Il naît dans la ville de Asadâbâd, un petit bourg dans l’ouest iranien, proche de la cité de Hamadhân en 320H./930. Il grandit dans une famille pauvre, mais apprend à lire et développe un goût prononcé pour la lecture. Il part à Qazwîn pour commencer à étudier de manière approfondie avec Zubayr b. ʿAbd al-Wâhid al-Asadâbâdî (m. 347/958-9) et Abû l-Ḥasan Ibrâhîm b. Salama al-Qattân (m.345/956-7).
En 339 H./949, il accomplit le premier de ses deux pèlerinages à La Mecque. Un an plus tard ; ʿAbd al-Jabbâr prend la direction de Hamadhân où il commence à étudier le hadith avec Abû Muḥammad ʿAbd al-Rahmân al-Jallâb (m. 342 H./954) ; puis Ispahan en 345 H./957, où il approfondit ses connaissances dans la Sunna du prophète sous l’autorité de maîtres comme ʿAbdallâh b. Jaʿfar al-Isbahânî (m. 346 H./958), Muhammad ʿAmr al-Basrî, Ahmad b. Ibrâhîm al-Tamîmî (m. 352 H./963) et Muhammad al-Ramharumzî. En 346 H./958, il part pour Basra, centre intellectuel important, où les théologiens acharites et les canonistes shafiʿîtes brillent. Positions qu’il commence par adopter et qui lui permettent de s’engager dans le domaine du kalâm (théologie spéculative). Ce qui lui permettra de participer plus en avant à des débats avec d’autres courants et confessions présents dans la cité irakienne de l’époque. C’est ainsi qu’il rencontre des représentants du mutazilisme.
La conversion au mutazilisme
Bien que vivant sous régime de restrictions et de tracasseries depuis près d’un siècle (et la restauration de Mutawwakil m. 247 H./861), le mutazilisme est encore bien présent dans la cité où il passe pour être né. Ainsi, ʿAbd al-Jabbâr rencontre Abû ʿAbdallâh Ibrâhîm b. ʿAyyâsh (m.386/996), maître de l’Ecole à cette époque, et ancien élève d’Abû Hâshim al-Jubbâ’î (m.303/915). C’est sous son influence que ʿAbd al-Jabbār adopte le mu’tazilisme, et dont il deviendra l’un des noms les plus brillants à travers l’histoire. En tant que canoniste (faqîh), ʿAbd al-Jabbâr atteint un haut niveau dans la connaissance et la maîtrise du droit jurisprudentiel shâfi’îte. Cependant, après son passage au mutazilisme, il souhaite étudier le madhhab hanafî (droit hanafite) auprès de son maître Abû ʿAbdallâh Ibrâhîm b. ʿAyyâsh, lui-même un expert hanafite. Mais ce dernier l’arrête et lui dit « tout mujtahid–expert- de cette science (fiqh) a raison. Je suis Hanafî, et toi tu es Shâfiʿî ». Lui faisant ainsi comprendre qu’il pouvait très bien rester shâfi’îte et muʿtazilî. Toutefois, ʿAbd al-Jabbâr donnera sa préférence au kalâm plutôt qu’au droit bien qu’il sera considéré comme l’un des grands maîtres de la shâfiʿiyya (al-Subkî le cite dans son Tabaqât al-shâfiʿiyya al-kubrâ). Ainsi il dit « ceux qui étudient le fiqh cherchent les choses de ce monde. Mais le kalâm n’a pas d’autres buts que Dieu Le Très-Haut ». Toujours fidèle à sa recherche du savoir, il quitte Basra pour se rendre à Bagdad où il étudiera auprès du maître de la branche dite basrienne du mutazilisme, Abû ʿAbdallâh al-Basrî (m. 369 H./980) lui-même ancien disciple d’Abû Hâshim al-Jubbâ’î.
