« Cette enquête, basée sur les écrits des cadres du Mouvement du jihad islamique en Palestine (MJIP) et des entretiens avec de nombreux militants, permet de mieux saisir l’émergence et l’action de ce parti politique à l’idéologie hybride, puisqu’à la fois anticolonialiste, nationaliste et islamiste. Pour le dire dans les termes du MJIP : « L’islam comme base, le jihad comme moyen et la libération de la Palestine comme but »Michaël Séguin
Les Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique . Contenu sous Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Broché: 250 pages
Editeur : La Découverte (2 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2707177814
Quatrième de couverture
Moins connu que le Fatah ou le Hamas, le Mouvement du Jihad islamique palestinien (MJIP) est un acteur central de la scène politique palestinienne. Retraçant l'histoire du mouvement depuis les années 1970, les auteurs montrent comment une poignée de jeunes intellectuels ont mobilisé des référents à première vue incompatibles, le nationalisme et l'islamisme, pour les mettre au service de la cause palestinienne. Ce faisant, ils racontent une histoire souterraine du mouvement national palestinien, où les cadres habituels, qui opposent trop souvent les chiites aux sunnites et les laïcs aux islamistes, s'effacent au profit d'une lecture originale des relations entre la gauche révolutionnaire et l'islam politique.
La trajectoire de cet « islamisme paradoxal » offre de nouvelles perspectives sur le monde arabe et musulman. Car l'histoire du MJIP est aussi celle d'un réseau transnational qui relie les Territoires palestiniens, l'Égypte, la Syrie, l'Irak, le Liban, etc. Ces nouveaux éclairages nous plongent au cœur des plus récents événements qui secouent la région : les opérations militaires à Gaza et au Liban, les affrontements entre le Hamas et le Fatah, les tensions entre l'Iran et les pays du Golfe, les divisions autour de la crise en Syrie...
Grâce à leur connaissance intime de la région, les auteurs ont mené une vaste enquête de terrain leur permettant de recueillir de nombreux témoignages inédits. Et d'offrir un autre regard sur la Palestine et le Proche-Orient.
Wissam Alhaj est journaliste indépendant. Palestinien installé à Paris, il collabore à différents médias arabophones et francophones.
Nicolas Dot-Pouillard, titulaire d'un doctorat de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est chercheur à l'Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Beyrouth (Liban). Il est l'auteur de Tunisie. La révolution et ses passés (Iremmo/L'Harmattan, 2013). Eugénie Rébillard est agrégée d'arabe et doctorante en histoire à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Directeur de recherche au CNRS, Olivier Roy est un des meilleurs spécialistes mondiaux de l'islam politique.
À l’heure où les groupes se réclamant de l’islam politique sont le plus souvent pris pour du pareil au même, où « islamisme » devient synonyme de terrorisme, parfois même d’islam tout court, ce livre vient rappeler à partir du cas du Mouvement du jihad islamique en Palestine (MJIP) que tel n’est pas le cas. Comme l’écrivent Alhaj, Dot-Pouillard et Rébillard en introduction, « [c]e terme flou renvoie pourtant à des phénomènes extrêmement disparates et englobe de façon artificielle des groupes aussi différents que les cellules armées se revendiquant d’Al-Qaïda, les Frères musulmans d’Égypte ou le Hezbollah libanais » (p. 15). Mais où se situe le Jihad islamique, qu’Israël comme les États-Unis dépeignent comme le double d’Al-Qaïda ?
À la fois convergence du nationalisme, donc d’une lutte de libération nationale, et de l’islamisme, donc d’un projet d’islamisation de la société, ce parti n’a rien à voir avec l’islam déterritorialisé d’internationales jihadistes comme Al-Qaïda ou Daech. Aujourd’hui la troisième force politique en importance dans les territoires palestiniens aux côtés du Fatah et du Hamas, ce parti est le résultat d’une trajectoire politique singulière, celle du peuple palestinien, et s’intéresse à un territoire précis, celui de la Palestine. Or, malgré son importance au sein de la politique palestinienne, peu de travaux adoptant un point de vue non sioniste ont été réalisés à son égard jusqu’ici. Cette enquête, basée sur les écrits des cadres du MJIP et des entretiens avec de nombreux militants, permet de mieux saisir l’émergence et l’action de ce parti politique à l’idéologie hybride, puisqu’à la fois anticolonialiste, nationaliste et islamiste. Pour le dire dans les termes du MJIP : « L’islam comme base, le jihad comme moyen et la libération de la Palestine comme but » (p. 23).
