Une étude sur la communauté islamique des Baay-faal du Sénégal qui saisit les liens entre investissement religieux et marginalisation sociale.
Broché: 326 pages
Editeur : L'Harmattan (21 mars 2008)
Collection : Anthropologie critique
Prix : 29,92€
Langue : Français
ISBN-10: 2296053572
ISBN-13: 978-2296053571
En partenariat avec : http://www.nonfiction.fr
" Eskey ! " dit l’onomatopée religieuse typiquement baay-faal signifiant la satisfaction et l’étonnement positif. À n’en pas douter, cette expression retentira à l’arrivée de cet ouvrage sur les étals sénégalais et lorsqu’il circulera dans les nombreux daara (lieu de vie, d’apprentissage et de travail des Baay-faal) visités par Charlotte Pézeril pendant sa recherche. Il y a même fort à parier qu’à l’avenir il sera discuté et mobilisé dans les études traitant des mouvements religieux contemporains sénégalais, voire plus largement des transformations sociales sénégalaises.
L’un des mérites de cette étude est de mettre fin à un paradoxe : l’extrême visibilité d’une communauté religieuse qui n’a d’égal que l’impressionnant silence des sciences sociales sur celle-ci et sur son développement dans le paysage social du Sénégal depuis la deuxième moitié du XXème siècle. Difficile d’imaginer pourtant que ceux qui ont foulé le sol sénégalais au cours de ces trente dernières années n’aient pas croisé, en ville ou en brousse, ces étranges énergumènes entre Arlequin (vêtements en patchwork multicolore), mendiant (avec leur calebasse pour faire l’aumône), rastaman (coiffés de longues dreadlocks), punk (anticonformisme social) et moine-soldat de l’époque médiévale, connus pour leur engagement mystique et leur investissement passionné dans leur mission terrestre. En réalité, les Baay-faal interpellent sans qu’il ne soit vraiment nécessaire de les chercher.
" Eskey ! " donc, et " enfin ! " pourrait-on dire, tellement il nous est arrivé de tomber sur des analyses si peu satisfaisantes sur le sujet. Enfin un travail minutieux, au plus proche du terrain, ne se limitant pas aux stéréotypes les plus communs. Enfin une véritable recherche qui fait parler les premiers concernés et qui adopte une démarche compréhensive autorisant l’auteur à avancer des thèses jusqu’ici inédites.
" Eskey ! " dit l’onomatopée religieuse typiquement baay-faal signifiant la satisfaction et l’étonnement positif. À n’en pas douter, cette expression retentira à l’arrivée de cet ouvrage sur les étals sénégalais et lorsqu’il circulera dans les nombreux daara (lieu de vie, d’apprentissage et de travail des Baay-faal) visités par Charlotte Pézeril pendant sa recherche. Il y a même fort à parier qu’à l’avenir il sera discuté et mobilisé dans les études traitant des mouvements religieux contemporains sénégalais, voire plus largement des transformations sociales sénégalaises.
L’un des mérites de cette étude est de mettre fin à un paradoxe : l’extrême visibilité d’une communauté religieuse qui n’a d’égal que l’impressionnant silence des sciences sociales sur celle-ci et sur son développement dans le paysage social du Sénégal depuis la deuxième moitié du XXème siècle. Difficile d’imaginer pourtant que ceux qui ont foulé le sol sénégalais au cours de ces trente dernières années n’aient pas croisé, en ville ou en brousse, ces étranges énergumènes entre Arlequin (vêtements en patchwork multicolore), mendiant (avec leur calebasse pour faire l’aumône), rastaman (coiffés de longues dreadlocks), punk (anticonformisme social) et moine-soldat de l’époque médiévale, connus pour leur engagement mystique et leur investissement passionné dans leur mission terrestre. En réalité, les Baay-faal interpellent sans qu’il ne soit vraiment nécessaire de les chercher.
