Broché: 582 pages
Editeur : Librairie orientaliste Paul Geuthner (1 novembre 2018)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2705339029
Editeur : Librairie orientaliste Paul Geuthner (1 novembre 2018)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2705339029
Le lecteur intéressé pourra écouté l'intervention de M.Sakhr Benhassine, traducteur de l'ouvrage d'Ibn Arabi, dans l'émission du 10 mars 2019 de France Culture Les Chrétiens d'Orient
Ibn Arabi.mp3 (19.75 Mo)
Par Christian Lochon
Une recension de l’Académie des sciences d'outre-mer, sous licence Creative Commons (BY NC ND).
L'ouvrage de M.Sakhr Benhassine contient en fait deux oeuvres, une autobiographie spirituelle intitulée De l'ami à l'âme (164 pages), qui dévoile l'influence qu'il reçut d'Ibn Arabi (Murcie 1165- Damas 1240) «son maître direct» lequel déstabilise son disciple en le renvoyant à des études sur lui-même, d'où le titre « de l'Ami à l'âme »; puis, la traduction critique et annotée de L'Esprit de Sainteté dans le conseil de l'âme (189 pages, 352 dans la version arabe). Cet essai était adressé au théologien Abdelaziz El Mehdaoui. Ibn Arabi lui parle en toute franchise car il l'estime et nous avons ainsi une étude du milieu cosmopolite andalou du XIIIe siècle et une description des intellectuels, juristes et soufis arabes qui parcouraient l'immense espace islamisé méditerranéen. Cette épître voit le jour en 1203 à La Mecque, trois ans après que son auteur ait quitté son Anatolie locale qu'il ne reverra jamais. Pour son traducteur, l'auteur y manifeste «de manière magistrale le redressement global nécessaire à toute démarche spirituelle».
M. Benhassine, ingénieur chimiste algérien, ayant entrepris des études religieuses dans le milieu soufi, se passionne pour la refonte de l'entendement du religieux et de l'esprit philosophique. Il serait salutaire, suggère-t-il, aux dogmatiques en pays d'islam de se remettre en question (p. LXXI). Pour cela, il faut «être conscient de son ignorance, c'est la sagesse suprême » (p. CXXXV). La bonne méthode pour réussir, c'est « commencer par cesser d'être proie ou prédateur, surveiller son coeur, lie de tous vices ou vertus» (p. XVII) puis « de dissiper cette chimère tricéphale socio-politico-économique» (p.XX) car «les gens de notre époque s'identifient entièrement à leur rôle social» (p. LIII). Il regrette de voir « à quel point l'islam a décliné dans les coeurs et les moeurs (p. CXXI) et que «les religieux sont présents pour leurs intérêts personnels et n'ont pas le désir d'unir leur volonté à Allah» (p. CXXIV). Il essaie de ne pas opposer philosophie et religion car «elles devraient être perçues comme complémentaires» (p.XI) puisque « la religion ouvre un accès aux autres mondes alors que la philosophie aide à voir les choses comme elles sont » (p.XIV). Pour lui, le monde participe du bien et du mal: « La lutte du bien et du mal revient toujours sous des aspects différents... A l'exception de l’Être transcendant, tout ce qui existe est engendré par une paire d'opposés » (p. XII et XIII)
D'autre part, M. Benhassine, en véritable soufi, est convaincu de la force du verset XL 60 « Appelez-Moi et Je vous répondrai» (p. LXXIII) et de ce que «la prière soit l'ascension céleste du fidèle» (p. CXVII) mais il déplore que « le soufisme soit combattu à mort par un islam ténébreux et soi-disant rigoriste» (p. CXI). Il rapporte des expériences mystiques: « Le souffle divin est une réalité; j'ai goûté à ce savoir lors d'une vision. J'avais 15 ans à peine que je m'étais vu dans un rêve debout parmi les humains de tous les temps et de tous les lieux, (parmi lesquels) Mohamed et Omar Ibn Al Khattab » (p.LXIV). Un autre rêve lui fait voir Ibn Taymiyya (mort en 1328) «et qui fut à un moment soufi» (p. CLIV). Ouvert aux civilisations du monde, il cite Zoroastre et l'Avesta (p.XXXVII), la Bhagavat Gita (p.LXXIII et LXXXV), l'hindouisme (p. XC), Diogène (p.XLIV), Feng Shui et la science chinoise (p. LX), le christianisme (p. CXXXIX et CXLI et II) et constate « Les sages partagent les savoirs par-delà les religions, les cultures, les contrées, les époques. La sagesse n'est pas l'apanage de telle ou telle culture» (p.LXXVIII).
