Les cahiers de l'Islam
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Youssouf T. Sangaré
Islamologue, Maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales... En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 11 Avril 2025

Aylāl Rashīd, Ṣaḥīḥ al-Bukhārī : nihāyat usṭūra



L’ouvrage de R. Aylāl a le mérite de mettre en lumière la place qu’occupe Ṣaḥīḥ al-Bukhārī dans les débats les plus actuels en contexte islamique et à montrer comment s’affrontent critiques et défenseurs de cet ouvrage patrimonial.

Sangaré Youssouf T.
 
Cette recension a déjà fait l'objet d'une publication dans le Bulletin critique des Annales islamologiques sous licence Creative Commons (BY-NC-SA).
 
 
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Broché: 277 pages
Éditeur :
University of South Carolina Press (30 octobre 2016)
Collection : Studies in Comparative Religion
Langue : Français
ISBN-13:
978-1611176766
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    Par Sangaré Youssouf T.
 
    Dans la période récente, de Muḥammad Abū al-Qāsim Ḥajj Ḥamad (m. 2004) à Naṣr Abū Zayd (m. 2010) en passant par Muḥammad Shaḥrūr ou Mohamed Talbi (m. 2017), la littérature du ḥadīth est au cœur de plusieurs études ou discours critiques dans le monde musulman. C’est dans ce «mouvement de critique du patrimoine religieux» que Rashīd Aylāl, qui se présente comme chercheur et journaliste au quotidien marocain Risālat al-umma, souhaite situer son ouvrage. Publié début 2017 à Rabat (Maroc), Ṣaḥīḥ al-Bukhārī : nihāyat usṭūra (L’authentique de Bukhārī) continue d’alimenter les polémiques les plus diverses et fait l’objet de plusieurs formes de censures dans le Royaume chérifien. Très actif sur les réseaux sociaux, R. Aylāl s’emploie à répondre aux attaques et à afficher ses soutiens (comme le penseur syrien M. Shaḥrūr avec qui il eut un entretien le 27 février 2017) ou sa participation à des rencontres culturelles.

     Les censures et critiques nombreuses qu’affronte l’auteur, s’expliquent par le but de l’ouvrage : déconstruire les légendes dans lesquelles la croyance populaire et le discours savant enveloppent Ṣaḥīḥ al-Bukhārī. Divisé en cinq chapitres de valeur inégale, Ṣaḥīḥ al-Bukhārī : nihāyat usṭūra veut ainsi participer aux débats sur la relecture des sources musulmanes.

     Avant de s’attaquer au Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, l’auteur propose à ses lecteurs de revenir sur la science du ḥadīth et son élaboration dans les premiers siècles de l’Islam. Tel est l’objet du premier chapitre (p. 15-38), divisé en six parties.