" Eskey ! " donc, et " enfin ! " pourrait-on dire, tellement il nous est arrivé de tomber sur des analyses si peu satisfaisantes sur le sujet. Enfin un travail minutieux, au plus proche du terrain, ne se limitant pas aux stéréotypes les plus communs. Enfin une véritable recherche qui fait parler les premiers concernés et qui adopte une démarche compréhensive autorisant l’auteur à avancer des thèses jusqu’ici inédites.
La fin d’un étrange silence
Comment donc expliquer ce si long silence concernant cette communauté qui existe depuis la fin du XIXe siècle, se demande Charlotte Pézeril ? Mutisme d’autant plus étonnant que le mouvement baay-faal est né suite à l’émergence d’une figure centrale de la confrérie mouride – Mame Cheikh Ibra Fall (1856 ou 58 – 1930) – fidèle compagnon de son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), et que cette confrérie constitue à ce jour l’un des objets les plus étudiés de la région !
Une raison de ce silence, nous dit l’auteur, tient à ce que " la voie religieuse baay-faal ne sera différenciée de la voie majoritaire mouride que très tardivement, dans les années 1950 " (p.13). Ainsi, dans les archives de l’A.O.F., point d’allusion particulière à cette communauté, sauf à la personne de Mame Cheikh Ibra Fall considérée comme un cheikh mouride parmi les autres mais dont l’influence et la richesse particulières sont soulignées. Après les indépendances également, les études portant sur les Mourides ne consacrèrent que rarement plus de quelques pages aux Baay-faal. En fait, l’ostracisme scientifique dont a fait l’objet la communauté des Baay-faal provient largement du statut bâtard auquel sont renvoyés ses membres, entre faux musulmans et petits voyous marginaux. Ne s’adonnant ni aux prières quotidiennes, ni au jeûne du ramadan, on leur reproche d’assumer leurs déviances sociales sous couvert d’investissement religieux, au sein d’une secte peu regardante quant à l’orthodoxie de la pratique islamique.
Pas assez "sérieux" donc pour les sociologues et anthropologues du religieux, et trop englués dans la thématique confrérique pour apparaître dans les travaux de sociologie classique sur la pauvreté et/ou la marginalité, les Baay-faal ont constitué pendant longtemps l’un des angles morts de la connaissance scientifique sur la société sénégalaise. Avec l’ouvrage de Charlotte Pézeril, ce temps est révolu. L’auteur construit ici la passerelle nécessaire et tant attendue entre processus de marginalisation, identification religieuse et stratégies individuelles de positionnement vis-à-vis des nouveaux rapports de domination de la société sénégalaise. Elle met ainsi en lumière tout l’intérêt qu’il y a de considérer cette communauté naissante pour ce qu’elle est, et non de la manière dont on l’a présentée jusqu’à présent.
Une raison de ce silence, nous dit l’auteur, tient à ce que " la voie religieuse baay-faal ne sera différenciée de la voie majoritaire mouride que très tardivement, dans les années 1950 " (p.13). Ainsi, dans les archives de l’A.O.F., point d’allusion particulière à cette communauté, sauf à la personne de Mame Cheikh Ibra Fall considérée comme un cheikh mouride parmi les autres mais dont l’influence et la richesse particulières sont soulignées. Après les indépendances également, les études portant sur les Mourides ne consacrèrent que rarement plus de quelques pages aux Baay-faal. En fait, l’ostracisme scientifique dont a fait l’objet la communauté des Baay-faal provient largement du statut bâtard auquel sont renvoyés ses membres, entre faux musulmans et petits voyous marginaux. Ne s’adonnant ni aux prières quotidiennes, ni au jeûne du ramadan, on leur reproche d’assumer leurs déviances sociales sous couvert d’investissement religieux, au sein d’une secte peu regardante quant à l’orthodoxie de la pratique islamique.
