Les cahiers de l'Islam
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Pascal Lemmel
Co-fondateur de la revue numérique Les Cahiers de l'Islam, des éditions du même nom ainsi que de la... En savoir plus sur cet auteur
Samedi 13 Décembre 2014

La tradition islamique de la réforme (Charles Saint-Prot)



L’ Islam est-il, comme le prétend un cliché récurrent, incapable d’évolution, marqué par le fatalisme et l’immobilisme ?

Et s’il était à l’opposé des représentations caricaturales dont il est victime depuis des siècles dans le monde occidental ? Au lieu d’être la religion de la bigoterie et de la stagnation, ne serait-il pas plutôt celle de la raison et de la réforme permanente ?

Telle est la thèse de cette étude qui, à contre-courant des idées reçues, affirme que l’Islam est tout entier tourné vers l’action parce qu’il repose sur le lien indissoluble de la Tradition et du progrès. Le réformisme n’est pas une option nouvelle mais, au contraire, un concept très précisément au cœur de l’Islam, dès l’origine. L’Islam est par nature réformiste et c’est la réactivation de l’effort d’interprétation (ijtihâd) qui permettra de redécouvrir toute la vitalité créatrice de la religion musulmane. Ainsi, l’Islam conserve encore la possibilité de répondre, d’une manière positive et constructive, aux défis du monde moderne.

Un ouvrage indispensable qui bouscule les idées reçues sur une religion vivante, dynamique, dont la signification essentielle réside dans son aptitude à se développer, engendrer et innover.

Quatrième de couverture.


 




Broché: 206 pages
Editeur : CNRS (14 octobre 2010)
Collection : HORS.COLL.
Langue : Français
ISBN-10: 2271070783
ISBN-13: 978-2271070784
Dimensions du produit: 21,8 x 14 x 1,8 cm

Sur l'auteur

Charles Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques à Paris, est enseignant et chercheur dans plusieurs facultés françaises et étrangères et notamment à l’Université ouverte de Catalogne dans le cadre du Master international d’études islamiques et arabes. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence, traduits en plusieurs langues, sur l’Islam et le monde arabe dont La politique arabe de la France (2007) et Islam : l’avenir de la Tradition entre révolution et occidentalisation (2008) ou encore L'Islam et l'Effort d'Adaptation au Monde Contemporain : l'Imperatif de l'Ijtihad (2011) qui rejoint la problématique du présent ouvrage.
 

L'ouvrage

D’emblée, au sein de l’introduction l’auteur dénonce les raccourcis caricaturaux visant à présenter l’Islam comme religion de soumission et de fatalisme.
En premier lieu,  « Trop souvent, on a voulu confondre le déclin des sociétés musulmanes … et ce qu’on a appelé à tort le déclin de l’Islam ». En second lieu, l’Islam est le contraire de ce qu’il parait. Le concept de réforme (islah) se trouve au cœur de même de l'Islam. Car l’Islam est par nature réformiste. La réactivation de l’effort d’interprétation (ijtihād) permettra de redécouvrir toute la vitalité créatrice de la religion musulmane. C’est du reste, ce que l’auteur se propose de démontrer au sein du présent ouvrage.

