"Un ouvrage incisif qui, se proposant de renouveler la pensée républicaine française, devrait ouvrir un important débat."
Broché: 151 pages
Editeur : Seuil (11 mars 2010)
Collection : DEBATS
Langue : Français
ISBN-10: 2021018717
ISBN-13: 978-2021018714
Dimensions du produit: 17,6 x 13 x 1,4 cm
Le lecteur intéressée poura lire l'introduction de l'ouvrage placé ici en pièce jointe.
Cet ouvrage, bref et incisif, particulièrement clair, devrait ouvrir un important débat. Se proposant de renouveler la pensée républicaine française à la lumière de la philosophie politique anglo-américaine et de la théorie sociale critique, Cécile Laborde, à partir des questions soulevées par le port du foulard islamique en France, cherche à éviter le double écueil du normativisme (qui pourrait conduire à négliger la place centrale du concept de laïcité dans le champ politique français) et du contextualisme (qui privilégierait la spécificité du républicanisme français). Son projet, intégrer à la théorie normative une réflexion sur les rapports entre l’idéal et le réel, est précisé dès le début de l’ouvrage : "Cette grille de lecture me donne les moyens de mettre en évidence les apories symétriques dont souffrent les deux approches, et qui ont à voir avec l’articulation entre faits et normes dans la pensée républicaine française, qu’elle soit classique ou tolérante. Ainsi, ce qui manque au républicanisme classique est une théorie sociale, qui mette à nu les imperfections de la république "réelle" par rapport à la république idéale. De son côté, le républicanisme tolérant pèche par excès de pragmatisme […] et peine à articuler la critique sociale à l’application des principes républicains normatifs. En somme, le républicanisme classique souffre d’un déficit sociologique, et le républicanisme tolérant souffre d’un déficit normatif " . Cette volonté de se démarquer tant du républicanisme officiel, un "catho-républicanisme", que du républicanisme "tolérant" ou "ouvert", c’est-à-dire du multiculturalisme, fait du concept de non-domination, emprunté à P. Pettit, le concept fondamental du républicanisme critique. Définie comme relation de pouvoir arbitraire, la notion de domination a l’avantage de mettre l’accent non sur les questions d’identité mais sur celles de pouvoir. En outre, notion collective et non individualiste, elle vise des groupes qui n’existent pas en dehors du rapport social, que C. Laborde nomme utilement "classes de vulnérabilité", auxquels, dès lors, on appartient non par essence mais par assignation. La démarche de Pettit étant, selon l’auteur, assez déconnectée des questions de philosophie politique appliquée (ce reproche ne me paraît pas totalement fondé), l’apport spécifique de C. Laborde se situe dans sa volonté de s’intéresser aux formes contemporaines de domination. Son ouvrage est divisé en trois chapitres, chacun d’eux examinant au prisme de la non-domination les principes de la devise républicaine : la liberté, appréhendée sous l’angle de l’autonomie individuelle et de l’émancipation de l’oppression religieuse, l’égalité, comprise comme reposant sur la neutralité religieuse de la sphère publique, et la fraternité, comme expression de la loyauté civique à l’égard de la "communauté des citoyens" (selon la belle expression de D. Schnapper).
Liberté et éducation à l’autonomie
La liberté républicaine exige-t-elle de tolérer ou d’interdire le foulard islamique ? Les termes du débat entre tolérance et "laïcisme" sont parfaitement posés, à l’aune du principe de laïcité. Celui-ci recouvre deux idées distinctes : pour l’une, il se contente de prôner une séparation stricte des ordres de la foi et de la politique alors que pour l’autre il implique une attitude de combat à l’égard des croyances religieuses. En d’autres termes, s’opposent ici neutralisme et perfectionnisme (ou, dans le vocabulaire rawlsien, libéralisme politique et libéralisme compréhensif).
