire, pose problème à différents niveaux. Il s’agit, rappelons le, d’une prérogative régalienne de l’Etat qui détient « monopole de la violence physique légitime ». En conséquence ici la séparation de la prescription religieuse et du pouvoir politique n’existe pas. Quel paradigme crédible et honnête peut on avoir en occident par rapport à cette question ?
Ensuite dans son moratoire sur les châtiments corporels T. Ramadan questionne (courageusement il faut le noter car c’est une question épineuse) les savants autour de trois questions : « en sus, nous nous appuyons sur la méthodologie des Usul al-fiqh (fondements du droit et de la jurisprudence) pour poser trois questions fondamentales aux u’lama’ en général et aux fuqahas en particuliers : que disent vraiment les textes ? Quelles sont les conditions nécessaires à l’application ? Dans quel contexte social ? » (15)
Par cet appel T. Ramadan se voulait être fidèle à la fois aux Textes mais aussi aux finalités de la Charia et au paradigme classique des Usuls et des maqasid. Il faut ajouter à cela que certains textes sont précis et sans ambigüités. A supposer maintenant que les conditions soient remplies pour appliquer les châtiments (peine capitale, amputation des mains entre autres) il devient alors difficile d’y échapper. A travers ses différents ouvrages T. Ramadan veut visiblement trouver une issue de sortie par rapport au code pénal qu’il souhaiterait dépasser mais sa méthodologie indéniablement ne le permet pas. Ainsi dans un ouvrage d’entretiens il est interrogé de cette manière : « Dans ce cas-là, dans un Etat islamique idéal, faudrait-il appliquer cette mutilation comme peine pour le voleur ? » et T. Ramadan de répondre : « Restons dans la réalité. Cette société idéale, de droit et de justice, est un objectif vers lequel l’on tend et sur la route de cette réalisation il faut faire face au fractures qui empêchent que les trois conditions que j’ai mentionnées soient réunies » (16)
T. Oubrou quant à lui n’évoque pas vraiment cette question et porte davantage sa réflexion sur l’aspect contingent et relatif du droit musulman. Tout le droit classique doit être revu si l’on admet la dimension anthropologique de la Révélation. « C’est le nœud d’un problème théologique grave, que j’appréhende avec une grande prudence… Même s’il est vrai que, par exemple, les principologues (usuliyyun) parlent de la tradition locale (u’rf) comme une dimension de la sharia, ils ne la considèrent véritablement que quand elle s’inscrit dans une tradition elle-même musulmane, alors que le Coran et la Sunna, initialement, ont pris en considération la tradition locale des païens de l’époque. Cela est particulièrement important pour des questions telles que la notion de riba, les châtiments corporels, le statut juridique de la femme, etc., qui agitent les communautés musulmanes » (17)
Il souhaite « émanciper la sharia de tout système politique à priori (Etat islamique, califat…) comme condition de son élaboration. Cela redonnera à l’islam sa dimension religieuse originelle (…). Ce travail permet de passer de la question de « l’islam dans la sécularisation » à la question de « l’islam et la sécularisation, c’est-à-dire à la problématique de la sécularisation de l’islam lui-même. » (18
« Il est vrai que l’islam est porteur d’une vision métaphysique globale sur l’existence et sur le monde. Mais cela doit être compris au niveau du sens, du théologique et de l’éthique, et pas au niveau du droit musulman dont le paradigme fut dans une large mesure lié à la notion politique totalisante du califat, un système lui-même formalisé par les hommes et qui serait prétendument fixé une fois pour toute » (19)
Cette démarche se heurte à un certain nombre d’interrogations et de limites tant au niveau des Textes que du projet civilisationnel. Si le Prophète de l’islam n’a pas apporté de législation et si la révélation n’est pas un système juridique comment devons nous interpréter les textes suivants ? : « Juge alors parmi eux d'après ce qu' Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, et prends garde qu'ils ne tentent de t'éloigner d'une partie de ce qu' Allah t'a révélé. Et puis, s'ils refusent sache qu' Allah veut les affliger pour une partie de leurs péchés. Beaucoup de gens, certes, sont des pervers. » (Coran, 5 : 49) et encore « Ceux qui ne jugent pas d'après ce qu' Allah a fait descendre, ceux-là sont les pervers. » (Coran, 5 : 47). Il paraît difficile ici d’en faire une lecture circonstanciée. A moins, peut être, de considérer là aussi qu’il s’agit non pas de normes juridiques mais de principes que les versets mentionnent.