Pour ce faire, il commence par définir ce qu’est pour lui la réforme : « Réforme n’est pas révolution chamboulement. C‘est au contraire, l’effort de s’inscrire dans la continuité en se séparant des imperfections, des scories, des mauvaises interprétations ».(p.12) Vient ensuite sa conception de la tradition : « Tradition ne signifie pas plus sclérose que progrès ne signifie modernité. … Si elle exclut l’idée de rupture avec le passé et s’oppose à une certaine conception de la modernité, conçu comme le fugitif, l’instantané ou le transitoire, elle ne bannit ni la raison ni le progrès. » 
(p.12) 
C’est pourquoi pour l’auteur le progrès surgit de la tradition qui est au service de la communauté et non d’une modernité qui «  porte essentiellement le cachet de l’individualisme » (p.14). Convoquant  Sigrid Hunke (auteurs de « Le Soleil d'Allah brille sur l'Occident : Notre héritage arabe  ») et un prix Nobel Égyptien en chimie, Ahmed Zewail, il en veut pour preuve, l’éclat (passé) de la civilisation Islamique, source de l’actuelle civilisation occidentale. L’Islam est donc progrès et modération au même titre que la tradition serait par essence réformiste (p.18).
Le plan de l’ouvrage est ainsi tracé. Dans une première partie l’auteur précisera les notions de tradition et de réformisme. Dans une seconde partie, le mouvement réformiste « dit de la Salafiya » sera présenté au lecteur pour démontrer « la vigoureuse capacité de l’Islam à s’adapter et se réformer »  et une troisième partie « traitera des enjeux actuels. »

Tradition et Reforme

Dans la première partie, l’auteur déroule donc dans un premier temps son argumentation démontrant que l’Islam est réforme. Repartant des origines de l’Islam, il nous explique que cette religion est déjà intrinsèquement « réforme », dans la mesure où elle a délivré un message (Rissāla) de réforme. Réforme par rapport à la période antéislamique (jahiliya) , réforme par rapport aux messages précédemment révélés (Thora, Evangiles). Intrinsèquement réforme, car son message (Le Coran) est « Dynamique ». Dynamique dans le sens où il peut être réinterprété au fil du temps et à la lumières des contextes et circonstances (science du tafsir, exégèse, p.26) et où il intègre une « démarche pédagogique et progressive » d’explication de son message : le principe d’abrogation (naskh) de certains versets. Notons ici, que ce principe n’est pas reconnu par toutes les écoles juridiques. Dynamique parce qu’il incite à « l’effort constant, au travail, à l’action et la responsabilité des hommes » (p.27) : « Dieu ne modifie point l’état d’un peuple tant que les individus qui le composent ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes » (SXIII-V11). Dynamique enfin car il fait appel à la raison, en établissant un lien indissoluble entre le savoir, le connaitre (īlm) et l’agir (āmal), tout ceci dans le cadre d’un juste milieu, et donc tout en modération.
Dans ce sens, l’auteur ajoute :« Chari’a signifie la voie à suivre, la bonne direction, le bon chemin : Par conséquent, en aucun cas un système figé mais le mouvement » (p.34). C’est pourquoi, à ses yeux, le droit en Islam signifie avant tout la compréhension (Fiqh), combinant Raison et Révélation au travers d’un effort d'interprétation : l’Ijtihād. « La permanence de ce réformisme est d’ailleurs attesté par un hadith du Prophète Mohammed affirmant que chaque siècle, Dieu ‘’envoie à cette communauté un réformateur pour renouveler les affaires de la religion en tenant compte des circonstances de son époque’’ ».

