Il était nécessaire d’offrir au grand public un ouvrage qui permette de comprendre les enjeux d’un retour du califat tout en s’interrogeant sur la légitimité et l’influence des califats polymorphes successifs, qui, en fait, n’unirent jamais complètement l’ensemble des Musulmans alors que la Papauté n’est pratiquement pas contestée par les Catholiques du monde entier.
Par Christian Lochon
Recension de l’Académie des sciences d'outre-mer, sous licence Creative Commons (BY NC ND).
Le lecteur intéressé pourra aussi se reporter à notre rencontre avec Mathieu Guidère, l'auteur de l'ouvrage.
Broché: 176 pages
Editeur : Gallimard (10 mars 2016)
Collection : Le Débat
Langue : Français
ISBN-10: 2070178412
Quatrième de couverture.
Lorsque l'organisation de l'Etat islamique proclame le califat en 2014, elle signe le retour d'une institution à l'histoire plus que millénaire. Le calife, à l'origine simple successeur du prophète de l'islam, devient une figure centrale du pouvoir, avec la mise en place de plusieurs dynasties califales : les Omeyyades à Damas, les Abbassides à Bagdad, les Fatimides au Caire, les Almohades à Marrakech, les Ottomans à Istanbul.
Au fil des siècles, cette figure évolue : d'un chef spirituel et temporel, le calife finit par n'être plus qu'un guide religieux, soumis au pouvoir d'un vizir ou d'un émir. Il subit tout à la fois la pression des oulémas et de l'armée, puis celle des puissances étrangères, avant de disparaître à l'issue de la Première Guerre mondiale.
Malgré la suppression du califat en 1924, ce rêve d'unité de la communauté musulmane est toujours présent. Il signe l'échec de l'Etat-nation porté par le nationalisme arabe et le retour d'un panislamisme conquérant. Loin d'être l'expression d'un fanatisme local, il apparaît aujourd'hui comme un projet mûrement réfléchi à l'enracinement historique.
Au fil des siècles, cette figure évolue : d'un chef spirituel et temporel, le calife finit par n'être plus qu'un guide religieux, soumis au pouvoir d'un vizir ou d'un émir. Il subit tout à la fois la pression des oulémas et de l'armée, puis celle des puissances étrangères, avant de disparaître à l'issue de la Première Guerre mondiale.
Malgré la suppression du califat en 1924, ce rêve d'unité de la communauté musulmane est toujours présent. Il signe l'échec de l'Etat-nation porté par le nationalisme arabe et le retour d'un panislamisme conquérant. Loin d'être l'expression d'un fanatisme local, il apparaît aujourd'hui comme un projet mûrement réfléchi à l'enracinement historique.
Recension
Le professeur Mathieu Guidère enseigne l’islamologie à l’Université Jean Jaurès de Toulouse. D’origine tunisienne, agrégé d’arabe, il se consacra d’abord à la linguistique arabe et son ouvrage La Traduction arabe (Paris Ellipses 2004) constitue un remarquable modèle d’études contrastives franco-arabes. Puis il s’est orienté vers la géopolitique, publiant, parmi une trentaine d’autres analyses, Al Qaîda à la conquête du Maghreb (Paris, Rocher, 2007), essai sur le martyrisme et la légitimation religieuse des attentats ou Le printemps islamiste : démocratie et charia (Paris, Ellipses, 2007).
Ce nouvel ouvrage est consacré plus particulièrement aux métamorphoses successives de cette forme de gouvernement musulman instituée à La Mecque après la mort du prophète Mohamed et appelée califat. « O David, nous avons fait de toi un calife sur la terre », c’est en ces termes que le Coran (XXXVIII 26) désigne le père de Salomon ; le législateur Ibn Aqil désignera le calife comme « responsable de la défense de la foi et du territoire musulman » (p. 27) ; le fondateur de la dynastie omeyyade (651-750) appartiendra à la tribu des Qoraïchites, celui de la dynastie abbasside à la famille même du Prophète. Mais pour ces derniers le pouvoir politique sera usurpé par des vizirs chiites persans, les Bouyides (933-1055), auxquels succèderont des sultans sunnites turcs, les Seljouqides (1055-1194) ; lorsque les Mongols auront décimé la famille califale abbasside à Bagdad en 1256, un de leurs parents se réfugiera au Caire où les Mamelouks utiliseront ses descendants pour cautionner leurs prises de pouvoir successives.