Chaque chapitre couvre une décennie. Le chapitre 1 (« Un islamisme tiers-mondiste ») porte sur les racines idéologiques du MJIP et son émergence en Égypte, sous la forme des avant-gardes islamiques, au sein d’un groupe d’étudiants palestiniens dans les années 1970. Quoique profondément marqué par l’histoire palestinienne (notamment par la figure iconique d’Al-Qassam), le MJIP se réclame d’une double filiation idéologique : l’anticolonialisme tiers-mondiste (Shariati, Bennabi, etc.) et l’islam politique des Frères musulmans (Al-Banna, Qutb, etc.). C’est pour remédier aux insuffisances des deux courants (un nationalisme sans islam, un islam sans nationalisme), dans la foulée des espoirs engendrés par la révolution islamique iranienne, que se rassemblent les intellectuels à l’origine du MJIP. Bien que sunnite dès ses débuts, le groupe en appelle au transconfessionnalisme, soit au dépassement des divisions entre sunnites et chiites.
Le chapitre 2 (« La plume et le fusil ») retrace l’implantation graduelle du MJIP à Gaza dans les années 1980, notamment dans les mosquées et universités, et ses premiers engagements militaires sous la forme d’un réseau de groupes militants. Deux événements contribuent à son essor. Survient d’abord l’arrestation de plusieurs de ses cadres par Israël en 1983, ce qui permet paradoxalement au MJIP de recruter en prison de nouveaux membres, dotés d’une expérience militaire. Survient ensuite l’alliance avec une branche armée islamisante issue du Fatah, les Brigades du jihad islamique. Ensemble, ces deux groupes conviennent après l’expulsion de l’OLP du Liban de recentrer la lutte armée sur le territoire d’Israël-Palestine, ce qui conduira aux premières attaques de soldats israéliens dans les territoires occupés, et éventuellement à la première intifada en 1987.
Le chapitre 3 (« Entre islamisme et nationalisme : l’émergence d’une troisième voie ? ») donne à voir l’engagement militaire de plus en plus radical du groupe et sa formation officielle, quoique clandestine, comme « parti politique » en 1992. Rejetant vocalement la solution à deux États et les négociations entre l’OLP et Israël, le MJIP accélère les attaques contre Israël, jusqu’à adhérer à la stratégie des attentats suicides en 1995. S’efface alors toute frontière entre civils et militaires, la société israélienne entière devenant une cible militaire. Réprimé tant par Israël que par l’Autorité palestinienne (son principal fondateur, Fathi Shiqaqi est assassiné par le Mossad en 1995), le MJIP n’en dénonce pas moins les accords de paix considérés comme un marché de dupes (plusieurs Palestiniens, dont Edward Saïd, soutiennent d’ailleurs cette position).
Le chapitre 4 (« Au temps des nouveaux soulèvements ») retrace l’implication du MJIP dans la seconde intifada, la politique palestinienne contemporaine et la guerre civile syrienne. Ainsi, le Jihad n’hésite pas à s’allier aux branches armées du Fatah et du FPLP pour mener des dizaines d’opérations suicides entre 2000 et 2004, des groupes pourtant d’ordinaire étiquetés « séculiers ». Avec le retrait des colons de Gaza, le MJIP adopte le tir de roquettes comme stratégie, développant une coordination de plus en plus poussée avec le Hamas. Lorsqu’éclate la guerre civile entre le Fatah et le Hamas en 2007, le mouvement tente de les réconcilier. Le même scénario se reproduit lors de la crise syrienne, suivant l’idée que « la force des armes peut être utilisée contre les forces occupantes, qu’elles soient israéliennes ou américaines, mais elle ne saurait être utilisée entre les Arabes eux-mêmes » (p. 18-19).
