Bondy Blog
14 décembre 2016
Chirurgien obstétricien, ancien chef de clinique à Paris VII, responsable de formation auprès de l’ONG, UOSSM (Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux), Zouhair Lahna a effectué plusieurs missions humanitaires en Syrie ces trois dernières dans la région d’Idlib et Alep. Sa dernière mission remonte à octobre 2016.
Alep est devenue malgré elle, le symbole du martyr d’une population, et aussi de résistance. Cette ville, qui a longtemps échappé aux troubles qu’a connus la Syrie depuis 2011, est entrée en insurrection pour se diviser au fil du temps en Alep-Est, des quartiers pauvres aux mains des rebelles, et Alep-Ouest des quartiers résidentiels aux mains du régime de Damas.
Quand j’y suis allé il y a un an par la seule voie qui pouvait la pénétrer, la voie dite du Castello (du nom d’un célèbre restaurant situé à l’ouest de la ville et où les Alépins avaient l’habitude d’aller en famille le week-end), il y avait une accalmie relative. J’ai pu travailler dans l’hôpital Omar Bin AbdelAziz, manger dans un restaurant et même assister au mariage d’un infirmier dans la vieille ville. C’est que la vie continue malgré la guerre, surtout si cette dernière dure. Alep-Est est sous administration de plusieurs factions armées, de l’armée libre au Front Al Nosra devenu Front du Sham depuis que ses dirigeants ont déclaré avoir coupé toute relation avec Al Qaïda. Bien évidemment, personne ne souhaite les croire. Pire, les factions ne sont pas aidées de peur que les armes tombent entre des mains indésirables. La route du Castello n’est plus praticable depuis des mois et Alep-Est est devenue assiégée avec ses 250 000 habitants et ses maigres ressources et moyens de défense. Des combattants de la province d’Idlib ont essayé de lever le siège par deux fois mais ce fut un échec avec bien évidemment une perte importante d’hommes.
Ce que décrivent les rescapés des prisons dépasse l’entendement…
J’étais en Turquie le mois dernier pour un premier congrès pour l’enseignement de la santé et la formation continue où j’y ai rencontré quelques chirurgiens d’Alep. Ils étaient dépités. Ils étaient à l’intérieur et sont sortis lors de la brève levée du siège pour voir leurs familles en Turquie, mais ils n’ont pas pu revenir puisque la route du Castello a été reprise par les combattants kurdes du PYD, un cousin du PKK. Dans le jeu d’échecs syrien, les combattants kurdes se sont alliés au régime afin d’obtenir l’indépendance de leur territoire au nord du pays. Et on peut voir dans leurs villes libérées comme Kobané ou Qamichli les portraits gigantesques aussi bien d’Assad que d’Öcalan.
A Alep-Est, les habitants qui restent sont soumis à un déluge de feu par épisode afin de faire céder les résistants assiégés. Comme au Moyen-âge, les missiles en plus ! Le régime se fait aider par les milices chiites venues aussi bien d’Iran, que d’Afghanistan et du Hezbollah libanais, ce qui canalise le conflit vers une guerre confessionnelle intra-musulmane entre chiites et sunnites. D’ailleurs, les mêmes combattent aux côtés de l’armée irakienne principalement composée de chiites à Mousoul. Ce scénario ne présage rien de bon, non pas pour les années, mais pour les décennies à venir.
Quand on vit quelque temps avec les Syriens, on comprend pourquoi ils se battent et résistent avec cette acuité : ils ne peuvent plus vivre sous un régime dont ils connaissent que trop bien la brutalité et les moyens de torture. Ce que décrivent les rescapés des prisons dépasse l’entendement… Au téléphone, mon amie, collègue et élève, Farida, a la voix tremblante mais ferme. C’est la seule gynécologue dans cette partie de la ville et ce, depuis longtemps. Elle n’a pas pu quitter ses patientes ni son hôpital jusqu’à sa destruction complète. Elle me dit que les bombes pleuvent autour de sa maison, qu’elle a encore un peu de nourriture dans sa taverne (riz, lentilles, fruits secs …) mais les prix se sont envolés. Parce que la guerre n’engendre pas que des combattants de la liberté et des résistants mais également des profiteurs et des marchands véreux. Quant à la question, “comment fait-on pour tenir ?”, elle répond seulement qu’il faut de la foi en Dieu, beaucoup de foi pour ne pas tomber dans la dépression. Certains de ses collègues commencent à perdre la raison ; elle a été obligée de prescrire des antidépresseurs à ses patientes enceintes, mais elle ne le fait plus, parce qu’il n’y en a plus dans Alep-Est étranglée…
Les douze hôpitaux d’Alep-Est ont été détruits méthodiquement
Ensuite, il y a eu l’offensive déséquilibrée avec avions et artillerie russe d’une part et des milices chiites gonflées à bloc d’autre part. Parce que le combat pour la démocratie, la dignité et la liberté est devenu un combat de religion et d’intérêt. Les habitants ont du fuir...
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