     Dans la première partie, sont examinés les contextes et conditions de codification du ḥadīth par les premiers musulmans. R. Aylāl revient sur l’interdiction faite par le Prophète de transcrire ses paroles. Une interdiction à laquelle «les califes bien guidés » (al-khulāfa’ al-rashīdūn) seraient restés fermement attachés (p. 17-18), comme par exemple lorsque le calife ‘Umar b. al-Khaṭṭāb décida de brûler des traditions du Prophète consignées par d’autres compagnons ou quand ‘Uthmān b. Affān, après son accession au califat, déclara : «Il n’est permis à personne de rapporter un ḥadīth qui fut inconnu à l’époque d’Abū Bakr et de ‘Umar » (lā yaḥillu li-aḥad yarwī ḥadīthan lam yusma‘ bihi fī ‘ahd Abī Bakr wa-lā fī ‘ahd ‘Umar); aucune tradition ne devait, donc, être postérieure à la décennie suivant la mort du Prophète (p. 18). Malgré ces interdictions, des traditions alternatives firent leur apparition pour prôner, cette fois, l’autorisation de collecter et de consigner les dires du Prophète. Selon ces traditions, le Prophète aurait, par la suite, permis la mise par écrit de ses dires (p. 19). Ce face à face entre deux types de traditions a donné naissance, dès les premiers siècles de l’islam, à une controverse quant au bien-fondé de la collecte et la codification du ḥadīth prophétique. Pour R. Aylāl, ce qui échappa aux auteurs musulmans c’est la signification même de l’interdiction. Pour lui, à supposer que l’interdiction fût levée, la crainte du Prophète demeure : celle de la sacralisation (taqdīs) de ses paroles. À travers cette crainte, il aurait exprimé l’idée que seul le discours coranique devait attirer toute l’attention des musulmans et que celui-ci était «la seule révélation» (p. 20). La codification du ḥadīth allait produire l’effet redouté par le Prophète : ses paroles, authentiques ou supposées comme telles, furent peu à peu substituées à l’enseignement coranique et prises comme fondement de la législation islamique. Ainsi, dans la seconde partie de ce chapitre, l’auteur interpelle ceux qui font du ḥadīth une source fondamentale de la législation en ces termes: comment est-il possible que la codification d’une source aussi déterminante n’ait débuté que plus d’un siècle après la mort du Prophète (p. 21)? La réponse de R. Aylāl est que le ḥadīth n’avait pas vocation à occuper une telle place dans l’épistémologie islamique. Pour cette raison, la codification même du ḥadīth ne fut possible qu’à travers une série de «prétextes» (a‘dhār), que l’auteur soumet à l’analyse dans la troisième partie de ce chapitre. Le premier de ces prétextes serait l’idée que les traditions interdisant la codification du ḥadīth furent abrogées par celles qui l’autorisent (p. 25). Le second prétexte serait véhiculé par l’idée que l’interdiction d’écrire les paroles du Prophète était temporaire et qu’elle visait à écarter tout amalgame entre la Révélation (al-waḥy) et le ḥadīth. Pour R. Aylāl, ce prétexte est «dangereux» (khaṭīr) et suggère, de manière implicite (ḍimniyyan), que la Révélation, présentée par les savants musulmans comme le miracle absolu et inimitable, pourrait être confondue avec une parole humaine – celle du Prophète (p. 26). Cela reviendrait à mettre sur le même plan la parole de Dieu avec celle d’une créature. Avec ce prétexte, les savants musulmans mettaient ainsi à mal le dogme d’inimitabilité du Coran (i‘jāz al-Qur’ān). Similaire au précédent, le troisième prétexte soutiendrait que «l’interdiction en question concernait le fait de transcrire le ḥadīth et la Révélation sur un même support, dans le même muṣḥaf» (p. 26). Une telle idée, selon l’auteur, va à l’encontre de l’interdiction de transcrire le ḥadīth par les deux premiers califes au motif qu’il ne pouvait y avoir «un autre livre avec le Livre de Dieu» (p. 26)

    Dans la quatrième et la cinquième sous-partie de ce chapitre, R. Aylāl examine les deux affirmations suivantes: «La Sunna est juge du Coran et La Sunna abroge (peut abroger) le Coran.» Pour l’auteur, de tels propos s’opposent à toute réflexion «logique» (manṭiqī) car, si le Coran est la première source de législation en islam, comment pourrait-elle être abrogée ou jugée par une source de rang inférieur (c’est-à-dire la Sunna/le ḥadīth)? Il y aurait là, ditil, une contradiction d’ordre logique qui remet en question le statut même du Coran comme révélation transcendant toute parole humaine (p. 33).

     Pourtant ce sont ces contradictions qui auraient permis le phénomène de propagation des ḥadīths dans les premiers siècles où chaque école doctrinale, en vue d’appuyer ses thèses, s’arrangeait pour trouver des propos attribués au Prophète. C’est cette «guerre des narrations» que l’auteur examine dans la dernière sous-partie de ce chapitre. R. Aylāl expose aussi comment, dans le contexte de compétitions théologico-politiques, des ḥadīths attribués au Prophète se sont multipliés en faveur d’un clan contre les autres. Dans certains cas, les traditions attribuées au Prophète suggèrent une division des tâches dans la société en fonction des tribus/ethnies, comme par exemple : «Le pouvoir est pour les Quraysh [la tribu du Prophète], la judicature pour les Anṣār [les médinois] et l’appel à l’office de la prière pour les Éthiopiens » (al-mulk fī Quraysh wa-l-qaḍā’ fī l-anṣār wa-l-ādhān fī l-ḥabasha, p. 36) (rapporté par al-Tirmidhī ; une tradition similaire est rapportée par Ibn Ḥanbal dans son Musnad).