En somme, bien qu’un peu technique par moments, ce livre est à lire pour quiconque désire mieux saisir le développement idéologique et pratique d’un groupe armé, né d’une injustice historique (le triomphe du colonialisme israélien en 1948) et prenant l’islam comme moteur idéologique. Il est particulièrement fascinant de voir comment un tel groupe articule son idéologie à partir de sources très diverses (sunnisme, chiisme, nationalisme, anticolonialisme, etc.) dans le but de définir un objectif de libération nationale en soi très peu religieux. Tout aussi intéressant est le constat de l’alternance du MJIP entre l’intransigeance totale face à Israël et la très grande conciliation entre les groupes palestiniens en conflit. Ces faits permettent de fracasser les images trop simplistes du MJIP, souvent le fait de travaux israéliens et américains.
On peut toutefois émettre deux critiques aux auteurs. D’une part, bien que la bibliographie de l’ouvrage soit considérable (plus de 240 notes), l’échantillon n’est pas du tout explicité, ce qui permet mal de saisir réellement sur qui ils se fondent pour écrire leur histoire, hormis quelques cadres bien identifiés et des membres anonymes du MJIP. D’autre part le titre principal, De la théologie à la libération ?, qui n’est pas sans évoquer la théologie de la libération chrétienne latino-américaine, est trompeur dans la mesure où le pari du MJIP est justement, dès ses débuts, de réarticuler la théologie au service de la libération de la Palestine. Néanmoins, ce livre permet de bien saisir depuis la marge la politique palestinienne, et en particulier sa résistance armée.
À la fois convergence du nationalisme, donc d’une lutte de libération nationale, et de l’islamisme, donc d’un projet d’islamisation de la société, ce parti n’a rien à voir avec l’islam déterritorialisé d’internationales jihadistes comme Al-Qaïda ou Daech. Aujourd’hui la troisième force politique en importance dans les territoires palestiniens aux côtés du Fatah et du Hamas, ce parti est le résultat d’une trajectoire politique singulière, celle du peuple palestinien, et s’intéresse à un territoire précis, celui de la Palestine. Or, malgré son importance au sein de la politique palestinienne, peu de travaux adoptant un point de vue non sioniste ont été réalisés à son égard jusqu’ici. Cette enquête, basée sur les écrits des cadres du MJIP et des entretiens avec de nombreux militants, permet de mieux saisir l’émergence et l’action de ce parti politique à l’idéologie hybride, puisqu’à la fois anticolonialiste, nationaliste et islamiste. Pour le dire dans les termes du MJIP : « L’islam comme base, le jihad comme moyen et la libération de la Palestine comme but » (p. 23).
Chaque chapitre couvre une décennie. Le chapitre 1 (« Un islamisme tiers-mondiste ») porte sur les racines idéologiques du MJIP et son émergence en Égypte, sous la forme des avant-gardes islamiques, au sein d’un groupe d’étudiants palestiniens dans les années 1970. Quoique profondément marqué par l’histoire palestinienne (notamment par la figure iconique d’Al-Qassam), le MJIP se réclame d’une double filiation idéologique : l’anticolonialisme tiers-mondiste (Shariati, Bennabi, etc.) et l’islam politique des Frères musulmans (Al-Banna, Qutb, etc.). C’est pour remédier aux insuffisances des deux courants (un nationalisme sans islam, un islam sans nationalisme), dans la foulée des espoirs engendrés par la révolution islamique iranienne, que se rassemblent les intellectuels à l’origine du MJIP. Bien que sunnite dès ses débuts, le groupe en appelle au transconfessionnalisme, soit au dépassement des divisions entre sunnites et chiites.
