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Samedi 22 Avril 2017

Lettre (fictive) de Camus à un jeune radicalisé (Le Devoir)


Deux fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés de philosophie et d’histoire des idées le défi de décrypter une question d’actualité à partir des thèses d’un penseur marquant.



Illustration: Tiffet. Albert Camus est né en Algérie de descendants européens.
Illustration: Tiffet. Albert Camus est né en Algérie de descendants européens.


Publié le 15 avril 2017

Deux fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés de philosophie et d’histoire des idées le défi de décrypter une question d’actualité à partir des thèses d’un penseur marquant.

Alors, comme ça, tu t’es trouvé une cause. À moins que ce ne soit cette cause qui t’ait trouvé. Tu te sens mal. C’est insupportable. Tu es révolté. Ça ne peut pas durer. Tu veux mettre fin à l’injustice. En tout cas, ne pas te croiser les bras pendant que tes frères et soeurs sont tués ailleurs. Tu as « compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre », comme je l’ai écrit dans ma pièce Les justes.
 
Tu te situes entre deux mondes. Tu ne te sens pas à l’aise. Tes parents ont immigré ici. Ils ont trimé dur. Ils se sont adaptés comme ils ont pu. De bonne ou de mauvaise grâce, ils se sont tus. Ils n’allaient pas mordre la main qui les a nourris.
 
Mais toi, qui es-tu ? Es-tu eux ? Es-tu nous ? Chaque geste, chaque regard, chaque politique dénigrant la culture que tes parents t’ont transmise te mettent hors de toi. La discrimination en tout genre, pas toujours subtile, tu la ressens constamment. Pas besoin d’être opprimé soi-même pour se sentir solidaire des autres opprimés. L’Occident, les Américains et même ton pays d’adoption bafouent tes origines. Leurs bombes tuent aveuglément. Elles détruisent les écoles et les hôpitaux. Tes semblables sont traités comme des sous-hommes.

Photo: Source René Bolduc L’auteur, René Bolduc, est professeur de philosophie au cégep Garneau.
Photo: Source René Bolduc L’auteur, René Bolduc, est professeur de philosophie au cégep Garneau.
Il ne s’agit donc pas que de toi. Même si tu es en quête de sens personnel et que tu vis une crise, ta cause se veut noble, elle dépasse ton ego. Se radicaliser ne représente pas un problème en soi. Après tout, c’est bien de cette manière qu’ont agi Gandhi et Martin Luther King. Mais là, tu te sens prêt à tuer. Le meurtre, pour toi, devient logique. Le groupe État islamique t’offre une occasion d’humanitarisme radical. « Plutôt mourir debout que de vivre à genoux », peux-tu lire dans L’homme révolté.
 
J’ai vécu moi aussi cette double alliance. Je suis né en Algérie de descendants européens. Ma mère est d’origine espagnole, mon père d’origine française. Je suis un pied-noir, un descendant d’Européens venus coloniser l’Algérie. La situation était bien sûr différente ; colonie française, il était bien normal que l’Algérie veuille retrouver son indépendance. J’ai milité en faveur de l’égalité des droits de tous, autant ceux des descendants d’Européens que ceux des Algériens de souche. Je sais, on m’a reproché de n’avoir fait figurer des Arabes qu’en arrière-plan dans mes romans L’étranger et La peste...

Retrouvez la suite de cet article sur le site Le Devoir.

 




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