L’autre limite de cette proposition c’est celle de la sécularisation de l’islam. La difficulté réside ici dans le sens donné à la sécularisation. On peut convenir que si l’entreprise consiste à faire en sorte que la religion s’émancipe du politique, de manière à ce qu’elle ne soit pas utilisée comme moyen de pouvoir et ainsi de la détourner des ses finalités, alors cette évolution serait pour beaucoup souhaitable. Mais la sécularisation peut aussi se définir comme l’action de soustraire une fonction, une institution sociale à la domination et à l'influence religieuse. La sociologie (notamment des religions) utilise le paradigme de la sécularisation comme élément central de la modernité et de la sortie de la religion ou du moins de sa perte d’influence. Le bilan de plus de deux siècles de sécularisation et de privatisation de la vie religieuse peut il être à ce point positif pour que l’islam et le monde musulman s’en inspire ? Le mouvement de sécularisation (sous ses différentes formes) ne peut être analysé, il me semble, sans l’insérer dans une évolution historique globale et sans y étudier l’ensemble de ses effets.
La sécularisation a certes permis une plus grande autonomie de l’individu et la liberté de conscience mais elle s’est aussi accompagnée d’individualisme, de matérialisme et donc de la perte de valeurs spirituelles. En bref, la sécularisation ne serait-elle pas l’ennemi de la transcendance ? Dans tous les cas il s’agit d’un processus qui minore l’influence de la religion comme le souligne Olivier Roy : « La sécularisation est un phénomène de société qui ne requiert aucune mise en œuvre politique : c’est lorsque le religieux cesse d’être au centre de la vie des hommes, même s’ils se disent toujours croyants ; les pratiques des hommes comme le sens qu’ils donnent au monde ne se font plus sous le signe de la transcendance et du religieux. Le stade ultime de la sécularisation, c’est la disparition de la religion,… » (19).
Plus loin l’auteur anticipe sur un aggiornamento de l’islam à l’instar du christianisme : « l’ébranlement pour l’islam, c’est la perte de l’évidence sociale de la religion, c’est-à-dire de son incarnation dans une culture, et sa minorisation sociale et politique, suivie de sa reconstruction comme une « pure » religion, sur une base individuelle, même si cela conduit à la reconstruction d’une communauté déterritorialisée de croyants ». Il serait donc bienvenu que T. Oubrou précise ce qu’il entend par sécularisation vu les répercussions majeures que peut avoir ce processus sur la vie sociale des croyants.
Que reste t-il du droit musulman ? La place de l’intérêt général (al maslaha) dans les sources et les finalités de la Charia
A travers cette étude nous avons souhaité comparer les paradigmes des deux réformistes tout en montrant les limites et les interrogations qu’ils peuvent susciter. Au delà des spécificités méthodologiques employées se pose la question du devenir du droit musulman, de sa définition et de ses contours.
Un des concepts clés construits par T. Oubrou est celui de la théologie de l’acculturation permettant à l’islam de s’adapter à toutes les cultures en tout temps et en tout lieu. Ainsi lorsqu’il évoque le sujet de la pudeur il distingue but et moyen ; "On mélange le principe actif avec l'excipient. Le principe des vêtements, c'est la pudeur dans une culture donnée. ». Et comme nous l’avons dit plus haut la Révélation ne canonise pas une culture mais véhicule des valeurs. Tout cela est frappé du coin du bon sens mais nous nous heurtons ici à la difficulté majeure de définir les contours de cette pudeur au risque de tomber dans un tout anthropologique. Que dire donc des sociétés où l’exposition des corps est un trait culturel qui ne renvoie à aucune forme d’impudeur ? Et tout simplement et plus proche de nous le fait de se baigner en maillot de bain ne cachant que les parties intimes.
La question sous jacente derrière ces interrogations c’est la définition même du droit musulman qui est posée. Le droit musulman, à l’exception des règles relatives au culte et dans une moindre mesure au dogme, ne serait en définitive qu’une cristallisation de principes musulmans qui le plus souvent sont universels. Derrière le nominatif « droit musulman », comme pour le christianisme, ne préexisterait-il pas qu’un droit canon se limitant aux pratiques cultuels ?
Nous pouvons nous interroger de la même manière sur la construction théorique de T. Ramadan qui semble en apparence plus conforme au paradigme classique mais au sujet duquel les mêmes questionnements demeurent au vu de son aspect très holistique. Cela est d’autant plus vrai si on prend en compte les caractéristiques pluriculturelles des sociétés participant à ce qu’il appelle « l’universel partagé ».
