Publication avec l'autorisation du Réseau Minerve (réseau social des philosophes).
Al-FARABI, Épître sur l’intellect, introduction, traduction, et commentaires de Philippe Vallat, suvis de « Onto-noétique. L’intellect et les intellects chez Fârâbi », Paris, Les Belles Lettres, 2012
L’ouvrage que publie ici Philippe Vallat est la première étude d’ensemble de l’Epître sur l’intellect, du philosophe Abû Nasr al-Fârâbi (ob. 950), d’après le texte en langue arabe, dans une nouvelle traduction commentée. L’auteur, historien de la philosophie, conduit ici un double projet : saisir le sens et les enjeux de ce traité sur l’intellect, et effectuer ensuite une approche de la noétique farabienne. Dans la continuation de ses recherches sur Farabi, Philippe Vallat vise à mettre en évidence la cohérence de la pensée de cet éminent philosophe à travers son évolution ; il livre ainsi à notre considération la place qui lui est dévolue dans l’histoire de la pensée médiévale.
This book translated, introduced, and commented by Philippe Vallat is the first French critical edition of The Epistle on the Intellect written by Al- Farabi, the Father of Islamic Neo-Platonism, who had a major influence upon medieval philosophy. This annotated edition intends to present the philosophical background of the treatise in relation to Al-Farabi’s other works. Exhibiting the logical structure of The Epistle, the critical commentary explores the role of human intelligence in relation to metaphysics, epistemology and political issues.
Le livre comporte trois parties : une introduction sur Farabi et son époque, le texte traduit et commenté de l’Epître sur l’intellect, une étude sur l’intellect et les intellects chez Farabi ; l’ensemble est complété par une bibliographie et un index. L’introduction fournit tous les éléments permettant l’accès à la compréhension du traité en le situant dans le contexte de son élaboration. La traduction est augmentée d’un apparat critique, avec des commentaires tant philologiques que philosophiques. A cela s’ajoute l’étude de l’onto-noétique farabienne ; elle vise à mettre le traité sur l’intellect en perspective avec l’ensemble des écrits connus du philosophe.
L’introduction fournit les éléments biographiques sur Farabi qui sont utiles à la compréhension de l’Epîtresur l’intellect. Elle replace ce traité dans la cohérence de la pensée du philosophe telle qu’elle s’organise autour d’un axe politique, une certaine idée de la cité de l’homme, elle-même déterminée à partir de la notion de ce que c’est qu’être intelligent. Après ces explications, l’introduction donne toutes les précisions sur la composition du traité, son influence dans la tradition latine et dans la postérité arabe. Elle présente les choix qui ont présidé à la lecture du texte arabe d’après l’édition critique du P. Bouyges publiée en 1938, à sa traduction commentée, et à l’étude thématique qui y fait suite.
D’après son sommaire, le texte de Farabi se divise en cinq sections, selon les diverses acceptions du nom « intellect » : A. dans l’usage qu’en fait le peuple ; B. dans son emploi par les théologiens ; C. dans les Seconds analytiques ; D. dans le livre VI de l’Ethique à Nicomaque ; E. dans le De anima ; F. dans la Métaphysique. Dans la première partie du traité, Farabi tend à montrer en quoi est infondée la prétention des théologiens Mu’tazilites de raisonner conformément à la méthode démonstrative fixée dans les Seconds analytiques. Il vise plus généralement à critiquer tout usage usurpé de la démonstration ; en effet, les théologiens du Kalam auraient considéré les données coraniques comme des axiomes à partir desquels ils prétendaient démontrer ce que l’intellect doit ou ne doit pas admettre. Cette critique ouvre la possibilité de s’interroger philosophiquement sur l’intelligence.
L’introduction fournit les éléments biographiques sur Farabi qui sont utiles à la compréhension de l’Epîtresur l’intellect. Elle replace ce traité dans la cohérence de la pensée du philosophe telle qu’elle s’organise autour d’un axe politique, une certaine idée de la cité de l’homme, elle-même déterminée à partir de la notion de ce que c’est qu’être intelligent. Après ces explications, l’introduction donne toutes les précisions sur la composition du traité, son influence dans la tradition latine et dans la postérité arabe. Elle présente les choix qui ont présidé à la lecture du texte arabe d’après l’édition critique du P. Bouyges publiée en 1938, à sa traduction commentée, et à l’étude thématique qui y fait suite.
