D'ailleurs, estime-t-il, les acteurs de l'islam politique ont une double contrainte ; ils doivent donner des gages de modernité mais aussi satisfaire leur base conservatrice ; il en est de même en Europe, en France où les acteurs associatifs musulmans se réclament de la laïcité tout en la diabolisant en milieu islamique ; pour eux, les occidentaux seraient à la fois «chrétiens» et de tendance matérialiste ; or laïcité et sécularisme pour eux sont impropres aux musulmans.
Par Christian Lochon
Broché : 158 pages
Editeur : Editions L'Harmattan
Date de parution : 1 janvier 2014
Collection : Bibliothèque de l'iReMMO
Langue : Français
ISBN-10 : 2343022178
Editeur : Editions L'Harmattan
Date de parution : 1 janvier 2014
Collection : Bibliothèque de l'iReMMO
Langue : Français
ISBN-10 : 2343022178
Quatrième de couverture
Cet ouvrage vise à donner au lecteur francophone qui s'intéresse au monde arabe et musulman contemporain des éléments de compréhension globale de l'islamisme. Ne cherchant pas à coller à l'actualité, il se concentre sur l'histoire des idées et des textes qui ont servi de ressources au courant islamiste depuis le milieu du XXe siècle. Cette idéologie n'est accessible et intelligible qu'à la seule condition d'en retracer, de façon aussi critique que rigoureuse, la genèse.
Recension
Monsieur Haoues Seniguer, docteur en science politique, est chargé de cours à l'Institut d’études politiques de Lyon et chercheur associé au laboratoire GREMMO, UMR 5291 également de Lyon ; il a choisi pour un public non spécialisé de rassembler quelques textes relatifs à l'islam politique arabe d'idéologues islamistes, de Frères musulmans et de salafistes d'un côté et d'autres rédigés par des penseurs libéraux comme Ali Abderrazeq, Fouad Zakaria d’Égypte, Mohamed Tozy du Maroc ou Mohamed Chérif Farjani de France.
J'ai eu le plaisir de rencontrer Monsieur Seniguer au Liban où nous étions invités à participer à un colloque organisé par l'Université du Saint-Esprit de Kaslik près de Jounieh en mars 2007 sur la convivialité dans le domaine religieux ; mon jeune collègue était frappé justement de cette convivialité libanaise entre représentants de religions différentes qui s’affronteraient sous d'autres cieux, de cette reconnaissance de l'autre, de cette écoute pour l'autre. Son livre est précisément influencé par ce désir de clarifier ce qui est obscur et est destiné à délégitimer ce qui, dans la religion musulmane, a conduit des radicaux aux excès actuels ; il faut l'en féliciter car il a pris des risques en critiquant l'interprétation abusive de mythes et de traditions sacralisés.
L'auteur rappelle que les termes «islam» et «islamisme» ont été utilisés comme synonymes par les premiers orientalistes, islamisme comme christianisme, islam comme chrétienté ; ainsi des premiers traducteurs français du Coran, André du Ryer (1580-1660), Claude-Etienne Savary (1750-1788) ou le Hongrois Albin de Birbestein Kazimirsky (1808-1887) ; il en a été de même lorsqu'Ernest Renan critiqua les retards infligés à la civilisation arabe par «l'islamisme» et qu'il fut contesté par le réformateur iranien Djemaleddine Al Afghani qui était alors à Paris. D'après Hicham Djaït, l'instrumentalisation de l'islam apparaît dans les techniques politiques dont se servit le prophète réfugié à Médine, à savoir la guerre, la négociation et l'organisation en place ; l'Accord de Médine distingue déjà les croyants (mu'minin) des non-croyants (kuffar). Les salafistes vont idéaliser ce passé et ériger la vie du prophète et de ses compagnons en modèle de vie musulmane.
C'est pourquoi, en toute bonne foi, M. Seniguer s'interroge sur la signification de «Ceux d'entre vous qui détiennent le commandement» («Aoula al amr») cité dans le verset 59 de la sourate IV. Aujourd'hui, ces individus exceptionnels ne seraient que des radicalistes interprétant le Coran le plus étroitement possible ? Pour François Burgat, dont l’auteur paraît apprécier les définitions, « le mouvement islamiste, qui a débuté avec les années 1970, appelle au retour de l'islam en ses sources loin des mythes hérités et de la fixation des traditions» expliquant ainsi pourquoi les Frères musulmans et leurs émules veulent supprimer toutes les confréries et les coutumes locales héritées des religions précédentes (chamanisme de l'islam turc, chiisme adoptant les célébrations des fêtes mazdéennes). De cette façon, l'islamisme, qui entretient la confusion entre le spirituel et le matériel, le religieux et le politique, prétend régler tous les problèmes inhérents à l’État et à la société des musulmans par le biais du droit (fiqh) ; de même que les restrictions imposées naguère aux non-musulmans dans les pays musulmans sont nécessaires à la conservation de l'unité de la société de peur de la «fitna».