Dans le second chapitre, l’auteur va expliciter la notion de Tradition tel qu'il l'entend. Il s’agit de la tradition du prophète (Sunna) « qui vient éclairer la Révélation divine contenue dans le Coran » (p.37). Elle s’est formée à partir de la biographie (Sīra) et des enseignements ou attitudes (Hadith)
du Prophète. Cette tradition, une fois rassemblée, a servi et sert encore de nos jours de source pour l’établissement du droit Musulman, le Fiqh. Après le Coran, il s’agit de la seconde source, venant confirmer, expliciter ou compléter le message. Précisons ici au lecteur, qu’il existe au total, à peu prés une dizaine de sources du droit Musulman (Fiqh) plus ou moins agréées en fonction des écoles juridiques. Autre précision importante, si dans une certaine mesure la Tradition peut être considérée comme sacrée, il n’en est pas de même du Fiqh qui reste une élaboration humaine, un effort de réflexion, ce que l’auteur précise en p.47. Or, souligne ce dernier, « Le point essentiel est l’aspect jurisprudentiel du fiqh : loin d’être un dogmatisme figé, le droit musulman consiste à une interprétation contextualisé et pertinente des grands principes généraux – et immuables – exposés dans la Chari’a, … ». L’auteur nous présente ensuite la genèse des quatre écoles juridiques (sunnites) principales et encore actives de nos jours (certains specialistes affirment qu’il y eu jusqu’à cinquante écoles) en instant tout particulièrement sur le Hanbalisme, et en particulier sur son rôle face aux théories Moutazilite (nous adoptons la graphie de l’auteur). C’est ainsi qu’il considère le Hanbalisme comme le parangon des écoles : « Enfin, il reste indispensable de répéter que le hanbalisme exprime la pure doctrine orthodoxe du juste milieu… » (p.60). Quitte à modérer l'enthousiasme de l'auteur, on notera tout de même que l'école hanbalite est très largement minoritaire au sein du monde Sunnite. 
Enfin nous terminons le chapitre sur un retour sur le concept de Tradition : « C’est essentiellement un principe de croissance et de régénération » (p.63). L’auteur en veut pour preuve la prise en compte de la maslaha (utilité publique, équivalent de l’intérêt général du droit français, p.64), déterminée à partir des cinq finalités de la Chari’a (Maqāssid), en tant que « source » du Fiqh.

Viennent ensuite deux chapitres présentant les deux principes opposés d’Ijtihād et de Taqlid (imitation). Pour l’auteur (et nous adhérons ici à ses propos) l’Ijtihād (du verbe ijtahada, « faire l’effort » figure le mouvement tandis que le Taqlid est le synonyme de l’inertie.
l’Ijtihād, quatrième source du droit musulman (nous précisons ici que cela varie en fonction des écoles juridiques) consiste en fournir un effort intellectuel afin « de trouver une solution à une question en réfléchissant à partir des sources du Coran et de la Sunna » (p.67).  Or dans la mesure où les besoins des hommes évoluent au fil du temps, il est nécessaire de formuler de nouvelles règles pour ces besoins. L’Ijtihād est donc « l’effort intellectuel créatif faisant appel à la raison humaine pour interpréter les sources fondamentales – Le Coran et la Sunna – afin d’en tirer des règles adaptées aux ‘’variables imposées par les circonstances fluctuantes de la société musulmane’’ et en prenant en considération l’utilité publique  (maslaha» (p.71)
Cependant, pour l'auteur, cette pratique reste une affaire de spécialistes et répond à des règles précises, ceci afin d’éviter « deux dérives : celle de la falsification que provoquerait un mécanisme d’innovation subjective et d’imitation aveugle initié par les courants occidentalisant ; celle de la vérification qui consisterait à limiter le champ de réflexion à une imitation routinière » (p.70). Enfin, pour l’auteur, la pratique de l’Ijtihād par les fuqahā n’a jamais cessé d’être et prétendre qu’il y eu aux alentours du XIe s. une « fermeture des portes de l’Ijtihād relève de la pure fiction.

Comme nous l'avons vu précédemment, à l’opposé du concept d’Ijtihād se trouve le concept de taqlid. Ce concept fait l’objet du quatrième chapitre. Sa définition en est donnée en p.81 : c’est « le fait d’imiter aveuglément en prenant en considération la parole ou l’enseignement d’une personne sans en connaître la source, sans en avoir la preuve (dalil). » . Le Taqlid présentant une certaine forme de « stabilité » dans un monde instable aurait aussi permis de se prémunir de la menace de divisions sectaires.    

Mouvements réformistes

Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur se donne pour but de nous présenter les courants réformistes qui permirent un renouveau de l’Islam ou du moins de le sortir de sa sclérose.