Un membre de la famille omeyyade gagnera l’Andalousie après 750 et un califat en leur nom sera proclamé en 929 par Abderrahmane III ; des dynastes marocains, les Almoravides (1040-1147), les Almohades (1147-1269) puis des seigneurs berbères locaux occuperont l’Espagne jusqu’à la Reconquista à la fin du XVe siècle. Un autre califat, celui-là ismaélien (chiite) et prenant le nom de « fatimide » aura débuté à la fin du VIIIe siècle en Tunisie (capitale : Mahdia) puis s’étendra en Egypte, fondant Le Caire et la célèbre Université Mosquée d’Al Azhar en 969 pour environ cent cinquante ans.
Jusque là, le califat avait été occupé par des Arabes qoraïchites ou appartenant à la famille de Mohamed. En 1517, les Turcs ottomans s’emparent de l’Egypte et du descendant califal. La documentation manque pour savoir ce qui s’est passé à l’époque ; deux siècles plus tard, le Régime ottoman prétendra que le califat a été remis par le dernier calife abbasside au Sultan turc qui n’était ni arabe, ni qoraïchite, ni descendant du Prophète. Atatürk abolira la fonction en 1924 au grand dam d’une partie majoritaire des Musulmans. Pendant tout le XXe siècle, des efforts pour reconstituer le califat n’aboutiront pas, sans doute de par la faible personnalité des candidats. A la fin du siècle, Al Qaïda a comme but le rétablissement d’un califat chargé d’unir tout le monde musulman sunnite. Le 29 juin 2014, après avoir pris la ville irakienne de Mossoul, Abou Bakr Al Baghdadi, leader auto proclamé du prétendu Etat Islamique d’Irak et de Syrie (Daech) et criminel irakien notoire, se proclame calife. Il est contesté par l’ensemble des autorités religieuses musulmanes (recteur d’Al Azhar, muftis d’Egypte et d’Arabie). En septembre 2014, le successeur de Ben Laden, l’Egyptien Ayman Al Zawahiri annonce la création d’une nouvelle branche qaïdiste en Inde, ayant pour objectif la « renaissance du califat islamique » (p. 8). On sait qu’en Syrie et en Irak, les milices qaïdistes et « daechies » s’affrontent tout en luttant contre la grande coalition occidentalo-irakienne et contre les troupes russes, iraniennes, syriennes et du Hezbollah libanais.
Certes, la recréation d’un califat unique est souhaitée par de nombreux Sunnites sans qu’il y ait unanimité sur une désignation quelconque ou même du siège du califat ; les dirigeants et les membres des grandes confréries sunnites craignent un affaiblissement de leur hégémonie dans la mesure où grâce à leurs activités transnationales, elles bénéficient de dotations immobilières, de dons des notables et des fidèles (p. 58). Le pseudo califat de Mossoul et de Raqqa a persécuté les membres des confréries et exécuté de nombreux chiites et non sunnites. Aussi le monde chiite peut craindre la revivification d’activités califales.
Il était nécessaire d’offrir au grand public un ouvrage qui permette de comprendre les enjeux d’un retour du califat tout en s’interrogeant sur la légitimité et l’influence des califats polymorphes successifs, qui, en fait, n’unirent jamais complètement l’ensemble des Musulmans alors que la Papauté n’est pratiquement pas contestée par les Catholiques du monde entier. Une deuxième édition rétablira quelques coquilles : la fondation du Caire en 969 et non 669 (pages 69 et 70), la représentation diplomatique permanente des Ottomans à Paris date de la dernière décade du XVIIIe siècle et non de 720 (p. 116) ; l’Ouzbékistan et le Tadjikistan ne sont pas des Etats du Caucase (p. 134) ; au Yémen le mouvement houthiste, constitué de chiites duodécimains ne s’est pas rallié au califat sunnite de Mossoul mais le combat (p. 153). De précieuses annexes complètent l’ouvrage : les chronologies des différents califats (p. 161 à 163) ; une bibliographie indicative (p. 164-165) et un glossaire des institutions (p. 166 à 170).