Pour les Omeyyades, l'islam devient un moyen de pérenniser un pouvoir familial ; le calife, resté chef des tribus, revendique le statut de chef de la communauté musulmane. L'instrumentalisation du religieux se poursuivra sous les Abbassides en massacrant les dissidents. Les titres d'imam, de commandeur des croyants, de calife, légitimèrent un système monarchique auquel les théologiens donnèrent une cohérence doctrinale. Pourtant le juriste irakien Al Mawardi (974-1058) dans son Éthique du prince et du gouvernement de l’État, que Makram Abbès vient de traduire, délimite bien les fonctions califales qui sont la prospérité du pays, la sécurité des sujets, l’organisation de l'armée et la gestion du trésor ; il n'est pas question d'instaurer une théocratie.
Quant à la justice, si le calife contrôle le pénal, le cadi est plutôt conciliateur et c'est au mufti à rendre les jugements et les fatwas. L'abolition du califat par Mustafa Kemal en 1924 contribuera à ce que les islamistes diffusent un discours religieux hyper normatif contestant les régimes en place sur des bases confessionnelles. Leur conception de l'islam prend un aspect «totaliste, totalisant et holistique». Partant d'une pensée tautologique «l'islam est la solution, donc tout le reste est fausseté», ces idéologues, développant contradictions et ambiguïtés, inventent la théorie d'un complot mondial contre l'islam. Pour Hassan al Banna, fondateur des Frères musulmans «l'islam ne se limite pas aux formes du culte ou aux conditions spirituelles» ; les musulmans doivent dans une maturation militante s'engager politiquement au nom de l'islam. Chérif Farjani souligne que «les Frères musulmans ont un caractère totalitaire, préfigurant la politique des Taliban» ; leur action politique en Égypte a montré qu'ils contrôlaient la conduite des fonctionnaires, interdisaient la mixité et rétablissaient la police religieuse, ce que n'a pas manqué de faire Ghannouchi en Tunisie, entraînant une forte contestation.
Mais, d'une façon générale, dans les monarchies et les républiques arabes, le religieux est facteur de sacralisation du pouvoir politique, comme le dit Malika Zghal «Les nationalistes arabes politisent l'islam comme les islamistes». Le penseur patenté de la chaîne de télévision Al Jezirah, l'Egyptien Youssef Al Qaradawi, auquel le Qatar a offert sa deuxième nationalité, préside depuis 1961 l'Union mondiale des ulémas ; il est membre du Conseil européen pour la recherche et les fatwas de Dublin et le conseiller écouté de l'Union des organisations islamiques de France, très conservatrice.
Il est chargé de promouvoir le rattachement-de l'islam politique au salafisme ; il s'emploie à canaliser toute l'activité populaire collective en vue de revenir par l'islam à la direction de la société pour orienter toute la vie. Pour lui, «la femme doit privilégier l'entretien de la maison plutôt que d'être dans la rue, s'acquitter des devoirs avant de réclamer des droits» (sic).
Luttant contre cette défense de concepts archaïques, le penseur marocain Abdallah Balqziz veut promouvoir un «État civique» (madani) à la place d'un Etat religieux (dini) ; le Pr. Mohamed Tozy souhaite la légitimation d'un système politique articulé par un discours historiciste réinterprétant la doctrine islamique d'un pouvoir normalisant. L'ancien ministre des Affaires étrangères, Saadeddine Al Osmani, rappelle que chez Mohamed, toute parole ou action ne tombait pas toujours sous le sceau de l'infaillibilité ; donc, chez les ulémas, il en est de même ; le Pr. égyptien si regretté Nasr Abou Zeyd avait, dans sa Critique du discours religieux (Sindbad 1991), expliqué ces dérives : «La création de l’État d'Israël a remis en scène un langage religieux engagé, la sclérose séculaire de la pensée religieuse».