Ajoutons à cela le fait que T. Ramadan place au sommet de la hiérarchie des finalités supérieures le bien et l’intérêt commun (al maslaha). Dans cette perspective la maslaha mursala telle que définie par certains hanbalistes, parmi les plus illustres comme At-Toufi et al I’zz ibn Abdessalam, considèrent que la recherche de l’intérêt général est au niveau juridique la finalité ultime de la Charia. En conséquence la maslaha (intérêt général) peut entrer en contradiction avec une texte (hadith ou verset) et dans cette configuration le texte voit son sens circonscrit alors que la Charia, qui est la Voie tracé par Dieu, vise en premier lieu l’intérêt général. Partant de là l’ensemble du droit musulman peut être reconsidéré à l’aune de cette finalité première s’imposant de plus en plus dans un monde instable, complexe et multiconfessionnel.
Chez T. Oubrou cet intérêt général peut se lire à travers le concept de la « théologie de l’acculturation » qui s’appuie sur les nombreux versets qui inscrivent le bien et le mal dans un cadre culturel, anthropologique. Le coran parle ainsi de « mounkar » et de « ma’ruf », ce dernier signifiant le « convenable » et trouve sa racine dans le terme u’rf (coutume). La norme musulmane évoluerait donc en fonction des cultures, comme il en est aussi de l’intérêt général.
Quand on analyse les Textes, qu’il s’agisse des hadiths ou versets, on s’aperçoit qu’à l’exception de quelques domaines très limités (héritage, mariage, quelques aspects commerciaux…) les références ne peuvent constituer un système juridique complet. A titre d’exemple le droit en France se compose de dizaines de branches juridiques contenant des milliers de textes ; droit civil, droit commercial, droit de la consommation, droit de l’agriculture, droit pénal, droit administratif….En conclusion les Textes de référence ne peuvent offrir que des principes généraux et des orientations laissant une telle marge d’interprétation que l’appellation « droit musulman » pose question.
C’est l’ensemble de ces interrogations d’ordre épistémologique que relève T. Oubrou dans ce passage :
« Pour revenir à notre sujet, cette question de prise en considération de la réalité et de la légitimation de la réalité nous obligea remonter vers les Noms et les Attributs de Dieu comme paradigme herméneutique pour penser la Loi en islam. Celle-ci repose en effet sur la question théologique de Dieu : de quel Dieu s’agit-il ? Car avant de connaître la Loi, il faudrait bien essayer de connaître le Législateur (…). Ce sont des questions radicales, et dès qu’on touche à ces choses-là, tout l’édifice et toutes les anciennes constructions sont remises en question !» (20)
Un des concepts clés construits par T. Oubrou est celui de la théologie de l’acculturation permettant à l’islam de s’adapter à toutes les cultures en tout temps et en tout lieu. Ainsi lorsqu’il évoque le sujet de la pudeur il distingue but et moyen ; "On mélange le principe actif avec l'excipient. Le principe des vêtements, c'est la pudeur dans une culture donnée. ». Et comme nous l’avons dit plus haut la Révélation ne canonise pas une culture mais véhicule des valeurs. Tout cela est frappé du coin du bon sens mais nous nous heurtons ici à la difficulté majeure de définir les contours de cette pudeur au risque de tomber dans un tout anthropologique. Que dire donc des sociétés où l’exposition des corps est un trait culturel qui ne renvoie à aucune forme d’impudeur ? Et tout simplement et plus proche de nous le fait de se baigner en maillot de bain ne cachant que les parties intimes.
La question sous jacente derrière ces interrogations c’est la définition même du droit musulman qui est posée. Le droit musulman, à l’exception des règles relatives au culte et dans une moindre mesure au dogme, ne serait en définitive qu’une cristallisation de principes musulmans qui le plus souvent sont universels. Derrière le nominatif « droit musulman », comme pour le christianisme, ne préexisterait-il pas qu’un droit canon se limitant aux pratiques cultuels ?
Nous pouvons nous interroger de la même manière sur la construction théorique de T. Ramadan qui semble en apparence plus conforme au paradigme classique mais au sujet duquel les mêmes questionnements demeurent au vu de son aspect très holistique. Cela est d’autant plus vrai si on prend en compte les caractéristiques pluriculturelles des sociétés participant à ce qu’il appelle « l’universel partagé ».