Après un bref panorama de la situation prévalant sur les terres d’Islam entre le XIVe s. et le XVIIIe s. (pp.89-96), où l’on voit l’empire ottoman tomber en déliquescence pendant qu’à la périphérie rayonnent encore des pays musulmans (Moghols, Maroc, Nigeria, Yémen…), nous commençons notre tour d’horizon des mouvements réformistes par le mouvement Wahhabite, du nom de son fondateur Abdel Wahhab, qui se déploya au XVIIIe s. dans la péninsule Arabique. C’est ainsi, que nous sont présentées successivement (p96-108) la prise de conscience par ce dernier de la situation de la foi musulmane « corrompue par les superstitions et les pratiques les plus douteuses», son crédo, puis la diffusion de sa pensée au sein du monde Musulman. Sa thèse, qui nous est présentée page 102, part du constat de « décadence temporelle et spirituelle qui marque son époque » :  « Outre le pur monothéisme (al tawhid), l’accent est mis sur la fidélité au message des sources de l’Islam : c’est-à-dire le Coran et la Sunna, en particulier les hadiths du Prophète. Il lance l’idée d’une réforme (Islah) dont la condition est le retour aux sources pour ne pas se laisser enfermer dans le taqlid. Il affirme qu’il faut rejeter la pratique consistant à perdre de vue le Coran et la Sunna et à suivre des opinions plus ou moins divergentes. Son activité visera à retrouver l’esprit même du Coran et de la Sunna pour une reconstitution socio-morale, politico-religieuse, de la société musulmane. Il invite encore à répudier les ajouts non-musumans et ceux de superstitions populaires pour s’engager dans la voie de la connaissance en même temps qu’il écarte la soumission au taqlid pour faire prévaloir l’effort d’interprétation (ijtihad). » (p.103) .

Nous passons ensuite en revue, dans le chapitre suivant intitulé « Le réformisme (Islah) de la Salafiya », les mouvements réformistes de la fin du XIXe s. et XXe s. qui se donnèrent pour but de renouveler l’Islam de l’intérieur tout en luttant contre la colonisation politique et intellectuelle. L'auteur nous propose alors un panorama historique débutant par la Nahda et ses principales figures : le cheikh égyptien Rifa’a Rafi al Tahtawi, Jamal al Dīn al Afghani (p.111), Mohammed Abdou (p.113),  son disciple Rachid Rida (p.117) et enfin Abdel Rahman al Kawakibi qui achèvera « la jonction de l’Islah musulmane et du nationalisme arabe » (p.120). Nous poursuivons ensuite par le rayonnement de ce mouvement au sein du monde musulman, du Maghreb au sous-continent Indien avec le penseur Mohammed Iqbal (p.127) en passant par l’Arabie et le Machrek. Le chapitre se clôture ensuite sur un résumé des idées du mouvement salafiste auquel l’auteur à rattaché toutes les figures présentées précédemment. Sur le but du mouvement : « Il ne s’agira donc pas de réformer le dogme, encore moins de modifier l’Islam, mais de réformer les attitudes et les pratiques pour retrouver un dynamisme en conciliant la permanence  - les principes de la Révélation (wahy) – et les changements exigés par l’évolution moderne. » (p.131). Sur les principes : « … il est possible de distinguer six principes fondamentaux caractérisant la pensée réformiste : le retour aux sources, la réponse au défi de l’Occident, le rôle de l’éducation, l’exigence de l’Ijtihād, l’unité des musulmans et leur solidarité. » (p.131).