Reconnu comme le plus grand penseur spiritualiste du monde musulman, Ibn Arabi, andalou, ouvrit l'accès à la connaissance de l'invisible, faisant fi des contraintes spatio-temporelles. Né dans un espace polyculturel, il connaît le christianisme et Jésus est son «maître». Gabriel est un des noms de l'Esprit de Sainteté (p.CXLI) qui se tint aux côtés de Jésus comme de Mohamed. «Le propos de l’Épître, dit Ibn Arabi, est la restauration de l'orthodoxie, du strict respect de la Loi dans la vigilance et la sobriété» (p.56). Pour cela, il se plaint des religieux non sans humour: «Les fuqaha ignares s'adonnent aux désirs charnels qu'ils poursuivent ici-bas et projettent dans l'au-delà » (p. 162) et avec humeur « Les juristes ont été face aux initiés tels des pharaons face aux prophètes» (p.164).
Dans cette autobiographie, il décrit les cérémonies des soufis qu'il a fréquentées, comme le sama ou recherche de la proximité divine, en imitant le cosmos qui tourne sans arrêt, par la danse de l'initié mais Ibn Arabi met en garde (p.35) contre un excès d'effusions trompeuses et auto satisfaisantes : «Nous nous faisons passer pour des mystiques mais nous sommes dominés par les passions (p.148). C'est que «la réalité humaine est liée à l'Esprit par-dessus le mouvement des astres. Il existe une hiérarchie dans le monde soufi, les walis, les qutb (Pôle), l'Imam du Temps (p. 53 et 54). Ils demeurent inconnus et apparaissent sous les formes les plus humbles, comme les Melemiyya de «mélem» (blâme) mais Ibn Arabi les reconnaissait (p.80). Il va transmettre en Orient cette richesse spirituelle de l'Occident arabe, qui était déjà menacé.
Au XIXe siècle, l’Émir algérien Abdelkader viendra s'installer à Damas pour être proche de la confrérie qadirie installée dans le mausolée d'Ibn Arabi. L’Émir publiera courageusement la première édition des Futuhat Al Mekkia, l’oeuvre magistrale du Cheikh Al Akbar, critiqué par les Salafistes pour sa spiritualité hors norme.
Dans l'émission dominicale du 10 mars 2019 de France Culture Les Chrétiens d'Orient qu'anime Sébastien de Courtois, M.Benhassine nous donnait la clé de l'enseignement d'Ibn Arabi : «Regarder les choses telles qu'elles sont sans recourir aux prismes déformant la réalité».