Le républicanisme classique voit dans l’interdiction du foulard une manière d’approfondir les valeurs centrales de la laïcité, tout particulièrement la visée d’une éducation civique universelle. Aussi soulignera-t-on d’abord le rôle de l’Etat éducateur dans la promotion de la liberté comme autonomie rationnelle, ce qui implique de lutter contre les croyances incompatibles avec la pensée libre et la citoyenneté éclairée. On analysera ensuite le foulard comme une figure de la domination religieuse et patriarcale. On considérera enfin que, l’école étant un espace particulier, un espace d’éducation à la liberté, l’interdiction du foulard en son sein répond parfaitement à l’objectif d’auto-émancipation des jeunes filles.
Que répond à cet argumentaire le républicanisme "tolérant" ? D’une façon générale, que les idéaux laïques sont plus menacés que protégés par la loi de 2004. En premier lieu, l’approche coercitive contredit l’objectif d’auto-émancipation. De ce point de vue, il existerait un risque réel de stigmatisation de l’islam et, dès lors, de reproduction du paradigme colonial d’émancipation féminine. Ensuite, ne faudrait-il pas voir dans le laïcisme, plutôt qu’une éthique universelle, une conception du bien parmi d’autres ? Il serait ainsi souhaitable de "laïciser la laïcité", c’est-à-dire de la purger de ses tendances scientistes et antireligieuses. Enfin, est-il réellement acceptable d’assimiler toute forme de foi à une posture d’asservissement et d’hétéronomie ? Les jeunes filles voilées, loin d’être nécessairement les victimes passives de leur socialisation, sont souvent les agents de leur propre vie.
Le républicanisme critique emprunte aux deux argumentaires : il se propose à la fois de défendre l’éducation à l’autonomie, chère au laïcisme, et le droit au port du foulard à l’école, prôné par le républicanisme tolérant. Comment réussir cette conciliation ? Si l’on ne saurait tolérer des situations où l’agentivité sociale est limitée (et c’est très souvent le cas dans les communautés où les femmes sont infériorisées), on doit accepter que l’on puisse renoncer de façon autonome à exercer son autonomie dans la sphère privée. Cela implique de concevoir l’autonomie individuelle non comme une fin en soi mais comme un outil, c’est-à-dire comme une des ressources essentielles à la non-domination. Dans cette perspective, on a raison d’insister sur le fait que tous les élèves doivent recevoir une éducation à l’autonomie, mais on a tort de postuler a priori que le port d’un signe particulier est en tant que tel le signifiant d’un statut d’hétéronomie et de domination. On peut donc, pour le républicain critique, admettre que la pratique de la foi soit préférée à la recherche de l’autonomie individuelle. Ce qui compte avant tout, c’est la capacité pour le sujet de remettre en cause ses engagements, ses croyances et ses liens affectifs. Libre à lui d’user ou non de cette capacité. L’éducation à l’autonomie est donc ici simplement une des conditions de la non-domination.
Le républicanisme classique voit dans l’interdiction du foulard une manière d’approfondir les valeurs centrales de la laïcité, tout particulièrement la visée d’une éducation civique universelle. Aussi soulignera-t-on d’abord le rôle de l’Etat éducateur dans la promotion de la liberté comme autonomie rationnelle, ce qui implique de lutter contre les croyances incompatibles avec la pensée libre et la citoyenneté éclairée. On analysera ensuite le foulard comme une figure de la domination religieuse et patriarcale. On considérera enfin que, l’école étant un espace particulier, un espace d’éducation à la liberté, l’interdiction du foulard en son sein répond parfaitement à l’objectif d’auto-émancipation des jeunes filles.
Que répond à cet argumentaire le républicanisme "tolérant" ? D’une façon générale, que les idéaux laïques sont plus menacés que protégés par la loi de 2004. En premier lieu, l’approche coercitive contredit l’objectif d’auto-émancipation. De ce point de vue, il existerait un risque réel de stigmatisation de l’islam et, dès lors, de reproduction du paradigme colonial d’émancipation féminine. Ensuite, ne faudrait-il pas voir dans le laïcisme, plutôt qu’une éthique universelle, une conception du bien parmi d’autres ? Il serait ainsi souhaitable de "laïciser la laïcité", c’est-à-dire de la purger de ses tendances scientistes et antireligieuses. Enfin, est-il réellement acceptable d’assimiler toute forme de foi à une posture d’asservissement et d’hétéronomie ? Les jeunes filles voilées, loin d’être nécessairement les victimes passives de leur socialisation, sont souvent les agents de leur propre vie.