Enjeux actuels

S’ouvre ensuite une troisième et dernière partie traitant des enjeux actuels. Dans un premier temps, il s’agit pour l’auteur de dénoncer deux approches antagonistes de la réforme en Islam et ne correspondant d’ailleurs en rien à l’esprit de réforme tel qui le conçoit. D’un côté nous retrouvons, les tenants d’un « Islam politique révolutionnaire » où l’auteur place sur un pied d’égalité, les Frères Musulmans, la révolution iranienne menée par l'Imam Khomeini et enfin Al Qaida (sic) . « A vrai dire, la signification des mouvements révolutionnaires activistes – dits islamistes – est plus sociale et politique que religieuse. A certains égards, ils semblent même avoir été gagnés par la sécularisation occidentale dans la mesure où ils réduisent l’Islam à un système politico-révolutionnaire en omettant son contenu spirituel. En réalité, l’utilisation abusive de références musulmanes provient d’une idéologisation du politique dans le monde musulman contemporain sous l’influence de l’hégémonie occidentale et en réaction à celle-ci ». (p.156). A l’opposé, nous retrouvons les « occidentalisants » (moutafarnidj)  qui ne trouvent pas plus grâce aux yeux de l’auteur : « Ceux que l’on a trop vite qualifiés de ‘’nouveaux penseurs ‘’ de l’Islam, ne sont pas des réformistes quand bien même certains s’attribuent-ils ce titre alors mais seulement des modernistes manipulant le dogme selon leurs propres convenances. » (p.163).
C’est donc logiquement que l’auteur revient, dans un second temps, sur ce qui constitue à son avis les fondements de la Reforme en Islam. A savoir, viser une réforme des « comportements et des systèmes figés de compréhension et d’application de l’Islam » et non de la religion (p.168), dans le cadre d’un « juste milieu » intrinsèque à l’Islam, mais aussi d’une société où l’Islam est un mode de vie total : « S’il n’était plus Dīn wa dunya – religion et société -, s’il était réduit au domaine privé des individus, l’Islam ne serait plus un lien entre les hommes et une source de normes » (p.172). Toutefois : « Cela ne veut pas dire « État religieux ou gouvernement des clercs, mais tout simplement une formule selon laquelle la gestion et l’organisation de la société ne peuvent aller à l’encontre des principes fondamentaux de la religion. »(p.173).  Tout ceci en prenant en compte la grande diversité des musulmans, en usant de l’Ijtihād afin de permettre « à l’islam d’être une religion adaptée à tous les lieux et toutes les époques en écartant les pesanteurs et des conservatismes accumulés au cours des siècles » (p.175). Plus que d’une réforme, finalement il s’agirait d’une revivification (p.186). Revivification « dans l’intérêt de toute l’humanité … face à un nouveau désordre mondial qui ne fait plus aucune place à l’homme, à la diversité des civilisations et à l’idée même de civilisation. Ainsi, l’Islam, avec les autres religions abrahamiques, n’est pas seulement le dépositaire de valeurs propres et universelles, il est désormais le principal môle de résistance contre ce qui est la dé-spiritualisation, la dé-signification et finalement, la déshumanisation du monde. » (p.186) 

Sur l'ouvrage

Au final, voici un ouvrage passionnant, qui se donne à lire facilement, même s’il sera préférable de posséder un minimum de connaissance sur le sujet, la première partie étant assez « technique ». La présence d’un glossaire assez complet et clair est donc un point positif à souligner. Quoique l’on pense de l’argumentation de l’auteur, la lecture de l’ouvrage nous fait prendre conscience que contrairement aux poncifs véhiculés dans les médias, « l’Islam est une religion vivante, dynamique, possédant en son sein des mécanismes d’adaptation aux différents contextes et milieux dans laquelle elle évolue ». Du reste, si cela n’avait pas été un minimum le cas, on voit mal comment elle pourrait se prévaloir aujourd’hui d’un milliard de fidèles répartis sous toutes les latitudes et ceci, au sein de cultures si diverses.