M. Benhassine, ingénieur chimiste algérien, ayant entrepris des études religieuses dans le milieu soufi, se passionne pour la refonte de l'entendement du religieux et de l'esprit philosophique. Il serait salutaire, suggère-t-il, aux dogmatiques en pays d'islam de se remettre en question (p. LXXI). Pour cela, il faut «être conscient de son ignorance, c'est la sagesse suprême » (p. CXXXV). La bonne méthode pour réussir, c'est « commencer par cesser d'être proie ou prédateur, surveiller son coeur, lie de tous vices ou vertus» (p. XVII) puis « de dissiper cette chimère tricéphale socio-politico-économique» (p.XX) car «les gens de notre époque s'identifient entièrement à leur rôle social» (p. LIII). Il regrette de voir « à quel point l'islam a décliné dans les coeurs et les moeurs (p. CXXI) et que «les religieux sont présents pour leurs intérêts personnels et n'ont pas le désir d'unir leur volonté à Allah» (p. CXXIV). Il essaie de ne pas opposer philosophie et religion car «elles devraient être perçues comme complémentaires» (p.XI) puisque « la religion ouvre un accès aux autres mondes alors que la philosophie aide à voir les choses comme elles sont » (p.XIV). Pour lui, le monde participe du bien et du mal: « La lutte du bien et du mal revient toujours sous des aspects différents... A l'exception de l’Être transcendant, tout ce qui existe est engendré par une paire d'opposés » (p. XII et XIII)
D'autre part, M. Benhassine, en véritable soufi, est convaincu de la force du verset XL 60 « Appelez-Moi et Je vous répondrai» (p. LXXIII) et de ce que «la prière soit l'ascension céleste du fidèle» (p. CXVII) mais il déplore que « le soufisme soit combattu à mort par un islam ténébreux et soi-disant rigoriste» (p. CXI). Il rapporte des expériences mystiques: « Le souffle divin est une réalité; j'ai goûté à ce savoir lors d'une vision. J'avais 15 ans à peine que je m'étais vu dans un rêve debout parmi les humains de tous les temps et de tous les lieux, (parmi lesquels) Mohamed et Omar Ibn Al Khattab » (p.LXIV). Un autre rêve lui fait voir Ibn Taymiyya (mort en 1328) «et qui fut à un moment soufi» (p. CLIV). Ouvert aux civilisations du monde, il cite Zoroastre et l'Avesta (p.XXXVII), la Bhagavat Gita (p.LXXIII et LXXXV), l'hindouisme (p. XC), Diogène (p.XLIV), Feng Shui et la science chinoise (p. LX), le christianisme (p. CXXXIX et CXLI et II) et constate « Les sages partagent les savoirs par-delà les religions, les cultures, les contrées, les époques. La sagesse n'est pas l'apanage de telle ou telle culture» (p.LXXVIII).
Reconnu comme le plus grand penseur spiritualiste du monde musulman, Ibn Arabi, andalou, ouvrit l'accès à la connaissance de l'invisible, faisant fi des contraintes spatio-temporelles. Né dans un espace polyculturel, il connaît le christianisme et Jésus est son «maître». Gabriel est un des noms de l'Esprit de Sainteté (p.CXLI) qui se tint aux côtés de Jésus comme de Mohamed. «Le propos de l’Épître, dit Ibn Arabi, est la restauration de l'orthodoxie, du strict respect de la Loi dans la vigilance et la sobriété» (p.56). Pour cela, il se plaint des religieux non sans humour: «Les fuqaha ignares s'adonnent aux désirs charnels qu'ils poursuivent ici-bas et projettent dans l'au-delà » (p. 162) et avec humeur « Les juristes ont été face aux initiés tels des pharaons face aux prophètes» (p.164).
Dans cette autobiographie, il décrit les cérémonies des soufis qu'il a fréquentées, comme le sama ou recherche de la proximité divine, en imitant le cosmos qui tourne sans arrêt, par la danse de l'initié mais Ibn Arabi met en garde (p.35) contre un excès d'effusions trompeuses et auto satisfaisantes : «Nous nous faisons passer pour des mystiques mais nous sommes dominés par les passions (p.148). C'est que «la réalité humaine est liée à l'Esprit par-dessus le mouvement des astres. Il existe une hiérarchie dans le monde soufi, les walis, les qutb (Pôle), l'Imam du Temps (p. 53 et 54). Ils demeurent inconnus et apparaissent sous les formes les plus humbles, comme les Melemiyya de «mélem» (blâme) mais Ibn Arabi les reconnaissait (p.80). Il va transmettre en Orient cette richesse spirituelle de l'Occident arabe, qui était déjà menacé.
Au XIXe siècle, l’Émir algérien Abdelkader viendra s'installer à Damas pour être proche de la confrérie qadirie installée dans le mausolée d'Ibn Arabi. L’Émir publiera courageusement la première édition des Futuhat Al Mekkia, l’oeuvre magistrale du Cheikh Al Akbar, critiqué par les Salafistes pour sa spiritualité hors norme.
Dans l'émission dominicale du 10 mars 2019 de France Culture Les Chrétiens d'Orient qu'anime Sébastien de Courtois, M.Benhassine nous donnait la clé de l'enseignement d'Ibn Arabi : «Regarder les choses telles qu'elles sont sans recourir aux prismes déformant la réalité».