Le républicanisme critique emprunte aux deux argumentaires : il se propose à la fois de défendre l’éducation à l’autonomie, chère au laïcisme, et le droit au port du foulard à l’école, prôné par le républicanisme tolérant. Comment réussir cette conciliation ? Si l’on ne saurait tolérer des situations où l’agentivité sociale est limitée (et c’est très souvent le cas dans les communautés où les femmes sont infériorisées), on doit accepter que l’on puisse renoncer de façon autonome à exercer son autonomie dans la sphère privée. Cela implique de concevoir l’autonomie individuelle non comme une fin en soi mais comme un outil, c’est-à-dire comme une des ressources essentielles à la non-domination. Dans cette perspective, on a raison d’insister sur le fait que tous les élèves doivent recevoir une éducation à l’autonomie, mais on a tort de postuler a priori que le port d’un signe particulier est en tant que tel le signifiant d’un statut d’hétéronomie et de domination. On peut donc, pour le républicain critique, admettre que la pratique de la foi soit préférée à la recherche de l’autonomie individuelle. Ce qui compte avant tout, c’est la capacité pour le sujet de remettre en cause ses engagements, ses croyances et ses liens affectifs. Libre à lui d’user ou non de cette capacité. L’éducation à l’autonomie est donc ici simplement une des conditions de la non-domination.
Egalité et neutralité
Dans ce chapitre, comme dans le précédent, C. Laborde dégage les points saillants des deux argumentaires auxquels elle oppose sa propre conception. Pour le républicanisme classique, les citoyens ne peuvent être traités équitablement que dans le cadre de la neutralité de l’espace public, la vision française de la laïcité n’étant qu’une occurrence de l’idéal libéral d’égalité. Cependant, celle-là implique plus d’exigences à l’égard de l’Etat que celui-ci. En France, note l’auteur, "le respect de la conscience s’efface devant le principe de primauté de la sphère publique laïque" , cette dernière étant comprise de façon extensive et, dès lors, inclut l’école où se forme le citoyen. Dans cette perspective, on comprend que la laïcité n’est pas seulement une doctrine de séparation : elle est aussi une doctrine de conscience qui, précise C. Laborde, "prescrit les limites de l’action des citoyens et des organisations religieuses" . Bref, le principe de laïcité ainsi compris exige l’interdiction du port des signes religieux par les élèves des écoles publiques.
A l’opposé, les partisans d’une laïcité ouverte considèrent que l’éviction de toute différence au sein de l’école rend problématique l’apprentissage du respect de l’altérité dans la sphère privée. Pour eux, l’école ne saurait être authentiquement laïque sans permettre en son sein la coexistence des diverses formes de foi. Ils rappellent que l’impératif de neutralité s’impose aux agents de l’Etat et aucunement à ses usagers. Ils soulignent enfin qu’il est paradoxal de viser l’inclusion civique en organisant l’exclusion des jeunes filles voilées, c’est-à-dire en institutionnalisant la discrimination. En conséquence, ils prônent une reconnaissance de la contribution (positive) des groupes religieux à la vie publique dont l’un des bénéfices serait un traitement plus équitable de la communauté musulmane.
C. Laborde renvoie dos-à-dos des conceptions qui n’ont pas su prendre la mesure de ce qu’elle nomme la "neutralité de statu quo". Cette dernière expression renvoie à une position qui consiste à prendre la distribution actuelle des charges et avantages sociaux pour acquis. Alors que les républicains officiels (ou les laïcs stricts) se refusent à critiquer la façon dont les principes de séparation ont été mis en œuvre, les partisans de la laïcité ouverte les idéalisent et préconisent une extension des droits et privilèges existants aux minorités qui n’en bénéficient pas encore. Comment sortir de cette alternative ? Le républicanisme critique pose un principe général et deux exceptions destinées à corriger les effets de domination de la neutralité de statu quo.