Pas assez "sérieux" donc pour les sociologues et anthropologues du religieux, et trop englués dans la thématique confrérique pour apparaître dans les travaux de sociologie classique sur la pauvreté et/ou la marginalité, les Baay-faal ont constitué pendant longtemps l’un des angles morts de la connaissance scientifique sur la société sénégalaise. Avec l’ouvrage de Charlotte Pézeril, ce temps est révolu. L’auteur construit ici la passerelle nécessaire et tant attendue entre processus de marginalisation, identification religieuse et stratégies individuelles de positionnement vis-à-vis des nouveaux rapports de domination de la société sénégalaise. Elle met ainsi en lumière tout l’intérêt qu’il y a de considérer cette communauté naissante pour ce qu’elle est, et non de la manière dont on l’a présentée jusqu’à présent.
L’identité baay-faal
L’un des aspects les plus difficiles à saisir sur ce terrain réside justement dans l’intrication de l’identité baay-faal et de l’identité mouride, rendant délicate la circonscription de la première en lui conférant un statut propre et autonome. Tous les Baay-fall sont des Mourides, mais tous les Mourides ne sont pas des Baay-faal, même si les uns et les autres se réfèrent à Mame Cheikh Ibra Fall pour penser et construire le " disciple exemplaire ". Pour ne rien arranger, la spécificité des normes mourides par rapport aux autres turuq (confréries) – à savoir les rapports taalibe/serigne (disciple/marabout) directs et intenses – tient à ce qu’elles sont fortement inspirées des comportements de Mame Cheikh Ibra Fall envers Cheikh Ahmadou Bamba. Comme l’écrit Charlotte Pézeril, " le cas de Mame Cheikh est intéressant à analyser puisque ce fondateur d’une voie marginale au sein du mouridisme a amplement participé à la formation des normes des mourides " (p.69). Les intéressantes photographies de l’ouvrage (p.79-80) témoignent parfaitement du lien qui unit ces deux personnages, et ce sur un mode binaire : le disciple/le marabout, le boubou noir/le boubou blanc, l’action/la réflexion, etc. Ces représentations iconographiques, omniprésentes dans l’espace public sénégalais, illustrent encore mieux que les mots l’indéfectible lien identitaire des Mourides et des Baay-faal.
Charlotte Pézeril se sort remarquablement de cette difficulté en se fiant à ses nombreuses données empiriques. Elle isole ainsi les différentes pratiques, croyances, cultures matérielles, sans pour autant en annuler leur consubstantialité historique. Mais c’est indéniablement l’insistance portée aux pratiques baay-faal qui constitue l’une des réussites de cette recherche. Comme le souligne l’auteur "une identité communautaire se construit à travers des pratiques collectives spécifiques et à travers l’assignation de sens à ces pratiques" (p.202). Grâce à une riche et, semble-t-il, éprouvante enquête de terrain [1], Charlotte Pézeril parvient à aller au-delà du discours. La démarche ethnographique confère à l’analyse une dimension des plus incarnée et les multiples photographies insérées dans texte renforcent l’impression d’une descente en terrain baay-faal avec l’auteur. En sus, les sources convoquées sont extrêmement nombreuses : récits historiques (glanés et retranscrits par elle), extraits des archives de l’A.O.F ou encore références à divers travaux de chercheurs sur la confrérie (soulignons ici la qualité de la bibliographie), etc. Cette variété fait la force et la pertinence du propos.
La troisième partie de l’ouvrage – la plus longue – rassemble le gros du travail anthropologique effectué par Charlotte Pézeril. La grande qualité de l’ethnographie porte ici incontestablement ses fruits, et notamment les expériences partagées avec les Baay-faal dans différents daara visités, parfaitement restituées. Mérite à souligner car sur le terrain du baay-fallisme, rien n’est simple à comprendre, d’abord et surtout parce que "rien ne s’explique" et que "tout se vit !". Il y est donc passé en revue de manière exhaustive les différentes modes d’organisation, les rapports de forces, les lieux de vies, les logiques de redistribution, les rites, les pratiques socio-religieuses, etc. Tout y est présent, y compris un retour, pourtant des plus délicats, sur la mystique baay-faal. La richesse anthropologique tient ici à ce que l’auteur analyse ce que les observateurs de la confrérie mouride avaient jusqu’ici négligé : les modes de socialisation d’une identité proprement baay-faal.