Ajoutons à cela le fait que T. Ramadan place au sommet de la hiérarchie des finalités supérieures le bien et l’intérêt commun (al maslaha). Dans cette perspective la maslaha mursala telle que définie par certains hanbalistes, parmi les plus illustres comme At-Toufi et al I’zz ibn Abdessalam, considèrent que la recherche de l’intérêt général est au niveau juridique la finalité ultime de la Charia. En conséquence la maslaha (intérêt général) peut entrer en contradiction avec une texte (hadith ou verset) et dans cette configuration le texte voit son sens circonscrit alors que la Charia, qui est la Voie tracé par Dieu, vise en premier lieu l’intérêt général. Partant de là l’ensemble du droit musulman peut être reconsidéré à l’aune de cette finalité première s’imposant de plus en plus dans un monde instable, complexe et multiconfessionnel.
Chez T. Oubrou cet intérêt général peut se lire à travers le concept de la « théologie de l’acculturation » qui s’appuie sur les nombreux versets qui inscrivent le bien et le mal dans un cadre culturel, anthropologique. Le coran parle ainsi de « mounkar » et de « ma’ruf », ce dernier signifiant le « convenable » et trouve sa racine dans le terme u’rf (coutume). La norme musulmane évoluerait donc en fonction des cultures, comme il en est aussi de l’intérêt général.
Quand on analyse les Textes, qu’il s’agisse des hadiths ou versets, on s’aperçoit qu’à l’exception de quelques domaines très limités (héritage, mariage, quelques aspects commerciaux…) les références ne peuvent constituer un système juridique complet. A titre d’exemple le droit en France se compose de dizaines de branches juridiques contenant des milliers de textes ; droit civil, droit commercial, droit de la consommation, droit de l’agriculture, droit pénal, droit administratif….En conclusion les Textes de référence ne peuvent offrir que des principes généraux et des orientations laissant une telle marge d’interprétation que l’appellation « droit musulman » pose question.
C’est l’ensemble de ces interrogations d’ordre épistémologique que relève T. Oubrou dans ce passage :
« Pour revenir à notre sujet, cette question de prise en considération de la réalité et de la légitimation de la réalité nous obligea remonter vers les Noms et les Attributs de Dieu comme paradigme herméneutique pour penser la Loi en islam. Celle-ci repose en effet sur la question théologique de Dieu : de quel Dieu s’agit-il ? Car avant de connaître la Loi, il faudrait bien essayer de connaître le Législateur (…). Ce sont des questions radicales, et dès qu’on touche à ces choses-là, tout l’édifice et toutes les anciennes constructions sont remises en question !» (20)
_______________
(1) M. Talbi ;Plaidoyer pour un islam moderne
(2) T. Oubou; Profession imam
(3) http://www.islamophile.org/spip/La-confluence-de-la-jurisprudence.html
(4) T. Ramadan; Le génie de l’islam
(5) T. Oubrou; profession imam
(6) T. Oubrou; profession imam
(7) T. Oubrou; profession imam
(8) T. Oubrou; Ce que vous ne savez pas sur l’islam
(9) T. Ramadan; Le génie de l’islam
(10) Christophe Roucou, T. Oubrou ; Le prêtre et l’imam.
(11) T. Ramadan ; La réforme radicale
(12) T. Oubrou; Ce que vous ne savez pas sur l’islam
(13) T. Oubrou; Ce que vous ne savez pas sur l’islam
(14) T. Ramadan ; La réforme radicale
(15) T. Ramadan ; La réforme radicale
(16) Jacques Neirynck et Tariq. Ramadan ; Peut-on vivre avec l’islam ?
(17) T. Oubrou; Profession imam
(18) T. Oubrou; Profession imam
(19) Olivier Roy, La laïcité face à l’islam
(20) T. Oubrou; Profession imam
(1) M. Talbi ;Plaidoyer pour un islam moderne
(2) T. Oubou; Profession imam
(3) http://www.islamophile.org/spip/La-confluence-de-la-jurisprudence.html
(4) T. Ramadan; Le génie de l’islam
(5) T. Oubrou; profession imam
(6) T. Oubrou; profession imam
(7) T. Oubrou; profession imam
(8) T. Oubrou; Ce que vous ne savez pas sur l’islam
(9) T. Ramadan; Le génie de l’islam
(10) Christophe Roucou, T. Oubrou ; Le prêtre et l’imam.
(11) T. Ramadan ; La réforme radicale
(12) T. Oubrou; Ce que vous ne savez pas sur l’islam
(13) T. Oubrou; Ce que vous ne savez pas sur l’islam
(14) T. Ramadan ; La réforme radicale
(15) T. Ramadan ; La réforme radicale
(16) Jacques Neirynck et Tariq. Ramadan ; Peut-on vivre avec l’islam ?
(17) T. Oubrou; Profession imam
(18) T. Oubrou; Profession imam
(19) Olivier Roy, La laïcité face à l’islam
(20) T. Oubrou; Profession imam