Le principe est celui de la citoyenneté laïque. Il implique que le statut de citoyen, par essence général et universel, ne peut être fondé que sur une base non confessionnelle et non sectaire. En conséquence, la laïcité est comprise comme une doctrine de séparation stricte et une doctrine de conscience tolérante. Dès lors, toute volonté d’aller au-delà de ces deux aspects, par exemple d’exclure la religion de la vie publique, constituerait une forme de domination des croyants. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la première des deux clauses secondaires, la clause du "droit fondamental" : celle-ci admet que l’Etat, qui dans le principe ne doit soutenir aucune religion, puisse néanmoins le faire si une telle abstention alourdit de façon déraisonnable l’exercice des libertés religieuses de base. Quant à la seconde, la clause de la "parité contextuelle", elle accepte l’intervention de l’Etat s’il s’agit d’éviter la légitimation d’un statu quo qui désavantagerait de manière indue les groupes religieux minoritaires. On insiste, par conséquent, sur les effets de domination induits par le fait que la laïcité a pris la forme d’une catho-laïcité .
Le républicanisme critique peut ainsi trancher à propos de quatre revendications émises par les musulmans : celle d’étendre à ceux-ci le lien organique entre l’Etat et la religion dominante (tel le régime du Concordat pour l’Alsace-Moselle), celles portant sur les écoles musulmanes et sur le financement public de la construction de mosquées et, enfin, celle visant à l’exemption de certaines règles générales pour motifs religieux. Du point de vue de la citoyenneté laïque, les deux premières revendications sont contraires à la neutralité religieuse de la sphère publique et l’application de l’une ou l’autre des clauses secondaires ne se justifie pas. C. Laborde note justement que, plutôt que d’admettre, comme le fait le rapport Stasi, que rien ne s’oppose à la création d’écoles musulmanes, il aurait été plus juste de souligner que l’existence d’écoles confessionnelles privées remettait en cause les idéaux de la République : cohésion et mixité sociale, égalité des chances, apprentissage de la citoyenneté, tolérance et solidarité entre enfants issus de milieux, de classes, de cultures et de religions différents .
Face à de tels manquements, on peut reconnaître, avec l’auteur, que "le port de signes religieux dans les écoles publiques n’est sûrement pas la plus sérieuse remise en cause des grands principes de la laïcité scolaire" . On est contraint également d’admettre qu’il serait contradictoire de chercher à garantir la liberté religieuse et de ne pas autoriser la prière en commun dans des lieux de culte décents. On ne comprendrait pas mieux que l’on refuse des compensations aux musulmans pour les disparités actuelles dans l’usage de fonds publics (et non pour des états inégalitaires passés). Les deux clauses secondaires sont donc réunies. C’est le cas également de la clause principale : la neutralité de la sphère publique ne saurait concerner tous les lieux publics. S’il existe un intérêt public à la neutralité dans le cas de l’école, lieu de formation du citoyen, il ne peut être invoqué dans le cas du financement des lieux de culte. Reste, et l’auteur le reconnaît, que l’on pourrait considérer qu’il serait plus conforme au principe de neutralité de refuser tout financement public aux lieux de culte. C’est tout à fait mon sentiment.
A l’opposé, les partisans d’une laïcité ouverte considèrent que l’éviction de toute différence au sein de l’école rend problématique l’apprentissage du respect de l’altérité dans la sphère privée. Pour eux, l’école ne saurait être authentiquement laïque sans permettre en son sein la coexistence des diverses formes de foi. Ils rappellent que l’impératif de neutralité s’impose aux agents de l’Etat et aucunement à ses usagers. Ils soulignent enfin qu’il est paradoxal de viser l’inclusion civique en organisant l’exclusion des jeunes filles voilées, c’est-à-dire en institutionnalisant la discrimination. En conséquence, ils prônent une reconnaissance de la contribution (positive) des groupes religieux à la vie publique dont l’un des bénéfices serait un traitement plus équitable de la communauté musulmane.