Charlotte Pézeril se sort remarquablement de cette difficulté en se fiant à ses nombreuses données empiriques. Elle isole ainsi les différentes pratiques, croyances, cultures matérielles, sans pour autant en annuler leur consubstantialité historique. Mais c’est indéniablement l’insistance portée aux pratiques baay-faal qui constitue l’une des réussites de cette recherche. Comme le souligne l’auteur "une identité communautaire se construit à travers des pratiques collectives spécifiques et à travers l’assignation de sens à ces pratiques" (p.202). Grâce à une riche et, semble-t-il, éprouvante enquête de terrain [1], Charlotte Pézeril parvient à aller au-delà du discours. La démarche ethnographique confère à l’analyse une dimension des plus incarnée et les multiples photographies insérées dans texte renforcent l’impression d’une descente en terrain baay-faal avec l’auteur. En sus, les sources convoquées sont extrêmement nombreuses : récits historiques (glanés et retranscrits par elle), extraits des archives de l’A.O.F ou encore références à divers travaux de chercheurs sur la confrérie (soulignons ici la qualité de la bibliographie), etc. Cette variété fait la force et la pertinence du propos.
La troisième partie de l’ouvrage – la plus longue – rassemble le gros du travail anthropologique effectué par Charlotte Pézeril. La grande qualité de l’ethnographie porte ici incontestablement ses fruits, et notamment les expériences partagées avec les Baay-faal dans différents daara visités, parfaitement restituées. Mérite à souligner car sur le terrain du baay-fallisme, rien n’est simple à comprendre, d’abord et surtout parce que "rien ne s’explique" et que "tout se vit !". Il y est donc passé en revue de manière exhaustive les différentes modes d’organisation, les rapports de forces, les lieux de vies, les logiques de redistribution, les rites, les pratiques socio-religieuses, etc. Tout y est présent, y compris un retour, pourtant des plus délicats, sur la mystique baay-faal. La richesse anthropologique tient ici à ce que l’auteur analyse ce que les observateurs de la confrérie mouride avaient jusqu’ici négligé : les modes de socialisation d’une identité proprement baay-faal.
L’inversion de la marginalisation : un acte social par le biais de la religion
C’est véritablement dans la quatrième partie du livre – intitulée " Globalisation, fragmentation et conflits " – que l’auteur peut aller le plus loin. Elle mobilise sa connaissance de la communauté baay fall dans une analyse des évolutions sénégalaises contemporaines pour en conclure que " l’appartenance à la voie baay-faal permet [à ceux qui s’y investissent] une inversion de la marginalisation ", cette dernière étant " érigée en nécessité mystique " (p.302) .
Cette dernière partie ouvre ainsi de très nombreuses pistes de réflexion quant à l’émergence de cette nouvelle identité, en particulier chez les jeunes urbains sénégalais. En procédant de la sorte, Charlotte Pézeril évite un biais récurrent dans les monographies consacrées aux communautés religieuses : les Baay-faal étudié(e)s ne sont pas que des Baay-faal ! Ils sont tous inscrits dans des circuits de solidarité variables (appartenances ethniques, sociales et religieuses) et ont des trajectoires individuelles. Croisant l’expérience religieuse baay-faal avec d’autres types d’expérimentation sociale – la migration (pp.223-228), la réussite mouride (pp.228-233), l’urbanisation le célibat et la drogue (pp.246-249), les processus d’individualisation (pp.254-259 et 278-282 et 294-297), la monétarisation des rapports sociaux et les " tensions matérialistes " (pp.259-262) – elle parvient à saisir et à situer les acteurs dans une intelligibilité sociale qui dépasse largement le seul baay-fallisme.