Le chapitre 2 (« La plume et le fusil ») retrace l’implantation graduelle du MJIP à Gaza dans les années 1980, notamment dans les mosquées et universités, et ses premiers engagements militaires sous la forme d’un réseau de groupes militants. Deux événements contribuent à son essor. Survient d’abord l’arrestation de plusieurs de ses cadres par Israël en 1983, ce qui permet paradoxalement au MJIP de recruter en prison de nouveaux membres, dotés d’une expérience militaire. Survient ensuite l’alliance avec une branche armée islamisante issue du Fatah, les Brigades du jihad islamique. Ensemble, ces deux groupes conviennent après l’expulsion de l’OLP du Liban de recentrer la lutte armée sur le territoire d’Israël-Palestine, ce qui conduira aux premières attaques de soldats israéliens dans les territoires occupés, et éventuellement à la première intifada en 1987.
Le chapitre 3 (« Entre islamisme et nationalisme : l’émergence d’une troisième voie ? ») donne à voir l’engagement militaire de plus en plus radical du groupe et sa formation officielle, quoique clandestine, comme « parti politique » en 1992. Rejetant vocalement la solution à deux États et les négociations entre l’OLP et Israël, le MJIP accélère les attaques contre Israël, jusqu’à adhérer à la stratégie des attentats suicides en 1995. S’efface alors toute frontière entre civils et militaires, la société israélienne entière devenant une cible militaire. Réprimé tant par Israël que par l’Autorité palestinienne (son principal fondateur, Fathi Shiqaqi est assassiné par le Mossad en 1995), le MJIP n’en dénonce pas moins les accords de paix considérés comme un marché de dupes (plusieurs Palestiniens, dont Edward Saïd, soutiennent d’ailleurs cette position).
Le chapitre 4 (« Au temps des nouveaux soulèvements ») retrace l’implication du MJIP dans la seconde intifada, la politique palestinienne contemporaine et la guerre civile syrienne. Ainsi, le Jihad n’hésite pas à s’allier aux branches armées du Fatah et du FPLP pour mener des dizaines d’opérations suicides entre 2000 et 2004, des groupes pourtant d’ordinaire étiquetés « séculiers ». Avec le retrait des colons de Gaza, le MJIP adopte le tir de roquettes comme stratégie, développant une coordination de plus en plus poussée avec le Hamas. Lorsqu’éclate la guerre civile entre le Fatah et le Hamas en 2007, le mouvement tente de les réconcilier. Le même scénario se reproduit lors de la crise syrienne, suivant l’idée que « la force des armes peut être utilisée contre les forces occupantes, qu’elles soient israéliennes ou américaines, mais elle ne saurait être utilisée entre les Arabes eux-mêmes » (p. 18-19).
En somme, bien qu’un peu technique par moments, ce livre est à lire pour quiconque désire mieux saisir le développement idéologique et pratique d’un groupe armé, né d’une injustice historique (le triomphe du colonialisme israélien en 1948) et prenant l’islam comme moteur idéologique. Il est particulièrement fascinant de voir comment un tel groupe articule son idéologie à partir de sources très diverses (sunnisme, chiisme, nationalisme, anticolonialisme, etc.) dans le but de définir un objectif de libération nationale en soi très peu religieux. Tout aussi intéressant est le constat de l’alternance du MJIP entre l’intransigeance totale face à Israël et la très grande conciliation entre les groupes palestiniens en conflit. Ces faits permettent de fracasser les images trop simplistes du MJIP, souvent le fait de travaux israéliens et américains.
On peut toutefois émettre deux critiques aux auteurs. D’une part, bien que la bibliographie de l’ouvrage soit considérable (plus de 240 notes), l’échantillon n’est pas du tout explicité, ce qui permet mal de saisir réellement sur qui ils se fondent pour écrire leur histoire, hormis quelques cadres bien identifiés et des membres anonymes du MJIP. D’autre part le titre principal, De la théologie à la libération ?, qui n’est pas sans évoquer la théologie de la libération chrétienne latino-américaine, est trompeur dans la mesure où le pari du MJIP est justement, dès ses débuts, de réarticuler la théologie au service de la libération de la Palestine. Néanmoins, ce livre permet de bien saisir depuis la marge la politique palestinienne, et en particulier sa résistance armée.