C. Laborde renvoie dos-à-dos des conceptions qui n’ont pas su prendre la mesure de ce qu’elle nomme la "neutralité de statu quo". Cette dernière expression renvoie à une position qui consiste à prendre la distribution actuelle des charges et avantages sociaux pour acquis. Alors que les républicains officiels (ou les laïcs stricts) se refusent à critiquer la façon dont les principes de séparation ont été mis en œuvre, les partisans de la laïcité ouverte les idéalisent et préconisent une extension des droits et privilèges existants aux minorités qui n’en bénéficient pas encore. Comment sortir de cette alternative ? Le républicanisme critique pose un principe général et deux exceptions destinées à corriger les effets de domination de la neutralité de statu quo.
Le principe est celui de la citoyenneté laïque. Il implique que le statut de citoyen, par essence général et universel, ne peut être fondé que sur une base non confessionnelle et non sectaire. En conséquence, la laïcité est comprise comme une doctrine de séparation stricte et une doctrine de conscience tolérante. Dès lors, toute volonté d’aller au-delà de ces deux aspects, par exemple d’exclure la religion de la vie publique, constituerait une forme de domination des croyants. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la première des deux clauses secondaires, la clause du "droit fondamental" : celle-ci admet que l’Etat, qui dans le principe ne doit soutenir aucune religion, puisse néanmoins le faire si une telle abstention alourdit de façon déraisonnable l’exercice des libertés religieuses de base. Quant à la seconde, la clause de la "parité contextuelle", elle accepte l’intervention de l’Etat s’il s’agit d’éviter la légitimation d’un statu quo qui désavantagerait de manière indue les groupes religieux minoritaires. On insiste, par conséquent, sur les effets de domination induits par le fait que la laïcité a pris la forme d’une catho-laïcité .
Le républicanisme critique peut ainsi trancher à propos de quatre revendications émises par les musulmans : celle d’étendre à ceux-ci le lien organique entre l’Etat et la religion dominante (tel le régime du Concordat pour l’Alsace-Moselle), celles portant sur les écoles musulmanes et sur le financement public de la construction de mosquées et, enfin, celle visant à l’exemption de certaines règles générales pour motifs religieux. Du point de vue de la citoyenneté laïque, les deux premières revendications sont contraires à la neutralité religieuse de la sphère publique et l’application de l’une ou l’autre des clauses secondaires ne se justifie pas. C. Laborde note justement que, plutôt que d’admettre, comme le fait le rapport Stasi, que rien ne s’oppose à la création d’écoles musulmanes, il aurait été plus juste de souligner que l’existence d’écoles confessionnelles privées remettait en cause les idéaux de la République : cohésion et mixité sociale, égalité des chances, apprentissage de la citoyenneté, tolérance et solidarité entre enfants issus de milieux, de classes, de cultures et de religions différents .
Face à de tels manquements, on peut reconnaître, avec l’auteur, que "le port de signes religieux dans les écoles publiques n’est sûrement pas la plus sérieuse remise en cause des grands principes de la laïcité scolaire" . On est contraint également d’admettre qu’il serait contradictoire de chercher à garantir la liberté religieuse et de ne pas autoriser la prière en commun dans des lieux de culte décents. On ne comprendrait pas mieux que l’on refuse des compensations aux musulmans pour les disparités actuelles dans l’usage de fonds publics (et non pour des états inégalitaires passés). Les deux clauses secondaires sont donc réunies. C’est le cas également de la clause principale : la neutralité de la sphère publique ne saurait concerner tous les lieux publics. S’il existe un intérêt public à la neutralité dans le cas de l’école, lieu de formation du citoyen, il ne peut être invoqué dans le cas du financement des lieux de culte. Reste, et l’auteur le reconnaît, que l’on pourrait considérer qu’il serait plus conforme au principe de neutralité de refuser tout financement public aux lieux de culte. C’est tout à fait mon sentiment.
Fraternité et identité
Le républicanisme officiel consiste à exiger des minorités qu’elles relèguent dans le domaine privé leurs différences culturelles et religieuses au nom du lien civique. La validation de politiques particularistes est perçue comme une menace de destruction de ce lien. Dès lors, le port du foulard apparaît comme un symptôme de repli communautaire et un signe fort de la crise du modèle national d’intégration.