     C’est donc dans ce climat de conflits et de compétitions que les traditions prophétiques furent codifiées et que «la science du ḥadīth » (‘ilm al-ḥadīth) prit naissance. C’est au «fléau» de cette science (Āfat ‘ilm al-ḥadīth) qu’est consacré le second chapitre de l’ouvrage. Celui-ci se subdivise en cinq sous-parties. La première propose une exploration de la notion de «ḥadīth» dans le texte coranique. Le mot ḥadīth dans la majeure partie des versets coraniques où il figure désigne, selon R. Aylāl, la Parole de Dieu ou «le Livre descendu» (al-kitāb al-munazzal) sur le Prophète (p. 42). Ce sens n’aurait pas été retenu par les savants qui, dans leur définition, présentent le ḥadīth comme une notion liée exclusivement aux actes, dires, etc. du Prophète et de ses Compagnons (p. 43).

     Dans la seconde sous-partie de ce chapitre, R. Aylāl remet en cause les fondements de la science du ḥadīth qui, soutient-il, n’aurait aucune base solide. Comment, s’interroge l’auteur, fonder une science sur la notion d’isnād (chaîne de transmission) dans un contexte où dominaient les conflits claniques? Il serait ainsi naïf de penser que des hommes, dans ce climat de compétition, ont pu transmettre, de génération en génération, les dires du Prophète sans aucune altération (p. 46-47). Cette critique se prolonge dans la troisième sous-partie où l’auteur s’attaque à ce qu’il nomme «Le mensonge de la science des hommes/ transmetteurs» (ukdhūbat ‘ilm al-rijāl). Pour mettre en exergue l’idée qu’il était possible, dans les premiers siècles, d’inventer toute sorte de récit et de le faire remonter au Prophète, l’auteur propose l’anecdote suivante : «À l’époque du calife al-Ma’mūn, le poète al-‘Attābī (m. 220/835), qui errait dans les rues de Bagdad, rentra dans un marché en mangeant. Cela était contraire aux bonnes manières des gens de la haute société. Ainsi, son ami l’interpella : “Mangestu de la nourriture dans le marché alors que les gens t’aperçoivent?”. Al-‘Attābī, sur un ton moqueur, lui répondit: “Sont-ils des humains? Ce sont des vaches”. Son ami protesta et gronda. Alors le poète lui dit: “Je te montrerai preuves à l’appui s’ils sont des humains ou des vaches”, puis se plaça en hauteur et interpella : “Ô gens, venez que je vous parle de l’Envoyé, paix sur lui”. Alors ils se précipitèrent et s’agroupèrent autour de lui. Al-‘Attābī commença : “Un tel rapporta d’un tel qui reçut d’un tel” (ainsi de suite jusqu’à captiver son auditoire qui le suivait dans le moindre de ses mouvements) que l’Envoyé a dit: “Si la langue de l’un de vous parvient à toucher le bout de son nez alors il ira au Paradis”. Alors ceux qui étaient autour de lui commencèrent à sortir leurs langues […] et al-Attābī s’adressa alors à son ami et lui dit: “Ne t’avais-je pas dit qu’ils sont des vaches”?» (p. 49). Loin d’être anecdotique, cet épisode prouverait que la «science des transmetteurs» (‘ilm al-rijāl) n’a pas de fondement solide et ne pourrait, en conséquence, constituer une source irréfutable de l’islam (p. 52).