C’est à Bagdad qu’il commence à rédiger ses œuvres que nous connaissons aujourd’hui dont Mutashâbih al-Qur’ân (la semblance dans le Coran). Il se rend à Râmhurmuz dans la région du Khouzistan (aujourd’hui iranien), par ailleurs grand centre d’activité mutazilite de l’époque (outre Râmhurmuz, nous pouvons aussi cité la ville de ʿAskar Mukram comme véritable centre d’activité mutazilite dans la même région). Là-bas, ʿAbd al-Jabbâr entame la rédaction de son ouvrage majeur, al-Mughnî fī abwâb al-tawhîd wa-l-ʿadl (La somme théologique sur l’unicité et la justice). Sa réputation grandit, mais il ne semble pas bénéficier des fruits de ses travaux. Pas au début. C’est son maître, Abû ʿAbdallâh, qui le met en relation avec un autre de ses disciples, Ibn ʿAbbâd le vizir riche et puissant du chef d’État de l’époque, Mu’ayyid al-Dawla (m.373/984). Les deux hommes sont si proches qu’Ibn ʿAbbâd est surnommé al-sahib (le compagnon) de Mu’ayyad al-Dawla. Bien que la dynastie abbasside soit encore officiellement au pouvoir, les califes n’ont plus qu’une fonction effacée. Ce sont les émirs qui exercent l’essentiel du pouvoir. Ici, ceux de la dynastie Bouyide.
Apogée et déclin
Ibn ʿAbbâd nomme son condisciple ʿAbd al-Jabbâr juge suprême (qâdî al-qudât) de Rayy, la capitale de la province iranienne de Jibāl. Le Qāḍī arrive sur place en 367 H./977, date à laquelle il entre en fonction. Très vite, il a sous sa juridiction, outre la cité de Rayy, les villes de Qazwîn, Suhraward, Qumm, Sâwa et leurs régions avoisinantes. A partir de ce moment, le Qadi Abd al-Jabbâr gagne une réputation très importante dans le domaine du droit islamique, et plus largement de la science religieuse. On vient de partout pour le consulter. Il est à noter que lorsque les muʿtazila par la suite utilisent l’expression qâdî al-qudât, c’est pour désigner Abd al-Jabbâr et personne d’autre. Même Ahmad b. Abî Du’âd (m. 240/854), qui occupait la fonction de qâdî al-qudât au temps des califes mutazilites (198-232 H./813-847) n’est pas désigné sous ce titre. Il devient un religieux écouté, réputé et incontournable. Il atteint là, l’apogée de sa carrière. Mais en 385 H./995, Ibn ʿAbbâd meurt. Fakhr al-Dawla (m. 387 H./997), prend la tête de la branche Bouyide de Rayy. Ennemi de son frère, Mu’ayyad al-Dawla (mort en 373 H./984) et de tous ses anciens alliés, dont le qadi Abd al-Jabbâr, Fakhr al-Dawla utilise de faux prétextes pour lui retirer ses titres, le dépouiller de ses biens et le disgracier.
Ensuite, le qadi n’occupera plus jamais de fonction importante dans les régions contrôlées par les princes Bouyides. Il continue d’enseigner entre Rayy, Isfahân et Qazwîn et c’est probablement à cette époque qu’il rédige une dernière œuvre importante, Fadl al-iʿtizâl wa-ṭabaqât al-muʿtazila, Le mérite des mutazilites et les différentes générations de mutazilites.
Le Qâdî al-Qudât Abd al-Jabbâr meurt probablement en 415 H./1025, à un âge très avancé, et sera enterré dans sa propriété. Aujourd’hui, le Qâdî ʿAbd al-Jabbâr est l’une des principales sources qui nous permettent de connaître le mutazilisme. Grâce à sa Somme théologique (Kitâb al-mughnī) et Le livre des cinq principes (Kitâb al-usûl al-khamsa) principalement.
Sources :
- Reynolds Gabriel S., A Muslim Theologian in the Sectarian Milieu, ʿAbd al-Jabbār and the critique of Christian origins, Brill, 2004
- Alamuddin Sulayman S., al-Muʿtazila, ṭārīẖ, ʿaqā’id, firaq, aʿlām, Nawfel, 2000
- Khayoun R., Muʿtazila al-Baṣra wa Baghdād, Dar al Hikma, 1999