Si les républicains tolérants reconnaissent qu’il est fondé de voir dans la revendication identitaire musulmane une critique du modèle républicain d’intégration, ils estiment que le républicanisme officiel a tort de ne pas l’analyser comme une réponse légitime à l’exclusion. Aussi le républicanisme tolérant se montre-t-il attentif à la problématique identitaire centrée sur la question des discriminations. Il insiste, en outre, sur les ressorts implicitement ethnocentriques et racialisants de l’idéal républicain d’intégration.
Le républicanisme critique, quant à lui, analyse les revendications différentialistes comme la réponse d’un processus pervers d’assignation identitaire par lequel la majorité tend à ériger certaines différences en signe d’altérité objective, les transformant ainsi en source de domination pour les minoritaires. Il n’existe, en effet, aucune (bonne) raison de penser que l’identité nationale française aurait cet extraordinaire privilège de coïncider avec l’universel, ce qui nous affranchirait de l’effort d’ouverture à l’altérité de l’autre. En conséquence, si les accommodements sont nécessaires, c’est parce que tous les principes en vigueur dans nos sociétés (la française comme la canadienne ou la québécoise) ne sont pas neutres et universels. Certains d’entre eux, à la différence de l’égalité entre les sexes, reproduisent les valeurs et les normes de la culture majoritaire.
Il importe donc, si l’on vise une intégration équitable des membres des minorités, d’adopter une stratégie de désethnicisation de la République. Il s’agit de diversifier l’imaginaire commun plutôt que de rétablir une égalité entre les groupes culturels, objectif dont les effets indésirables possibles sont l’institutionnalisation des différences. On peut ici s’étonner que C. Laborde ne mentionne pas des travaux qu’elle connaît nécessairement, ceux de Nancy Fraser.
Pour la philosophe américaine, il s’agit de substituer à la politique d’identité traditionnelle une approche visant à désinstitutionnaliser les hiérarchies injustes et, sur le plan de la redistribution, à remplacer l’économie néolibérale par la démocratie sociale. Il s’agit donc de combattre les représentations négatives des minorités sans pour autant renforcer les différences identitaires. La non-reconnaissance n’est pas, en effet, un simple fait culturel. Occulter ce point contribue à séparer l’injustice de ses causes institutionnelles et, dès lors, à oublier la nécessité des luttes de redistribution. En outre, la politique identitaire accroît la force des attachements communautaires au détriment de l’autonomie individuelle, notamment en réduisant l’importance des affiliations multiples. Dans la perspective de Fraser, le rétablissement de la justice n’exige l’affirmation des différences de groupe que dans les cas où l’obstacle à la parité de participation consiste en la méconnaissance des particularismes. On est très éloigné ici des revendications communautaristes fondées sur l’authenticité culturelle. Il s’agit donc fondamentalement, dans ce qu’elle nomme modèle statutaire, d’intégrer la reconnaissance à la redistribution, dans une vision cohérente du combat contre l’injustice. L’accent est mis sur les sources sociales de la mésestime, sur ce qui rend impossible la participation égalitaire à la vie sociale. Nous sommes ici tout à fait dans la perspective du républicanisme critique, d’où notre étonnement quant à l’absence de cette référence majeure.
Reste une dernière question : C. Laborde est-elle fondée à opposer sa perspective à celle du libéralisme ? La tradition libérale issue de Locke a, on le sait, rejeté toute opposition catégorique entre la liberté et la loi. Pour celle-ci, comme le souligne C. Larmore, "la liberté comprenait, conformément au point de vue républicain, l’absence de domination" . Dès lors, la distinction entre absence d’interférence et absence de domination constitue, plutôt qu’une opposition irréductible, un enrichissement de la théorie libérale. Aucune raison décisive ne contraint, comme l’a montré C. Audard dans son dernier ouvrage, à se priver de la puissance critique du libéralisme politique..
Si les républicains tolérants reconnaissent qu’il est fondé de voir dans la revendication identitaire musulmane une critique du modèle républicain d’intégration, ils estiment que le républicanisme officiel a tort de ne pas l’analyser comme une réponse légitime à l’exclusion. Aussi le républicanisme tolérant se montre-t-il attentif à la problématique identitaire centrée sur la question des discriminations. Il insiste, en outre, sur les ressorts implicitement ethnocentriques et racialisants de l’idéal républicain d’intégration.