Ceci illustre combien la doctrine de la mystique reste insuffisante pour comprendre le succès actuel des Baay-faal et nous en dit moins que les renégociations des rapports de force entre les individus et leurs environnements sociaux (famille, communauté, nation…) pour appréhender l’engouement de certains Sénégalais pour le mouvement. " L’essor des conversions Baay-faal rend donc compte, dans certains cas, [écrit Pérezil] de la volonté grandissante d’acquérir une plus grande autonomie par rapport à la famille et aux liens considérés contraignants et ensuite, de revendiquer des liens de dette choisis et non plus imposés " (p.261). Sans nier la dimension communautaire de l’engagement – " l’insertion dans la voie Baay-faal est toujours une soumission du soi à des liens communautaires " (p.261) – l’auteur insiste sur la tension entre soumission et émancipation qui rappelle la notion d’" assujettissement-affranchissant " (p.254).
Si Pézeril confirme que " l’évolution la plus décisive réside dans la revendication libertaire […] rend[ant] compte, dans une certaine mesure, des dynamiques d’individualisation qui traverse la société sénégalaise " (p.299) , c’est pour immédiatement relativiser ce constat en rappelant que " ces dynamiques individualistes n’ont […] sonné le glas […] ni de la soumission au groupe ni du respect de la hiérarchie religieuse " (p.299). Selon l’auteur, si ces " revendications libertaires " peuvent s’observer chez certains Baay-faal, notoirement les plus visibles (qui sont souvent des convertis), ce n’est pas là la posture la plus commune. Elle en conclut que " c’est probablement pourquoi les Baay-faal les plus visibles sont aussi les plus marginalisés (dans la société et la communauté) " (p.299).
Cette dernière remarque atteste de l’attention portée par Charlotte Pézeril à rendre compte de la communauté Baay-faal dans toute sa diversité et complexité : " un balayage à 360° de cette communauté " écrit Jean Copans dans la préface de l’ouvrage. À cette fin toujours, l’auteur établit une typologie à quatre entrées : le baayfallisme traditionnel, le virtuose-mystique, le partiel-distancié, et le stratégique-symbolique. Malgré les limites propres à l’exercice, ces catégories fonctionnent parfaitement, couvrant le large spectre des comportements des membres de la communauté.
Le mérite de l’analyse de Charlotte Pézeril ne s’arrête pas là puisque dans cette dernière partie elle parvient également à saisir à la fois le haut et le bas de la confrérie, en s’intéressant autant aux intrigues familiales au sein des différentes branches de la famille Fall, qu’au simple taalibe (disciple) ayant passé vingt ans de sa vie au service de son marabout dans les champs du daara. Par là, l’auteur montre bien que l’émergence d’une identité contemporaine se réalise par l’articulation de ces deux niveaux.
Cette dernière partie ouvre ainsi de très nombreuses pistes de réflexion quant à l’émergence de cette nouvelle identité, en particulier chez les jeunes urbains sénégalais. En procédant de la sorte, Charlotte Pézeril évite un biais récurrent dans les monographies consacrées aux communautés religieuses : les Baay-faal étudié(e)s ne sont pas que des Baay-faal ! Ils sont tous inscrits dans des circuits de solidarité variables (appartenances ethniques, sociales et religieuses) et ont des trajectoires individuelles. Croisant l’expérience religieuse baay-faal avec d’autres types d’expérimentation sociale – la migration (pp.223-228), la réussite mouride (pp.228-233), l’urbanisation le célibat et la drogue (pp.246-249), les processus d’individualisation (pp.254-259 et 278-282 et 294-297), la monétarisation des rapports sociaux et les " tensions matérialistes " (pp.259-262) – elle parvient à saisir et à situer les acteurs dans une intelligibilité sociale qui dépasse largement le seul baay-fallisme.