D’après son sommaire, le texte de Farabi se divise en cinq sections, selon les diverses acceptions du nom « intellect » : A. dans l’usage qu’en fait le peuple ; B. dans son emploi par les théologiens ; C. dans les Seconds analytiques ; D. dans le livre VI de l’Ethique à Nicomaque ; E. dans le De anima ; F. dans la Métaphysique. Dans la première partie du traité, Farabi tend à montrer en quoi est infondée la prétention des théologiens Mu’tazilites de raisonner conformément à la méthode démonstrative fixée dans les Seconds analytiques. Il vise plus généralement à critiquer tout usage usurpé de la démonstration ; en effet, les théologiens du Kalam auraient considéré les données coraniques comme des axiomes à partir desquels ils prétendaient démontrer ce que l’intellect doit ou ne doit pas admettre. Cette critique ouvre la possibilité de s’interroger philosophiquement sur l’intelligence.
Pourquoi donc s’interroger sur ce que c’est qu’être intelligent ? Cette œuvre n’est pas un exercice de pure spéculation, mais s’inscrit concrètement dans le contexte historique de la pratique de la philosophie, celui de la falsafa naissante (850-950) dans ses rapports avec la religion. Dans ce contexte marqué par la mihna (toute persécution de la philosophie par les autorités religieuses et politiques), une controverse ouvre sur la question du rapport dialectique entre l’intelligence des moyens et l’intelligence des fins. De là le besoin d’écrire ce traité pour clarifier ce que c’est que l’intelligence, dans l’esprit de la recherche de la vérité. Farabi procède pour cela à une mise en perspective de l’intellect humain avec la notion de prudence chez Aristote. Pour Philippe Vallat, il convient en effet de comprendre l’Epître sur l’intellect, en considérant que l’intention qui sous-tend tout le traité est de penser la destination de l’homme, ce qu’il peut espérer et ce qu’il doit faire.
C’est pourquoi, dans la seconde partie du traité, Farabi inclut l’intellect humain dans la hiérarchie des intellects, et cela de façon à rétablir la continuité de la chaîne des êtres. Pour ce faire, il rassemble des éléments conceptuels tirés de trois sources textuelles majeures : le De anima d’Aristote, les Ennéades de Plotin, et le De anima d’Alexandre d’Aphrodise. Ses liens avec l’Ecole d’Alexandrie sont avérés (cf. Philippe Vallat, Al-Farabi et l’Ecole d’Alexandrie, 2004). Toutefois, il ne s’agit pas de composer un recueil doxographique, mais d’accéder par soi à l’intelligence de la place et du rôle de l’intellect humain dans le monde. Dans cette perspective, Farabi découvre que la problématique métaphysique de la connaissance des principes s’inscrit dans une continuité avec la problématique politique de la cité et du gouvernement. L’enjeu du traité de l’intellect n’est donc rien moins que la possibilité de convertir la cité à la philosophie.
S’ajoutant à la traduction du traité, l’étude sur « l’intellect et les intellects chez Farabi » se propose d’examiner l’onto-cosmologie noétique farabienne telle qu’elle est contenue dans les œuvres suivantes : d’une part L’Epître sur l’intellect, La Philosophie d’Aristote,et L’Accession à la félicité, et, d’autre part, La Cité vertueuse, Le Régime politique, et Les Fusul muntaz’a (Aphorismes politiques). L’étude procède en s’appuyant sur l’analyse de passages choisis et dûment commentés. Il ressort que la doctrine de l’intellect constitue une totalité harmonieuse – synthèse originale entre la hiérarchie néoplatonicienne des Intellects et la pensée d’Aristote et d’Alexandre.