     Dans la quatrième sous-partie de ce chapitre, R. Aylāl s’intéresse à l’authenticité des paroles attribuées au Prophète. S’appuyant sur des traditionnistes comme Ibn Rajab al-Ḥanbalī (m. 795/1393), il soutient que la majorité des ḥadīths attribués au Prophète est supposée correspondre à une transmission selon la signification (bi-l-ma‘nā). Car, disait Muḥammad b. Sīrīn (m. 110/728), «il fut un temps où la chaîne de transmission (isnād)» n’était pas demandée aux transmetteurs et, par conséquent, un ḥadīth pouvait être reformulé à souhait sans savoir par qui précisément (p. 53).

     Dans la cinquième et dernière sous-partie, l’auteur revient sur la place qu’occupe le ḥadīth dans «la législation et la doctrine» (al-tashrī‘ wa-l-‘aqīda). Par un recours excessif aux ḥadīths, les savants musulmans auraient façonné une nouvelle religion n’ayant aucun lien avec l’enseignement coranique puisque, au contraire, elle tend à l’occulter (p. 61). Tel serait, écrit-il, «le crime du ḥadīth» (jināyat alḥadīth): prendre la place de la Révélation.

     Le troisième chapitre porte sur «la légende d’al-Bukhārī » (usṭūra al-Bukhārī) où l’auteur s’intéresse de près à la personnalité d’al-Bukhārī (m. 256/870) et aux légendes qui l’accompagnent (p. 73). Muḥammad b. Ismā‘īl al-Bukhārī serait, grâce à son Ṣaḥīḥ et aux légendes relatives à sa moralité et sa piété, une des personnalités les plus influentes dans l’histoire islamique (p. 74). Cette image qu’offre la tradition islamique de Muḥammad b. Ismā‘īl alBukhārī devrait être soumise à l’analyse et à la critique afin d’y distinguer, suggère l’auteur, ce qui relève de «l’exagération dans l’éloge» (al-ighrāq fī l-madīḥ) de ce qui a trait à la réalité historique (p. 74).

     Selon les sources musulmanes, la mère d’alBukhārī aurait vu, dans un rêve, le prophète Abraham lui annoncer la bonne nouvelle d’un fils prodige. Pour R. Aylāl, les récits à ce propos font, implicitement, de cette mère une prophétesse. Les auteurs de ces légendes auraient cherché, via une telle mise en scène, à tisser un lien entre al-Bukhārī et les prophètes, en particulier Abraham considéré comme «le père des prophètes» (Abū al-anbiyā’, p. 77-78). Dans la même lignée, d’autres récits rapportent qu’al-Bukhārī, avant la rédaction de son Ṣaḥīḥ, se serait vu en rêve avec un éventail (mirwaḥa) dans sa main servant à protéger Muḥammad des mouches (dhubāb) qui, disent les commentateurs, correspondent aux propos mensongers qui lui sont attribués. L’ouvrage d’al-Bukhārī, le Ṣaḥīḥ, serait cet éventail (p. 79). Il s’agirait là aussi de tentatives visant à entourer le Ṣaḥīḥ et son auteur d’une autorité symbolique et irréfutable car remontant à Muḥammad lui-même ou au «père des prophètes». Une telle visée serait encore plus explicite dans le rêve attribué à Abū Zayd al-Marwazī (m. 371/986) que le Prophète aurait interrogé ainsi : «Ô Abā Zayd jusqu’à quand vas-tu enseigner l’ouvrage d’al-Shāfi‘ī et pas le mien ? AlMarwazī répondit: “Quel est ton livre ?” Mon livre, répliqua le Prophète, est le Jāmi‘ [c’est-à-dire le Ṣaḥīḥ] de Muḥammad b. Ismā‘īl al-Bukhārī» (p. 80). Ainsi, de cette manière, le Ṣaḥīḥ n’est plus seulement et uniquement un livre de Muḥammad b. Ismā‘īl alBukhārī, il devient le livre du Prophète. Comment, s’interroge R. Aylāl, le Prophète, au lieu de faire référence au Coran, s’approprie-t-il, ici, un ouvrage écrit au troisième siècle de l’hégire ? Cela n’est possible, répond ironiquement l’auteur, qu’à travers les «rêves (aḥlām) fondateurs de la légende d’alBukhārī ou de sa biographie (al-aḥlām al-mu’assisa li-usṭūrat al-Bukhārī aw li-sīrat al-Bukhārī, p. 80 ». Ces légendes sur al-Bukhārī, son enfance, sa capacité à mémoriser, sa piété, etc., conduisent R. Aylāl à l’idée que celui-ci occupe, dans les écrits de certains musulmans, une place similaire à celle de saint Paul pour le christianisme. De même que saint Paul est considéré comme le fondateur véritable (al-ḥaqīqī) du christianisme, de même les récits légendaires autour d’al-Bukhārī en font un personnage dont le charisme dépasserait celui du Prophète lui-même et toute autre figure de l’islam (p. 108). C’est cet excès (al-ghuluw), dans les propos sur al-Bukhārī, qui pourrait permettre de saisir la sacralité dont bénéficie al-Jāmi‘ al-Ṣaḥīḥ (p. 108).