L'auteur ne nie pas que les problèmes essentiels dans le monde musulman demeurent les droits de l'homme et de la femme, les inégalités de l'héritage, les châtiments corporels et la non-liberté de conscience (apostasie criminalisée). Rappelant le positionnement ambigu de Tarik Ramadan sur la lapidation et les châtiments corporels, il lui reproche son manque de courage. D'ailleurs, estime-t-il, les acteurs de l'islam politique ont une double contrainte ; ils doivent donner des gages de modernité mais aussi satisfaire leur base conservatrice ; il en est de même en Europe, en France où les acteurs associatifs musulmans se réclament de la laïcité tout en la diabolisant en milieu islamique ; pour eux, les occidentaux seraient à la fois «chrétiens» et de tendance matérialiste ; or laïcité et sécularisme pour eux sont impropres aux musulmans.
Monsieur Seniguer nous fait ainsi réfléchir sur des concepts que, de part et d'autre, on aurait tendance à traiter de manière manichéenne ; il faut le remercier vivement pour ses prises de position courageuses et sa connaissance de données sensibles. Il voudra simplement reconnaître que les éminents chercheurs Bruno Etienne (1937-2011) et B. Badie (né en 1950) n'ont pas opéré «au début du XXe siècle» (page 24).
J'ai eu le plaisir de rencontrer Monsieur Seniguer au Liban où nous étions invités à participer à un colloque organisé par l'Université du Saint-Esprit de Kaslik près de Jounieh en mars 2007 sur la convivialité dans le domaine religieux ; mon jeune collègue était frappé justement de cette convivialité libanaise entre représentants de religions différentes qui s’affronteraient sous d'autres cieux, de cette reconnaissance de l'autre, de cette écoute pour l'autre. Son livre est précisément influencé par ce désir de clarifier ce qui est obscur et est destiné à délégitimer ce qui, dans la religion musulmane, a conduit des radicaux aux excès actuels ; il faut l'en féliciter car il a pris des risques en critiquant l'interprétation abusive de mythes et de traditions sacralisés.
L'auteur rappelle que les termes «islam» et «islamisme» ont été utilisés comme synonymes par les premiers orientalistes, islamisme comme christianisme, islam comme chrétienté ; ainsi des premiers traducteurs français du Coran, André du Ryer (1580-1660), Claude-Etienne Savary (1750-1788) ou le Hongrois Albin de Birbestein Kazimirsky (1808-1887) ; il en a été de même lorsqu'Ernest Renan critiqua les retards infligés à la civilisation arabe par «l'islamisme» et qu'il fut contesté par le réformateur iranien Djemaleddine Al Afghani qui était alors à Paris. D'après Hicham Djaït, l'instrumentalisation de l'islam apparaît dans les techniques politiques dont se servit le prophète réfugié à Médine, à savoir la guerre, la négociation et l'organisation en place ; l'Accord de Médine distingue déjà les croyants (mu'minin) des non-croyants (kuffar). Les salafistes vont idéaliser ce passé et ériger la vie du prophète et de ses compagnons en modèle de vie musulmane.
C'est pourquoi, en toute bonne foi, M. Seniguer s'interroge sur la signification de «Ceux d'entre vous qui détiennent le commandement» («Aoula al amr») cité dans le verset 59 de la sourate IV. Aujourd'hui, ces individus exceptionnels ne seraient que des radicalistes interprétant le Coran le plus étroitement possible ? Pour François Burgat, dont l’auteur paraît apprécier les définitions, « le mouvement islamiste, qui a débuté avec les années 1970, appelle au retour de l'islam en ses sources loin des mythes hérités et de la fixation des traditions» expliquant ainsi pourquoi les Frères musulmans et leurs émules veulent supprimer toutes les confréries et les coutumes locales héritées des religions précédentes (chamanisme de l'islam turc, chiisme adoptant les célébrations des fêtes mazdéennes). De cette façon, l'islamisme, qui entretient la confusion entre le spirituel et le matériel, le religieux et le politique, prétend régler tous les problèmes inhérents à l’État et à la société des musulmans par le biais du droit (fiqh) ; de même que les restrictions imposées naguère aux non-musulmans dans les pays musulmans sont nécessaires à la conservation de l'unité de la société de peur de la «fitna».
Pour les Omeyyades, l'islam devient un moyen de pérenniser un pouvoir familial ; le calife, resté chef des tribus, revendique le statut de chef de la communauté musulmane. L'instrumentalisation du religieux se poursuivra sous les Abbassides en massacrant les dissidents. Les titres d'imam, de commandeur des croyants, de calife, légitimèrent un système monarchique auquel les théologiens donnèrent une cohérence doctrinale. Pourtant le juriste irakien Al Mawardi (974-1058) dans son Éthique du prince et du gouvernement de l’État, que Makram Abbès vient de traduire, délimite bien les fonctions califales qui sont la prospérité du pays, la sécurité des sujets, l’organisation de l'armée et la gestion du trésor ; il n'est pas question d'instaurer une théocratie.