Le républicanisme critique, quant à lui, analyse les revendications différentialistes comme la réponse d’un processus pervers d’assignation identitaire par lequel la majorité tend à ériger certaines différences en signe d’altérité objective, les transformant ainsi en source de domination pour les minoritaires. Il n’existe, en effet, aucune (bonne) raison de penser que l’identité nationale française aurait cet extraordinaire privilège de coïncider avec l’universel, ce qui nous affranchirait de l’effort d’ouverture à l’altérité de l’autre. En conséquence, si les accommodements sont nécessaires, c’est parce que tous les principes en vigueur dans nos sociétés (la française comme la canadienne ou la québécoise) ne sont pas neutres et universels. Certains d’entre eux, à la différence de l’égalité entre les sexes, reproduisent les valeurs et les normes de la culture majoritaire.
Il importe donc, si l’on vise une intégration équitable des membres des minorités, d’adopter une stratégie de désethnicisation de la République. Il s’agit de diversifier l’imaginaire commun plutôt que de rétablir une égalité entre les groupes culturels, objectif dont les effets indésirables possibles sont l’institutionnalisation des différences. On peut ici s’étonner que C. Laborde ne mentionne pas des travaux qu’elle connaît nécessairement, ceux de Nancy Fraser.
Pour la philosophe américaine, il s’agit de substituer à la politique d’identité traditionnelle une approche visant à désinstitutionnaliser les hiérarchies injustes et, sur le plan de la redistribution, à remplacer l’économie néolibérale par la démocratie sociale. Il s’agit donc de combattre les représentations négatives des minorités sans pour autant renforcer les différences identitaires. La non-reconnaissance n’est pas, en effet, un simple fait culturel. Occulter ce point contribue à séparer l’injustice de ses causes institutionnelles et, dès lors, à oublier la nécessité des luttes de redistribution. En outre, la politique identitaire accroît la force des attachements communautaires au détriment de l’autonomie individuelle, notamment en réduisant l’importance des affiliations multiples. Dans la perspective de Fraser, le rétablissement de la justice n’exige l’affirmation des différences de groupe que dans les cas où l’obstacle à la parité de participation consiste en la méconnaissance des particularismes. On est très éloigné ici des revendications communautaristes fondées sur l’authenticité culturelle. Il s’agit donc fondamentalement, dans ce qu’elle nomme modèle statutaire, d’intégrer la reconnaissance à la redistribution, dans une vision cohérente du combat contre l’injustice. L’accent est mis sur les sources sociales de la mésestime, sur ce qui rend impossible la participation égalitaire à la vie sociale. Nous sommes ici tout à fait dans la perspective du républicanisme critique, d’où notre étonnement quant à l’absence de cette référence majeure.
Reste une dernière question : C. Laborde est-elle fondée à opposer sa perspective à celle du libéralisme ? La tradition libérale issue de Locke a, on le sait, rejeté toute opposition catégorique entre la liberté et la loi. Pour celle-ci, comme le souligne C. Larmore, "la liberté comprenait, conformément au point de vue républicain, l’absence de domination" . Dès lors, la distinction entre absence d’interférence et absence de domination constitue, plutôt qu’une opposition irréductible, un enrichissement de la théorie libérale. Aucune raison décisive ne contraint, comme l’a montré C. Audard dans son dernier ouvrage, à se priver de la puissance critique du libéralisme politique..
Cette recension est publiée en partenariat avec Non fiction .
_____________________
[1] pp. 12-13
[2] p. 63
[3] pp. 94-97
[4] p. 97
[5] Larmore, "Républicanisme et libéralisme chez Philip Pettit", Cahiers de philosophie de l’université de Caen, no 34, 2000, p. 120
_____________________
[1] pp. 12-13
[2] p. 63
[3] pp. 94-97
[4] p. 97
[5] Larmore, "Républicanisme et libéralisme chez Philip Pettit", Cahiers de philosophie de l’université de Caen, no 34, 2000, p. 120