D’ailleurs, suite à la lecture de la première partie, le lecteur convaincu, pourrait finalement en venir à se demander pourquoi de si nombreux courants réformateurs virent le jour à partir du 19e siècle. Le problème vient peut-être de la méthode. En effet, selon l’auteur, dans la pratique, la capacité à faire évoluer resterait réservée « aux spécialistes des textes », les Fuqaha. Et encore, à la lecture de la seconde et de la troisième partie, si l’on suit l’auteur, seul un courant particulier, le courant « Salafiya », semble avoir la capacité de mettre en œuvre la méthode. Avec un certain parti pris (pour ne pas dire « un parti pris certain »), l’auteur discrédite rapidement de façon péremptoire ceux « que l’on a trop vite qualifiés de nouveaux penseurs » (p.163) en les considérant comme occidentalisés et « désislamisés » et d’un autre coté, en vient à qualifier le régime saoudien de réformateur. A ce sujet, nous pourrions objecter que ce courant, possèdent une « assise », le hanbalisme, plutôt minoritaire au sein de l’Islam. En effet, ce courant juridique n’est, de nos jours, en vigueur que dans la péninsule Arabique. De plus, si nous nous plaçons au-delà de toute querelle partisane, subsiste la question de savoir, si dans un monde globalisé comme le nôtre, il est vraiment possible de ne faire appel qu’« aux spécialistes des textes » pour assurer une « réforme » ou une « revivification » de l’Islam. C’est donc en premier lieu à un examen même de la méthodologie préconisée par l’auteur qu’il faut procéder. Pour commencer, le lecteur, s’il est croyant, sera d’accord avec l’auteur pour dire que la révélation et la raison sont deux sources universelles de la connaissance, liées l’une à l’autre. Ensuite, dans un monde de plus en plus complexe, contrairement à l’auteur mais à l’instar de nombreux penseurs musulmans, il apparaîtra comme indispensable d’associer « aux spécialiste des textes », des spécialistes d’autres domaines. Ceci afin d’ouvrir le champ des possibles lors de la lecture critique des textes, afin de dégager de nouvelles orientations en phase avec le monde contemporain tout en restant fidèle aux finalités et à l’éthique de l’Islam (voir l'ouvrage « Islam, la réforme radicale : Ethique et libération » de Tariq Ramadan, 2008).

Finalement, il s’agirait de commencer par « une réforme de l’esprit musulman ». Or, cette « réforme » est peut-être déjà en marche au sein du monde musulman. En effet, de la Turquie et de l’Indonésie, semble surgir une « nouvelle culture Islamique », un modèle « post-Islamique ». Cette réforme ne provient pas de mouvements « réformateurs » au sens ou l’entend l’auteur. Au contraire, elle vient du « peuple », d’une nouvelle « bourgeoisie Islamique » comme ce fut le cas en Indonésie. Dans les deux cas, on a vu surgir une nouvelle classe suite à l’émergence de ce que Patrick Haenni nomme « L'islam de marché », version « Islamique du Capitalisme ». En découle, une reconstruction de la société avec la mise en place d’un nouveau système de valeurs. C’est ainsi que Dilek Yankaya, chercheuse spécialiste de la Turquie indique dans son ouvrage La nouvelle bourgeoisie islamique : le modèle turc ) que « le rapport à l’islam s’est émancipé des formes fondamentalistes et étatisées de l’islam. Les modalités de l’articulation de l’islam dans la vie publique sont donc devenues subjectives et flexibles. L’islam public prend désormais des formes capitalistiques, démocratiques et rationnelles. En Turquie, le rapport à l’islam est donc aujourd’hui sécularisé et est réapproprié non pour rétablir un certain Âge d’Or, mais dans l’espoir de maîtriser son avenir dans le contexte de ce capitalisme global dont les règles échappent aux individus ». Cette chercheuse va encore plus loin, en précisant que ces nouvelles élites sont porteuses « d’un capital culturel et d’un esprit du travail fortement imprégnés de l’islam et proposent ainsi un modèle de changement social différent de celui de la modernisation occidentaliste, de la sécularisation didactique et de la laïcité autoritaire porté jusqu’ici par les élites laïques républicaines. » Nous serions donc face à une « troisième voie ». A l’évidence, l’Islam aurait bien ces capacités d’adaptations évoquées par l’auteur dans la première partie de son ouvrage. En revanche, contrairement à la thèse que l’auteur développe dans la seconde partie, la « Réforme » ne viendrait pas d’un Ijtihad « scholastique » et réservé à une élite, mais plutôt d’un Ijtihad « pragmatique » ne provenant pas exclusivement d’une élite mais du « pleuple » ou plus exactement de la « société civile ».




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