Christian Lochon
Un membre de la famille omeyyade gagnera l’Andalousie après 750 et un califat en leur nom sera proclamé en 929 par Abderrahmane III ; des dynastes marocains, les Almoravides (1040-1147), les Almohades (1147-1269) puis des seigneurs berbères locaux occuperont l’Espagne jusqu’à la Reconquista à la fin du XVe siècle. Un autre califat, celui-là ismaélien (chiite) et prenant le nom de « fatimide » aura débuté à la fin du VIIIe siècle en Tunisie (capitale : Mahdia) puis s’étendra en Egypte, fondant Le Caire et la célèbre Université Mosquée d’Al Azhar en 969 pour environ cent cinquante ans.
Jusque là, le califat avait été occupé par des Arabes qoraïchites ou appartenant à la famille de Mohamed. En 1517, les Turcs ottomans s’emparent de l’Egypte et du descendant califal. La documentation manque pour savoir ce qui s’est passé à l’époque ; deux siècles plus tard, le Régime ottoman prétendra que le califat a été remis par le dernier calife abbasside au Sultan turc qui n’était ni arabe, ni qoraïchite, ni descendant du Prophète. Atatürk abolira la fonction en 1924 au grand dam d’une partie majoritaire des Musulmans. Pendant tout le XXe siècle, des efforts pour reconstituer le califat n’aboutiront pas, sans doute de par la faible personnalité des candidats. A la fin du siècle, Al Qaïda a comme but le rétablissement d’un califat chargé d’unir tout le monde musulman sunnite. Le 29 juin 2014, après avoir pris la ville irakienne de Mossoul, Abou Bakr Al Baghdadi, leader auto proclamé du prétendu Etat Islamique d’Irak et de Syrie (Daech) et criminel irakien notoire, se proclame calife. Il est contesté par l’ensemble des autorités religieuses musulmanes (recteur d’Al Azhar, muftis d’Egypte et d’Arabie). En septembre 2014, le successeur de Ben Laden, l’Egyptien Ayman Al Zawahiri annonce la création d’une nouvelle branche qaïdiste en Inde, ayant pour objectif la « renaissance du califat islamique » (p. 8). On sait qu’en Syrie et en Irak, les milices qaïdistes et « daechies » s’affrontent tout en luttant contre la grande coalition occidentalo-irakienne et contre les troupes russes, iraniennes, syriennes et du Hezbollah libanais.
Certes, la recréation d’un califat unique est souhaitée par de nombreux Sunnites sans qu’il y ait unanimité sur une désignation quelconque ou même du siège du califat ; les dirigeants et les membres des grandes confréries sunnites craignent un affaiblissement de leur hégémonie dans la mesure où grâce à leurs activités transnationales, elles bénéficient de dotations immobilières, de dons des notables et des fidèles (p. 58). Le pseudo califat de Mossoul et de Raqqa a persécuté les membres des confréries et exécuté de nombreux chiites et non sunnites. Aussi le monde chiite peut craindre la revivification d’activités califales.
Il était nécessaire d’offrir au grand public un ouvrage qui permette de comprendre les enjeux d’un retour du califat tout en s’interrogeant sur la légitimité et l’influence des califats polymorphes successifs, qui, en fait, n’unirent jamais complètement l’ensemble des Musulmans alors que la Papauté n’est pratiquement pas contestée par les Catholiques du monde entier. Une deuxième édition rétablira quelques coquilles : la fondation du Caire en 969 et non 669 (pages 69 et 70), la représentation diplomatique permanente des Ottomans à Paris date de la dernière décade du XVIIIe siècle et non de 720 (p. 116) ; l’Ouzbékistan et le Tadjikistan ne sont pas des Etats du Caucase (p. 134) ; au Yémen le mouvement houthiste, constitué de chiites duodécimains ne s’est pas rallié au califat sunnite de Mossoul mais le combat (p. 153). De précieuses annexes complètent l’ouvrage : les chronologies des différents califats (p. 161 à 163) ; une bibliographie indicative (p. 164-165) et un glossaire des institutions (p. 166 à 170).
Christian Lochon