Le point de départ de la noétique consiste dans la connaissance des trois principes propres à ce domaine : il y a pour tous un acte de connaître, un sujet connaissant et un objet connu – au niveau des étants premiers, ces principes logiques sont réputés identiques aux principes d’existence, ou principes par lesquels, à partir desquels et en vue desquels ils sont. L’onto-cosmologie farabienne emprunte au néoplatonisme la dissociation de la cause finale et de la cause efficiente dans la hiérarchisation des êtres, et par là adapte de facto le schéma de distribution des causes aristotéliciennes en place depuis Proclus : le Bien (la cause finale) au sommet, les Idées (les causes formelles) au niveau intermédiaire, et le Démiurge (la cause efficiente) au niveau inférieur. Mais ce schéma n’a de sens que dans l’hypothèse d’un monde éternel et non créé. Quelles que soient les difficultés de cette doctrine, il reste que l’intention de Farabi vis-à-vis de ses lecteurs et de ses contemporains est de les inviter à chercher à en apprendre plus sur le monde et sur eux-mêmes.
C’est bien dans la conception du rôle cosmique de l’intellect humain qu’il faut chercher l’enseignement principal de l’Epître. En effet, l’intellect humain exerce une fonction essentielle dans l’économie de l’univers. La finalité métaphysique de toutes choses est qu’elles soient intelligées par l’homme devenu intellect, l’actualisation des formes naturelles et des formes intelligibles étant suspendue à l’actualité de l’intellect humain. La connaissance parfait le monde en actualisant la substance de l’homme. A la suite d’Aristote, Farabi considère que l’homme s’immortalise par la connaissance – elle est ce par quoi l’homme réalise la fin pour laquelle il a été engendré. Or, c’est le rôle de la politique que d’amener chacun à assimiler cette connaissance sous la forme appropriée. Telle est l’idée maîtresse de la politique conçue comme pédagogie : prenant en compte les différents naturels, un même savoir peut se transmettre à chacun. Philippe Vallat souligne l’importance de cette idée pour la compréhension de la philosophie farabienne dans toute son ampleur : l’idée de la cité conforme à la destination humaine structure le schéma cosmologique.
Cette étude d’ensemble de l’Epître sur l’intellect vient ainsi étayer et promouvoir la connaissance de la pensée de Farabi ; elle nous permet d’accéder aux sources mêmes de cette philosophie et ainsi d’apprécier la richesse des enseignements qu’elle contient à bien des égards – enseignements qui sont précieux à notre compréhension de l’homme et du monde. Nous voyons Farabi adopter une démarche personnelle et originale illustrant l’idée que la destination de l’homme est de devenir intellect et intelligible par soi. A partir de son propre effort d’intellection, il nous invite à éprouver la capacité de l’intelligence à constituer les difficultés en problèmes philosophiques en les intégrant au projet de la connaissance universelle. On voit ainsi que la métaphysique assume une fonction pédagogique et qu'elle est, en ce sens, porteuse du projet politique. Le livre de Philippe Vallat nous permet de nous représenter avec Farabi ce qu’est un philosophe accompli, ce pédagogue capable de fonder la cité par l’accès à la connaissance. En cela, la publication de cet ouvrage apparaît aujourd’hui tout à fait salutaire.
C’est pourquoi, dans la seconde partie du traité, Farabi inclut l’intellect humain dans la hiérarchie des intellects, et cela de façon à rétablir la continuité de la chaîne des êtres. Pour ce faire, il rassemble des éléments conceptuels tirés de trois sources textuelles majeures : le De anima d’Aristote, les Ennéades de Plotin, et le De anima d’Alexandre d’Aphrodise. Ses liens avec l’Ecole d’Alexandrie sont avérés (cf. Philippe Vallat, Al-Farabi et l’Ecole d’Alexandrie, 2004). Toutefois, il ne s’agit pas de composer un recueil doxographique, mais d’accéder par soi à l’intelligence de la place et du rôle de l’intellect humain dans le monde. Dans cette perspective, Farabi découvre que la problématique métaphysique de la connaissance des principes s’inscrit dans une continuité avec la problématique politique de la cité et du gouvernement. L’enjeu du traité de l’intellect n’est donc rien moins que la possibilité de convertir la cité à la philosophie.