Quant à la justice, si le calife contrôle le pénal, le cadi est plutôt conciliateur et c'est au mufti à rendre les jugements et les fatwas. L'abolition du califat par Mustafa Kemal en 1924 contribuera à ce que les islamistes diffusent un discours religieux hyper normatif contestant les régimes en place sur des bases confessionnelles. Leur conception de l'islam prend un aspect «totaliste, totalisant et holistique». Partant d'une pensée tautologique «l'islam est la solution, donc tout le reste est fausseté», ces idéologues, développant contradictions et ambiguïtés, inventent la théorie d'un complot mondial contre l'islam. Pour Hassan al Banna, fondateur des Frères musulmans «l'islam ne se limite pas aux formes du culte ou aux conditions spirituelles» ; les musulmans doivent dans une maturation militante s'engager politiquement au nom de l'islam. Chérif Farjani souligne que «les Frères musulmans ont un caractère totalitaire, préfigurant la politique des Taliban» ; leur action politique en Égypte a montré qu'ils contrôlaient la conduite des fonctionnaires, interdisaient la mixité et rétablissaient la police religieuse, ce que n'a pas manqué de faire Ghannouchi en Tunisie, entraînant une forte contestation.
Mais, d'une façon générale, dans les monarchies et les républiques arabes, le religieux est facteur de sacralisation du pouvoir politique, comme le dit Malika Zghal «Les nationalistes arabes politisent l'islam comme les islamistes». Le penseur patenté de la chaîne de télévision Al Jezirah, l'Egyptien Youssef Al Qaradawi, auquel le Qatar a offert sa deuxième nationalité, préside depuis 1961 l'Union mondiale des ulémas ; il est membre du Conseil européen pour la recherche et les fatwas de Dublin et le conseiller écouté de l'Union des organisations islamiques de France, très conservatrice.
Il est chargé de promouvoir le rattachement-de l'islam politique au salafisme ; il s'emploie à canaliser toute l'activité populaire collective en vue de revenir par l'islam à la direction de la société pour orienter toute la vie. Pour lui, «la femme doit privilégier l'entretien de la maison plutôt que d'être dans la rue, s'acquitter des devoirs avant de réclamer des droits» (sic).
Luttant contre cette défense de concepts archaïques, le penseur marocain Abdallah Balqziz veut promouvoir un «État civique» (madani) à la place d'un Etat religieux (dini) ; le Pr. Mohamed Tozy souhaite la légitimation d'un système politique articulé par un discours historiciste réinterprétant la doctrine islamique d'un pouvoir normalisant. L'ancien ministre des Affaires étrangères, Saadeddine Al Osmani, rappelle que chez Mohamed, toute parole ou action ne tombait pas toujours sous le sceau de l'infaillibilité ; donc, chez les ulémas, il en est de même ; le Pr. égyptien si regretté Nasr Abou Zeyd avait, dans sa Critique du discours religieux (Sindbad 1991), expliqué ces dérives : «La création de l’État d'Israël a remis en scène un langage religieux engagé, la sclérose séculaire de la pensée religieuse».
L'auteur ne nie pas que les problèmes essentiels dans le monde musulman demeurent les droits de l'homme et de la femme, les inégalités de l'héritage, les châtiments corporels et la non-liberté de conscience (apostasie criminalisée). Rappelant le positionnement ambigu de Tarik Ramadan sur la lapidation et les châtiments corporels, il lui reproche son manque de courage. D'ailleurs, estime-t-il, les acteurs de l'islam politique ont une double contrainte ; ils doivent donner des gages de modernité mais aussi satisfaire leur base conservatrice ; il en est de même en Europe, en France où les acteurs associatifs musulmans se réclament de la laïcité tout en la diabolisant en milieu islamique ; pour eux, les occidentaux seraient à la fois «chrétiens» et de tendance matérialiste ; or laïcité et sécularisme pour eux sont impropres aux musulmans.
Monsieur Seniguer nous fait ainsi réfléchir sur des concepts que, de part et d'autre, on aurait tendance à traiter de manière manichéenne ; il faut le remercier vivement pour ses prises de position courageuses et sa connaissance de données sensibles. Il voudra simplement reconnaître que les éminents chercheurs Bruno Etienne (1937-2011) et B. Badie (né en 1950) n'ont pas opéré «au début du XXe siècle» (page 24).