     Pour corriger cet excès, R. Aylāl se propose de déconstruire, dans le quatrième et avant-dernier chapitre, quelques-unes des légendes en question. Ainsi à l’aide d’une carte géographique, il déclare impossible, au regard des moyens de locomotion de l’époque, les nombreux voyages prêtés à al-Bukhārī pour recueillir le ḥadīth (p. 123). Un autre point de critique soulevé par l’auteur concerne l’idée que le livre et le personnage d’al-Bukhārī font l’unanimité au sein de la umma (p. 130). R. Aylāl rappelle que les shī‘ites, «qui représentent une part importante des musulmans », n’agréent aucune tradition rapportée dans le Ṣaḥīḥ d’al-Bukhari (p. 130). Outre cette tendance, des savants et traditionnistes sunnites auraient préféré le Muwaṭṭa’ de Mālik b. Anas (m. 179/795) au Ṣaḥīḥ al-Bukhārī. Al-Shāfi‘ī (m. 204/820), qui fut élève de Mālik, aurait déclaré à plusieurs reprises: «Sur la surface de la terre, il n’y a pas de livre plus authentique que celui de Mālik hormis le Livre de Dieu [le Coran] » ou «Après le livre de Dieu il n’y a pas de livre plus profitable (anfa‘u) que le Muwaṭṭa’ » (p. 131). Bien que ces propos datent d’avant la publication d’al-Bukhārī, ils furent suivis par des savants postérieurs comme Ibn ‘Abd al-Barr (m. 463/1070-1), un juriste malikite, qui aurait déclaré : «Le Muwaṭṭa’ n’a pas d’égal (lā mathīl lahu) et aucun livre ne le dépasse hormis le Livre de Dieu» (p. 131-132). R. Aylāl mentionne aussi des traditionnistes (malikites) modernes qui auraient partagé cet avis comme l’Indien Shāh Walī-Allāh al-Dihlawī (m. 1762), le Soudanais Ṣāliḥ al-Fullānī (m. 1803) ou encore l’Algérien Muḥammad Ḥabīb Allāh al-Shanqīṭī (m. 1922). Il ne s’agirait pas là d’une opinion restreinte aux érudits malikites puisqu’al-Bukhārī lui-même aurait déclaré que la chaîne de transmission la plus authentique était celle de «Mālik d’après Nāfi‘ d’après Ibn ‘Umar» (p. 132). L’imām de Médine était ainsi la source la plus fiable selon al-Bukhārī.

     La critique du Ṣaḥīḥ al-Bukhārī ne se limita pas à ce seul aspect puisque, écrit l’auteur, de nombreux savants musulmans ont rejeté l’authenticité de certaines de ses traditions. À ce propos R. Aylāl s’appuie sur des critiques formulées par Muslim al-Ḥajjāj, mort en 261/875) ou encore le muḥaddith Abū Ḥātim al-Rāzī (m. 277/890) contre des traditions validées et rapportées par al-Bukhārī (p. 134-144). Ne craignant pas d’être accusé d’amalgamer les sources, l’auteur va jusqu’à rapporter, sur neuf pages sans changer une virgule, un texte publié sur un forum soudanais par une personne anonyme et remettant en cause l’authenticité de certaines traditions d’alBukhārī (p. 135-143).