S’ajoutant à la traduction du traité, l’étude sur « l’intellect et les intellects chez Farabi » se propose d’examiner l’onto-cosmologie noétique farabienne telle qu’elle est contenue dans les œuvres suivantes : d’une part L’Epître sur l’intellect, La Philosophie d’Aristote,et L’Accession à la félicité, et, d’autre part, La Cité vertueuse, Le Régime politique, et Les Fusul muntaz’a (Aphorismes politiques). L’étude procède en s’appuyant sur l’analyse de passages choisis et dûment commentés. Il ressort que la doctrine de l’intellect constitue une totalité harmonieuse – synthèse originale entre la hiérarchie néoplatonicienne des Intellects et la pensée d’Aristote et d’Alexandre.
Le point de départ de la noétique consiste dans la connaissance des trois principes propres à ce domaine : il y a pour tous un acte de connaître, un sujet connaissant et un objet connu – au niveau des étants premiers, ces principes logiques sont réputés identiques aux principes d’existence, ou principes par lesquels, à partir desquels et en vue desquels ils sont. L’onto-cosmologie farabienne emprunte au néoplatonisme la dissociation de la cause finale et de la cause efficiente dans la hiérarchisation des êtres, et par là adapte de facto le schéma de distribution des causes aristotéliciennes en place depuis Proclus : le Bien (la cause finale) au sommet, les Idées (les causes formelles) au niveau intermédiaire, et le Démiurge (la cause efficiente) au niveau inférieur. Mais ce schéma n’a de sens que dans l’hypothèse d’un monde éternel et non créé. Quelles que soient les difficultés de cette doctrine, il reste que l’intention de Farabi vis-à-vis de ses lecteurs et de ses contemporains est de les inviter à chercher à en apprendre plus sur le monde et sur eux-mêmes.
C’est bien dans la conception du rôle cosmique de l’intellect humain qu’il faut chercher l’enseignement principal de l’Epître. En effet, l’intellect humain exerce une fonction essentielle dans l’économie de l’univers. La finalité métaphysique de toutes choses est qu’elles soient intelligées par l’homme devenu intellect, l’actualisation des formes naturelles et des formes intelligibles étant suspendue à l’actualité de l’intellect humain. La connaissance parfait le monde en actualisant la substance de l’homme. A la suite d’Aristote, Farabi considère que l’homme s’immortalise par la connaissance – elle est ce par quoi l’homme réalise la fin pour laquelle il a été engendré. Or, c’est le rôle de la politique que d’amener chacun à assimiler cette connaissance sous la forme appropriée. Telle est l’idée maîtresse de la politique conçue comme pédagogie : prenant en compte les différents naturels, un même savoir peut se transmettre à chacun. Philippe Vallat souligne l’importance de cette idée pour la compréhension de la philosophie farabienne dans toute son ampleur : l’idée de la cité conforme à la destination humaine structure le schéma cosmologique.
Cette étude d’ensemble de l’Epître sur l’intellect vient ainsi étayer et promouvoir la connaissance de la pensée de Farabi ; elle nous permet d’accéder aux sources mêmes de cette philosophie et ainsi d’apprécier la richesse des enseignements qu’elle contient à bien des égards – enseignements qui sont précieux à notre compréhension de l’homme et du monde. Nous voyons Farabi adopter une démarche personnelle et originale illustrant l’idée que la destination de l’homme est de devenir intellect et intelligible par soi. A partir de son propre effort d’intellection, il nous invite à éprouver la capacité de l’intelligence à constituer les difficultés en problèmes philosophiques en les intégrant au projet de la connaissance universelle. On voit ainsi que la métaphysique assume une fonction pédagogique et qu'elle est, en ce sens, porteuse du projet politique. Le livre de Philippe Vallat nous permet de nous représenter avec Farabi ce qu’est un philosophe accompli, ce pédagogue capable de fonder la cité par l’accès à la connaissance. En cela, la publication de cet ouvrage apparaît aujourd’hui tout à fait salutaire.