Ceci illustre combien la doctrine de la mystique reste insuffisante pour comprendre le succès actuel des Baay-faal et nous en dit moins que les renégociations des rapports de force entre les individus et leurs environnements sociaux (famille, communauté, nation…) pour appréhender l’engouement de certains Sénégalais pour le mouvement. " L’essor des conversions Baay-faal rend donc compte, dans certains cas, [écrit Pérezil] de la volonté grandissante d’acquérir une plus grande autonomie par rapport à la famille et aux liens considérés contraignants et ensuite, de revendiquer des liens de dette choisis et non plus imposés " (p.261). Sans nier la dimension communautaire de l’engagement – " l’insertion dans la voie Baay-faal est toujours une soumission du soi à des liens communautaires " (p.261) – l’auteur insiste sur la tension entre soumission et émancipation qui rappelle la notion d’" assujettissement-affranchissant " (p.254).
Si Pézeril confirme que " l’évolution la plus décisive réside dans la revendication libertaire […] rend[ant] compte, dans une certaine mesure, des dynamiques d’individualisation qui traverse la société sénégalaise " (p.299) , c’est pour immédiatement relativiser ce constat en rappelant que " ces dynamiques individualistes n’ont […] sonné le glas […] ni de la soumission au groupe ni du respect de la hiérarchie religieuse " (p.299). Selon l’auteur, si ces " revendications libertaires " peuvent s’observer chez certains Baay-faal, notoirement les plus visibles (qui sont souvent des convertis), ce n’est pas là la posture la plus commune. Elle en conclut que " c’est probablement pourquoi les Baay-faal les plus visibles sont aussi les plus marginalisés (dans la société et la communauté) " (p.299).
Cette dernière remarque atteste de l’attention portée par Charlotte Pézeril à rendre compte de la communauté Baay-faal dans toute sa diversité et complexité : " un balayage à 360° de cette communauté " écrit Jean Copans dans la préface de l’ouvrage. À cette fin toujours, l’auteur établit une typologie à quatre entrées : le baayfallisme traditionnel, le virtuose-mystique, le partiel-distancié, et le stratégique-symbolique. Malgré les limites propres à l’exercice, ces catégories fonctionnent parfaitement, couvrant le large spectre des comportements des membres de la communauté.
Le mérite de l’analyse de Charlotte Pézeril ne s’arrête pas là puisque dans cette dernière partie elle parvient également à saisir à la fois le haut et le bas de la confrérie, en s’intéressant autant aux intrigues familiales au sein des différentes branches de la famille Fall, qu’au simple taalibe (disciple) ayant passé vingt ans de sa vie au service de son marabout dans les champs du daara. Par là, l’auteur montre bien que l’émergence d’une identité contemporaine se réalise par l’articulation de ces deux niveaux.
Un regard inédit sur les Baay-faal et la société sénégalaise
Après avoir démontré le rôle historique joué par la marginalisation religieuse dans la construction de l’identité mystique Baay-faal, Charlotte Pézeril montre bien comment aujourd’hui certains individus investissent cette identité religieuse pour contrecarrer leur marginalisation sociale et chercher une nouvelle légitimité : " être un soldat et un gardien du mouridisme et un gore Yalla, un homme de Dieu ". Ils cultivent ainsi " une certaine estime de soi et la reconnaissance de [leurs] confrères " (p.302) qui les installent dans un rôle social et leur permet de jouir ensuite d’une certaine autonomie d’action.
Avec Islam, mysticisme et marginalité, Charlotte Pézeril ouvre la porte de la (re)connaissance scientifique de la communauté Baay-faal et aborde l’histoire du Sénégal par un angle inédit. La démarche est assez rare et fait peut-être de ce livre une lecture indispensable à toute personne intéressée de près ou de loin par la société sénégalaise et par les mouvements religieux en Afrique et ailleurs
Avec Islam, mysticisme et marginalité, Charlotte Pézeril ouvre la porte de la (re)connaissance scientifique de la communauté Baay-faal et aborde l’histoire du Sénégal par un angle inédit. La démarche est assez rare et fait peut-être de ce livre une lecture indispensable à toute personne intéressée de près ou de loin par la société sénégalaise et par les mouvements religieux en Afrique et ailleurs
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[1] Voir la partie 1 intitulée "Les vicissitudes du travail de terrain" pp.31-48
[1] Voir la partie 1 intitulée "Les vicissitudes du travail de terrain" pp.31-48