     Un autre aspect des critiques envers al-Bukhārī concerne le rejet de ses opinions doctrinales. Certains de ses contemporains se seraient éloignés de lui et l’auraient vivement critiqué pour avoir soutenu la thèse du Coran créé (makhlūq). Muḥammad b. Yaḥya al-Dhuhlī (m. 258/872) serait allé encore plus loin en mettant en garde ses contemporains contre les doctrines, les traditions et les assemblées d’al-Bukhārī et de son élève Muslim (p. 146).

     Pour clore ce chapitre, R. Aylāl expose plusieurs traditions tirées du Ṣaḥīḥ al-Bukhārī afin, dit-il, que le lecteur mesure à quel point ce livre «nuit à notre religion et à notre Prophète […] Et qu’il sache d’où nous parvient le terrorisme (al-irhāb) » (p. 149). Par exemple, l’auteur reproche à al-Bukhārī d’avoir rapporté une tradition où le Prophète, menaçant les notables de Quraysh, aurait dit: «Je suis venu à vous avec l’égorgement (laqad ji’tukum bi-l-dhabḥ)» (autrement dit, si les notables de La Mecque ne se soumettent pas à la prédication muḥammadienne, ils seront exécutés. Pour R. Aylāl, ce type de traditions sert, de nos jours, de légitimation à des actes terroristes) (p. 151).

     Le cinquième et dernier chapitre se veut une enquête sur l’auteur réel du Ṣaḥīḥ al-Bukhārī. Partant de l’argument qu’il n’existe, de nos jours, aucun manuscrit original du Ṣaḥīḥ et que, dans le passé, des divergences avaient été révélées entre ses copies, R. Aylāl affirme que l’auteur du livre est «inconnu» (majhūl) et ne pouvait être Muḥammad b. Ismā‘īl al-Bukhārī. Certes, dit-il, al-Bukhārī a écrit un livre sur le ḥadīth mais sans parvenir à l’achever de son vivant. Ce seraient ses élèves qui auraient repris, complété et corrigé cet écrit initial avant de le diffuser (p. 161-280).

     Le livre de Rashīd Aylāl est une contribution au dossier al-Bukhārī en raison, principalement, de son aspect compilatoire des écrits d’auteurs divers comme celui, tombé dans l’oubli de l’Égyptien Maḥmūd Abū Rayya (m. 1970) : Aḍwā’u ‘alā al-sunna al-muḥammadiyya (Lumières sur la tradition muḥammadienne ; 1967). Néanmoins, cette compilation soulève des interrogations dès lors que, pour appuyer ses opinions, R. Aylāl aligne des citations, passant d’auteurs modernes et contemporains à des écrits datant des premiers siècles. Le procédé n’est pas blâmable en soi, à condition de contextualiser les écrits convoqués. Le manque d’approche historique qu’il reproche aux érudits musulmans constitue ainsi l’un des défauts de son ouvrage. En outre, certains trouveront étrange le procédé consistant à s’appuyer sur des ḥadīths pour remettre en cause la science du ḥadīth. Un procédé qui finit par prêter au ḥadīth une place importante dans l’argumentaire de l’auteur alors même qu’il invite, à plusieurs reprises, à remettre le Coran au cœur des discours islamiques.

     Ce travail, qui est destiné à un lectorat large, est marqué à chacune de ses pages par un ton polémique et narquois qui peut rapidement lasser. Même si, il est vrai, ce ton vise à anticiper les attaques et réactions hostiles.

     Malgré ces quelques observations, l’ouvrage de R. Aylāl a le mérite de mettre en lumière la place qu’occupe Ṣaḥīḥ al-Bukhārī dans les débats les plus actuels en contexte islamique et à montrer comment s’affrontent critiques et défenseurs de cet ouvrage patrimonial.(Ibn
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Aylāl Rashīd, Ṣaḥīḥ al-Bukhārī : nihāyat usṭūra




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