Les cahiers de l'Islam
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Vendredi 13 Septembre 2019

Conversions à l’islam. Unions et séparations



Tandis que le discours médiatique dominant présente désormais la conversion à l’islam sur le mode de la « radicalisation », il revient au discours sociologique de s’en tenir aux croyances et aux pratiques effectives des Français d’origine non immigrée qui déclarent se convertir à la religion musulmane. C’est un tel travail de retour au réel que nous propose Amélie Puzenat dans Conversions à l’islam
Par Patrick Cotelette

Publiée en partenariat avec " Liens socio ", Le portail francophone des sciences sociales.

 

Conversions à l’islam. Unions et séparations
Broché : 262 pages
Editeur : PU Rennes
Date de sortie : 27 août 2015 
Collection : Sciences des Religions
Langue : Français
ISBN-13 : 978-2753540811

Quatrième de couverture

Une étude de trajectoires de Français et de Françaises convertis à l'islam, et des redéfinitions identitaires personnelles et familiales engendrées par cette conversion. Dans un contexte de sécularisation, elle apparaît comme emblématique d'une autonomisation et d'une transgression. L'ouvrage interroge la mixité conjugale, la reconfiguration des relations de genre et des modèles éducatifs, etc.

Recension

Tandis que le discours médiatique dominant présente désormais la conversion à l’islam sur le mode de la « radicalisation », il revient au discours sociologique de s’en tenir aux croyances et aux pratiques effectives des Français d’origine non immigrée qui déclarent se convertir à la religion musulmane. C’est un tel travail de retour au réel que nous propose Amélie Puzenat dans Conversions à l’islam, clair et solide condensé de sa thèse de sociologie soutenue en 2010 et issue d’un travail d’enquête mené de 2006 à 2009 dans la région parisienne.

Dans cet ouvrage, l’auteure rend compte principalement des motivations subjectives des acteurs à se convertir à l’islam ainsi que des changements que cette conversion opère sur le quotidien et l’identité des individus et leurs relations familiales (dans le couple et avec les parents et la belle-famille). Pour ce faire, elle mobilise les résultats d’entretiens conduits avec douze hommes et trente-sept femmes ayant des enfants, et seize entretiens complémentaires avec des hommes et des femmes sans enfants, célibataires, marié(e) s ou en passe de l’être, ou encore divorcé(e) s. Au final, ce sont quarante-sept couples qui sont analysés par la sociologue, dont quarante-cinq où le (la) conjoint(e) converti(e) est en couple avec un(e) immigré(e) ou un(e) descendant(e) d’immigré(e) maghrébin(e) et musulman(e). À ce titre, l’auteure ne prétend nullement à une thèse représentative de l’ensemble des conversions à l’islam, d’autant qu’il est impossible en l’état de la recherche de quantifier la fréquence de chaque type de conversion et leur répartition dans l’espace social. Malgré ce manque assumé de représentativité, l’ouvrage se positionne avec succès sur trois terrains sociologiques différents tout en proposant des hypothèses sociologiques permettant d’associer des types de conversion et de pratiques religieuses à des caractéristiques sociales « lourdes » (comme l’origine sociale).

Le premier angle d’attaque consiste à analyser les motivations subjectives à l’œuvre derrière les conversions contemporaines à l’islam. Tout en tenant compte du biais que comportent les récits de conversion où se joue « l’illusion biographique » des enquêtés [1], l’auteure démontre que la majorité des récits de conversion la revendiquent « comme un choix rationnel, non aliénant, survenant à la suite d’une recherche personnelle » (p. 41). De fait, ces conversions à l’islam s’inscrivent dans la modernité religieuse selon laquelle une identité réellement religieuse ne peut être que choisie [2]. Reste que ces conversions ne se font pas dans un vide social mais principalement suite à un long processus de socialisation parsemé de rencontres, plutôt dans les milieux amicaux et politiques pour les hommes et dans les milieux scolaires et sentimentaux pour les femmes. De plus, dans un contexte post-colonial où la conversion du non immigré conduit à adopter la religion de l’ancien colonisé, il est nécessaire de restituer les mutations culturelles – au-delà de la croissance de l’individualisation du « croire » - permettant l’entrée de la conversion à l’islam dans l’ordre du possible. Ce sont alors les mutations de la religion musulmane que documentent l’auteure et qui semblent un facteur explicatif pertinent : la croissance d’une revendication d’un islam « du livre » face à un islam lié aux traditions familiales permet d’adresser un message de conversion à l’ensemble des lettrés, quelles que soient leurs origines nationale et sociale.

Le deuxième angle d’attaque consiste alors à observer comment se traduit concrètement l’adoption par des non immigrés d’une religion habituellement étiquetée comme « déviante ». Quels sont les effets sociaux d’une telle conversion « dévalorisée » socialement par le groupe majoritaire qui conduit à bousculer les frontières ethniques et religieuses habituelles ? On peut s’en tenir ici à l’observation des effets de la conversion dans le cadre de la famille. Tout d’abord, Amélie Puzenat montre que la conversion religieuse constitue – dans le cas des couples composé d’un(e) non immigré(e) avec un(e) immigré(e) ou descendant(e) s d’immigré – une ressource permettant au converti de se placer dans une position valorisée aux yeux de la belle-famille et permettant ainsi de rendre possible l’exogamie du (de la) conjoint(e) par le respect de l’endogamie religieuse. Par contre, cette conversion est souvent vécue par la famille d’origine sur le mode de l’incompréhension. L’auteure documente ainsi longuement les tensions créées « lorsque le proche devient lointain » et que le (la) converti(e) doit négocier son identité religieuse et ses nouvelles pratiques [3] avec sa famille d’origine. Le port du voile pour les femmes converties est par exemple emblématique de telles tensions où les converties sont amenées à lutter contre le stigmate d’une soumission supposée au conjoint et retourner le stigmate en montrant que le port du voile est un simple signe de dévotion religieuse désintéressée. Cependant, à y bien regarder, on retrouve finalement les mêmes réticences du côté des deux familles d’origine des conjoints : « réticences puis acceptation du conjoint en fonction de la « tenue » et de la position sociale de celui-ci, tentative du maintien des filles dans le groupe et parfois représailles à leur sortie du groupe » (p. 152).

Le troisième angle d’attaque adopté par Amélie Puzenat se positionne dans la continuité des deux premiers. Sachant que les convertis sont fréquemment dans une posture de négociation (avec la famille d’origine, la belle-famille, les groupes de pair, les employeurs, etc.) et de réflexivité sur leurs pratiques – et ce d’autant plus que de nombreux couples ont un ou des enfants et questionnent la transmission culturelle qu’ils souhaitent accomplir – l’analyse sociologique peut relever tout le syncrétisme culturel à l’œuvre dans ces nouvelles familles. À de nombreuses reprises, l’auteure illustre comment les convertis transforment des pratiques sociales du groupe majoritaire et font le pont entre leur culture d’origine et leur nouvelle culture religieuse. Par exemple, on assiste fréquemment dans l’échantillon au double mariage des conjoints : d’abord un mariage religieux en comité très restreint, le plus important pour autoriser en islam la vie en couple ; puis un mariage civil où réapparaît la famille d’origine du converti mais où le degré d’entrée dans la religion est symbolisé par les pratiques non religieuses tolérées lors de la célébration (l’interdit le plus grand consistant dans la consommation d’alcool pendant la fête). De la même manière, les négociations à l’œuvre entre le converti et sa famille d’origine autour de la fête de Noël (comment la fêter ? qu’y consommer ? qu’offrir ?) et les discours sur le Père Noël témoignent d’une intrication d’influences culturelles diverses. À ce titre, ce sont également les pratiques « traditionnelles » de la belle-famille qui sont remises en question, notamment celles relatives à la division sexuelle des tâches (avec un usage de la connaissance coranique pour redéfinir le partage des tâches entre les conjoints et plus généralement à redéfinir la place et les comportements acceptables pour les femmes et les hommes). Le syncrétisme est ainsi bien à comprendre dans son sens plein, affectant aussi bien la culture majoritaire que la culture des immigrés musulmans et leurs descendants. Le meilleur exemple de ces véritables processus de « culturation »[4] est celui de la redéfinition par les converties du rôle maternel, empruntant tant au rôle traditionnel reproductif et éducatif de la femme en islam qu’aux nouvelles pratiques occidentales vantant les mérites du maternage, de l’allaitement et de l’écologie.

L’originalité principale de l’ouvrage est d’étudier ce qu’implique le fait de s’exprimer en converti et d’assumer son choix dans une société particulière. L’aspect comparatif entre chrétien, juifs et musulmans est également intéressant et étayé par un riche matériau socio-ethnographique. Ce choix mène quelque peu à gommer les différences liées à chaque parcours et surtout au type de groupe religieux choisi par le croyant. Le but de l’auteur est de parvenir, au travers d’un effort de montée en généralité, à dégager une « grammaire » de la conversion, lequel objectif est atteint car l’ouvrage montre bien les compétences nécessaires aux individus qui choisissent d’assumer une conversion dans le contexte français. On pourrait cependant regretter l’absence d’une vraie mise en contexte, à la fois concernant les trois religions et leur histoire dans la société française mais aussi à propos des débats de société sur la question de la conversion et leur évolution récente. On peut penser notamment à l’encadrement communautaire, bien plus ancien et organisé chez les juifs que chez les musulmans dont la communauté, souvent invoquée par les médias, constitue plutôt un ensemble de groupes encore très marqués par les cultures d’origine des croyants. Pour finir on signalera de trop abondantes coquilles qui se multiplient dans la deuxième partie de l’ouvrage (par ex. aux pages 114, 117, 125, 164, 168).

Sans dévoiler ici l’intégralité de l’ouvrage, on ne peut ainsi que saluer la richesse de l’enquête sociologique et de son traitement par Amélie Puzenat. L’ensemble des propos ont le mérite de la clarté ainsi que d’être appuyés par des matériaux solides et construits avec un grand respect méthodologique. Tout lecteur intéressé et s’interrogeant sur la réalité des conversions à l’islam peut ainsi trouver de quoi contenter sa curiosité. La seule contrariété qu’il pourrait rencontrer est d’observer principalement des conversions féminines à l’islam. Si l’auteure évoque certains cas masculins et propose des hypothèses pertinentes pour traiter leurs situations, l’ensemble de l’ouvrage reste d’abord construit sur un matériau d’entretiens avec des converties. Mais c’est finalement un autre terrain de recherche qui s’ouvre à l’auteure que nous avons hâte de relire à nouveau.

_______________
[1] Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales n°62-63, 1986.
[2] Dominique Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti : la religion en mouvement, 1999.
[3] Parmi le large panel suivant : prières quotidiennes, introduction du halal et du haram dans les pratiques alimentaires (porc, alcool à table), refus de fêter Noël, port du voile, contrôle des rencontres et des contacts corporels (serrer la main, faire la bise) entre personnes de sexes différents, éducation des petits-enfants par les grands-parents, etc.
[4] Roger Bastide parlait de culturation pour insister sur le fait que la culture est moins un tout constitué qu’un ensemble en mouvement résultant constamment des interactions entre les individus composant la société.

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